Corps de l’article

Introduction

Depuis les années 1970, le Québec connait une intensification de la massification de l’enseignement à tous les niveaux. Selon l’analyse du cheminement scolaire d’une cohorte d’élèves à partir des comportements observés en 2011-2012 (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014), sur 100 élèves qui entrent au primaire, 93 obtiennent le diplôme d’études secondaires, 64 poursuivent les études au collège d’enseignement général et professionnel (Cégep, premier palier de l’enseignement supérieur) et 44 vont jusqu’à l’université. En d’autres mots, presque deux élèves sur trois poursuivent des études postsecondaires au cégep et deux sur cinq continuent jusqu’à l’université. Cette massification remonte aux années 1960 à la suite de la réforme proposée par la Commission Parent, mais elle s’accélère à partir des années 1970. Selon le rapport du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014), le taux d’obtention d’un diplôme d’études collégiales par cohorte s’est considérablement accru chaque décennie : il est passé de 22,2 % en 1975-1976 à 34,4 % en 1985-1986, puis à 39,4 % en 1995-1996, avant de se stabiliser autour de 50 % entre 2005-2006 et 2010-2011. Durant cette période, le taux d’obtention d’un baccalauréat s’est également accru au même rythme, passant de 14,9 % en 1975, à 19 % en 1986, avant de se stabiliser entre 2006 et 2011 : de 31 % à 33 %.

En dépit de cette massification accélérée, la démocratisation de l’éducation demeure « partielle » (Dandurand, 1991) ou « inachevée » (Chenard et Doray, 2013). En particulier, l’accès à l’enseignement postsecondaire reste fortement lié à l’origine sociale de l’élève, comme en témoignent les travaux de Chenard et Doray (2013). Cette reproduction est attribuée aux différences d’aspirations scolaires, elles-mêmes associées à l’origine sociale et ethnoculturelle des élèves. Selon ces auteurs, elle est plus élevée à l’université où se conjuguent les effets des ressources familiales (capital culturel et économique) et des différences de parcours et d’expérience scolaires. Bien que l’accès à l’enseignement secondaire et à ses diplômes soit aujourd’hui généralisé à la presque totalité des jeunes, certaines formes de ségrégation prennent de plus en plus de place sous l’effet de l’expansion des pratiques de marché scolaire à travers la concurrence entre les écoles (Conseil supérieur de l’éducation, 2007 ; Hurteau et Duclos, 2017 ; Lessard et Levasseur, 2007) et de la hiérarchisation des filières et des matières (Dandurand, 1990, 1991 ; Doray et Guindon, 2016 ; Laplante, Doray, Tremblay, Kamanzi, Pilote et Lafontaine, 2018).

Cet article s’intéresse à l’effet direct ou indirect des politiques publiques qui structurent le système éducatif sur les ségrégations induites par le marché scolaire. Comme le soulignent Whelan, Nolan, Esping-Andersen, Maitre et Sander (2012), la persistance des inégalités observée à travers plusieurs sociétés économiquement développées est ancrée dans l’articulation continue entre les politiques publiques et le fonctionnement des institutions sociales. Le domaine de l’éducation ne fait pas exception, comme l’illustrent les études de comparaison internationale menées par Beblavý, Thum et Veselkova (2011), Dubet, Duru-Bellat et Vérétout (2010), ainsi que West et Nikolai (2013). Ces auteurs montrent que l’ampleur de la reproduction des inégalités scolaires varie selon l’orientation idéologique des politiques publiques et l’organisation des systèmes éducatifs. Si certains États mettent en place des mesures visant à limiter la concurrence pour contrer ou, à tout le moins, atténuer la stratification des établissements et la hiérarchisation des filières, d’autres tendent à adopter une orientation inverse, c’est-à-dire à « laisser-faire » la concurrence, voire à la favoriser.

Dans cette perspective, le présent article émet l’hypothèse selon laquelle, dans le contexte actuel, la reproduction sociale des inégalités scolaires dans l’enseignement postsecondaire dans la province de Québec est liée à l’instauration du marché scolaire depuis la fin des années 1980 qui a peu à peu conduit à l’intensification de la stratification croissante inter- et intra-établissements au secondaire (Hurteau et Duclos, 2017 ; Kamanzi, 2018 ; Pilote, Joncas et Kamanzi, 2018). Alors que des politiques publiques ont promu des pratiques à la base de cette stratification, l’article vise à montrer qu’il existe un lien significatif entre l’origine socioéconomique et le type d’établissement secondaire fréquenté, et que ce lien agit sur les chances d’accès à l’enseignement postsecondaire. Avant d’illustrer notre propos par des données empiriques, nous présentons un cadre d’analyse basé sur le concept de marché scolaire et un aperçu de la situation du Québec.

1. Marché scolaire et démocratisation de l’éducation

Le concept de marché scolaire a été introduit par des analystes des politiques de l’éducation pour caractériser l’intensification des pratiques de concurrence entre établissements scolaires et de compétition entre usagers de l’école (les élèves et leurs parents) (Felouzis, Maroy et Van Zanten, 2013). Selon ce modèle d’analyse, qu’il s’agisse des établissements ou des usagers de l’école, les partenaires sont motivés par la recherche de la qualité et engagent différentes stratégies de compétition (Falabella, 2014). Chez les parents, la concurrence est motivée par la préoccupation croissante de trouver une école offrant une formation considérée comme de meilleure qualité. Cette concurrence est balisée par le principe de droit ou de liberté des familles à choisir une meilleure école pour leurs enfants, lequel principe s’inscrirait dans la perspective de démocratisation de l’éducation. La qualité poursuivie a plusieurs dimensions dont les principales sont la performance scolaire des élèves et l’excellence, les relations entre les élèves et leur bienêtre en classe, le mode d’encadrement par les enseignants et les directions, ainsi que les critères de sélection et d’admission (Felouzis et Perroton, 2007a).

Quant à la concurrence croissante entre les établissements, elle prend son origine dans la pression à l’efficacité (Bradley et Taylor, 2002). Dans le contexte actuel marqué par l’obligation de résultat et la reddition des comptes (Mons, 2013), les pouvoirs publics exigent des établissements scolaires non seulement d’augmenter le taux de réussite scolaire, mais également de rehausser leur niveau de formation pour que le système scolaire soit compétitif à l’échelle internationale. Cette concurrence au niveau institutionnel s’inscrit dans la mouvance de l’idéologie du new public management, laquelle traverse la plupart des pays industrialisés depuis les années 1980 (Pizarro Milian et Davies, 2017). Dans cette perspective, les systèmes scolaires sont soumis à l’obligation de rendre compte de leurs résultats et de faire preuve d’efficience et d’efficacité (Anderson, 2005 ; Tolofari, 2005).

Toutefois, plusieurs auteurs critiquent l’usage du concept de marché dans le domaine de l’éducation, car ils considèrent qu’il ne s’inscrit pas tout à fait dans la loi de la demande et de l’offre au sens de l’économie néoclassique. De nombreux économistes et sociologues proposent le terme quasi-marché pour le nuancer et tenir compte de la nature hybride des échanges entre les partenaires en éducation (Bradley et Taylor, 2002 ; Felouzis et Perroton, 2007a ; Telkeen, 1999 ; Whitty, 1997 ; Whitty et Power, 2001). Plusieurs arguments ont été avancés à cet effet, mais on peut les ramener à trois (Felouzis et Perroton, 2007a).

Le premier des arguments en faveur de cette appellation est le caractère non monétaire des échanges entre les partenaires (Felouzis, Maroy et Van Zanten, 2013 ; Felouzis et Perroton, 2007a). Que ce soit dans le choix de l’école par les parents ou dans le recrutement, la sélection et l’admission des élèves par les établissements, il n’y a pas d’espace pour la négociation du prix. Même dans le cas des écoles privées, les couts et le financement de l’éducation sont normés par l’État. Le deuxième argument a trait au caractère public de l’éducation (Ball, 2002 ; Felouzis et Perroton, 2007a). Dans la plupart des pays, le choix de l’établissement est toujours régulé par les pouvoirs publics qui définissent les modalités de la demande et de l’offre, ainsi que les critères de la qualité de la formation attendue. De plus, l’éducation est un service obligatoire auquel les parents et les élèves n’ont pas le droit de se soustraire, même lorsqu’ils en sont insatisfaits et quels que soient les motifs. Enfin, le troisième argument a trait au caractère arbitraire du marché scolaire. Dans les faits, la concurrence s’inscrit étroitement dans la dynamique locale (Felouzis et Perroton, 2007b ; Karpik, 2007). Elle n’est pas généralisée et n’est vive qu’au sein d’un nombre restreint d’établissements situés dans des zones urbaines caractérisées par des disparités socioéconomiques et des diversités ethnoculturelles et où elle sert de stratégie d’évitement entre les classes sociales (Merle, 2011 ; Oberti, 2005). C’est pourquoi, dans le cadre de cet article, le concept de marché scolaire est utilisé dans son sens plutôt métaphorique, comme le suggèrent Beal et Olson Beal (2013).

Plusieurs recherches menées depuis les années 2000 dans différents autres contextes sociaux soutiennent que le marché scolaire est porteur de ségrégations sociales (voir, par exemple, Bradley et Taylor [2002] pour la Grande-Bretagne, Bradley, Draca et Green [2004] pour l’Australie, Felouzis et Perroton [2007b] pour la France). La sélection mènerait à la concentration des élèves forts et en majorité issus de milieux sociaux favorisés dans un nombre restreint d’établissements mieux cotés (Dumay et Dupriez, 2012 ; Dumay, Dupriez et Maroy, 2011 ; Lubienski, Gulusino et Weitzfel, 2009), mais surtout dans des filières les plus sélectives conduisant à des domaines de l’enseignement supérieur prestigieux (Van de Werfhorst, Sullivan et Cheung, 2003). Dès lors, les élèves ayant des résultats scolaires faibles et issus de milieux sociaux défavorisés se retrouvent majoritaires dans des écoles moins réputées. Cette homogénéisation se répercute sur l’apprentissage des élèves, car elle induit la segmentation et une spécialisation sociale des établissements scolaires, les uns destinés à la formation de l’élite issue de la bourgeoisie et les autres, à celle de la démocratisation ou encore de la professionnalisation des élèves d’origine modeste, en situation de handicap ou en difficultés scolaires (Felouzis et Perroton, 2007b, Merle, 2011).

Toutefois, d’autres études soulignent que, si l’influence du marché scolaire sur la production des ségrégations sociales est indéniable, son ampleur varie fortement entre pays, car elle résulte de l’articulation de plusieurs facteurs contextuels d’ordre démographique, politique ou économique (Dronkers et Avram, 2009 ; Dronkers, Felouzis et Van Zanten, 2010). De manière générale, elle a tendance à s’accentuer dans les sociétés multiethniques et historiquement inégalitaires sur le plan socioéconomique (Dronkers et Avram, 2009). Par ailleurs, cette influence serait variable selon la structure des systèmes éducatifs (Gaztambide-Fernández et Parekh, 2017), c’est-à-dire de la façon dont les pouvoirs publics encadrent les pratiques de choix et de concurrence (Waslander, Pater et Van der Weide, 2010). La section suivante tente de résumer la situation du Québec à laquelle s’intéresse le présent article.

2. Évolution récente et organisation du marché scolaire au Québec

L’instauration des pratiques de marché scolaire remonte à la fin des années 1980, à la suite de vifs débats sur la qualité de l’enseignement dans les établissements publics au milieu de la décennie 1980. Lors des États généraux sur l’éducation organisés par le gouvernement du Parti libéral en 1986, la qualité de la formation dans les établissements publics fut fortement critiquée. En particulier, le curriculum du secondaire fut accusé d’être trop homogène et les écoles polyvalentes furent remises en question (Conseil supérieur de l’éducation, 2007). Il fut recommandé que l’école publique offre une formation différenciée en fonction du niveau des élèves et, pour cela, s’inspire de l’école privée. Le gouvernement afficha son soutien à cette nouvelle vision et s’engagea à financer les programmes d’excellence destinés aux élèves « doués », qu’ils soient promus dans un établissement public ou privé. Par ailleurs, différents acteurs, entre autres les associations de parents, demandèrent plus de choix scolaires dans les établissements publics. Tout cela a stimulé le développement de ce qu’on a appelé les programmes enrichis et les programmes d’éducation internationale.

Pour renforcer ces programmes, une nouvelle Loi sur l’instruction publique (art. 222 et 240) autorisant chaque école publique à se doter d’un projet éducatif fut adoptée en 1988. Les établissements secondaires publics sont désormais autorisés à élaborer des objectifs et des contenus d’enseignement « enrichis » dans une partie ou la totalité des matières à l’intention des élèves forts ou doués. Le gouvernement lui-même devait cependant approuver ces projets. Dix ans après les États généraux de l’éducation de 1986 (Comité des États généraux sur la qualité de l’éducation, 1986) et une année après les États généraux sur l’éducation de 1995-1996 (Gouvernement du Québec, 1996), la Loi 180 (1997, art. 74) autorisa les établissements à adapter et enrichir les objectifs et contenus des programmes fixés par le ministère de l’Éducation, afin de mieux répondre aux besoins particuliers des élèves performants dans certaines matières jugées importantes par l’école (mathématiques, sciences, langues).

Depuis 2006, à la suite de l’adoption du projet de Loi 73, les projets particuliers ont été davantage décentralisés ; dorénavant, il revient à la commission scolaire, dans le cas du public, et au conseil d’administration, dans le cas d’un établissement privé, de les approuver. Considérée par les commissions scolaires et les établissements comme une stratégie pour attirer et retenir les « bons » élèves, cette différenciation génère un climat de concurrence entre les deux réseaux. Comme le font remarquer Hurteau et Duclos (2017), cette concurrence est exacerbée par la publication régulière des palmarès ou des bulletins dans lesquels les établissements scolaires, privés et publics, sont classés les uns par rapport aux autres en fonction des résultats obtenus aux épreuves ministérielles dans les disciplines dites de base (français, anglais, science, mathématiques et histoire). Ceci expliquerait pourquoi les projets particuliers se sont davantage multipliés en milieu urbain, notamment dans la région de Montréal et ses banlieues, où la présence de l’école privée est plus forte (Larose, 2016), mais aussi où les inégalités socioéconomiques entre familles sont plus accentuées (Langlois, 2016).

Le rapprochement entre les réseaux public et privé en vue d’améliorer la qualité de la formation au public a accentué une culture de marché (Lessard et Levasseur, 2007), mais son influence sur les inégalités semble plutôt mitigée. D’un côté, l’institutionnalisation des programmes enrichis au public a permis de freiner le mouvement de migration des bons élèves vers les établissements privés qui commençait à fragiliser la qualité de la formation dans les établissements publics (Lessard et Levasseur, 2007). Grâce à ces programmes, l’école publique a regagné la confiance d’une partie des parents, en particulier ceux faisant partie de la classe moyenne, qui commençait à douter d’elle. De plus, pour les élèves doués issus de familles socioéconomiquement défavorisées, la différenciation de l’offre de formation par les projets pédagogiques particuliers à l’école publique a rendu disponibles des programmes qui n’étaient auparavant accessibles que dans des écoles secondaires privées (Pilote, Joncas et Kamanzi, 2018). D’un autre côté, l’institutionnalisation de ces programmes a eu des effets pervers, car elle a conduit à une segmentation scolaire. Dans les commissions scolaires où l’admission dans les projets particuliers est basée sur la sélection, on a assisté à des luttes entre le privé et le public, mais également entre les écoles publiques elles-mêmes (Conseil supérieur de l’éducation, 2007 ; Hurteau et Duclos, 2017). À l’intérieur des établissements, se sont développés des mécanismes de classement et de regroupement des élèves, d’homogénéisation et de hiérarchisation des classes et des apprentissages en fonction de leurs niveaux de compétences. Ces pratiques ont conduit à la concentration dans les mêmes classes des élèves plus démunis et, souvent, ayant des difficultés scolaires, ainsi qu’à favoriser les classes composées de meilleurs élèves pour maintenir ou améliorer leur position dans la hiérarchie (Desjardins, Lessard et Blais, 2011 ; Hurteau et Duclos, 2017).

Bien que plusieurs auteurs (Dandurand, 1991 ; Hurteau et Duclos, 2017 ; Larose, 2016 ; Lessard et Levasseur, 2007 ; Marcotte-Fournier, Bourdon, Lessard et Dionne, 2016) se soient mobilisés pour dénoncer les ségrégations sociales et scolaires induites par l’institutionnalisation des pratiques du marché scolaire, l’ampleur des effets de l’institutionnalisation de ces pratiques sur la reproduction sociale doit encore être étudiée. C’est ce que propose cet article. La section suivante présente la méthodologie (les données, les variables et le modèle d’analyse) employée à cet effet.

3. Données et méthodologie

3.1 La source des données

Les données utilisées dans cet article sont extraites d’une enquête longitudinale : Enquête auprès des jeunes en transition. Menée conjointement par Statistique Canada et par Ressources humaines et développement des compétences Canada, cette enquête s’inscrit dans le prolongement du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2000), conduit par l’Organisation de coopération et de développement économique auprès des jeunes élèves âgés de 15 ans en 1999. Au Canada, l’échantillon de l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves se composait de 29 687 élèves inscrits aux études en 2000, dont 4 450 résidaient dans la province du Québec. À la suite de cette enquête, Statistique Canada et Ressources humaines et développement des compétences Canada ont interrogé cet échantillon d’élèves sur une période de dix ans, soit entre 2000 et 2010. Le premier questionnaire utilisé a servi à recueillir l’information sur l’année 2000. Par la suite, l’enquête a été répétée tous les deux ans. Ainsi, le deuxième questionnaire a recueilli de l’information relative aux parcours scolaires et professionnels des répondants sur la période 2001-2002, le troisième sur la période 2003-2004 et ainsi de suite jusqu’au sixième, qui a servi à recueillir l’information sur la situation des répondants sur la période 2009-2010.

Par ailleurs, la base de données contient des renseignements recueillis soit par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, soit par l’Enquête auprès des jeunes en transition sur les caractéristiques sociodémographiques des répondants et divers aspects des parcours sociaux ou scolaires. Cependant, le présent article n’utilise que les données recueillies jusqu’au temps 4 (2005-2006), alors que les répondants avaient 22 ans, et ce, pour deux raisons. Premièrement, c’est l’âge auquel la majorité a déjà entrepris les études à l’un des deux paliers de l’enseignement postsecondaire : le collège et l’université. Deuxièmement, cela permet de ne considérer que les répondants ayant un parcours scolaire régulier et d’éviter le biais possible des retours des adultes aux études, ce sur quoi nous ne disposons pas d’information pertinente (par exemple, pour contrôler l’effet de la reconnaissance et de la prise en compte de l’expérience dans l’admission). Le tableau 1 décrit le profil de l’échantillon.

Tableau 1

Répartition des répondants selon l’origine sociale et le type d’établissement secondaire fréquenté

Répartition des répondants selon l’origine sociale et le type d’établissement secondaire fréquenté

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3.2 Les variables étudiées

La variable dépendante dans le cadre cet article est l’accès aux études postsecondaires. Elle est mesurée par le plus haut niveau d’études de l’établissement fréquenté durant la période d’observation considérée (2000-2006), soit entre 16 ans et 22 ans. Trois catégories ont été considérées : (1) le secondaire (ce qui correspond aux situations d’absence de poursuite des études dans l’enseignement postsecondaire), (2) le collège (cégep) et (3) l’université. Il s’agit donc d’une variable ordinale puisque, au Québec, le collège et l’université constituent deux paliers successifs, et non parallèles, comme c’est le cas dans plusieurs systèmes éducatifs, notamment aux États-Unis et dans les autres provinces du Canada. En d’autres termes, l’accès à l’université est conditionnel à l’obtention d’un diplôme des études collégiales et le passage à celles-ci exige un diplôme d’études secondaires.

Deux variables indépendantes sont au coeur de cette étude : l’origine sociale de l’élève/étudiant et le type d’établissements ou de classes fréquentés au secondaire. L’origine sociale a été mesurée par deux dimensions tenant respectivement lieu de capital scolaire et économique familial : (1) le niveau d’études du parent le plus scolarisé et (2) le revenu annuel des deux parents. Quant au type d’école fréquentée, il est mesuré par le statut de l’établissement et le curriculum suivi par l’élève au secondaire. À ce sujet, les répondants ont été regroupés en trois catégories : (1) école privée, (2) école publique avec cours enrichis (langue, science, mathématique) et (3) école publique avec cours exclusivement réguliers. Le tableau 1 résume le portrait global de l’échantillon selon les trois variables.

Variables de contrôle. L’analyse tient compte de trois groupes de variables reconnues pour leur influence sur l’accès aux études postsecondaires : (1) les performances scolaires ; (2) les aspirations scolaires et professionnelles ; (3) les caractéristiques sociodémographiques. Les performances scolaires de l’élève ont été mesurées par les scores aux tests du Programme international pour le suivi des acquis des élèves en lecture. Les aspirations scolaires ont été mesurées par le plus haut niveau d’études projeté par les élèves à l’âge de 15 ans, tandis que les aspirations professionnelles ont été mesurées par un indice constitué à partir des caractéristiques socioprofessionnelles de l’emploi envisagé par l’élève à l’âge de quinze ans lors de l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Enfin, en ce qui a trait aux caractéristiques sociodémographiques, l’analyse tient compte du genre, de la langue maternelle et du lieu de résidence (urbain/rural) des parents de l’élève.

3.3 Le modèle d’analyse statistique

La variable dépendante étudiée étant ordinale, nous appliquons l’analyse de régression logistique ordinale avec la fonction probit (Allison, 2012). Plus précisément, nous utilisons le modèle des probits cumulatifs. Celui-ci consiste à comparer la probabilité associée aux catégories cumulées supérieures de la variable étudiée (pr(Yij) à celle associée aux catégories cumulées inférieures pr(Yij) sous l’influence des facteurs X1, X2,…, Xk. Comme la variable dépendante étudiée dans le cas présent a trois catégories, le modèle estime la probabilité cumulée d’un répondant d’appartenir soit à la catégorie 2 (cégep) versus 1 (secondaire), soit à la catégorie 3 (université) versus 2 et 1.

4. Présentation des résultats

L’analyse met en évidence une influence significative de la stratification du marché scolaire sur l’accès aux études postsecondaires. Il existe des disparités importantes entre les élèves du privé et ceux du public, mais aussi et surtout parmi ces derniers, selon qu’ils ont suivi les programmes enrichis ou exclusivement réguliers. Après l’obtention du diplôme d’études secondaires, sept élèves sur dix (70 %) poursuivent des études postsecondaires au cégep et un sur trois (35 %) continue jusqu’à l’université. Toutefois, si à peu près un élève sur deux (49 %) ayant suivi des programmes exclusivement réguliers dans un établissement public accède à des études collégiales, c’est le cas de presque la totalité des élèves ayant fréquenté un établissement privé (94 %) ou ayant suivi des programmes enrichis (en mathématiques, en science ou en langues) dans un établissement public (91 %). Par ailleurs, ces disparités se maintiennent, voire s’accroissent, à l’université. Alors que le taux d’accès est de 60 % chez les élèves du privé et de 51 % chez leurs pairs du public suivant des programmes enrichis, il est seulement de 15 % chez ceux du public avec programmes exclusivement réguliers. Les résultats laissent donc voir que, par sa stratification, le marché scolaire est à la base des inégalités dans l’enseignement postsecondaire.

Tableau 2

Accès au cégep et à l’université selon le type d’établissement secondaire fréquenté (%)

Accès au cégep et à l’université selon le type d’établissement secondaire fréquenté (%)

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Les analyses logistiques ordinales suivantes (tableau 3) visent à vérifier si l’influence du type d’établissement sur l’accès aux études postsecondaires se maintient, diminue ou disparait lorsqu’on tient compte des variables relatives aux caractéristiques sociodémographiques et scolaires de l’élève décrites dans la section précédente. Dans un premier temps, les analyses bivariées ont été effectuées pour estimer l’effet brut de chacune des variables (indépendantes et de contrôle) étudiées. Les résultats révèlent que cet effet n’est pas seulement statistiquement significatif pour le type d’établissement fréquenté, comme souligné précédemment, mais aussi pour toutes autres variables considérées. La probabilité d’accès aux études postsecondaires est plus élevée pour les anglophones que pour les francophones, pour les filles que pour les garçons, ainsi que pour les jeunes des milieux urbains que pour ceux des milieux ruraux. Par ailleurs, cette probabilité augmente avec le niveau de revenu et de scolarité des parents. En ce qui a trait aux caractéristiques scolaires, cette probabilité s’avère corrélée au niveau de performances scolaires de l’élève et de ses aspirations scolaires et professionnelles.

Dans un deuxième temps, nous avons effectué des analyses de régression multiple. Le modèle 1 inclut le type d’établissement fréquenté en tenant compte des variables associées aux caractéristiques sociales de l’élève : le niveau de scolarité des parents, leur revenu annuel, le genre, la langue maternelle et le lieu de résidence. Les résultats révèlent que, lorsque ces variables sont prises en compte, l’influence significative du type d’établissement change légèrement : la différence significative se maintient entre les élèves du public régulier et les autres, mais elle disparait entre ceux du privé et du public enrichi. Inversement, la prise en compte du type d’établissement diminue l’influence de ces variables, sauf celle du genre qui augmente. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.

Tableau 3

Coefficient de régression logistique ordinale

Coefficient de régression logistique ordinale

Notes : * p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 ; D. L. : nombre de degré de liberté.

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Le modèle 2 tient compte des caractéristiques (antécédents) scolaires de l’élève. Les résultats montrent que la probabilité d’accès aux études collégiales ou universitaires est d’autant plus élevée que les résultats aux tests du Programme international pour le suivi des acquis des élèves en lecture de l’élève et ses aspirations scolaires et professionnelles sont élevées. En revanche, elle est nettement plus faible chez les élèves ayant connu des épisodes d’irrégularité scolaire (décrochage, redoublement ou cours de rattrapage). La prise en compte de ces variables diminue sensiblement l’influence du type d’établissement, bien que celle-ci demeure statistiquement significative et relativement élevée. Cela appuie l’hypothèse selon laquelle cette influence s’opère surtout par la médiation des différences d’aspirations scolaires et professionnelles, mais surtout de performances scolaires caractérisant les élèves des trois types d’établissements.

Le modèle 3 inclut simultanément les variables associées aux caractéristiques sociales et scolaires de l’élève analysées dans les deux modèles précédents (1 et 2). Les résultats permettent de tirer deux constats principaux. D’abord, l’influence du type d’établissement diminue légèrement par rapport au modèle 2. Ensuite, la prise en compte des caractéristiques sociales de l’élève diminue l’influence des caractéristiques scolaires et vice versa.

Cela tend à confirmer la double hypothèse précédemment avancée selon laquelle l’effet-établissement s’opère par la médiation des performances et des aspirations scolaires de l’élève, mais cet effet est lui-même modulé par les caractéristiques sociales de l’élève, en particulier l’origine sociale. En d’autres mots, ces variables influent sur le choix du type d’établissement secondaire fréquenté ; à son tour, celui-ci influe sur les chances d’accès aux études postsecondaires par la médiation des performances et des aspirations scolaires et professionnelles de l’élève. Par ailleurs, l’influence du type d’établissement varie en fonction des caractéristiques sociales de l’élève et vice versa, appuyant l’hypothèse d’interaction entre les deux.

Les analyses séparées selon le genre et la langue maternelle ont été effectuées pour vérifier cette hypothèse (tableau 4) et la confirment dans les deux cas. En ce qui concerne la langue maternelle, toutes choses étant égales par ailleurs, l’influence du type d’établissement sur l’accès aux études postsecondaires est statistiquement significative chez les élèves issus des familles francophones, mais ne l’est pas chez les anglophones. Signalons en passant que l’analyse de régression multiple n’a pas été effectuée pour la catégorie « allophone », car les résultats seraient peu pertinents en raison de l’effectif faible de sujets. En ce qui a trait au genre, les résultats sont plus ou moins similaires. L’influence du type d’établissement s’avère relativement plus élevée chez les femmes que les hommes. Il aurait été intéressant d’effectuer des analyses séparées selon les catégories associées à l’origine sociale (revenu et scolarité des parents), mais la taille des sous-échantillons ne permet pas d’obtenir des résultats pertinents.

Tableau 4

Coefficients de régression logistique ordinale

Coefficients de régression logistique ordinale

Notes : * p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 ; D. L. : nombre de degrés de liberté.

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En somme, l’influence de l’origine sociale sur l’accès au cégep ou à l’université s’exerce en partie par la médiation du type d’établissement secondaire ou des programmes suivis (enrichis ou réguliers). En revanche, l’influence du type d’établissement est, à son tour, médiatisée par les différences de performances et d’aspirations scolaires caractérisant les élèves du privé, ceux du public enrichi et ceux du public régulier. Des analyses supplémentaires révèlent que la fréquentation d’une école privée ou publique avec programmes enrichis est fortement corrélée à l’origine sociale. Ainsi, comme l’illustre le tableau 5, 85 % des élèves fréquentant un établissement privé ont au moins un parent qui détient un diplôme d’études collégiales (35 %) ou universitaires (50 %). La situation est plus ou moins similaire pour leurs pairs inscrits dans des programmes enrichis au public. En outre, il existe une interaction entre le type d’établissement et le genre et la langue maternelle de l’élève. Autrement dit, l’influence du premier varie en fonction des seconds et vice versa.

Tableau 5

Répartition des répondants selon la scolarité des parents et le type d’établissement secondaire fréquenté (%)

Répartition des répondants selon la scolarité des parents et le type d’établissement secondaire fréquenté (%)

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5. Discussion

Au Québec, le caractère de stratification inter- et intra-établissement de la structure du marché scolaire au niveau secondaire constitue un facteur important de la reproduction sociale des inégalités dans l’enseignement postsecondaire. En nous basant sur les études antérieures (voir par exemple, Felouzis, 2009, Felouzis et Perroton, 2007a, 2007b ; Jekins, Micklewright, et Schnepf, 2008), trois pistes interprétatives nous paraissent pouvoir être avancées. La première réfère aux différences de qualité de la formation entre les différents types d’établissements ou de programmes de formation auxquels les élèves ont accès. Par ailleurs, comme le montrent une synthèse des écrits proposée par Rompré (2015) et l’analyse du Conseil supérieur de l’éducation (2007, 2016), cette différenciation serait accompagnée de ségrégations cachées au niveau de l’encadrement. Les enseignants et les directions d’établissement auraient tendance à ajuster le niveau d’attentes et d’exigences vis-à-vis des élèves selon qu’ils ont confiance ou non que ces derniers pourront y répondre. Ainsi, dans le cas des établissements privés ou des programmes enrichis au public, ces attentes et exigences seraient rehaussées, alors que le mouvement pourrait être plutôt inversé dans le cas des élèves inscrits dans un établissement public n’offrant que des programmes réguliers afin d’accroitre les chances de réussite et de composer avec l’incertitude.

La stratification du marché scolaire aurait aussi comme effet une distribution inégale des ressources financières et pédagogiques entre les établissements et les classes. Dans le cas des filières de formation et des établissements sélectifs, les directions ont tendance à mobiliser davantage de ressources pédagogiques (technologies, bibliothèques, etc.), à organiser des activités scolaires et parascolaires (concours pour les prix, voyages, etc.) pour rehausser le niveau des élèves forts sur le plan des connaissances, de la culture et des aspirations (Draelants, 2013). Or, bien que peu documentées et non reconnues officiellement, de telles inégalités entre les établissements existent bel et bien au Québec (Karsenti et Collin, 2013). Les inégalités d’accès à l’enseignement postsecondaire pourraient être aussi associées aux différences de culture institutionnelle. Plus les attentes vis-à-vis les élèves sont élevées, plus des stratégies et des ressources sont déployées pour rendre le climat de travail propice à l’apprentissage et à la réussite (Bryk et Lee, 1992 ; Dronkers et Robert, 2008).

La deuxième piste a trait aux différences d’expérience scolaire. La stratification des établissements et la hiérarchisation des classes en fonction des niveaux des programmes enseignés produisent des effets sur l’expérience sociale et scolaire des élèves (Felouzis, 2009). Ainsi, par le fait qu’ils aient été sélectionnés, les élèves inscrits dans les établissements privés ou dans des programmes enrichis au public développeraient un sentiment de confiance les poussant à maintenir un niveau élevé de performance et d’aspirations scolaires et professionnelles. Autrement dit, fréquenter une école privée ou une classe enrichie serait ressenti comme une forme de mérite, de reconnaissance des habiletés à réussir et à faire preuve d’excellence ; à son tour, ce sentiment nourrirait la confiance en soi et l’engagement scolaire : « En termes concrets, la concurrence participe au développement de comportements de consommateurs opérant un processus de concentration des meilleurs élèves dans ce qu’ils perçoivent comme les meilleurs établissements et les meilleures classes » (Hurteau et Duclos, 2017, p. 7). Comme le souligne Teese (1998), la sélection des élèves et la stratification des classes ou des établissements créent et entretiennent une culture d’élitisme et de hiérarchie sociale chez les élèves eux-mêmes.

La troisième piste d’interprétation a trait à la composition sociale et scolaire du groupe d’élèves qui fréquentent une école (Dronker et Robert, 2008). Une abondante littérature internationale citée dans la section dédiée au cadre d’analyse (voir par exemple, Dumay et Dupriez, 2012 ; Dumay, Dupriez et Maroy, 2011 ; Felouzis et Perroton, 2007a ; Lubienski, Gulusino et Weitzfel, 2009) montre que la concurrence entre les établissements et la hiérarchisation des classes tend à favoriser la polarisation des élèves selon leur niveau de performance scolaire et leur origine sociale. Il s’ensuit une homogénéisation des expériences scolaires par les influences mutuelles entre pairs par le jeu d’aspirations scolaires, d’engagement dans les études et de valorisation de la réussite et de la persévérance aux études (Gaztambide-Fernández et Parekh, 2017). Or, tout indique que le Québec n’échappe pas à la règle (Hurteau et Duclos, 2017 ; Larose, 2016). Il y a donc lieu de soutenir l’hypothèse que les élèves du privé et du public enrichi maintiennent un niveau élevé de performance et d’aspirations scolaires grâce aux interactions avec les pairs, à la culture de concurrence et de collaboration existant au sein de l’établissement.

En somme, l’effet du marché scolaire sur la (re)production sociale s’effectuerait par la différenciation de la formation cognitive et non cognitive, des ressources mobilisées, ainsi que par les influences mutuelles entre pairs et, plus largement, par la qualité de l’environnement institutionnel ; bref ce que l’on peut qualifier d’effet établissement (Draelants, 2013). Les pratiques de marché scolaire profiteraient davantage aux familles nanties en capital culturel, social et économique, c’est-à-dire les familles les mieux informées sur les choix stratégiques et disposant de relations sociales et d’assez de ressources financières pour tirer profit de la situation (Felouzis et Perrothon, 2007a ; Hurteau et Duclos, 2017 ; Van De Werfhorst, Sullivan et Cheung, 2003).

6. Conclusion

Cet article montre que la persistance de la reproduction sociale des inégalités d’accès aux études postsecondaires au Québec s’effectue en partie par le biais de la stratification du marché scolaire au niveau de l’enseignement secondaire. Les résultats de l’analyse mettent en évidence trois constats principaux suivants. Premièrement, l’influence de l’origine sociale s’opère en grande partie par la médiation du type d’établissement fréquenté et de programmes de formation à l’intérieur de l’établissement. En aval, l’analyse révèle que les élèves inscrits dans un établissement privé ou public offrant des programmes enrichis accèdent aux études collégiales et universitaires dans une proportion nettement plus élevée que leurs pairs ayant seulement suivi des programmes réguliers dans un établissement public. En amont, les analyses supplémentaires révèlent que la probabilité de fréquenter un établissement privé ou public avec programmes enrichis est fortement corrélée avec l’origine sociale de l’élève (niveau de scolarité et revenu des parents). Deuxièmement, l’influence de la stratification inter- et intra-établissement s’opère elle-même par l’intermédiaire des inégalités de performances et d’aspirations scolaires et professionnelles caractérisant les élèves. Comme ailleurs, le choix et la concurrence en milieu scolaire au Québec sont donc devenus des instruments de ségrégation (Ball, 2002 ; Van Zanten, 2004, 2009).

Bien qu’elles constituent une condition essentielle à l’égalité des chances, l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que la régionalisation de l’enseignement postsecondaire instituée après la mise en oeuvre de la réforme Parent n’ont pas suffi à rendre démocratique le système éducatif. La reproduction sociale des inégalités scolaires dans l’enseignement postsecondaire se maintient en raison de l’expansion des pratiques de marché promues par les politiques publiques depuis les années 1990, malgré les prétentions contraires de leurs promoteurs de l’époque. Deux principes favorisant l’homogénéisation sociale et scolaire des élèves se conjuguent à l’intérieur de ce marché : le droit des parents à choisir l’école pour leurs enfants et la liberté des établissements à sélectionner, classer et regrouper les élèves en fonction de leurs performances scolaires (Hurteau et Duclos, 2017). Dès lors que cette homogénéisation est suivie d’une offre d’enseignement inégal et de ségrégation scolaire et sociale, elle donne lieu à une stratification inter- et intra-établissements qui joue le rôle d’un instrument de reproduction sociale, car les élèves sont prédisposés à un avenir scolaire et professionnel inégal (Felouzis, 2014).

Dans un contexte où la socialisation et les ressources familiales ne suffisent pas à assurer la reproduction sociale, diverses stratégies de choix d’établissement et de concurrence servent à ces parents d’outils de mise à jour et d’adaptation du capital culturel sous la forme de compétences comportementales et cognitives :

Dans la mesure où les familles sont incapables de contrôler de bout en bout la socialisation de leurs enfants et comme la rentabilité de la transmission culturelle devient incertaine, on observe une évolution dans la façon dont les parents des classes moyennes et supérieures vont tenter de reproduire leur statut social. Au-delà même du développement d’un rapport de plus en plus réflexif et stratégique aux pratiques de socialisation culturelle, cognitive, linguistique, s’élaborent de nouvelles stratégies dans lesquelles le capital culturel n’est pas absent, mais voit sa place et son rôle modifiés.

Draelants et Ballatore, 2014, p. 128

Suivant la logique de la théorie de la reproduction développée par Bourdieu et Passeron (1970), les pratiques de marché en éducation contribuent ainsi au renouvèlement du capital culturel en cela qu’elles accordent indirectement aux parents de classes moyennes et supérieures le pouvoir de contrôle sur le système éducatif (Draelants et Ballatore, 2014). La présente étude n’a cependant examiné que deux facteurs en lien avec le marché scolaire : le choix de l’établissement et la différenciation des programmes d’enseignement. Sur le plan non cognitif, il serait entre autres intéressant d’étudier l’effet des interactions entre les élèves, entre ces derniers et le personnel de l’école (par exemple, les enseignants ou conseillers en orientation), des différences de diverses ressources et de la qualité de l’environnement institutionnel. En outre, la présente étude n’a abordé qu’un aspect d’inégalités aux études postsecondaires : celle de l’accès. Des recherches ultérieures pourraient analyser d’autres aspects, notamment le domaine d’études et la persévérance jusqu’à l’obtention du diplôme.