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Bien que l’Espagne contemporaine passe par une crise économique et sociale particulièrement sombre, ce pays demeure, malgré tout, une source intarissable d’inspiration pour de nombreux écrivains et artistes au Québec. Avec un titre très évocateur, où l’Espagne singulière devient plurielle, ce collectif dirigé par Carmen Mata Barreiro ouvre la voie à une réflexion croisée sur les rapports très féconds, quoique imaginaires, qui relient l’Espagne au Québec.

Présentant une optique de recherche interculturelle, cet ouvrage aux perspectives multiples saura intéresser aussi bien les écrivains et les traducteurs que les critiques littéraires. Par la structure et la conception même de cet ouvrage, alternant témoignages d’écrivains, entrevues et études littéraires, le livre est d’une lecture dynamique, effleurant de nombreux thèmes, mais sans avoir la prétention d’en faire une systématisation. L’ouvrage est divisé en trois parties bien distinctes. Sans aucun doute, la première saura intéresser tout particulièrement les écrivains et les spécialistes du domaine de la création littéraire, par les entrevues et les témoignages d’auteurs qui ont été influencés par la culture espagnole. C’est le cas de Marie-Célie Agnant, Neil Bissoondath, Louise Cotnoir, Louise Dupré, Nadia Ghalem, Jacques Folch-Ribas, Naïm Kattam, Nadine Ltaif, Nicole Brossard et Louis Jolicoeur. Dans cette première partie, on retrouve également une étude comparative fort intéressante de Carmen Mata Barreiro entre les récits de voyageurs canadiens-français en Espagne au 19e siècle et le roman d’Anne Hébert Un habit de lumière (1999).

La deuxième partie propose plusieurs analyses sur la réception de deux grands personnages de la littérature espagnole : la Célestine et Don Quichotte. Ces analyses montrent bien que ces deux grands classiques de la littérature espagnole appartiennent au patrimoine littéraire universel et qu’ils demeurent au Québec une source d’inspiration et d’innovation pour des dramaturges et des metteurs en scène comme Jean-Pierre Ronfard, Wajdi Mouawad, Dominic Champagne ou Robert Lepage.

Des écrivains et traducteurs chevronnés comme Louis Jolicoeur et Hélène Rioux proposent dans la troisième partie des réflexions d’une sensibilité très fine sur le travail de traduction. María Sierra Córdoba Serrano, pour sa part, fait une analyse sociologique rigoureuse de la fiction québécoise traduite en Espagne et analyse en même temps les représentations du Québec en Espagne et en Catalogne. L’auteure note la présence d’un clivage entre le processus de traduction d’oeuvres littéraires québécoises en espagnol et en catalan et montre que, dans le cas de la traduction en espagnol, il s’agit davantage d’un phénomène économique qu’intellectuel.

Bien entendu, pour publier un ouvrage général comme celui-ci qui vise à ouvrir des champs de recherche plutôt qu’à les approfondir, la directrice de publication, Mata Barreiro, a dû faire des choix. Comme en témoigne la bibliographie, de nombreux autres écrivains québécois se sont également inspirés de l’Espagne pour écrire leur oeuvre. Cette bibliographie constitue un outil incontournable pour tout chercheur souhaitant poursuivre le travail entamé ici.

Si l’un des buts premiers de ce livre est d’ouvrir des pistes de recherche et de réflexion sur le sujet, on ne peut que saluer le travail de sa directrice. Le mérite de l’ouvrage est d’arriver à évoquer, sans jamais en imposer une interprétation définitive, les multiples volets d’un champ de recherche encore à explorer.