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1. Introduction et problématique

L’enseignement de la résolution de problèmes et l’enseignement par la résolution de problèmes sont au coeur des curriculums scolaires de plusieurs systèmes éducatifs, et particulièrement en enseignement des mathématiques. Vue donc à la fois comme une habileté à développer et comme un moyen pour développer d’autres connaissances, la résolution de problèmes vise à outiller les élèves pour surmonter les problèmes qu’ils rencontreront au quotidien, et ce, en ayant recours aux habiletés et aux stratégies appropriées. Dans ce contexte, le défi de l’enseignement des mathématiques est de rendre les connaissances des élèves les plus signifiantes et les plus durables possible en accentuant le lien entre les mathématiques et la réalité (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008). Les manuels scolaires de mathématiques regorgent d’ailleurs de ces contextes, tirés de situations de la vie courante, qui sont le prétexte pour présenter aux élèves des problèmes dont la solution requiert des connaissances mathématiques. Toutefois, cette contextualisation des problèmes écrits, visant à rendre le plus réaliste possible la situation dans laquelle s’inscrit le problème, occasionne nécessairement des énoncés plus longs, desquels découlent des difficultés liées spécifiquement au domaine de la lecture. Si le rôle de la lecture au regard de la compréhension d’un énoncé de problème écrit de mathématiques semble assez évident, la relation entre la lecture et la compréhension de l’énoncé se complexifie lorsque le niveau d’habileté en lecture de l’élève est pris en considération ainsi que le type d’informations contenues dans l’énoncé de problème à résoudre.

Lorsqu’ils sont placés en situation de résolution de problèmes, les élèves doivent s’engager dans une démarche qui peut être décrite comme un processus complexe de modélisation mathématique incluant différentes phases. Verschaffel, Greer et De Corte (2000) décrivent ces phases à l’aide des étapes suivantes : la compréhension, la modélisation, l’analyse mathématique, l’interprétation/évaluation et la communication. Toutefois, selon ces auteurs, il n’est pas rare que les élèves omettent certaines de ces étapes ; leur attention est souvent centrée sur les aspects purement mathématiques du problème, ce qui ne rend pas compte d’une démarche de résolution de problèmes complète. Parmi les étapes du processus négligées ou manquantes, Verschaffel et ses collaborateurs (2000) soulignent la tendance des élèves à passer directement à la modélisation mathématique, négligeant ainsi la compréhension du problème. Pourtant, la compréhension, ou la représentation interne que se construit l’élève de la situation qu’on lui présente, est déterminante dans le processus de résolution. Cummins, Kintsch, Reusser et Weimer (1988) ont établi un lien étroit entre les représentations internes que se font les élèves à partir de l’énoncé écrit d’un problème et le processus de résolution que ceux-ci mettent en oeuvre pour obtenir une solution. Les auteurs ont validé l’hypothèse selon laquelle les solutions que produisent les élèves sont cohérentes avec les représentations internes qu’ils se sont bâties. Ainsi, les mauvaises solutions sont bien souvent les bonnes solutions des problèmes qu’ils se sont représentés mentalement. Cummins et ses collaborateurs (1988) font ressortir de leur analyse que la réussite en résolution de problèmes dépend en premier lieu d’une bonne représentation interne du problème. Bien que fondamentale, l’étape de la compréhension s’avère difficile pour plusieurs élèves.

La compréhension peut être comprise comme l’évolution de l’organisation mentale des données de l’énoncé du problème par l’élève. Dans ce processus de construction de sens, il arrive que les élèves ignorent la réalité contextuelle et excluent leurs connaissances du monde réel pour résoudre le problème. Les auteurs parlent alors d’une modélisation superficielle du problème (Verschaffel et al., 2000). Ce phénomène de perte de sens, appelé par certains auteurs suspension of sense-making  (Schoenfeld, 1991 ; Verschaffel et al., 2000) a été étudié par plusieurs chercheurs qui visaient à savoir dans quelle mesure les élèves mobilisent leurs connaissances du monde réel pour résoudre les problèmes écrits qui leur sont proposés. Les études réalisées par Greer (1993) en Irlande du Nord et par Verschaffel, De Corte et Lasure (1994) en Belgique ont servi de modèles à plusieurs autres chercheurs en provenance de différents pays (Suisse, Allemagne, Japon, Venezuela, etc.) Tous ont obtenu des résultats semblables. Ils ont remarqué, d’une part, une forte tendance des élèves à ignorer leurs connaissances du monde réel pour résoudre les problèmes et, d’autre part, un désir marqué de trouver une réponse numérique aux problèmes proposés. Ces propos vont dans le même sens que ceux soutenus par Mayer et Hegarty (1996), qui affirment que le bon solutionneur de problèmes est un créateur de modèles (model builder), qui cherche à comprendre la situation décrite dans l’énoncé du problème, contrairement au moins bon solutionneur de problèmes que les auteurs qualifient de chercheur de nombres (number grabber), qui cherche plutôt les nombres dans le texte afin de procéder à une opération dictée souvent par un mot inducteur. Ce passage direct à un modèle mathématique provoque une absence de sens du problème et de la solution (Greer, 1993 ; Verschaffel et al., 1994).

Parmi les travaux ayant permis d’étudier les difficultés vécues par les élèves au chapitre de la compréhension des problèmes écrits, il y a ceux qui se sont spécifiquement intéressés à l’influence que peut avoir la variable texte sur la compréhension et le rendement des élèves. Une étude réalisée par Hudson (1983) au sujet de la reformulation des énoncés de problèmes écrits de mathématiques suggère que la facilité avec laquelle les jeunes élèves répondent aux problèmes varie en fonction de la formulation utilisée pour présenter l’énoncé du problème. Cette conclusion avancée par Hudson (1983) a amené de nombreux chercheurs à poursuivre les recherches dans ce domaine. Bien que différents types de reformulations aient été définis et utilisés par les chercheurs, les reformulations les plus fréquemment étudiées reposent sur l’ajout de deux types d’éléments : d’une part, les éléments situationnels, qui visent à aider l’élève à se représenter le contexte du récit du problème d’une façon plus complète et plus élaborée ; d’autre part, les éléments conceptuels ou explicatifs, qui renvoient à des indices ajoutés afin de rendre plus explicites les relations sémantiques entre les ensembles connus et inconnus. Certaines études ayant suivi celle de Hudson (1983) ont montré que même de petits changements au niveau de la formulation du texte peuvent influencer le traitement du problème par l’élève (De Corte, Verschaffel et De Win, 1985 ; Haghverdi, 2012 ; Staub et Reusser, 1995 ; Stern et Lehrndorfer, 1992 ; Voyer, 2011).

Par exemple, De Corte et al. (1985) ont réalisé une étude auprès de 89 élèves de première année et 84 élèves de deuxième année afin de vérifier l’effet de la reformulation conceptuelle sur le rendement des élèves. Les résultats obtenus par ces chercheurs soutiennent que les versions des problèmes ayant subi des reformulations conceptuelles ont été significativement mieux réussies par les élèves que les versions standards, et ce, pour les deux niveaux scolaires. Les auteurs concluent qu’une telle reformulation favorise la construction d’une représentation mentale appropriée des énoncés de problèmes. Par ailleurs, Stern et Lehrndorfer (1992) ont remarqué que les énoncés de problèmes de comparaison devenaient plus faciles pour les élèves lorsqu’ils étaient présentés dans un contexte situationnel familier, tandis qu’à l’opposé, Staub et Reusser (1995) ont obtenu des résultats négatifs quant à l’effet de l’ajout d’informations situationnelles. Ils soutiennent que les problèmes étaient devenus plus difficiles à résoudre pour les élèves. De leur côté, Cummins et ses collaborateurs (1988) soulignent que, dans le cadre de leur étude, aucun effet facilitant n’a été associé à l’enrichissement du récit de l’énoncé de problème.

Considérant les conclusions variées qui émergent des recherches réalisées antérieurement, nous avons récemment tenté d’expliquer ces différences en menant une étude dans laquelle les deux types de reformulation ont été considérés (situationnelle et conceptuelle), ainsi que le niveau d’habileté en mathématiques des élèves, ce qui nous a permis d’étudier l’interaction entre les variables type d’information contenue dans l’énoncé et habileté en mathématiques (Voyer, 2011). Selon les résultats de cette étude, les différents types d’information contenue dans l’énoncé de problème sont traités différemment par les élèves selon leur niveau d’habileté en mathématiques. Dans la même lignée, Vicente, Orrantia et Verschaffel (2007) ont pour leur part étudié l’effet du type de reformulation sur le rendement des élèves en considérant deux nouvelles variables lors des analyses : 1) le niveau de difficulté du problème (facile par rapport à difficile) et 2) l’âge des participants (3e, 4e et 5e année du primaire). Pour ce faire, ces auteurs ont travaillé à partir de trois versions de problèmes écrits : une version standard, une version avec reformulation situationnelle  et une version avec reformulation conceptuelle. Les résultats suggèrent notamment que l’ajout d’informations conceptuelles a occasionné, chez tous les groupes d’âge, un taux de réussite significativement plus élevé que dans les versions standards et situationnelles, mais ce, uniquement pour les problèmes difficiles. Selon les auteurs, le désir de rendre le contexte du problème plus riche et plus détaillé occasionne nécessairement un texte plus long, ce qui vient jouer contre les effets positifs de l’enrichissement situationnel, spécialement chez les jeunes enfants, dont les habiletés de lecture sont plus faibles. Vicente, Orrantia et Verschaffel (2008) ont poursuivi leur travail en réalisant une seconde recherche. Ils cherchaient cette fois à évaluer l’importance d’une compréhension approfondie de la situation dans laquelle s’inscrit l’énoncé de problème. Plus particulièrement, ces auteurs visaient entre autres à savoir si l’ajout d’éléments situationnels peut s’avérer aidant lors de la résolution de problèmes jugés difficiles en raison de la complexité de la situation. Tout comme dans notre étude précédente, l’habileté en mathématiques des élèves a été prise en compte. Les résultats obtenus par Vicente et al. (2008) suggèrent notamment que, pour l’ensemble des problèmes, l’ajout d’éléments situationnels n’a pas occasionné un meilleur rendement chez les élèves. De plus, les élèves du groupe faible en mathématiques sont ceux qui ont été les plus défavorisés par l’ajout d’éléments situationnels, ce qui rejoint nos résultats précédents selon lesquels les énoncés de problèmes incluant des éléments situationnels sont ceux qui ont été les moins bien réussis par les élèves faibles en mathématiques, alors que le rendement moyen de ce groupe d’élèves était plus élevé pour les énoncés de problèmes contenant une phrase explicative (Voyer, 2011). Vicente et ses collaborateurs (2008) mentionnent finalement que d’autres recherches sont nécessaires afin de montrer comment le modèle de situation est influencé non seulement par la tâche et le contexte de résolution de problèmes, mais aussi par des facteurs liés à l’élève.

En somme, nous savons que des variations dans la formulation des énoncés occasionnent des changements quant à la démarche de résolution mise en oeuvre par l’élève. Les études sur le sujet nous amènent aussi à comprendre que des facteurs liés à l’élève peuvent expliquer certains écarts entre les résultats obtenus par les chercheurs. Si plusieurs ont mentionné le rôle de l’habileté en lecture des élèves afin d’interpréter leurs résultats, peu ont considéré cette variable dans leur devis de recherche. La question est maintenant de savoir si certaines différences notées peuvent être expliquées par le niveau d’habileté en lecture de l’élève. Pour cette raison, nous posons la question suivante : Est-ce que l’habileté en lecture influence différemment la compréhension des élèves selon le type d’énoncé de problème résolu ? Par cette question, nous visons à savoir si les représentations construites par les élèves diffèrent en fonction de leur niveau d’habileté en lecture.

1. Contexte théorique

Lors de l’activité de résolution de problèmes écrits de mathématiques, les représentations mentales que se fait le solutionneur de la situation décrite constituent un des processus cognitifs de base associé à la résolution de problèmes (Mayer, 2010 ; Thévenot, Barrouillet et Fayol, 2004). Les représentations internes qui interviennent dans la compréhension d’un problème écrit de mathématiques peuvent être qualifiées selon différents niveaux.

1.1 Différents niveaux de représentation interne

Dans leur article intitulé Toward a model of text comprehension and production, Kintsch et Van Dijk (1978) ont présenté un modèle pour décrire les processus mentaux mis en oeuvre dans la compréhension d’un texte (non mathématique) et dans la production de rappels ou de résumés par rapport à ce texte. Ce modèle a servi de base à d’autres modèles de compréhension, mais aussi de modèles de compréhension et de résolution de problèmes écrits de mathématiques. Le modèle de Kintsch et Van Dijk (1978) est centré sur les structures sémantiques du texte, ce qui se traduit par une analyse propositionnelle de chacune des phrases et de leur ensemble pour faire ressortir le sens du texte.

Kintsch et Van Dijk (1978) distinguent deux niveaux dans la structure sémantique : la microstructure et la macrostructure. La microstructure d’un discours est la structure des propositions prises individuellement et comme groupe de relations. Il s’agit d’une structure locale. La macrostructure est davantage globale et permet de caractériser le discours dans son ensemble. En linguistique, la macrostructure prend le sens d’idée générale du discours, ce qui est intuitivement associé au sujet ou au thème du discours (Van Dijk, 1977).

Plus précisément, la microstructure mène à la construction d’une base de texte (text base) par le lecteur, qui renvoie aux éléments et aux relations issus directement du texte, c’est-à-dire aux informations qui sont spécifiquement explicitées dans le texte. Cette base de texte ne consiste pas uniquement en un regroupement de propositions ; elle est cohérente et structurée. La cohérence de la base de texte est contrôlée par les inférences que fait le lecteur à partir de ses connaissances. Le processus de construction de la base de texte est cyclique, principalement en raison des limites de la mémoire à court terme qui ne permet pas de traiter un texte en entier. Par la suite, la macrostructure est inférée à partir de la microstructure et prend en compte l’objet du discours. La macrostructure permet d’éliminer des propositions de la base de texte qui ne sont pas directement ou indirectement en lien avec l’objet du discours et elle permet également de transformer une séquence de propositions en une proposition plus générale. L’idée fondamentale est de transformer et de réduire une grande quantité d’informations d’une façon appropriée, pour rendre efficace le stockage en mémoire. Le résumé idéal est un texte exprimant la macrostructure (Kintsch, 1998).

Dans leur modèle, Kintsch et Van Dijk (1978) font intervenir la notion de schéma. Le schéma de lecture est considéré comme la représentation formelle de l’intention de lecture. Ainsi, c’est le schéma qui contrôle les opérations à l’intérieur de la macrostructure pour éliminer, comme nous l’avons déjà mentionné, des propositions de la base de texte jugées non pertinentes, ou transformer une séquence de propositions en une proposition plus générale, centrée sur l’intention ou le but de la lecture. Ce modèle de compréhension de texte élaboré par Kintsch et Van Dijk (1978) nous intéresse de façon particulière lorsqu’il est appliqué à la compréhension d’un énoncé de problème. Les notions de base de texte et de schéma ont d’ailleurs été reprises par Kintsch et Greeno (1985) dans leur modèle de compréhension et de résolution de problèmes écrits d’arithmétique. Les auteurs ont appliqué la théorie générale de compréhension de texte développée par Kintsch et Van Dijk (1978) à la compréhension de problèmes écrits. Ce genre de texte possède des caractéristiques bien différentes des autres types de texte (narratif, informatif, etc.), mais les auteurs soutiennent que la théorie développée par Kintsch et Van Dijk (1978) est assez générale pour s’appliquer à la compréhension d’énoncés de problèmes écrits d’arithmétique. Le modèle de Kintsch et Greeno (1985) explique, entre autres, le rôle du modèle de problème.

1.2 Deux niveaux de représentation d’un problème écrit : la base de texte et le modèle de problème

En s’appuyant sur le modèle de compréhension de texte de Kintsch et Van Dijk (1978), le modèle de Kintsch et Greeno (1985) comprend deux composantes principales : une structure de connaissances et un ensemble de stratégies permettant d’exploiter la structure de connaissances pour se bâtir une représentation interne du problème qui mènera à la résolution. Cette représentation, quant à elle, est de deux niveaux. Le premier niveau, collé sur le texte, permet de transformer celui-ci en une série de propositions, la base de texte. Le deuxième niveau de représentation est celui des schémas, ou du modèle de problème. Ce deuxième niveau est une représentation abstraite et formelle du problème, s’appuyant à la fois sur les informations pertinentes tirées de la lecture du problème et sur les connaissances disponibles en lien avec le problème. À ce stade, l’élève transforme l’énoncé du problème en un modèle mathématique avec lequel il pourra obtenir la ou les réponses souhaitées. Le modèle de problème se construit à partir de la base de texte et s’appuie sur plusieurs suppositions et règles implicites (Kintsch et Greeno, 1985).

Afin d’illustrer la compréhension de ces deux niveaux de représentation d’un problème écrit, nous proposons d’examiner l’exemple suivant, dans lequel nous avons fait ressortir les différentes propositions (P) de chacune des phrases de l’énoncé de problème :

Figure 1

Exemple illustrant les deux niveaux de représentation d’un problème écrit

Exemple illustrant les deux niveaux de représentation d’un problème écrit

-> Voir la liste des figures

Pour bien comprendre l’exemple présenté, rappelons d’abord que la base de texte est centrée sur les structures sémantiques du texte, qui se traduisent par une analyse propositionnelle de chacune des phrases pour faire ressortir le sens du texte. Comme nous l’avons mentionné précédemment, selon Kintsch et Van Dijk (1978), la structure sémantique se construit sur deux niveaux : la microstructure (structure locale) et la macrostructure (structure globale). La macrostructure transforme les micropropositions en macropropositions afin de représenter l’idée générale de l’énoncé et de mettre en évidence l’essence même de l’énoncé. Toutefois, les micropropositions ne sont pas pour autant éliminées de la mémoire du lecteur ou de la base de texte. Ainsi, la microstructure et la macrostructure forment ensemble un premier niveau de représentation, la base de texte. Ensuite, à partir de la base de texte, un second niveau de représentation se construit, le modèle de problème.

Par ailleurs, Hegarty, Mayer et Monk (1995) intègrent le concept de modèle de problème de Kintsch et Greeno (1985) et proposent un cadre pour expliquer les différences entre les processus de compréhension mis en oeuvre par les bons et les moins bons solutionneurs de problèmes. Pour les auteurs, les différences se situent sur le plan de la gestion de la compréhension du texte de l’énoncé. Leur modèle se divise en trois étapes : construction de la base de texte, construction d’une représentation mathématique spécifique (modèle de problème) et construction d’un plan de solution.

La première étape de la démarche de Hegarty et de ses collaborateurs (1995) rejoint les travaux de Van Dijk et Kintsch (1983). Les élèves lisent le texte afin de faire ressortir les informations fournies. Chaque énoncé se transforme en une représentation propositionnelle (microstructure), et est intégré aux autres pour former une représentation d’un réseau sémantique du problème (macrostructure). À la deuxième étape, l’élève interprète chaque énoncé de la base de texte en fonction de la résolution du problème et se construit une représentation mathématique du problème. C’est à cette étape que la différence survient, selon les auteurs, entre les bons et les moins bons solutionneurs. Les moins bons vont utiliser majoritairement une stratégie de traduction directe du texte (direct translation) pour construire leur représentation, ce qui peut entraîner un appauvrissement de la base de texte, tandis que les plus habiles vont utiliser davantage une stratégie de modèle de problème, dans le sens du modèle de Kintsch et Greeno (1985), qui mène à une représentation enrichie centrée sur l’objet du problème et sur la question posée. À l’étape finale, à partir de la représentation construite du problème, le solutionneur peut prévoir les étapes nécessaires pour trouver la solution au problème. Le modèle proposé par Hegarty et ses collaborateurs (1995) nous amène à présenter un niveau intermédiaire de représentation interne pouvant modifier la compréhension de l’élève lors de la lecture de l’énoncé de problème écrit de mathématiques.

1.3 Niveau intermédiaire de représentation interne d’un problème écrit :  le modèle de situation 

Selon les études présentées dans la partie précédente, la construction d’un modèle de problème permet aux élèves d’établir un lien entre la question posée (le but) et leur démarche de résolution. Ce lien s’établit à partir de la construction d’une représentation d’un premier niveau (base de texte), qui se transforme pour mener à la construction d’une représentation plus près de la mathématisation nécessaire à la mise en oeuvre d’une procédure de résolution, le modèle de problème. Nous pouvons nous interroger sur ce qui permet le passage d’une représentation d’un premier niveau, de l’ordre de la base de texte, à la construction d’un modèle de problème.

Les travaux de Reusser (1990) ont contribué à modéliser ce passage de la base de texte au modèle de problème. Comme Kintsch et Greeno (1985), qui ont fait figure de référence en abordant la résolution de problèmes arithmétiques par l’analyse des processus de compréhension de textes à partir des modèles de compréhension développés par Kintsch et Van Dijk (1978) et Van Dijk et Kintsch (1983), Reusser (1990) a marqué la recherche en proposant son modèle de situation. Avec ce modèle, Reusser (1990) a voulu remédier à une limite importante du modèle de Kintsch et Greeno (1985) qui se manifestait lorsque les énoncés de problèmes contenaient plus d’informations que les seules informations directement consacrées à la résolution du problème. Selon Reusser (1990), les expérimentations menées sur le modèle de Kintsch et Greeno (1985) se sont faites avec des problèmes où tout ce qui est pertinent pour la résolution se trouve dans l’énoncé et où tout ce qui se retrouve dans l’énoncé est pertinent pour résoudre le problème. Le modèle de Kintsch et Greeno (1985) passe directement de la base de texte au modèle de problème (Staub et Reusser, 1995), ce qui peut bien fonctionner pour des problèmes où aucune ou peu d’inférences sont nécessaires à partir de la compréhension du texte de l’énoncé du problème. Toutefois, ce modèle montre des limites lorsque la compréhension du texte requiert des inférences sur celui-ci pour comprendre la situation-problème.

Ainsi, Reusser (1990) introduit le modèle de situation dans le processus de compréhension en tant qu’étape permettant la construction d’un modèle de problème, qui permettra ensuite de résoudre le problème. Le modèle de situation ajoute aux modèles précédents en prenant en compte l’impact d’une compréhension extra-mathématique de la situation dans le processus de résolution de problèmes : il représente la situation d’un point de vue qualitatif, sans égard aux données quantitatives contenues dans la base de texte. Le modèle de situation construit individuellement par les lecteurs permet, à partir des connaissances générales de chacun, de combler les vides laissés par une description souvent courte d’une situation problème. Bref, le modèle de situation fournit des balises pour une représentation plus formelle qu’est le modèle de problème.

Il faut préciser que si Kintsch n’a pas proposé de modèle de situation dans son premier modèle de compréhension, il l’a fait par la suite. Pour Kintsch (1998), le modèle de situation est constitué par une double structure incluant la base de texte et les inférences faites par le lecteur sur le texte à partir de ses connaissances et de ses expériences. En effet, rares sont les cas où une personne comprend un texte uniquement à partir de la base de texte qu’elle se construit à un premier niveau de représentation. Généralement, une personne doit bonifier l’information fournie par le texte en s’appuyant sur ses connaissances et sur ses expériences pour arriver à une interprétation personnelle du texte. Selon Verschaffel et ses collaborateurs (2000), un passage direct entre la base de texte et le modèle de problème peut engendrer des réponses insensées lorsqu’un modèle de situation aurait eu besoin d’être construit pour supporter la construction d’un modèle de problème adéquat.

En somme, différents niveaux de représentation interviennent dans la compréhension d’un problème écrit : il existe des représentations moins formelles, fondées sur les connaissances générales des élèves qui permettent de construire ce qui est appelé un modèle de situation, ainsi que des représentations plus formelles, faisant référence au modèle de problème, qui est directement en lien avec la question à répondre. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les écrits de recherche montrent que les représentations que se construisent les élèves en situation de résolution de problèmes écrits peuvent être influencées par le type d’information contenue dans l’énoncé de problème à résoudre. Toutefois, afin de bien comprendre l’effet du type d’information contenue dans l’énoncé sur la compréhension des élèves, le besoin apparaît de considérer une troisième variable reconnue en tant que facteur pouvant influencer le rendement en résolution de problèmes écrits : l’habileté en lecture de l’élève. L’objectif poursuivi par la présente recherche est donc d’étudier l’influence que peut avoir l’habileté en lecture sur le processus de compréhension des élèves selon le type d’énoncé résolu.

2. Méthodologie

2.1 Sujets

L’échantillon se compose de 750 élèves de sixième année du primaire provenant de 35 classes réparties dans 17 écoles francophones publiques situées sur les rives nord et sud du Saint-Laurent, entre Trois-Rivières et Québec. Les élèves ont participé à l’étude de façon volontaire et le consentement écrit des parents a été obtenu pour chacun. Dans le cas où l’élève refusait de participer, ou s’il n’avait pas retourné le formulaire de consentement signé, deux activités pouvaient lui être proposées durant la période où se déroulait la cueillette de données. Il était invité soit à réaliser les mêmes tâches que les autres élèves, sans que ses réponses ne fassent partie des analyses, ou à poursuivre ses travaux scolaires personnels. Le choix était laissé à la discrétion de l’enseignant. Ainsi, 908 élèves ont été sollicités pour participer à l’étude. De ceux-ci, 154 n’ont pu y participer pour les raisons évoquées ou parce qu’ils étaient absents au moment de la prise de mesure, et quatre élèves n’ont pas été considérés dans les analyses parce qu’ils n’ont pas eu le temps de terminer la tâche proposée. L’échantillon retenu pour les analyses est donc formé de 750 élèves de sixième année, âgés de 11 et 12 ans. Il faut cependant noter que cet échantillon a aussi servi à étudier d’autres questions qui ne sont pas traitées dans cet article. Par conséquent, tous les élèves n’ont pas accompli l’ensemble des tâches nécessaires pour répondre à la question que nous posons ici. Toutes les analyses n’ont donc pas été effectuées à partir des données obtenues auprès des 750 élèves. Par ailleurs, les données manquantes de trois élèves n’ont pas permis d’évaluer leur habileté en lecture, ce qui explique que les analyses touchant cette variable ont été effectuées à partir des données fournis par 747 élèves.

2.2 Instrumentation

Les problèmes utilisés dans l’étude sont des problèmes écrits, où du point de vue mathématique, deux variations linéaires de taux de variation différents sont présentes. Dans chacun des problèmes, la question porte sur le point d’intersection de ces deux relations. La figure 1 (dans la section 3.2 du présent article) montre un exemple de problème où deux variations linéaires de taux de variation différents sont présentes. Nous avons choisi d’utiliser des problèmes faisant intervenir cette notion mathématique parce qu’il s’agit de problèmes qui ne sont habituellement pas étudiés directement au primaire, mais qui peuvent néanmoins se résoudre par une approche arithmétique.

Chacun des problèmes était rédigé en quatre versions différentes, qui variaient quant au type d’information contenu dans les énoncés. Comme nous l’avons mentionné dans le contexte théorique, ces différentes versions visaient à alimenter différemment les représentations des élèves dans leur processus de compréhension. Comme nous l’avons mentionné dans le contexte théorique, ces différentes versions étaient susceptibles d’alimenter différemment les représentations des élèves dans leur processus de compréhension. La première version, comme les problèmes utilisés pour valider le modèle de Kintsch et Greeno (1985), est une version réduite où les énoncés ne contiennent que tout ce qui est essentiel et où tout ce qui est essentiel est présent. La version réduite utilisée dans la présente étude renvoie à ce que d’autres auteurs appellent version standard. La deuxième version reprend le même problème que la version réduite, mais ajoute une phrase explicative permettant d’expliciter la relation entre les données numériques (Moreau et Coquin-Viennot, 2003). La troisième version, inspirée des problèmes de Cummins et al. (1988), reprend également l’énoncé réduit pour y ajouter des éléments situationnels permettant de créer un contexte plus élaboré et de situer le questionnement mathématique dans une situation près du quotidien de l’élève. La quatrième version, que nous disons complète, inclut à la fois les éléments essentiels de la version réduite, la phrase explicative de la deuxième version et les éléments situationnels de la troisième version. Ces quatre versions permettent d’étudier l’effet de la présence de différents types d’informations sur les représentations des élèves.

Voici, à titre d’exemple, la version complète de l’un des problèmes. Les numéros au début de chaque phrase renvoient à la description de leur statut décrit plus bas.

(1) David et Valérie jouent souvent aux échecs ensemble sur l’heure du dîner à l’école. (2) Cette année, David et Valérie sont en 2e secondaire. (3) Le jeu de David est en bois. (4) Les deux sont membres d’un club d’échecs différent. (5) Le club de David compte 35 membres et celui de Valérie en compte seulement 14. (6) Le club de David prévoit recruter 2 membres supplémentaires à chaque mois. (7) Le club de Valérie prévoit une augmentation de 5 membres par mois. (8) Le club de Valérie a moins de membres aujourd’hui, mais c’est un club qui grandit plus rapidement à chaque mois que le club de David. (9) Selon les prévisions, dans combien de mois le club de Valérie aura-t-il plus de membres que celui de David ?

1re phrase :

élément situationnel servant à présenter le ou les personnages.

2e phrase :

élément situationnel servant à situer le ou les personnages dans leur milieu scolaire.

3e phrase :

élément de détail, superflu à la compréhension du problème.

4e phrase :

élément situationnel servant à mettre en contexte le problème mathématique.

5e, 6e et 7e phrases :

éléments essentiels à la résolution du problème incluant les données numériques.

8e phrase :

élément d’explication permettant d’expliciter la relation entre les données numériques.

9e phrase :

élément essentiel, la question à laquelle répondre.

Les trois éléments situationnels (phrases 1, 2 et 4) ont été composés de manière à marquer une gradation dans l’information contextuelle : la phrase 1 présente les personnages, la phrase 2 décrit la situation initiale et la phrase 4 introduit le thème. Ces éléments situationnels ont comme objectif de permettre au lecteur de faire appel à ses connaissances de la vie courante pour se représenter la situation du problème écrit, alors que l’élément explicatif (phrase 8) permet de mettre en évidence les caractéristiques des relations linéaires dont il est question dans les énoncés de problèmes à résoudre.

Finalement, chacun des problèmes utilisés pour l’étude a été élaboré en contrôlant la familiarité du contexte, la familiarité du vocabulaire, le nombre de phrases, la nature des nombres en jeu et leur grandeur. La familiarité des contextes entourant les problèmes a été contrôlée en choisissant des contextes près du vécu de l’élève. Toutes les situations décrites sont liées à un loisir pouvant être pratiqué entre amis (la natation, le jeu d’échecs et le ski).

2.3 Déroulement

Les quatre types de problèmes ont été attribués aux élèves de façon aléatoire. Lors d’une séance de soixante minutes se déroulant dans les classes des élèves, chacun d’entre eux avait à résoudre trois énoncés du même type : des énoncés réduits ne comportant que les éléments nécessaires à la résolution du problème (type 1), des énoncés comprenant l’élément explicatif (type 2), des énoncés contenant les trois éléments situationnels (type 3), ou des énoncés complets (type 4). Un exemple des quatre versions de l’un des énoncés de problèmes utilisés est présenté à l’annexe 1.

2.4 Méthode d’analyse des données

Nous avons ensuite effectué des analyses de variance dans le but d’étudier l’effet de l’habileté en lecture des élèves sur leur compréhension des différents types d’énoncés de problèmes. Pour l’ensemble de ces analyses, la variable dépendante était la note moyenne des élèves lors des résolutions de problèmes. Ainsi, afin de répondre à notre question de recherche, nous avons considéré que le rendement des élèves en résolution de problèmes rendait compte de leur compréhension des énoncés de problèmes. Nous justifions ce choix par la nature des problèmes écrits choisis dans le cadre de notre expérimentation. En effet, il s’agit de problèmes faisant intervenir les processus arithmétiques de base qui sont employés depuis plusieurs années par les élèves de sixième année. Le contenu mathématique des problèmes sélectionnés peut donc être considéré comme maîtrisé par les participants.

Finalement, nous avons recueilli des données auprès des enseignants afin de classer les habiletés en lecture des élèves selon trois catégories : faibles, moyennes et fortes. Ces classements ont été réalisés par les enseignants à partir de l’ensemble des résultats scolaires obtenus en cours d’année, de même que sur leurs observations personnelles. Cette approche fondée sur le jugement de l’enseignant afin de catégoriser les habiletés en lecture des élèves a été utilisée par d’autres auteurs (Moreau et Coquin-Viennot, 2003 ; Sovik, Frostrad et Heggberget, 1999). La méthode a été validée par Sovik et al. (1999), qui ont en parallèle utilisé des tests standardisés en lecture pour confirmer le jugement des enseignants.

2.5 Considérations éthiques

Étant donné que les épreuves en mathématiques qui ont servi à notre expérimentation s’inscrivent dans les activités scolaires régulières de la classe, aucun risque pour les élèves ne peut être lié à notre projet de recherche. Toutefois, compte tenu de l’âge des participants, chaque élève a dû obtenir une autorisation du titulaire de l’autorité parentale qui a signé un formulaire de consentement. De plus, les données ont été recueillies et traitées de façon confidentielle et en aucun cas, les résultats individuels des participants n’ont été communiqués.

3. Résultats

Notre étude est menée par un questionnement qui concerne les liens entre le type d’information contenue dans l’énoncé de problème sur le processus de compréhension des élèves lors de la résolution de problèmes écrits. Plus précisément, nous nous intéressons à l’influence que peut avoir l’habileté en lecture sur la compréhension des élèves selon le type d’énoncé résolu.

Afin de savoir si les différences ciblées au regard de la compréhension des problèmes écrits selon le type d’énoncé varient en fonction du niveau d’habileté en lecture, nous avons posé la question suivante : Est-ce que l’habileté en lecture influence différemment la compréhension des élèves selon le type d’énoncé de problème résolu ?  Nous avons d’abord voulu vérifier si, de façon générale, les élèves plus forts en lecture réussissent mieux les problèmes. Nous avons effectué une analyse de variance avec pour variable dépendante, la note moyenne des élèves lors des résolutions de problèmes, et avec pour variable indépendante, l’habileté en lecture : nous obtenons des résultats statistiquement significatifs. Le test de Brown-Forsythe a été utilisé compte tenu de l’hétérogénéité des variances dans la distribution (2, 405,357) = 28,023, p < 0,001. Le test de comparaisons multiples C de Dunnett nous indique que les élèves forts en lecture se distinguent des élèves moyens ou faibles (2,744) = 12,580, < 0,001, ce qui rejoint les résultats plus généraux, connus depuis plusieurs années, selon lesquels plus un élève est fort en lecture, mieux il réussit en mathématiques (Whimbey et Whimbey, 1975).

Nous avons ensuite voulu vérifier s’il existe une interaction entre l’habileté en lecture des élèves et le type d’énoncé de problème résolu. Pour y arriver, une analyse de variance à deux facteurs a été conduite. Les résultats descriptifs se trouvent dans le tableau 1.

Tableau 1

Rendement des élèves selon leur habileté en lecture et le type d’énoncé de problème résolu

Rendement des élèves selon leur habileté en lecture et le type d’énoncé de problème résolu

N.B. : le maximum de points possibles à l’épreuve était de cinq points

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Un test de Levene nous indique que les variances ne sont pas homogènes (11,735) = 4,169, < 0,001. Par conséquent, nous avons choisi de ne pas considérer les résultats de l’ANOVA. Le graphique (voir figure 2) permet cependant de bien voir une différence de moyenne entre les élèves forts en lecture et ceux faibles en lecture pour les énoncés de problème avec éléments de situation.

Des différences visibles sur le graphique ont été confirmées par des tests t. Pour les élèves forts en lecture, la différence de rendement entre les problèmes avec situation et ceux avec explication est statistiquement significative. L’homogénéité des variances n’étant pas respectée, le test alternatif a été préféré (73,126) = -2,061, = 0,043. Pour les élèves faibles en lecture, la différence de rendement entre les problèmes avec situation et ceux avec explication est aussi statistiquement significative, mais dans le sens contraire (54) = 2,081, = 0,042. Aucune autre différence statistiquement significative n’a été notée à la suite des analyses réalisées.

Figure 2

Graphique de la note moyenne des élèves selon leur habileté en lecture et le type d’énoncé de problème résolu

Graphique de la note moyenne des élèves selon leur habileté en lecture et le type d’énoncé de problème résolu

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4. Discussion des résultats

À la lumière des données obtenues, nous pouvons conclure que les élèves forts en lecture et les élèves faibles en lecture se comportent différemment pour deux types d’énoncés de problèmes : les problèmes avec situation et les problèmes avec explication. Les élèves forts en lecture réussissent mieux les problèmes avec situation que les problèmes avec explication, alors que les élèves faibles en lecture réussissent mieux les problèmes avec explication que les problèmes avec situation. Cela nous amène à poser l’hypothèse que le niveau d’habileté en lecture peut influencer les représentations construites par les élèves pour comprendre un problème.

En ajoutant des éléments situationnels aux énoncés de problèmes écrits, on alimente le modèle de situation, qui constitue une étape intermédiaire à la mathématisation du problème. Les élèves forts en lecture peuvent tirer avantage de ces éléments situationnels supplémentaires pour se créer un modèle de situation leur permettant de mieux comprendre l’énoncé de problème. Ce résultat nous permet de nuancer la conclusion avancée par Vicente et al. (2008) à propos de l’influence de la reformulation situationnelle sur le rendement des élèves. Puisque leurs résultats ne leur permettaient pas de montrer l’effet positif des éléments situationnels dans le processus de résolution de problèmes, ces auteurs ont affirmé avoir surestimé leur importance. En considérant maintenant que l’habileté en lecture peut influencer différemment la compréhension des élèves en fonction du type d’information contenue dans l’énoncé (avec éléments situationnels ou explicatifs), les résultats de Vicente et ses collaborateurs (2008) pourraient être interprétés différemment si le niveau d’habileté en lecture des élèves était pris en compte.

Par ailleurs, nos résultats nous permettent de croire que les ajouts situationnels peuvent interférer dans le processus de compréhension des élèves faibles en lecture. Les ajouts deviennent une distraction pour ces élèves dont l’habileté en lecture est plus faible. Lors de l’interprétation de leurs résultats, les propos soutenus par Vicente et al. (2007) s’inscrivent dans cette même lignée : sans avoir étudié directement l’effet de l’habileté en lecture, ils avancent que les difficultés en lecture des élèves pourraient expliquer pourquoi les énoncés de problèmes présentés dans un contexte situationnel riche ne sont pas mieux réussis par les élèves. Ils soutiennent que les élèves aux prises avec des difficultés en lecture ne sont pas en mesure de bénéficier autant qu’ils le devraient des informations fournies par écrit au sujet du contexte situationnel dans lequel s’inscrit le problème à résoudre. Selon ces auteurs, les éléments situationnels ajoutés à l’énoncé de problème pourraient s’avérer aidants s’ils étaient présentés autrement que par écrit. Par conséquent, ils suggèrent plutôt un enrichissement situationnel par l’intermédiaire d’éléments non textuels tels que des images, des animations, etc. Cette solution fait présentement l’objet d’une nouvelle étude.

Nos résultats soutiennent également que les élèves faibles en lecture bénéficient des ajouts explicatifs, qui les aident à établir des liens entre les différentes données du problème. En effet, chez les élèves faibles en lecture, on note une tendance à combler l’écart avec les élèves forts lors de résolutions de problèmes avec explication. Pour interpréter ce résultat, nous pouvons faire référence aux travaux de Kintsch et Van Dijk (1978) ainsi que de Kintsch (1998) qui indiquent que le lecteur d’un texte se construit un premier niveau de représentation, appelé base de texte, à partir de la lecture de chacune des propositions du texte. À l’intérieur de cette première représentation, les propositions s’organisent en une structure cohérente, la macrostructure, contrôlée par l’intention de lecture de la personne. La macrostructure permet ainsi d’éliminer des propositions de la base de texte qui ne sont pas en lien avec ce but de lecture, qui est ici d’arriver à résoudre le problème. La macrostructure sert donc à transformer une séquence de propositions en une proposition plus générale afin de rendre plus efficace l’organisation en mémoire (Kintsch, 1998). Or, en rendant plus explicites les liens entre les données du problème, les éléments explicatifs pourraient faciliter la mise en place de la macrostructure en recentrant l’élève sur l’essentiel pour ainsi rendre plus accessible la compréhension du problème mathématique. La mise en évidence de ces liens, aidante pour les élèves faibles en lecture, n’est toutefois pas nécessaire pour les élèves forts en lecture, qui arrivent à comprendre les relations entre les informations de l’énoncé du problème par eux-mêmes. Ces liens peuvent être perçus comme redondants par ces élèves, ce qui nous amène à poser l’hypothèse selon laquelle ce dédoublement pourrait occasionner une certaine confusion chez ces derniers. Cette hypothèse permettrait d’expliquer pourquoi les problèmes avec explication ont été moins bien réussis que les problèmes avec situation par les élèves forts en lecture.

Finalement, notre étude permet d’apporter une explication à la divergence de deux recherches menées pour étudier l’effet d’un contexte plus élaboré sur le rendement des élèves lors de la résolution du problème. D’abord, Cummins et ses collaborateurs (1988), en ajoutant des éléments de situation à un énoncé, n’ont pas pu déceler de différence de rendement chez les élèves. Pour leur part, Stern et Lehrndorfer (1992), en reformulant aussi des énoncés, avaient obtenu une amélioration du rendement des élèves. Cet écart dans les résultats avait été expliqué par Stern et Lehrndorfer (1992) par une différence dans le type de reformulation apportée à l’énoncé. La reformulation de Cummins et al., (1988) était plus de l’ordre de la situation, alors que celle de Stern et Lehrndorfer (1992) avait plutôt à voir avec l’explication. Par conséquent, les résultats de la présente étude, combinés à ceux de notre étude de 2011, nous amènent à comprendre qu’il ne suffit pas que des éléments de situation soient présents dans l’énoncé pour que la réussite des élèves en soit augmentée (Voyer, 2011). En effet, selon ces résultats, les élèves qui considèrent les éléments de situation augmentent leur réussite, mais malgré cela, les problèmes avec éléments situationnels ne sont globalement pas mieux réussis par l’ensemble des élèves que les autres versions de problèmes (énoncé réduit, avec explication et complet). Ainsi, la seule présence d’éléments situationnels et d’éléments explicatifs ne signifie pas que les élèves les prennent en compte pour mieux comprendre le problème. De ce fait, nous pouvons croire que l’ajout de ces éléments peut nuire à la réussite de certains élèves, ceux qui ne les considèrent pas, amenant ainsi une distraction par rapport aux éléments essentiels à considérer afin d’atteindre la solution. Ainsi, il semble que le processus de représentation mentale que mettent en oeuvre les élèves pour résoudre le problème ne soit pas automatiquement influencé par le type d’information contenue dans l’énoncé, puisque la prise en compte de ces informations par les élèves ne peut être assurée. Le niveau d’habileté en lecture semble d’ailleurs être un facteur susceptible d’influencer la prise en considération ou non, par l’élève, des différents éléments d’information fournis dans l’énoncé.

4.1 Limites et prolongement de la recherche

Comme toute recherche, notre étude a nécessité que nous fassions des choix méthodologiques, choix qui entraînent forcément des limites. Un élément que nous allons nous employer à décrire est celui des problèmes utilisés. Sachant que nos résultats sur les processus de représentation des élèves ont été obtenus à partir d’un seul type de problème par rapport au contenu mathématique, il est possible de considérer la nature unique de ces problèmes en tant que limite au regard de la généralisation de nos résultats. Nous pourrions donc nous demander si des résultats semblables auraient été obtenus avec des problèmes faisant intervenir une notion mathématique différente.

Par ailleurs, à la suite de l’analyse des résultats obtenus, différentes questions demeurent en suspens. C’est le cas notamment des différentes formes que peuvent prendre les modèles de situation construits par les élèves. Kintsch (1998) souligne à ce propos qu’il n’existe pas un type unique de modèle de situation, tout comme il n’existe pas un processus unique de construction de modèle de situation. Nos résultats ont montré que les élèves qui prennent en compte les éléments situationnels présentés dans un énoncé de problème réussissent mieux à le résoudre. Ces élèves parviennent à tirer profit des éléments situationnels pour se créer un modèle de situation leur permettant de mieux comprendre l’énoncé de problème. Cependant, nous ignorons le détail du contenu des modèles de situation construits par ces élèves. Selon cette perspective, il y a lieu de se demander quel est le rôle des différents éléments situationnels inclus dans l’énoncé pour se construire un modèle de situation. Les énoncés de problèmes avec situation que nous avons utilisés dans cette étude comportaient trois éléments situationnels distincts : un premier élément lié à la présentation des personnages (phrase 1), un deuxième lié à la description de la situation initiale (phrase 2) et un troisième lié au thème (phrase 4). La question qui se pose maintenant est de savoir si tous les éléments situationnels d’un énoncé contribuent à la construction d’un modèle de situation. Certains éléments situationnels sont-ils plus importants que d’autres ? Qu’est-ce qui rend un modèle de situation meilleur qu’un autre ? L’ensemble de ces questions mettent en évidence le besoin de poursuivre les recherches dans le but de mieux comprendre comment se forment les modèles de situation. Il nous semble aussi pertinent de nous intéresser au lien entre le contenu du modèle de situation créé et la réussite de la résolution du problème.

5. Conclusion

Dans le cadre de cette recherche, nous avons étudié l’influence du niveau d’habileté en lecture de l’élève sur sa compréhension selon le type d’énoncé de problème résolu. Pour atteindre notre objectif, nous avons construit trois problèmes écrits, qui comprenaient chacun quatre versions (énoncé réduit, avec explication, avec éléments de situation et complet). Ces problèmes ont ensuite été soumis à des élèves de sixième année du primaire (11-12 ans).

Plusieurs études antérieures menées au sujet de l’effet de la reformulation des énoncés de problèmes écrits sur le rendement des élèves avaient déjà permis d’affirmer que les modifications apportées au texte mathématique n’étaient pas sans conséquence par rapport au processus de résolution mis en oeuvre par les élèves (De Corte et al., 1985 ; Haghverdi, 2012 ; Staub et Reusser, 1995 ; Stern et Lehrndorfer, 1992 ; Vicente et al., 2007 ; 2008 ; Voyer, 2011). En ajoutant la variable lecture dans l’étude de l’influence du type de reformulation sur le rendement et la compréhension des élèves, notre recherche a permis d’apporter certaines précisions, notamment ; 1) que les élèves forts en lecture et les élèves faibles en lecture se comportent différemment pour résoudre les énoncés de problèmes avec situation et les énoncés de problèmes avec explication et donc 2) que le niveau d’habileté en lecture peut influencer les représentations que les élèves se construisent pour comprendre un problème.

À notre avis, ces nouvelles connaissances peuvent s’avérer utiles afin de mieux outiller les enseignants en pratique. En effet, si la résolution de problèmes est une activité importante dans l’apprentissage des mathématiques, mais aussi dans l’apprentissage de plusieurs autres matières scolaires, cette activité laisse par contre très peu d’emprise aux enseignants qui veulent aider leurs élèves à comprendre les problèmes proposés dans les manuels scolaires ou ailleurs. Julo (1995) disait : Spontanément, nous ne savons pas aider quelqu’un à comprendre un problème ; nous savons, tout au plus, lui suggérer plus ou moins habilement la solution (p. 146). Afin d’aider un élève à comprendre un problème, un enseignant se doit de comprendre le processus de représentation qui mène l’élève à la compréhension du problème. En ce sens, en discutant de l’effet de l’habileté en lecture sur le processus de représentation des élèves, notre étude peut fournir aux enseignants des pistes pour intervenir auprès des élèves qui ont du mal à comprendre le problème. Par exemple, une intervention pourrait prendre la forme d’un questionnement par l’enseignant, qui insisterait sur des aspects différents du problème en fonction des caractéristiques de l’élève. Ainsi, sachant que l’élève faible en lecture paraît tirer profit de la présence d’éléments explicatifs, l’enseignant pourrait attirer l’attention de celui-ci sur un élément de ce type présent dans l’énoncé ou, à défaut de cette présence, l’ajouter verbalement. Il y aurait là une intervention qui serait autre chose que de suggérer la solution et qui mettrait l’élève sur une piste dont on a vu qu’elle peut se révéler féconde.