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L’École nouvelle a fait une percée dans le Jura entre les années 1950 et 1970, notamment sous l’impulsion d’un instituteur d’avant-garde, Edgar Sauvain. L’oeuvre pédagogique de Sauvain s’inspire de celle de Célestin Freinet dont on connaît la proximité avec le socialisme, sinon le communisme. L’intérêt du Jura envers l’école nouvelle tiendrait à la critique d’un monde qui s’était engagé, avec la montée des totalitarismes et la Seconde Guerre mondiale, dans un cul-de-sac, dont on a cru pouvoir échapper en éducation par le dépassement de la pédagogie traditionnelle axée sur le contrôle autoritaire de l’élève. Mais alors pourquoi l’ensemble du monde occidental ou de la Suisse ne se serait-il pas converti à l’École nouvelle, et seulement le Jura, et encore, uniquement la classe d’Edgar Sauvain et de quelques autres adeptes des mêmes pédagogies ? Qu’est-ce qui peut expliquer l’émergence d’un mouvement pédagogique d’avant-garde dans un pays que l’on perçoit généralement de l’extérieur comme plutôt conservateur ? Si le but du collectif consistait à faire connaître l’histoire de ce mouvement pédagogique à la francophonie et non seulement aux Jurassiens préoccupés de la sauvegarde de leur patrimoine culturel, il eût été souhaitable, dans une introduction générale, de présenter les grandes lignes du contexte politique, culturel et éducatif dans le Jura. Car on conserve l’impression d’un mouvement pédagogique certes novateur, au demeurant fort bien documenté et dont on voit bien les sources intellectuelles, mais d’un mouvement néanmoins fortement enclavé, sans lien avec l’histoire plus générale de la Suisse, et limité à certains villages du Jura.

Au-delà de ce flou qui subsiste au sujet de l’origine du mouvement pédagogique en question, toutes les contributions du livre nous permettent de mieux comprendre l’esprit et la lettre de l’École nouvelle. Et en cela réside l’immense intérêt du livre. On voit ce qu’est la pédagogie Freinet, la manière dont elle a été adaptée par Sauvain et les principes mêmes de l’école nouvelle. On comprend mieux la portée novatrice et pédagogique de certains dispositifs associés à l’École nouvelle (l’imprimerie, le cinéma, le texte libre, la correspondance inter-école, etc.). On découvre même les distinctions et les tensions qui existent entre la pensée de Freinet et celle de Fernand Oury (pédagogie institutionnelle), et par le fait même, la richesse des idées pédagogiques qui participent de l’École nouvelle. De très nombreux et intéressants documents d’archives émaillent le tout.

Toutefois, si l’on peut partager le plaidoyer des auteurs au sujet du caractère révolutionnaire de l’École nouvelle sur le plan de la forme scolaire, on peut demeurer sceptique quant à sa dimension révolutionnaire sur le plan social. Un peu plus d’amour et de bien-être en éducation suffira-t-il à transformer une société qui voit actuellement les écarts se creuser entre riches et pauvres, entre décideurs et citoyens ordinaires ? C’est le pouvoir de transformation de la société par la pédagogie qui est implicitement évoqué ici. Le livre intéressera donc, par la bande à tout le moins, tout lecteur préoccupé par les questions de la transformation possible de l’école et de la transformation possible de la société par l’école.