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Ce livre examine la pensée éducative de différents intellectuels nés entre 1915 et 1930 qui ont marqué le Québec durant la Révolution tranquille dans le domaine de l’éducation, de la sociologie, de la politique, des arts ou encore de l’archéologie. Ces figures sont Pierre Angers, Jeanne Lapointe, Judith Jasmin, Simonne Monet-Chartrand, Michel Brunet, Arthur Tremblay, Marcel Rioux, Pierre Vadeboncoeur, Léon Dion, Fernand Dumont, Jacques Grand’Maison et Guy Rocher. L’ouvrage souligne bien l’effervescence intellectuelle qui régnait durant la Révolution tranquille et dont l’éducation constituait un enjeu majeur, passionnant des intellectuels associés autant au catholicisme, au nationalisme, au féminisme qu’au marxisme.

Bien que d’horizons différents et parfois opposés, tous ces intellectuels réclamaient la réforme d’un système d’éducation considéré comme sclérosé, élitiste et prisonnier de la religion. Cependant, l’ouvrage montre bien que la vision de ce qui devait remplacer l’ancien système était très différente chez chacun de ces intellectuels, ce qui nous permet de mieux saisir le contexte historique dans lequel se déroulent les débats lors de la Commission Parent : si le désir de changements semble en animer plusieurs, le rôle que doit jouer l’éducation au Québec ne fait pas l’unanimité. On semble hésiter entre un système d’éducation cherchant d’abord à favoriser la formation de travailleurs et à enrichir économiquement le Québec, et un système valorisant le développement de la pensée critique et d’individus libres. Les réflexions de l’époque sur l’éducation nous apparaissent alors variées, florissantes et riches, nourries par de nombreuses remises en question et influencées à la fois par les travaux de pédagogues comme Dewey ou Piaget et par des mouvements politiques ou philosophiques comme le marxisme, le néonationalisme ou le personnalisme.

Cependant, malgré une longue introduction sur le sujet, l’ouvrage ne parvient pas à bien nous faire saisir le concept de « pensée éducative ». On ne sait pas trop, après notre lecture, en quoi cette pensée se distingue réellement d’une philosophie ou d’une réflexion de nature culturelle ou sociopolitique. Certains chapitres nous la présentent comme une véritable philosophie, une vision très précise et structurée portant sur l’éducation, alors qu’elle semble une idée vague dans d’autres chapitres, un simple élément d’une réflexion plus générale sur la culture, sur la société ou sur l’avenir politique des Québécois. Cela peut être dû au fait que le terme « intellectuel » est ici conçu dans un sens très large, alors que certains des intellectuels susmentionnés n’ont presque rien publié (ou très peu) sur l’éducation. Dans un chapitre, on décrit la pensée éducative de Vadeboncoeur à partir de ses « silences » sur l’éducation et, ailleurs, on présente ce qu’aurait pensé ou dit Brunet ou Tremblay à propos de politiques éducatives récentes, comme la réforme de 2006, alors que Brunet est mort en 1985. Cette façon de faire parler les morts et les silences, plutôt associée à une rhétorique politique, peut étonner dans un ouvrage scientifique. On a l'impression de lire moins sur la pensée éducative de la génération de 1915-1930 que sur la réinterprétation de cette pensée dans un contexte actuel où les débats et les questions en jeu sont pourtant différents. D’ailleurs, le chapitre concluant le livre est écrit par Rocher lui-même, qui présente sa « vision » actualisée de l’éducation, accentuant l’aspect politisé de l’ensemble.

Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage nous fait bien comprendre que si la Révolution tranquille a pu transformer la structure du système d’éducation québécois de fond en comble, comme le réclamaient de nombreux intellectuels québécois, les conceptions, les rôles et les visées de l’éducation restent des objets de polémique d’hier à aujourd’hui.