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1. Introduction et problématique

Pour tout étudiant du système éducatif français, réussir ses études et détenir un diplôme de l’enseignement supérieur sont des atouts essentiels sur le marché du travail. Selon Nauze-Fichet et Tomasini (2002), le diplôme réduit le risque de chômage et facilite l’accès aux emplois les plus qualifiés et les mieux rémunérés. Cet accès est d’autant plus rapide que le niveau du diplôme est élevé (Mazari, Meyer, Rouaud, Ryk et Winnicki, 2011).

Alors que les jeunes sont particulièrement touchés par la crise (Le Rhun et Pollet, 2011), 85 % des diplômés du supérieur français en 2007 sont en emploi trois ans après leur sortie du système éducatif, contre 48 % seulement des jeunes non diplômés de la même génération (Mazari et collab., 2011). En 2010, parmi les jeunes actifs qui ont quitté le système scolaire depuis moins de cinq ans, 44 % des non-diplômés sont au chômage contre 23 % des diplômés du secondaire et 11 % des diplômés du supérieur (Le Rhun et Pollet, 2011). Quant aux jeunes sortis sans diplôme d’un cursus de l’enseignement supérieur, ils connaissent eux aussi des difficultés importantes d’insertion professionnelle. Le défi du système éducatif français reste donc de permettre au plus grand nombre de jeunes d’accéder à un diplôme de l’enseignement supérieur (Calmand et Hallier, 2008).

Les jeunes diplômés des écoles d’ingénieurs bénéficient de conditions privilégiées, leur salaire médian en fin de troisième année de vie active est élevé et leur taux de chômage inférieur à 5 %. Leur stabilisation sur le marché du travail est aisée : plus de la moitié d’entre eux obtiennent un emploi à durée indéterminée dès leur première embauche. Ils sont par ailleurs très satisfaits de leur situation, puisque 82 % affirment se réaliser professionnellement (Calmand et Hallier, 2008).

La réussite scolaire représente donc un enjeu majeur non seulement pour l’étudiant, mais aussi pour l’ensemble de la société. Cet enjeu est tel que les chercheurs tentent de définir les déterminants de la performance scolaire depuis de nombreuses années en mobilisant des approches tant sociologiques, psychologiques, cognitives, organisationnelles, culturelles qu’économiques (Coulon, 2005 ; Duru-Bellat, 1995 ; Forquin, 1982a, 1982b ; Galand, Neuville et Frenay, 2005 ; Michaut, 2012 ; Mouw et Khanna, 1993 ; Richardson, Abraham et Bond, 2012).

L’impact de très nombreux facteurs est ainsi étudié avec, de façon non exhaustive : la scolarité et les performances antérieures (Gruel, 2002 ; Mathiasen, 1984 ; Morlaix et Suchaut, 2012), les capacités intellectuelles et cognitives (Busato, Prins, Elshout et Hamaker, 2000 ; Lounsbury, Sundstrom, Loveland et Gibson, 2003 ; Romainville, 1997), les styles d’apprentissage (Boyle, Duffy et Dunleavy, 2003 ; Busato et al., 2000 ; Chamorro-Premuzic et Furnham, 2008 ; Duff, Boyle, Dunleavy et Ferguson, 2004 ; Komarraju, Karau, Schmeck et Avdic, 2011 ; Vermunt, 2005), la personnalité (Conard, 2006 ; Farsides et Woodfield, 2003 ; O’Connor et Paunonen, 2007 ; Poropat, 2009 ; Wolfe et Johnson, 1995), la motivation (Fortier, Vallerand et Guay, 1995 ; Lieury et Fenouillet, 2013 ; Pintrich et De Groot, 1990 ; Robbins, Allen, Casillas, Peterson et Le, 2006 ; Robbins, Lauver, Le, Davis, Langley et Carlstrom, 2004), l’engagement dans les études (Pirot et De Ketele, 2000), le sentiment d’efficacité personnelle (Chemers, Hu et Garcia, 2001 ; Multon, Brown et Lent, 1991 ; Zimmerman, Bandura et Martinez-Pons, 1992), l’origine sociale (Dennis, Phinney et Chuateco, 2005 ; Forquin, 1982a ; Robbins et al., 2004 ; Romainville, 2000) ou encore les pratiques pédagogiques des enseignants (Duguet et Morlaix, 2012 ; Ménard, 2012 ; Soulie, 2002 ; Viau, Joly et Bédard, 2004). L’objectif de notre recherche était d’explorer le rôle de deux variables dans l’explication de la performance scolaire, les styles d’apprentissage et la motivation.

2. Contexte théorique

2.1 Les styles d’apprentissage

La notion de style d’apprentissage repose sur l’idée que les individus ont des manières différentes d’apprendre, c’est-à-dire de percevoir, stocker, traiter et restituer l’information, de construire une base de connaissances (Chartier, 2003). Selon les études portant sur l’impact des styles d’apprentissage sur la performance scolaire, l’apprenant atteindra une performance d’autant meilleure que l’environnement d’apprentissage dans lequel il évolue est congruent avec son style (Bourgeois, 2003). Dans l’enseignement supérieur, les études fournissent des résultats très contrastés. Chamorro-Premuzic et Furnham (2008), qui associent les styles d’apprentissage à des variables de la personnalité et à des aptitudes cognitives, Komarraju et al. (2011), qui associent styles d’apprentissage et variables de la personnalité ou encore Vermunt (2005) montrent que les styles d’apprentissage sont des prédicteurs significatifs de la performance scolaire. À l’inverse, Boyle et ses collègues (2003) ne constatent que de faibles corrélations entre la performance scolaire et les styles d’apprentissage, de même que Busato et ses collaborateurs (2000), qui étudient l’influence des capacités intellectuelles, de la personnalité, de la motivation d’accomplissement et des styles d’apprentissage ou encore Duff et al. (2004), qui étudient l’impact de la personnalité et des styles d’apprentissage. Face à ces éléments contradictoires et constatant que les styles d’apprentissage sont rarement associés à la motivation dans l’explication de la performance scolaire, nous souhaitions explorer l’impact conjoint de ces variables sur la performance scolaire d’étudiants de l’enseignement supérieur français. Parmi les très nombreux instruments de mesure des styles d’apprentissage présents dans les écrits de recherche, nous avons choisi celui mis au point par Herrmann (1989, 1992), le Herrmann Brain Dominance Instrument ou modèle des préférences cérébrales. Coffield, Moseley, Hall et Ecclestone (2004) ont réalisé un examen approfondi de la recherche portant sur les styles d’apprentissage. Parmi 71 modèles identifiés dans les écrits de recherche, ils ont procédé à un examen critique des 13 modèles qu’ils jugent les plus influents, tant du point de vue de la recherche que des pratiques pédagogiques. Parmi ces 13 modèles figure le modèle de Herrmann qui, selon ces auteurs, bien que peu exploré dans la recherche universitaire, ouvre des perspectives considérables pour une utilisation dans les domaines de l’éducation et de la formation. Il est plus inclusif et systémique que beaucoup d’autres ; il adopte une attitude optimiste et ouverte sur le développement des personnes (Coffield et al., 2004, p. 84).

Pour développer son modèle, Herrmann s’est inspiré des travaux de deux neurophysiologistes américains, Paul D. MacLean et Roger W. Sperry, respectivement à l’origine du modèle du cerveau triunique (MacLean, 1973) et du modèle des deux hémisphères cérébraux (Sperry, 1964). Le modèle des préférences cérébrales, à l’origine considéré par Herrmann comme une carte physiologique, est devenu, au fil de ses recherches, un modèle illustrant de manière purement métaphorique le fonctionnement du cerveau (Hermann, 1992, p. 77). Le modèle identifie les modes préférentiels de traitement de l’information des individus, leur façon d’appréhender la réalité ou encore de résoudre les problèmes. Il se présente sous la forme d’un quadrilatère – un profil – défini aux extrémités par les variables A – le mode cortical gauche – et B – le mode limbique gauche –, qui sont associées à l’hémisphère gauche du cerveau, et les variables C – mode limbique droit – et D – mode cortical droit –, associées à l’hémisphère droit. Le mode cortical gauche (A) correspond aux préférences pour des démarches intellectuelles faisant appel à l’analyse, la logique et la rigueur. Il rassemble et quantifie des faits, émet des hypothèses, établit des théories. Une préférence marquée pour le mode limbique gauche (B) traduit une attirance pour l’ordre et la planification, les démarches structurées appréhendées de manière séquentielle. Il évalue et teste des théories, acquiert des savoir-faire par la pratique. Le mode limbique droit (C) permet d’apprendre grâce à l’écoute et au partage des idées. Il privilégie des éléments subjectifs comme le ressenti et les émotions ; il s’implique émotionnellement, apprécie les discussions et les interactions en groupe. Le mode cortical droit (D) privilégie les approches créatives, l’intuition et l’imagination. Il aborde les informations de façon globale, fait appel aux analogies et aux métaphores, prend des initiatives, synthétise les contenus, conceptualise. Selon le modèle des préférences cérébrales, tout individu fait appel à ces quatre variables de réactivité cérébrale, mais les utilise spontanément avec des intensités variables.

Le développement du modèle des préférences cérébrales de Herrmann s’inscrit dans la lignée des travaux de recherche portant initialement sur les psychologies des différences individuelles et du choix professionnel (Crites, 1969 ; Holland, 1959 ; Miller, 1968 ; Roe, 1956 ; Super, 1957 ; Tiedeman et O’Hara, 1963). Les postulats à la base de ces travaux sont les suivants : 1) les individus diffèrent quant aux traits qu’ils possèdent ; 2) les professions diffèrent quant à leurs propres exigences. Ainsi, dans la mesure où l’on peut isoler et mesurer les traits individuels et les exigences des professions, il est possible d’associer les individus aux professions et de prédire de quelle façon une personne va s’adapter à sa profession, le succès qu’elle y connaîtra et la satisfaction qu’elle pourra en retirer (Bujold et Gingras, 2000). Cette approche se trouve au coeur de la théorie de Holland (1985) qui définit la congruence comme le degré d’adéquation entre les caractéristiques d’un individu et celles de l’environnement dans lequel il évolue. Selon Herrmann (1992, p. 92), les individus sont attirés par les activités qui leur permettent d’exercer leurs modes de fonctionnement cérébral préférés, et leur performance au travail, comme pendant les études, sera d’autant plus élevée que leur profil est en adéquation avec le contenu des tâches demandées.

L’utilisation du modèle des préférences cérébrales a fait l’objet d’un nombre limité de travaux dans le monde de l’éducation (Ivanaj et Persson, 2006 ; Lumsdaine et Lumsdaine, 1995 ; Lumsdaine et Voitle, 1993 ; Power, Kummerow et Lundsten, 1999 ; Rowe et Waters, 1992). Au cours d’une étude longitudinale réalisée de 1990 à 1994, Lumsdaine et Lumsdaine (1995) ont analysé les profils de préférences cérébrales de 1851 élèves-ingénieurs de l’Université de Toledo aux États-Unis. Les analyses ont porté sur 1629 étudiants inscrits en première année et 222 inscrits en dernière année du cursus. Les résultats indiquent que les profils des étudiants sont majoritairement à dominance cerveau gauche. Les auteurs observent par ailleurs un pourcentage d’abandon plus élevé parmi les étudiants à forte dominance cerveau droit. La raison de l’abandon généralement invoquée par ces derniers est un climat d’apprentissage inhospitalier (Lumsdaine et Voitle, 1993, p. 47), qui s’accommode difficilement avec leurs préférences cérébrales : l’incitation à la créativité et au travail en équipe est faible, les approches globales et synthétiques peu mobilisées (Lumsdaine et Lumsdaine, 1995, p. 202) ; ces étudiants ont finalement le sentiment d’être peu valorisés, voire marginalisés (Lumsdaine et Voitle, 1993, p. 47). Après avoir vérifié l’orientation à dominance cerveau gauche de certains cours du cursus (transfert de chaleur, mécanique des fluides, introduction à l’informatique), Lumsdaine et Voitle (1993) décrivent comment ces cours ont été restructurés afin d’introduire des activités faisant appel aux potentialités de l’hémisphère droit du cerveau : des travaux d’équipe, des exercices de créativité, des démarches valorisant l’innovation. Ces changements, associés à l’introduction d’un cours obligatoire sur la résolution créative des problèmes, ont eu un impact positif, notamment en augmentant le taux de rétention des étudiants à dominance cerveau droit. Compte tenu du nombre restreint de travaux qu’offrent les écrits de recherche en matière d’exploration du modèle des préférences cérébrales dans le monde de l’éducation alors même que les perspectives offertes semblent prometteuses (Coffield et al., 2004), la présente étude vise à contribuer à une meilleure compréhension des liens entre les préférences cérébrales et la performance scolaire.

2.2 La théorie de l’autodétermination

La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985, 2008 ; Guay, Ratelle et Chanal, 2008 ; Vallerand, Blais, Brière et Pelletier, 1989) s’est peu à peu imposée ces dernières années pour expliquer le comportement des individus dans divers contextes dont celui de l’éducation. En fonction de leur degré d’autodétermination, cette théorie distingue différents niveaux de motivation qu’elle positionne sur un continuum. À l’extrémité de ce continuum, avec le degré d’autodétermination le plus élevé, se situe la motivation intrinsèque, celle qui pousse à s’engager dans une activité pour l’intérêt et le plaisir associés à la pratique de cette activité. Il s’agit, par exemple, d’un étudiant qui assiste à un cours parce qu’il apprécie la discipline enseignée. Viennent ensuite trois formes de motivation dites extrinsèques, celles qui justifient des actions engagées pour des raisons instrumentales. La motivation extrinsèque par régulation identifiée se caractérise par un degré élevé d’autodétermination : l’individu choisit de s’engager dans une activité parce qu’il l’a consciemment identifiée comme importante à ses yeux. Ainsi un étudiant poursuit-il des études parce qu’elles vont lui permettre de réaliser son projet professionnel. La motivation extrinsèque par régulation introjectée consiste à agir sous l’effet de pressions intériorisées. Ces pressions sont de natures très diverses : éviter d’éprouver de la culpabilité, des remords, de la honte, de l’anxiété ou encore renforcer l’ego – amour-propre, estime de soi. Par exemple, un étudiant entreprend des études parce qu’il se sentirait coupable de ne pas le faire. La motivation extrinsèque par régulation externe traduit un faible degré d’autodétermination : le comportement est régi par des forces ou des circonstances externes comme obtenir des récompenses ou éviter des sanctions. Un étudiant peut, par exemple, réviser ses examens dans le but de recevoir des appréciations positives de la part de ses enseignants. L’amotivation se situe à l’extrémité opposée du continuum. L’individu amotivé n’accorde pas de valeur à une activité donnée, il n’établit pas de lien entre son comportement et les conséquences qui y sont associées. Un étudiant amotivé peut ainsi perdre de vue l’avantage qu’il retire à poursuivre ses études.

Sur le continuum de l’autodétermination, plus la motivation tend vers la régulation intrinsèque, plus les conséquences seront positives, que ce soit du point de vue du comportement, des émotions ou de la cognition. À l’opposé du continuum, l’amotivation engendre les conséquences les plus négatives. Ainsi les motivations intrinsèque et par régulation identifiée favorisent-elle un meilleur apprentissage (Black et Deci, 2000), une créativité accrue (Koestner, Ryan, Bernieri et Holt, 1984), une plus grande persistance dans les activités scolaires (Pelletier, Fortier, Vallerand et Brière, 2001 ; Vallerand et Bissonette, 1992), une meilleure estime de soi (Deci, Nezlek et Sheinman, 1981), un bien-être plus élevé, des émotions positives et une plus grande satisfaction à l’égard de l’école (Sheldon et Kasser, 1995 ; Vallerand et al., 1989). À l’inverse, plus les étudiants sont motivés par régulation externe ou amotivés, plus l’intérêt qu’ils affichent est faible et leurs efforts amoindris, et plus ils sont susceptibles d’abandonner leurs études ou de vivre un échec scolaire (Blanchard, Pelletier, Otis, Sharp, 2004 ; Grolnick, Ryan et Deci, 1991 ; Guay et Vallerand, 1997 ; Miserandino, 1996 ; Ratelle, Guay, Vallerand, Larose et Sénécal, 2007 ; Vallerand et Bissonnette, 1992 ; Vallerand, Fortier et Guay, 1997).

En ce qui concerne la performance, Deci et Ryan (1985, 1991) avancent qu’elle est positivement influencée par la motivation intrinsèque, dans la mesure où les individus intrinsèquement motivés prennent plaisir à pratiquer une activité et passent ainsi plus de temps à développer leurs habiletés. De nombreuses recherches ont effectivement montré que les résultats scolaires d’un étudiant sont d’autant meilleurs qu’il est intrinsèquement motivé (Flink, Boggiano, Main, Barrett et Katz, 1992 ; Fortier et al., 1995 ; Gottfried, 1985, 1990 ; Gottfried, Fleming et Gottfried, 1994 ; Grolnick et al., 1991 ; Guay et Vallerand, 1997 ; Guiffrida, Lynch, Wall et Abel, 2013 ; Kaufman, Agars et Lopez-Wagner, 2008 ; Komarraju, Karau et Schmeck, 2009 ; Miserandino, 1996). Deux études menées par Guay et Vallerand (1997) montrent, par exemple, que des activités scolaires réalisées par choix ou par plaisir garantissent de meilleurs résultats que des activités engagées pour des raisons instrumentales ou sous l’effet de pressions intériorisées ; ce résultat se vérifie également en contrôlant l’effet de la performance scolaire antérieure. Les résultats scolaires antérieurs ne peuvent donc à eux seuls expliquer les performances scolaires des étudiants ; pour réussir, ces derniers doivent être également motivés de façon autodéterminée (Guay et Vallerand, 1997, p. 225).

Alors que l’importance de la motivation dans la prédiction de la performance scolaire est appuyée par de nombreux travaux de recherche, l’objectif de notre étude était de vérifier qu’un éclairage complémentaire dans l’explication de la performance serait apporté en introduisant la dimension des préférences cérébrales. Il était ainsi attendu que les préférences cérébrales, associées aux variables de la motivation, s’avèrent des prédicteurs significatifs de la performance scolaire.

3. Méthodologie

3.1 Participants

Les données ont été recueillies auprès d’étudiants d’une école française d’ingénieurs spécialisée en mécanique et matériaux. Il s’agit de 211 étudiants, 185 garçons et 26 filles, d’une moyenne d’âge de 23 ans, à 90 % de nationalité française. Dans le système éducatif français, le recrutement en école d’ingénieurs peut avoir lieu directement après le baccalauréat (12 ans de scolarité), les étudiants s’engagent alors dans un cursus de cinq années en école d’ingénieurs ou après une formation de deux années en classes préparatoires, ils entreprennent alors un cursus de trois années en école d’ingénieurs. Notre étude concerne une école s’inscrivant dans le deuxième cas de figure, avec un cursus en trois années. Les 211 étudiants de notre échantillon constituent, sur trois promotions successives, l’ensemble des étudiants inscrits en deuxième année, c’est-à-dire des étudiants en milieu de parcours du cursus ingénieur.

3.2 Instrumentation

3.2.1 Échelle de motivation

La motivation a été mesurée à l’aide d’une échelle comprenant sept dimensions et 21 énoncés. Cette échelle a été construite à partir de l’échelle de motivation dans les études avancées de Vallerand et ses collaborateurs (1989) et adaptée au contexte de notre étude (Chédru, 2011, 2012). Elle permet de distinguer deux dimensions de la motivation extrinsèque par régulation introjectée, l’ego et la conscience, et deux dimensions de la régulation extrinsèque par régulation externe : la sécurité et le prestige social. Elle comporte ainsi sept construits : la motivation intrinsèque, les motivations extrinsèques par régulation identifiée (altruisme), introjectée (ego et conscience) et externe (sécurité et prestige social) et enfin l’amotivation. Les qualités psychométriques de l’échelle (fiabilité et validité) sont satisfaisantes (Chédru, 2012). Le tableau 1 présente un exemple d’énoncé pour chacune des sept dimensions ainsi que les valeurs de consistance interne (Alpha de Cronbach) associées à chaque dimension. Les énoncés décrivent des motifs de poursuite d’études d’ingénieur. Le degré d’accord des répondants avec les énoncés est mesuré à l’aide d’une échelle de type Likert en sept points, allant de 1, fortement en désaccord à 7, fortement en accord.

Tableau 1

Exemple d’énoncé et cohérence interne de chacune des sept dimensions de l’échelle de motivation à poursuivre des études supérieures d’ingénieur

Exemple d’énoncé et cohérence interne de chacune des sept dimensions de l’échelle de motivation à poursuivre des études supérieures d’ingénieur

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3.2.2 Préférences cérébrales

La mesure des préférences cérébrales a été réalisée à l’aide de la version française du formulaire de participation à l’étude Herrmann (Herrmann, 1992, p. 80-82). Ce formulaire, qui comprend 120 énoncés, est rempli en ligne sur le site de l’Institut Herrmann International (https://www.hbdi.biz/hbdi/). Bien qu’accessible en 18 langues, seule la version anglaise du questionnaire a fait l’objet, à notre connaissance, d’une étude de validation de ses qualités psychométriques (Bunderson, 1989) ; ces qualités (fiabilité et validité) sont satisfaisantes (Coffield et al., 2004, p. 84). Notons que le manque de données sur la validation des qualités psychométriques de la version française du questionnaire constitue une limite importante de cette étude (Vallerand, 1989). Un profil de préférences cérébrales est décrit à l’aide des valeurs obtenues pour chacune des variables A, B, C et D. Une valeur de 67 points ou plus révèle une dominance marquée : un individu utilise spontanément et fréquemment les ressources associées à la variable. Un résultat compris entre 34 et 66 points correspond à un usage fonctionnel : l’individu fait appel aux ressources associées à la variable lorsque la situation le demande. En dessous de 34 points, il s’agit d’un évitement : l’individu tend à ignorer les potentialités relatives à la variable.

3.2.3 Performance scolaire

La performance scolaire est mesurée à l’aide d’une moyenne de notes obtenues sur une échelle de 0 (performance médiocre) à 20 (performance excellente). Cette moyenne est calculée à partir d’un ensemble de 25 matières réparties en quatre modules qui couvrent la totalité du programme de la formation : les sciences de l’ingénieur, les sciences et technologies des matériaux et de la mécanique, le management et la création de richesses, les langues et la vie associative.

3.3 Déroulement

Au mois de septembre, au début de la deuxième année du cursus de formation, durant les heures régulières de cours. La durée moyenne de passation était d’environ une heure et demie.

3.4 Méthode d’analyse des données

Nous avons réalisé des analyses corrélationnelles de type bivarié afin de déterminer la nature des liens entre les préférences cérébrales et la performance scolaire d’une part et entre les variables de la motivation et la performance scolaire d’autre part. Des analyses de régression multiple et hiérarchique ont ensuite été menées afin d’examiner le rôle des préférences cérébrales et des variables de la motivation dans la prédiction de la performance scolaire. À l’aide d’une analyse de régression hiérarchique, il s’agit plus précisément de mesurer les contributions relatives des préférences cérébrales et des variables de la motivation dans l’explication de la performance scolaire. Le seuil de signification statistique pour l’ensemble des tests a été fixé à 0,05.

3.5 Considérations éthiques

Les étudiants ont été informés qu’il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses, que leur participation était anonyme et que les résultats seraient présentés uniquement sous forme de synthèse. Ils ont par ailleurs été invités à participer à une conférence de présentation des résultats de la recherche au cours de laquelle ils ont pu faire part de leurs réactions, points de vue et commentaires.

4. Résultats

Afin de vérifier la contribution des préférences cérébrales et de la motivation dans la prédiction de la performance scolaire, des analyses corrélationnelles, de régression multiple et hiérarchique ont été réalisées.

4.1 Analyses descriptives

Le tableau 2 présente les résultats des moyennes, des écart-types, des coefficients d’asymétrie et d’aplatissement pour chacune des variables investiguées. En suivant les recommandations de Hair, Anderson, Tatham et Black (1998), les variables dont la distribution s’éloigne de la loi normale ont été transformées. La présupposition de normalité d’une variable est rejetée au seuil de 5 % lorsque l’asymétrie divisée par son erreur type ou l’aplatissement divisé par son erreur type, dépasse en valeur absolue 1,96 (Hair et al., 1998, p.73). Pour les variables concernées par une transformation (l’ensemble des variables investiguées hormis les variables A, B et D des préférences cérébrales), le choix du type de transformation (racine carrée, logarithmique, inversion) a été motivé par l’impact le plus favorable sur les valeurs de l’asymétrie et de l’aplatissement. Cet impact étant défavorable quel que soit le type de transformation envisagé pour la variable performance scolaire, cette variable n’a pas été transformée (Tableau 2). Les résultats révèlent que les élèves-ingénieurs de notre échantillon sont majoritairement des individus attirés par des approches rationnelles et logico-déductives, à l’aise dans un environnement structuré (A = 81,37, B = 75,13). Notre population d’élèves-ingénieurs a également une attirance pour le raisonnement intuitif ; elle est ouverte à l’innovation et à la créativité (D = 74,84). Elle est en revanche moins à l’aise avec le travail en équipe et a tendance à accorder peu d’importance aux dimensions interpersonnelles d’une situation ou d’un problème (C = 53,90). Comparativement aux trois autres modes, le résultat plus faible obtenu pour le mode limbique droit confère à notre population une dominance cerveau gauche.

Tableau 2

Moyenne, écart-type, coefficients d’asymétrie et d’aplatissement des variables investiguées avant et, lorsque nécessaire, après transformation

Moyenne, écart-type, coefficients d’asymétrie et d’aplatissement des variables investiguées avant et, lorsque nécessaire, après transformation

N varie de 190 à 204

*

Lorsqu’une variable est transformée, son abréviation est précédée de la lettre t

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Du point de vue de la motivation, il ressort de l’étude que les trois principaux critères mis en avant par les étudiants de notre échantillon pour justifier leur volonté de poursuivre des études d’ingénieur sont par ordre décroissant d’importance : 1) la quête de sécurité (avoir un emploi en sortie d’école et un salaire confortable), 2) l’intérêt pour le contenu des études et le plaisir d’apprendre (motivation intrinsèque) et enfin 3) la quête du prestige social. Deux critères sur trois réfèrent ainsi à la motivation extrinsèque par régulation externe.

La performance scolaire des étudiants se traduit par une valeur moyenne de 12,83 avec un écart-type de 1,18.

4.2 Analyses corrélationnelles

Les analyses de corrélation de Pearson présentent un ensemble de relations significatives entre les variables de la motivation, des préférences cérébrales et la performance scolaire (Tableau 3). La performance scolaire est liée positivement à la variable A (r = 0,231, p < 0,01) et négativement aux variables t-C (r = - 0,234, p < 0,01) et D (r = - 0,247, p < 0,01). Elle est liée positivement à la motivation intrinsèque (transformée) (r = 0,167, p < 0,05) et négativement à l’amotivation (transformée) (r = - 0,243, p < 0,01).

Tableau 3

Matrice des corrélations de Pearson entre la motivation, les préférences cérébrales et la performance scolaire

Matrice des corrélations de Pearson entre la motivation, les préférences cérébrales et la performance scolaire

N varie de 190 à 204

** p < 0,01, * p < 0,05

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4.3 Analyses de régression

Les préférences cérébrales permettent d’expliquer 10,4 % de la variance de la performance scolaire, F(4 , 185) = 5,39 (p < 0,01 ; R2 ajusté = 0,085) (Tableau 4). Les variables D (β = - 0,289 ; p < 0,05) et t-C (β = - 0,252 ; p < 0,05) sont les plus contributives. Pour chacune d’elles, l’influence est négative : plus D (ou t-C) augmente, plus la performance scolaire diminue. L’impact de chacune des variables A et B sur la performance scolaire, lorsque l’effet des autres variables indépendantes est neutralisé, reste marginal.

Tableau 4

Analyse de régression multiple de la performance scolaire sur les variables des préférences cérébrales

Analyse de régression multiple de la performance scolaire sur les variables des préférences cérébrales

N = 190, ** p < 0,01, * p < 0,05

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L’ensemble des sept variables de la motivation permet d’expliquer 8,6 % de la variance de la performance scolaire, F(7, 193) = 2,60 (p < 0,05 ; R2 ajusté = 0,053) (Tableau 5). L’explication est due à la variable amotivation (transformée) (β = - 0,215 ; p < 0,01), dont l’influence sur la performance scolaire est négative. Quant à la variable motivation intrinsèque (transformée) et aux cinq variables de la motivation extrinsèque (transformées), elles n’expliquent pratiquement pas de variance lorsque l’effet des autres variables indépendantes est neutralisé. L’analyse des corrélations partielles indique que lorsque l’effet de l’amotivation (transformée) est contrôlé, on ne constate pas de relation significative (au seuil 0,05), entre la variable performance scolaire et chacune des six variables (transformées) de la motivation intrinsèque et extrinsèque. En d’autres termes, à amotivation (transformée) égale, la performance scolaire ne varie pas avec chacune des autres variables de la motivation (t-MI, t-Altr, t-Ego, t-Consc, t-Sec t-Prest).

À l’aide d’une régression hiérarchique (Tableau 6), nous avons mesuré les contributions relatives des préférences cérébrales et de la motivation dans l’explication de la performance scolaire.

Alors que le modèle 1 (comprenant les variables des préférences cérébrales) explique 10,4 % de la variance de la performance scolaire (F(4, 176) = 5,13 ; p < 0,01 ; R2 ajusté = 0,084), le modèle complet explique 18,6 % de la variance (F(11, 169) = 3,51m p < 0,01m R2 ajusté = 0,133). Les variables de la motivation expliquent ainsi 8,2 % de variance supplémentaire lorsque l’effet des préférences cérébrales est contrôlé. Il s’agit d’une contribution significative au seuil 0,05. Les variables les plus contributives sont la motivation intrinsèque (β = 0,220 ; p < 0,05), les variables t-C (β = - 0,231 ; p < 0,05) et D (β = - 0,316 ; p < 0,05). Alors que la motivation intrinsèque a une influence positive sur la performance scolaire, les variables t-C et D ont, pour leur part, une influence négative. L’impact de chacune des variables A, B, t-Altr, t-Ego, t-Consc, t-Sec, t-Prest et t-AM sur la performance scolaire, lorsque l’effet des autres variables indépendantes est neutralisé, reste marginal. Dans le modèle complet comprenant à la fois les variables des préférences cérébrales et celles de la motivation (Tableau 6), nous constatons que le poids explicatif le plus important parmi les variables de la motivation est celui de la motivation intrinsèque (transformée) et non plus celui de l’amotivation (transformée) lorsque seules les variables de la motivation étaient prises en compte dans l’explication de la performance scolaire (Tableau 5).

Tableau 5

Analyse de régression multiple de la performance scolaire sur les variables de la motivation

Analyse de régression multiple de la performance scolaire sur les variables de la motivation

N = 201, ** p < 0,01, * p < 0,05

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Tableau 6

Analyse de régression hiérarchique de la performance scolaire sur les variables des préférences cérébrales et de la motivation

Analyse de régression hiérarchique de la performance scolaire sur les variables des préférences cérébrales et de la motivation

N = 181, ** p < 0,01, * p < 0,05

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5. Discussion des résultats

Alors que de nombreuses recherches ont permis d’apporter un éclairage sur la prédiction de la performance scolaire à partir des capacités intellectuelles ou de divers facteurs psychosociaux, notre contribution visait l’exploration du rôle de deux variables pour expliquer la performance scolaire : les styles d’apprentissage déclinés à partir du modèle des préférences cérébrales et la motivation. Il était supposé que ces deux variables permettraient de prédire la performance scolaire.

Les résultats obtenus confirment la contribution des préférences cérébrales et des variables de la motivation dans la prédiction de la performance scolaire. Avec une variance expliquée de 10,4 % (R2 ajusté = 0,085), les variables t-C et D des préférences cérébrales contribuent négativement à l’explication de la performance scolaire, suggérant ainsi que plus les étudiants sont cerveau droit, c’est-à-dire sensibles aux relations humaines, attirés par la nouveauté, la créativité, les approches globales, plus leur performance scolaire diminue. La corrélation positive et significative de la variable A avec la performance scolaire suggère par ailleurs que plus les étudiants ont le goût de la logique, de l’analyse, et des mathématiques, plus grandes sont leurs chances de succès. En raison des matières à dominante scientifique enseignées en école d’ingénieurs et conformément à la notion de congruence définie par Holland (1985) ou à celle d’adéquation environnement-individu définie par Herrmann (1992), ces résultats sont cohérents : ils indiquent que dans un environnement qui fait essentiellement appel aux ressources associées au cerveau gauche, plus les étudiants sont attirés et mobilisent les potentialités du cerveau droit, plus leurs chances de succès diminuent. Komarraju et al. (2011) utilisent le modèle de Schmeck, Ribich et Ramanaiah (1977) pour définir les styles d’apprentissage. Leurs travaux indiquent que les styles d’apprentissage expliquent un pourcentage de variance de la performance scolaire analogue, soit 10 % (R2 ajusté = 0,08) ; ils montrent qu’une piste d’amélioration de la performance scolaire des étudiants consiste pour ces derniers à traiter les informations de façon méthodique et réfléchie.

Lorsque nous considérons exclusivement l’influence des variables de la motivation sur la performance scolaire, nos résultats sont en accord avec les postulats de la théorie de l’autodétermination : ils soulignent l’influence négative de l’amotivation sur la performance scolaire avec une variance expliquée de 8,6 % (R2 ajusté = 0,053). Ainsi, plus les étudiants ont des difficultés à percevoir leur intérêt à poursuivre des études d’ingénieur, plus leur risque d’échec s’accroît. L’étude menée par Komarraju et ses collaborateurs (2009) indique que sur sept dimensions de la motivation, seule la motivation intrinsèque a une influence positive sur la performance scolaire avec une variance expliquée de 5 % (R2 ajusté = 0,03) : les étudiants obtiennent des résultats d’autant meilleurs qu’ils sont intrinsèquement motivés.

Nos résultats apportent un nouvel éclairage sur la question des antécédents de la réussite scolaire. Avec un total de 18,6 % de variance expliquée (R2 ajusté = 0,133), ils montrent la pertinence d’associer les préférences cérébrales aux variables de la motivation dans la prédiction de la performance scolaire. Comparées aux variables de la motivation (avec 8,2 % de variance expliquée, R2 ajusté = 0,049), les préférences cérébrales prédisent avec une intensité légèrement supérieure la performance scolaire (10,4 % de variance expliquée, R2 ajusté = 0,084). Les données de notre échantillon nous ont permis de montrer qu’un étudiant obtient des résultats d’autant meilleurs que son attirance pour les approches interpersonnelles (variable t-C), la pensée divergente et la créativité (variable D) est moindre et qu’il est intrinsèquement motivé (il poursuit ses études par plaisir, il aime apprendre). La particularité des enseignements en école d’ingénieurs est d’encourager une pensée à dominante hypothético-déductive qui privilégie les attributs rationnels et logiques du cerveau gauche au détriment de l’approche intuitive, inductive et créative du cerveau droit. Ainsi les étudiants attirés par les processus interactifs, la créativité, à l’aise dans la pensée divergente et l’exploration de nouveaux concepts se retrouvent-ils pénalisés dans un environnement dont le mode de pensée est globalement opposé au leur. La mise en valeur d’une performance scolaire moindre des élèves-ingénieurs attirés par les variables t-C et D appuie et complète de façon factuelle et chiffrée les résultats obtenus par Lumsdaine et Lumsdaine (1995) et Lumsdaine et Voitle (1993).

Compte tenu des résultats obtenus dans cette étude, une première piste d’intervention utile consisterait à proposer un accompagnement spécifique aux étudiants dont le niveau d’amotivation est élevé. Les étudiants amotivés sont plus enclins à ressentir des émotions négatives (Brault-Labbé et Dubé, 2010 ; David, 2010 ; Ratelle et al., 2007), à avoir une faible estime de soi (Deci et Ryan, 1995), à s’absenter des cours (Galand, 2004) et à envisager d’abandonner leurs études (Blanchard et al., 2004 ; Vallerand et Bissonnette, 1992 ; Vallerand et al., 1997). Un accompagnement individualisé de ces étudiants pourrait les conduire à une prise de conscience du risque accru d’échec qu’ils courent en raison de leur très faible niveau d’autodétermination, et les aider à prendre les mesures jugées nécessaires afin d’orienter au mieux leur parcours scolaire. Le choix d’une filière ou d’un cursus qui susciterait en eux une motivation plus autodéterminée représenterait une issue favorable (Guay et al., 2008).

Comme autre piste d’intervention, il faudrait promouvoir les conditions qui soutiennent la motivation intrinsèque des étudiants. Selon la théorie de l’autodétermination, il s’agit des environnements qui favorisent la satisfaction des besoins 1) d’autonomie – le fait pour un individu d’agir en exerçant sa volonté et son propre choix, 2) de compétence – besoin qui réfère à un sentiment d’efficacité sur son environnement et 3) d’affiliation – besoin d’être relié à des pairs et à des personnes importantes pour soi (Baumeister et Leary, 1995 ; Deci, Koestner et Ryan, 1999 ; Laguardia et Ryan, 2000). Un ensemble de comportements de l’enseignant permet d’encourager la satisfaction de ces trois besoins fondamentaux (Niemiec et Ryan, 2009 ; Reeve, Deci et Ryan, 2004 ; Reeve et Jang, 2006 ; Sarrazin, Tessier et Trouilloud, 2006). Sarrazin et ses collaborateurs (2006) proposent plusieurs actions en ce sens. Pour le besoin d’autonomie, il s’agit d’impliquer activement les étudiants dans le processus d’apprentissage, par exemple en leur manifestant des encouragements pour leur réussite personnelle et non parce qu’ils répondent en tout point aux attentes de l’enseignant. Faire en sorte que les étudiants apprennent quelque chose, quels que soient leur niveau et leurs possibilités, permet de satisfaire le besoin de compétence ; une stratégie consiste par exemple à laisser aux étudiants un temps de réflexion suffisamment long afin qu’ils trouvent par eux-mêmes les solutions aux problèmes posés. En ce qui concerne le besoin d’affiliation, il s’agit pour les enseignants d’instaurer une relation pédagogique fondée sur l’empathie, la proximité, la disponibilité et le respect ; par exemple, en considérant avec attention toute question ou remarque des étudiants (Sarrazin et al., 2006, p. 167). Tous ces comportements sont autant d’éléments qui permettent de stimuler la motivation intrinsèque des étudiants qui elle-même augmente leurs chances de succès (Deci et Ryan, 2008 ; Guay et Vallerand, 1997 ; Niemiec et Ryan, 2009 ; Vansteenkiste, Simons, Lens, Sheldon et Deci, 2004).

Les travaux sur les styles d’apprentissage invitent à concevoir et à mettre en oeuvre des dispositifs de formation suffisamment variés pour que chaque apprenant y trouve son compte (Bourgeois, 2003, p. 38). Sensibilisés au modèle des préférences cérébrales, les enseignants pourraient tirer profit des différences individuelles des étudiants et construire des environnements d’apprentissage adaptés. Compte tenu de nos résultats, il pourrait s’agir de mettre en place des stratégies telles que les étudiants à dominance cerveau droit ne soient pas pénalisés dans leur cursus d’élèves-ingénieurs. Les travaux de Lumsdaine et ses collègues (Lumsdaine et Lumsdaine, 1995 ; Lumsdaine et Voitle, 1993) montrent les bienfaits d’une pédagogie qui fait appel aux ressources tant de l’hémisphère gauche que de l’hémisphère droit du cerveau dans les cursus scientifiques : elle évite que les étudiants les plus créatifs n’abandonnent leurs études et elle permet à l’ensemble des étudiants d’être mieux préparés à répondre aux attentes des industriels et aux défis qu’ils auront à relever durant leur vie professionnelle. Desrosiers-Sabbath (1993a, 1993b) invite également les enseignants à s’ajuster à la diversité des apprenants, les uns affichant une dominance hémisphérique droite, les autres une dominance gauche. Pour faire place à la spécificité de l’hémisphère droit, à son intelligence instinctive et intuitive, les programmes devraient, selon l’auteure, s’enrichir de dimensions nouvelles ; par exemple, en définissant des objectifs globaux plutôt que spécifiques, en développant des contenus thématiques et en abordant des notions par saisies successives plutôt que par analyse dirigée (Desrosiers-Sabbath 1993b, p. 42). Il faut également noter qu’informer les enseignants sur les styles des apprenants permet non seulement de les aider à mieux comprendre les difficultés rencontrées par les apprenants (Bourgeois, 2003, p. 39), mais aussi à prendre conscience de leurs propres manières d’apprendre et de l’influence de celles-ci sur leurs manières d’enseigner (Chartier, 2003, p. 26).

Dans une perspective de soutien aux étudiants, la prise de conscience de leur style d’apprentissage peut les aider à identifier leurs forces et leurs difficultés potentielles dans un premier temps et à ajuster leur propre fonctionnement en situation d’apprentissage dans un second temps (Bourgeois, 2003, p. 38 ; Lumsdaine et Lumsdaine, 1995, p. 200). Il s’agit de dépasser la phase du diagnostic pour montrer aux étudiants comment améliorer leur capacité à apprendre (Coffield et al., p. 132). L’apprentissage devrait en effet avoir pour objectif de rendre l’apprenant capable de s’adapter à des situations qui ont leurs propres contraintes ; (Chartier, 2003, p. 25) en particulier, en l’aidant à étoffer son répertoire de styles d’apprentissage (Coffield et al., 2004 p. 2). Même si cela demande beaucoup de volonté et de persévérance, Herrmann (1992, p. 264) encourage les individus à développer l’ensemble des quatre modes de réactivité cérébrale. Selon lui, exercer les ressources associées aux modes de moindre préférence contribue à renforcer les préférences les plus fortes (Herrmann, 1992, p. 265).

6. Conclusion

Notre objectif de départ était d’explorer l’importance relative de deux variables dans la prédiction de la performance scolaire d’élèves-ingénieurs : les styles d’apprentissage et la motivation. Hormis la performance scolaire, les données ont été recueillies à l’aide de questionnaires. Les résultats indiquent que tant les styles d’apprentissage que les variables de la motivation ont un impact significatif sur la performance scolaire des étudiants. Dans le contexte d’une école d’ingénieurs, les résultats scolaires s’améliorent lorsque les étudiants sont intrinsèquement motivés et que leur attrait pour les approches interactives, intuitives et créatives est faible. L’étude propose plusieurs stratégies éducatives et d’accompagnement dont l’objectif est de favoriser les conditions de réussite des étudiants en tenant compte de l’hétérogénéité de leurs profils. Bien que les résultats de la présente étude apportent un nouvel éclairage sur les déterminants de la performance scolaire, quelques limites doivent être mentionnées.

Sur le plan méthodologique, il est important de souligner que les résultats des préférences cérébrales présentés dans cette étude ont été obtenus à partir de la version française du formulaire de participation à l’étude Herrmann. Contrairement à la version anglaise, celle-ci n’a pas encore fait l’objet, à notre connaissance, d’une étude de validation de ses qualités psychométriques. Il s’agit d’une limite importante de cette étude. Vallerand (1989) souligne en effet que la validation transculturelle des questionnaires devrait être considérée avec autant d’égards que la validation des questionnaires originaux. L’auteur invite les lecteurs des résultats de recherche scientifiques à se méfier de questionnaires qui auraient été traduits à la sauvette. Lorsque l’équivalence à la version originale d’un questionnaire n’a pas été établie, le risque en est la production de résultats erronés (Vallerand, 1989, p. 678). Même si l’Institut Herrmann France atteste le sérieux de la traduction française du formulaire de participation à l’étude Herrmann (Herrmann, 1992, p. 83), seule la publication de recherches témoignant de l’acceptabilité des qualités psychométriques du formulaire dans sa version française permettrait de confirmer la pertinence des résultats que nous présentons ici. Dans notre étude, la performance scolaire est une mesure globale qui prend en compte les résultats obtenus sur un ensemble de matières très diversifiées (matières liées aux sciences de l’ingénieur, au management, aux langues, etc.). Une compréhension plus fine du rôle des styles d’apprentissage et de la motivation dans l’explication de la performance scolaire serait possible en considérant les matières séparément, à tout le moins comprises dans un même bloc (ou module), plutôt qu’indistinctement.

En raison de la prédominance de garçons dans notre échantillon de répondants, l’influence du genre sur nos résultats n’a pas été examinée. Il est généralement attendu que les garçons présentent un profil motivationnel moins intrinsèque et autodéterminé que les filles (Vallerand et Bissonnette, 1992 ; Vallerand et al., 1989, 1997) et, par ailleurs, que leur profil de préférences cérébrales affiche un score moins élevé sur le mode limbique droit comparativement aux filles (Lumsdaine et Lumsdaine, 1995, p. 200). Seul le recours à un protocole d’analyses longitudinales permettrait de confirmer les liens de causalité observés entre les différentes variables mesurées. Collecter les données aux trois moments clés d’un cursus scolaire que sont l’entrée, le milieu de parcours et la fin du cursus permettrait d’identifier l’évolution des profils de motivation et de préférences cérébrales ainsi que leur impact éventuel sur la performance scolaire. Le choix d’un cursus à dominance scientifique et la nature des processus de sélection réputés difficiles à l’entrée des écoles d’ingénieurs sont deux caractéristiques susceptibles d’avoir une influence sur les profils des élèves-ingénieurs et sur leurs relations avec la performance scolaire. Il serait donc utile de mener cette étude auprès d’étudiants issus d’autres filières que scientifiques et sélectionnés selon des modalités moins contraignantes.