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Ces dernières années, un nombre croissant de travaux de recherche provenant de diverses disciplines témoignent de l’importance de la période de la petite enfance dans la réussite éducative de l’enfant, mais également dans son intégration sociale future. D’une part, diverses études longitudinales montrent que des programmes d’éducation de qualité produisent des effets positifs multiples sur les jeunes enfants et que ces effets perdurent tout au long de la vie (Belsky, Vandell, Burchinal, Clarke-Stewart, McCartney, Owen et NICHD, 2007 ; Campbell, Ramey, Pungello, Sparling et Miller-Johnson, 2002 ; Schweinhart, Montie, Xiang, Barnett, Belfield et Nores, 2005 ; Vandell, Belsky, Burchinal, Steinberg et Vandergrift, 2010). De plus, des arguments économiques (Doherty, 2007) sont régulièrement avancés afin de justifier une plus grande attention à accorder à cette période de la vie. En effet, les données issues de ces recherches longitudinales ont permis d’estimer qu’en investissant tôt dans l’éducation des jeunes enfants, des économies significatives pouvaient être réalisées (Cleveland, 2008). Un tout autre courant de recherche apporte également de nombreux arguments pour attester de l’importance de la période de la petite enfance. Il s’agit des neurosciences, qui connaissent un essor considérable grâce aux nouvelles technologies permettant d’observer le fonctionnement du cerveau. Les recherches menées dans ce domaine démontrent clairement que la qualité des expériences vécues par l’enfant influence les processus chimiques qui interviennent dans le développement de son cerveau. En retour, le développement cérébral, voire neurologique, agit sur son développement global et sa réussite éducative (McCain, Mustard et Shanker, 2007 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2007a). En d’autres mots, un environnement permettant au jeune enfant de vivre diverses expériences stimulantes favorise le développement de multiples connexions dans son cerveau, ce qui contribue notamment à l’actualisation de son potentiel cognitif.

La préparation à l’école et à la vie

Les expériences que connaît le jeune enfant façonnent son développement et contribuent à le préparer à intégrer l’école. La notion de préparation à l’école (school readiness) s’est transformée largement au fil des années en fonction des travaux menés dans divers domaines, dont l’éducation à la petite enfance et la psychologie du développement. Pendant longtemps, la préparation au parcours scolaire a été considérée comme une simple question de maturation biologique. Dans cette perspective inspirée des travaux du pionnier que fut A. Gesell (Snow, 2006), les enfants sont prêts à entrer à l’école quand ils ont atteint un certain niveau de maturité. Tous les enfants passent par les mêmes étapes de développement, mais certains le font plus lentement que d’autres.

Dans les décennies 1960 et 1970, cette conception basée uniquement sur la maturation a progressivement été délaissée. En effet, les recherches effectuées à cette période ont permis de constater que des difficultés observées lors de l’intégration en milieu scolaire se maintenaient tout au long du parcours de l’enfant (Pandis, 2001). La maturation ne parvenant pas à elle seule à expliquer cette situation, on a alors commencé à considérer plus explicitement la capacité de l’enfant à s’ajuster au milieu scolaire. Dans cette seconde conceptualisation de la préparation à l’école, les caractéristiques personnelles de l’enfant (tempérament, capacités innées, etc.) ainsi que ses premières expériences sont reconnues comme pouvant influer considérablement sur ses aptitudes à répondre aux exigences du milieu scolaire. Par conséquent, comme l’indique Doherty (1997), la préparation à l’école peut se définir comme la capacité de l’enfant à accomplir les tâches qu’on attend de lui à l’école. Par exemple, l’enfant est-il capable de demeurer assis pour participer à certaines activités proposées par l’enseignante ? En somme, dans cette optique, en plus de la maturité physiologique, la préparation scolaire reposerait sur la maîtrise, par l’enfant, d’un ensemble d’habiletés et de connaissances dès le début de son expérience scolaire.

En ce qui concerne la nature des habiletés requises, divers points de vue émergent. D’une part, pour la population en général, la préparation scolaire concerne avant tout la maîtrise d’un ensemble de connaissances spécifiques reliées à des domaines de connaissances, tels que les mathématiques, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2006). Pour d’autres, la préparation scolaire s’appuierait plutôt sur le développement global de l’enfant, c’est-à-dire sur le développement simultané et interrelié des dimensions affective, physique, sociale, motrice, langagière et cognitive de l’enfant. Cette seconde perspective est résolument celle qui obtient le plus de reconnaissance dans le milieu de l’éducation (Conseil supérieur de l’éducation, 2012). Le développement global est d’ailleurs à la base de la plupart des programmes d’éducation destinés aux enfants de moins de 6 ans, qu’il s’agisse de programmes reconnus internationalement comme High/Scope, Abecedarian Curriculum, Reggio Emilia ou de programmes mis en place par des législateurs locaux, tels que le programme éducatif Accueillir la petite enfance destiné aux services de garde (Gouvernement du Québec, 2007), ou encore, Early learning for every child today : A framework for Ontario early childhood settings (Best start expert panel on early learning, 2007).

Dans une perspective écosystémique, une troisième conceptualisation de la préparation à l’école est aujourd’hui retenue par un grand nombre d’acteurs du milieu de l’éducation (High and Committee on early childhood adoption and dependent care and council on school health, 2008). La réussite éducative repose sur un ensemble de facteurs dont les caractéristiques de l’enfant lui-même, certes, mais également les interactions qu’il expérimente tant dans sa famille, que dans le milieu scolaire et au sein de la communauté où il vit. En réalité, bien que les habiletés que l’enfant montre à son entrée à l’école influencent sa réussite éducative, LaParo et Pianta (2000) soulignent que moins d’un quart (< 25 %) de la performance de l’enfant à la maternelle est expliqué par ses caractéristiques personnelles. En somme, pour bien comprendre la situation particulière d’un enfant en matière de réussite éducative, il ne suffit pas de se demander si l’enfant est prêt à s’intégrer au milieu scolaire (school readiness), mais il faut savoir également si l’école est prête (readiness of school) à accueillir l’enfant avec les caractéristiques qui lui sont propres. De plus, la famille et la communauté ont des rôles importants à jouer dans la préparation de l’enfant à l’école.

Une préparation à l’école inégale

À l’aide d’outils tels que l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMDPE) de Janus et Orford (2007), des enquêtes populationnelles ont été réalisées auprès de vastes échantillons au cours des dernières années, au Canada et ailleurs dans le monde. Ces enquêtes permettent de dresser un état de la situation dans une communauté au sujet du niveau de préparation des enfants quant à leur réussite éducative. Les résultats sont, dans la plupart des cas, inquiétants (Doherty, 2007), de nombreux enfants ne s’avérant pas tout à fait prêts à entreprendre leur parcours scolaire. Par exemple, sur l’île de Montréal, dans l’enquête En route pour l’école ! (Direction de santé publique, 2008), il ressort que près de 35 % des enfants présentent au moins une vulnérabilité dans l’une des cinq échelles de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance. Plus précisément, selon cet instrument, un enfant est considéré comme « vulnérable » dans un domaine de développement à partir du moment où son score pour ce domaine est égal ou inférieur au 10e percentile de la distribution de l’échantillon de référence (Desrosiers, Tétreault et Boivin, 2012). Des travaux plus récents, réalisés sur l’ensemble du territoire du Québec, vont dans une même direction indiquant qu’un enfant sur quatre est vulnérable dans un des domaines de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (Simard, Tremblay, Lavoie et Audet, 2013).

Facteurs influençant la préparation à l’école et à la vie

Les facteurs associés à cette vulnérabilité présente chez une partie des jeunes enfants sont généralement bien connus. Certains de ces facteurs sont d’ordre biologique ; par exemple, les filles démontrent généralement de meilleures habiletés pour entreprendre leur scolarisation que les garçons (Lemelin et Boivin, 2008). De plus, la santé des enfants est également déterminante dans le développement de leurs habiletés (Janus et Duku, 2007). D’autres facteurs concernent le milieu de vie immédiat de l’enfant, soit sa famille, notamment en ce qui concerne la qualité des soins qu’il y reçoit ou encore la nature des interactions qui s’y déroulent (KSI Research International Inc., 2003). La scolarité des parents, plus particulièrement de la mère, est également positivement associée aux résultats scolaires de l’enfant (Thomas, 2006). Enfin, toute une autre série de facteurs se rapportent aux conditions de vie, notamment sur le plan socioéconomique (Thomas, 2006), ou encore à la présence de ressources destinées à la famille dans la communauté (Janus, 2002).

Initiatives visant à préparer les enfants à l’école

Si plusieurs des facteurs soutenant la préparation des enfants à l’école sont actuellement connus, il reste encore beaucoup à faire pour préciser des stratégies efficaces afin de favoriser la préparation des enfants avant l’arrivée à la maternelle. Certains programmes d’intervention précoce tels que High/Scope ou encore l’Abecedarian curriculum ont bien montré qu’ils soutenaient concrètement la réussite éducative d’enfants présentant de nombreux facteurs de risque. Toutefois, ces programmes demeurent difficilement généralisables à une large échelle, notamment parce que les ressources qu’ils requièrent font souvent défaut dans les milieux de pratique, qui doivent composer avec des moyens plus modestes.

Les services de garde éducatifs de qualité sont également reconnus comme une ressource pouvant contribuer à soutenir l’apprentissage et le développement de l’enfant. Ainsi, une étude réalisée au Québec permet de constater que les enfants qui ont fréquenté régulièrement un service de garde avant leur entrée à la maternelle sont moins souvent identifiés comme vulnérables dans au moins une des échelles de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (Simard et al., 2013). Plusieurs recherches montrent, en effet, que les enfants fréquentant des services de garde de qualité ont de meilleures performances langagières et cognitives et une meilleure capacité à établir des relations harmonieuses avec leurs pairs et les adultes de leur entourage que ceux qui n’en fréquentent pas (Vandell, 2004). Votruba-Drzal, Coley et Chase-Lansdale (2004) rapportent que les enfants ayant fréquenté des services de garde collectifs ou en milieu familial ont des scores supérieurs à ceux des autres enfants n’ayant pas fréquenté ces services, et ce, en ce qui a trait à la compétence sociale, au langage, à la persistance à la tâche, à la confiance en soi et la résolution de problème. D’autres études vont dans le même sens, tout en soulignant que les gains développementaux que font les enfants sont liés à la fréquentation de services de garde dont la qualité est élevée (Bierman, Torres, Domitrovich, Welsh et Gest, 2009 ; Zaslow, Halle, Martin, Cabrera, Calkins, Pitzer et Margie, 2006). Toutefois, une telle qualité s’avère difficile à atteindre et, surtout, à maintenir dans les services de garde. En effet, plusieurs recherches menées aux États-Unis et ailleurs dans le monde rapportent que le niveau de qualité s’avère généralement médiocre ou faible (Beller, Stahnke, Butz, Stahl et Wessels, 1996 ; Bigras, Bouchard, Cantin, Brunson, Coutu, Lemay, Tremblay, Japel et Charron, 2010 ; Burchinal, Roberts, Riggins, Zeisel, Neebe et Bryant, 2000 ; Petrogiannis et Melhuish, 1996). Diverses hypothèses ont été évoquées pour expliquer ce faible niveau de qualité, comme le sous-financement des services, mais aussi le niveau de formation exigé pour le personnel éducateur. Toutefois, d’autres études sont requises pour mieux comprendre la situation et identifier des mesures concrètes permettant de soutenir la qualité des services de garde éducatifs et ainsi assurer aux enfants de meilleures bases pour la réussite éducative.

Par ailleurs, alors que plusieurs études permettent de constater que les enfants provenant de milieux à risque bénéficient davantage de la fréquentation d’un service de garde de qualité (NICHD Early child care research network, 2002), on constate aussi que ces familles ont moins tendance à utiliser de tels services (Capizzano et Adams, 2003) et que, lorsqu’elles le font, leur enfant se retrouve dans des milieux de faible qualité (Japel, Tremblay et Côté, 2005). Pungello et Kurtz-Costes (1999) suggèrent que cette utilisation moins fréquente des services de garde régis par les familles démunies pourrait s’expliquer par un faible niveau de contrôle de leur environnement (par exemple, faible accessibilité aux services et peu de souplesse de leur milieu de travail), par leurs croyances ou attitudes négatives face aux services de garde structurés et par leur manque de connaissances des effets positifs que pourraient avoir ces services sur leur enfant.

En somme, le rôle éducatif des services de garde fait l’objet d’un consensus. Toutefois, la manière d’exercer ce rôle demeure encore l’objet de débats. Pour certains auteurs, dont Whitehurst (2001), il serait possible de préparer les enfants à connaître une meilleure réussite éducative en délaissant des principes chers aux spécialistes de l’éducation préscolaire et en préconisant un enseignement explicite, à un plus jeune âge, de certains concepts, comme les lettres et les chiffres. Pour d’autres, dont Elkind (2001), les programmes éducatifs doivent avant tout se centrer sur les intérêts des enfants et tenir compte de leur niveau de développement afin d’éviter à tout prix de les soumettre à des activités, à des apprentissages pour lesquels ils ne sont pas prêts. Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (2007) confirme effectivement la présence de ces deux points de vue dans les politiques et programmes éducatifs mis de l’avant dans divers pays. En effet, d’un côté, certains pays adoptent une perspective qualifiée de préprimaire se caractérisant par l’introduction de contenus, de méthodes propres à l’enseignement primaire dans les programmes destinés aux jeunes enfants. Par ailleurs, d’autres pays s’inscrivent dans la tradition de la pédagogie sociale et considèrent que ce sont plutôt les premières années du parcours scolaire qui devraient s’inspirer davantage de la pédagogie mise de l’avant lors de la période de la petite enfance. Dans la pédagogie sociale, le développement global de l’enfant et l’apprentissage sont pris en considération et la visée pour l’enfant est une préparation générale à la vie (Organisation de coopération et de développement économiques, 2007).

Optimiser les services à la petite enfance

Dans les diverses sociétés occidentales, on s’accorde pour considérer que l’accès à l’école est une mesure universelle offerte à tous les enfants. Par contre, les ressources à la petite enfance font moins l’unanimité. Dans certains milieux, des programmes universels de services de garde sont offerts, alors qu’ailleurs, ces ressources sont considérées comme relevant de choix individuels pour lesquels l’ensemble de la société ne devrait pas débourser. Cette situation semble être en voie de changer, puisque les données sur le développement du cerveau ou encore sur les effets bénéfiques des milieux d’accueil de la petite enfance permettent de convaincre plusieurs gouvernements d’investir davantage de ressources dans ces services. Toutefois, de nombreuses questions demeurent quant aux meilleures façons de les organiser. Pour certains, le portrait général des ressources correspond à un véritable chaos (McCain et al., 2007), où les divers services offerts par de nombreux paliers gouvernementaux peinent à coordonner leurs efforts. Une des conséquences de cette situation chaotique est que des familles et leurs enfants ne parviennent pas à obtenir le soutien concret dont ils ont besoin. Pour bien tirer profit de ces ressources financières, qui sont forcément limitées, il faudrait s’assurer de coordonner l’ensemble des efforts afin de garantir une continuité dans les interventions, mais aussi de rejoindre les personnes pour qui ces services peuvent faire une différence, en l’occurrence les familles issues de milieux moins nantis. La nécessité de coordonner les efforts et d’arrimer l’ensemble des services offerts aux jeunes enfants et à leur famille demeure un important enjeu, susceptible de préoccuper l’ensemble du milieu de l’éducation pour les prochaines années.

Un numéro thématique pour appuyer les réflexions sur la réussite éducative

Dans la lignée de ces constats, ce numéro thématique vise à contribuer à la réflexion sur la réussite éducative des jeunes enfants. Il s’agit d’un thème tellement vaste qu’il serait irréaliste de prétendre le couvrir dans son ensemble en un seul numéro thématique. Toutefois, les divers articles présents dans ce numéro rapportent des résultats de recherche récents et particulièrement éclairants, en lien avec divers aspects significatifs de la préparation à l’école et à la vie. L’article de Lapointe, Japel et Belleville aborde la question de la préparation scolaire à travers le jugement d’enseignantes québécoises. Ces auteurs nous révèlent que les enseignantes considèrent qu’une importante proportion d’enfants, soit près du tiers, éprouvent des difficultés. L’originalité de cette étude menée à partir de deux cohortes d’élèves (1998 et 2005) est qu’elle fait ressortir une stabilité dans les perceptions des enseignantes quant à la préparation scolaire des élèves de maternelle. Plus précisément, les quatre profils identifiés par les auteurs (mature, en difficulté d’adaptation, en difficulté d’apprentissage et à risque) demeurent présents et dans des proportions semblables, à plusieurs années d’intervalle. Déjà, en soi, ce résultat questionne la portée de plusieurs mesures mises en place pour les jeunes enfants au Québec. Notamment, les auteurs constatent que, selon les perceptions des enseignantes, le niveau de préparation scolaire des enfants ayant fréquenté la maternelle 4 ans dans la région de Montréal ne se distingue pas de celui des enfants qui n’ont pas vécu cette expérience. Ce constat s’inscrit dans la lignée d’autres travaux effectués aux États-Unis, où la grande variabilité dans la qualité des milieux éducatifs pour les enfants de quatre ans a suscité de nombreuses questions (Pianta, Barnett, Burchinal et Thornburg, 2005). Plusieurs en sont venus à considérer que la simple fréquentation d’un milieu éducatif (maternelle 4 ans, service de garde éducatif) ne suffit pas en soi pour garantir une préparation adéquate de l’enfant à l’école et à la vie. En d’autres mots, pour être en mesure d’observer une différence dans la réussite éducative d’un enfant, celui-ci doit pouvoir fréquenter un milieu de qualité élevé pendant la petite enfance.

D’autres articles composant ce numéro thématique contribuent à mieux cerner certains des aspects de la qualité des milieux éducatifs. Notamment, trois de ces textes abordent la dimension langagière du développement du jeune enfant. Ainsi, Gagné et Crago rappellent l’importance de la production narrative dans la réussite éducative de l’enfant. Leur étude fait ressortir le rôle prépondérant des fonctions exécutives dans la capacité de l’enfant à organiser un récit. En ce sens, elles rejoignent des auteurs (Bodrova et Leong, 2007 ; Diamond, Barnett, Thomas et Munro, 2007) qui reconnaissent la nécessité d’offrir un soutien au développement des fonctions exécutives chez les jeunes enfants, puisque celles-ci sont de plus en plus considérées comme déterminantes dans la réussite éducative.

Quant à Lefebvre, Bruneau et Desmarais, ils présentent une recension systématique d’écrits sur la notion d’inférence, c’est-à-dire la prise en compte d’informations non explicitement formulées dans un texte, mais qui sont utiles à la compréhension d’un récit. Ainsi, lorsqu’un adulte lit un livre d’histoire où il est écrit que « Constance est guérie », l’enfant fait une inférence au moment où il réalise que Constance était malade auparavant. La capacité d’un enfant à inférer lui permet donc de bien comprendre les messages formulés par ses pairs et les adultes. Cette capacité contribue aussi à de meilleurs résultats en compréhension de l’écrit, qui est elle-même prédictrice de la réussite éducative de l’enfant. Pour ces raisons, les auteurs préconisent de soutenir la capacité des enfants à inférer par la mise en place de programmes d’intervention spécifiques dans les milieux accueillant de jeunes enfants. Ils proposent un cadre conceptuel afin notamment de décrire les divers types d’inférence devant être priorisés.

Un autre article, rédigé par Desmarais, Archambault, Filiatrault-Veilleux et Tarte, porte sur la compréhension orale des jeunes enfants. Le travail de ces auteures permet de mieux cerner les capacités respectives en matière d’inférence des enfants de 4 et 5 ans. Dans un contexte de lecture partagée, elles observent que les enfants de 4 ans sont capables de nommer les émotions vécues par des personnages. Par contre, ils parviennent moins bien que les enfants de 5 ans à trouver une solution au problème présent dans l’histoire. Ces données illustrent la progression dans les habiletés des enfants en ce domaine, et elles offrent des pistes pertinentes pour que le personnel éducateur/enseignant puisse offrir un étayage approprié, c’est-à-dire un soutien correspondant au niveau de développement de l’enfant. Leur article met en lumière l’importance d’aider les enfants à réfléchir par eux-mêmes et de leur offrir des situations où ils peuvent résoudre des problèmes de diverses manières, en parole et en action.

Dans une autre voie, l’article de Perreault et Brunet se penche sur les relations enfant-éducateur. Les auteurs nous rappellent que la qualité de ces relations influence considérablement le développement sain de l’enfant. La recension d’écrits qu’ils ont réalisée permet de constater que le soutien émotionnel offert par un adulte dans le cadre d’une relation sécurisante se traduit par des gains sur plusieurs autres aspects du développement de l’enfant. Ils identifient également plusieurs types de facteurs influençant cette relation. Ceux-ci se divisent en deux catégories : a) les facteurs personnels et familiaux ; b) les facteurs psychologiques et contextuels. Les auteurs soulignent la nécessité de parfaire les connaissances en ce domaine, notamment en comparant les résultats selon les types de milieux d’accueil des jeunes enfants.

Pour leur part, Myre-Bisaillon, Breton, Boutin et Dionne s’intéressent aux pratiques des mères qui favorisent l’éveil à la lecture et à l’écriture des enfants commençant la maternelle. Leur étude souligne l’importance du rôle des parents dans la préparation des enfants à l’école. Ainsi, 32 % de la variance observée dans les habiletés des enfants en littératie serait attribué aux pratiques des mères. Les auteures émettent l’hypothèse que ce résultat élevé pourrait s’expliquer par le scénario d’évaluation des enfants qui faisait appel à des situations plus informelles et ludiques que celles habituellement utilisées. Cette hypothèse ouvre sur des pistes pertinentes de réflexion pour la recherche et la mise au point de méthodes particulièrement sensibles aux caractéristiques des jeunes enfants. L’article invite à reconnaître et à valoriser les pratiques qui s’insèrent dans le quotidien des familles. Il nous rappelle aussi que la réussite éducative est mieux soutenue lorsque les divers milieux de vie de l’enfant (famille, service de garde éducatif, école…) collaborent.

Finalement, ce numéro thématique se termine par un article théorique proposant une réflexion en profondeur sur les défis tant conceptuels que méthodologiques que pose l’étude des trajectoires de développement. Dans un premier temps, Trudel, Strayer, Blicharski et Bonnet dressent un bilan de plusieurs décennies de recherches sur l’impact de la fréquentation d’un service de garde au cours de la petite enfance. Ils soulignent les limites de ces travaux tout en proposant de privilégier l’étude du développement du jeune enfant selon une perspective interactionniste. Une telle perspective permettrait de mieux rendre compte de l’interrelation entre les divers facteurs entrant en jeu dans le développement. Pour appuyer leur propos, les auteurs présentent quatre modèles récents basés sur une telle conception interactionniste du développement de l’enfant. Tout en reconnaissant des avantages et des limites propres à ces modèles, les auteurs plaident en faveur de l’adoption d’une telle posture épistémologique afin que l’on puisse en arriver à ce que la recherche dans le domaine soit à la fois moins normative et plus centrée sur la personne. Cette réflexion ouvre la voie à une véritable reconceptualisation de la recherche en éducation à la petite enfance.

En terminant, il convient de rappeler que la réussite éducative est un champ de recherche en plein développement et que de nombreux autres travaux de recherche seront nécessaires afin de parvenir à mieux comprendre les facteurs prédisposant à la réussite éducative et à orienter les interventions menées auprès des jeunes enfants. À titre d’exemple, la numératie demeure un domaine relativement peu exploré, du moins si on le compare avec la littératie. Or, une méta-analyse a pourtant identifié la numératie comme le meilleur prédicteur de la réussite scolaire (Duncan, Dowsett, Claessens, Magnuson, Huston, Klebanov, Pagani, Feinstein, Engel, Brooks-Gunn, Sexton, Duckworth et Japel, 2007). D’autres éléments commencent également à poindre dans les écrits de recherche scientifiques. En effet, le rôle clé des fonctions exécutives dans la réussite éducative est de plus en plus documenté (Diamond et al., 2007). Par ailleurs, plusieurs articles de ce numéro thématique offrent l’occasion au lecteur de constater l’importance de la qualité des interactions qui surviennent dans les environnements éducatifs. Ainsi, par exemple, le soutien émotionnel (voir l’article de Perreault et Brunet), tout comme l’importance d’offrir des situations où les enfants ont l’occasion de penser par eux-mêmes et de résoudre des problèmes (voir l’article de Desmarais et al.), évoquent des aspects précis à privilégier dans les interactions entre l’adulte et les enfants. Ces types d’interactions correspondent d’ailleurs à des dimensions du Classroom Assessment Scoring System (Pianta, LaParo et Hamre, 2008). De plus en plus reconnu dans la communauté scientifique, cet instrument a été conçu pour observer la qualité des interactions dans un environnement éducatif. Une méta-analyse récente a permis de constater que la qualité des interactions (mesurée par cet instrument) est la variable prédisant le mieux les apprentissages des jeunes enfants en maternelle 4 ans (Sabol, Hong, Pianta et Burchinal, 2013). Au cours des prochaines années, il faudra travailler à mieux définir cette qualité des interactions, mais aussi à cerner les mesures et les interventions qui contribuent à les maintenir.