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Si les ateliers de philosophie avec les enfants étaient objets de railleries il y a près de 30 ans, ils font désormais partie du paysage scolaire dans plus de 50 pays. Dans son ouvrage, Lévine défend ce type d’ateliers en multipliant les interprétations et les arguments d’ordre psychanalytique et humaniste (voire phénoménologique). Son texte comprend sept chapitres dans lesquels il tente, d’abord, de fonder la pertinence ontologique de ces ateliers en précisant en quoi l’enfant est génétiquement philosophe, anthropologue et métaphysicien. Il décrit ensuite la manière dont il conçoit la mise en route de ces ateliers ainsi que la structure psychique qui leur est sous-jacente (chapitre 3). En ce sens, Lévine soutient qu’ils répondent à des besoins relationnels vitaux (chapitre 4), et qu’ils permettent d’assurer une décentration de l’enfant par le développement, notamment, de l’appartenance groupale et l’élargissement du Moi identitaire (chapitre 5).

L’une des forces principales de ce texte est la profondeur avec laquelle Lévine effectue ses analyses, et ce, à partir de paroles d’enfants apparemment décousues. Cependant, pour apprécier les interprétations qu’il propose, il faut accepter de s’inscrire dans une perspective proprement psychanalytique, ce qui n’est pas d’usage en philosophie pour enfants. Du coup, l’approche de Lévine se distingue de celles qui ont été élaborées jusqu’à présent dans ce domaine. Il consacre beaucoup d’espace à démontrer qu’au-delà des interventions explicites, il y a tout un mouvement intra et interpsychique qui s’articule, ou, dit autrement, une intentionnalité invisible que nous aurions tort de négliger. Cet ouvrage n’est donc pas seulement un état de la question sur l’importance d’inviter les enfants à entrer dans le monde de la spéculation sur les grands problèmes de la vie, mais bien un traité psychanalytique de l’enfant philosophe.

Quoi qu’il en soit, le propos demeure essentiellement d’ordre interprétatif, puisque Lévine ne précise jamais les cadres et outils opérationnels d’analyse utilisés pour appuyer ses conclusions. Des associations sont aussi posées sans être explicitées, comme c’est le cas entre ateliers de philosophie et ateliers de psychologie, entre pensée critique et pensée contestataire... De plus, la manière dont Lévine expose les travaux de Lipman témoigne d’une méconnaissance de ses idées. En effet, Lipman y est présenté comme un Canadien alors qu’il est natif des États-Unis, et il n’est aucunement mention de l’importance que celui-ci accorde au dialogue, à la pensée réflexive ainsi qu’au statut de l’élève. Singulièrement, l’approche Lipman est présentée comme la création d’un débat extériorisé et rigoureusement contrôlé, ce qui est un portrait pour le moins réductionniste. Par ailleurs, la stratégie proposée par Lévine, dans laquelle les élèves ne discutent que dix minutes et où l’enseignant est pratiquement tenu au silence, demeure fortement questionnable, malgré les efforts de persuasion de l’auteur. Aux yeux d’un philosophe, la philosophie ne peut se résumer à un questionnement sur la condition humaine, pas plus que la création d’une communauté de recherche philosophique ne peut prendre forme qu’en recourant à la simple énumération commune d’impressions premières, qu’elle comprenne ou non un acte de catégorisation implicite.