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Baillargeon réalise un intéressant projet de mise à distance de légendes pédagogiques qui nécessiteraient d’être combattues, non seulement parce qu’elles seraient inefficaces, mais également parce qu’elles auraient un impact négatif sur les pratiques. L’exercice est d’autant plus salutaire que les légendes, fussent-elles pédagogiques, en disent beaucoup sur les caractéristiques de la société qui les génère (p. 12 et 13). Les objectifs de l’ouvrage sont donc de trois ordres. D’abord identifier des légendes qui influencent massivement les pratiques pédagogiques ; ensuite, proposer pour chacune d’entre elle un jugement fondé et explicite, et enfin comprendre les raisons de leur prévalence (p. 16, p. 75).

Pour cela, l’auteur nous propose d’étudier 14 thèses très diverses allant de la discussion de la notion d’intelligence multiple à celle de l’opportunité d’une révolution de l’éducation par les technologies de l’information et de la communication. Il nous propose également une méthode (ATHOS A VU) comme moyen d’exercice d’une pensée critique face à ces propositions. Cette méthode donne manifestement des résultats instructifs. En premier lieu, elle permet à l’auteur de rappeler quelques idées importantes ; par exemple, qu’il faut du savoir pour apprendre (p. 38). Ces formules chocs n’empêchent pas la présentation de solides arguments pour aborder de façon critique certains lieux communs pédagogiques. La discussion qui aboutit à une mise en garde contre un optimisme naïf envers les pédagogies de la découverte et de l’enquête (p. 53 et suivantes) est emblématique de ce point de vue. Autre intérêt de la méthode suivie, la présentation éclairante de certains concepts parfois mal utilisés en sciences de l’éducation (voir sur ce point la présentation du constructivisme p. 64 et suivantes).

Mais alors, d’où vient ce léger sentiment d’insatisfaction que l’on ressent par rapport au projet présenté en début d’ouvrage ? Nous le pensons lié à deux éléments : 1) Le choix des légendes ne répond pas toujours au critère annoncé, à savoir la forte influence exercée sur les pratiques (existe-t-il véritablement un impact de l’effet Mozart ? (p. 205 et suivantes) ; 2) La troisième ambition de l’ouvrage (celle qui vise à expliquer les raisons du développement des légendes pédagogiques) ne nous semble pas totalement réalisée : parce qu’il considère comme un facteur d’invalidation de certaines thèses le risque d’instrumentalisation de celles-ci par des intérêts mercantiles ou politiques, on pourrait reprocher à l’auteur de pécher soit par naïveté (il existerait un monde où ces forces ne s’appliquent pas), soit par suffisance scientifique en attribuant une position de juge ultime à la recherche crédible et pertinente (p. 268) qui serait seule à même de dire la vérité pédagogique. En mélangeant des arguments portant sur la nature des thèses et d’autres relatifs aux risques de dérives qu’elles induiraient, l’auteur abandonne donc parfois la saine rigueur qui alimente sa réflexion dans le reste de l’ouvrage. C’est peut-être pour cela que ses propositions pour lutter contre ces légendes pédagogiques (suppression temporaire des recherches en éducation, valorisation exclusive des résultats des essais cliniques fondés statistiquement [p. 270]) nous paraissent pour le moins sujettes à caution.