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Dans ce second tome, le journaliste et ex-politicien Pierre Duchesne rend avant tout compte de la vie professionnelle de Guy Rocher qui a maintenant 98 ans. Il nous fait découvrir l’universitaire, le serviteur de l’État et quelques éléments de sa vie privée.

Le récit se déploie en 34 chapitres. Mais il accorde une place importante à la Commission royale d’enquête sur l’enseignement (la Commission Parent). Car c’est elle qui a « fait de Guy Rocher un personnage public pour le reste de sa longue vie » (p. 9). Néanmoins, les premiers chapitres portent plus sur le contenu du rapport que sur le rôle qu’il y a joué.

Rocher y fait par ailleurs des confidences sur le « blocage » qu’ont vécu les membres de la commission à propos de la confessionnalité scolaire. La décennie 60 voit en effet émerger le thème de la laïcité, la sécularisation s’accélère, tandis que le pouvoir de l’épiscopat demeure encore fort. Le conflit au sein de la commission est devenu paralysant. Aussi, un médiateur est venu débloquer le conflit. Le débat sur la confessionnalité s’est porté aujourd’hui sur celui de la laïcité. D’ailleurs, Rocher y participe encore activement. L’auteur consacre deux chapitres à ce thème.

On doit encore à Rocher les premiers travaux sur la création d’une nouvelle université à Montréal. Ce projet va s’élargir au projet de créer l’Université du Québec.

Le troisième et important mandat d’État qu’a reçu Rocher a trait à la politique linguistique du Parti québécois en 1976. Camille Laurent le mandate, lui et Fernand Dumont, pour élaborer une nouvelle politique linguistique. C’est lui qui va proposer le critère de la fréquentation scolaire en anglais des parents pour permettre à leurs enfants de fréquenter l’école anglaise au Québec. La formule, raconte-t-il, lui en avait été informellement suggérée par une de ses filles !

L’autre volet de cette biographie porte sur la carrière du professeur pendant laquelle il fut beaucoup dérangé par les commandes de l’État. Un élément marquant de cette carrière a été la publication en 1969 de son Introduction à la sociologie générale. Cet ouvrage mondialement connu est marquant à la fois par ses assises théoriques empruntées en particulier à son maitre Talcott Parsons de Harvard et par sa grande clarté.

Duchesne nous livre des informations intéressantes sur les débats idéologiques au sein de la faculté des sciences sociales où il a vécu une certaine marginalité professionnelle. Rocher se présente comme un « réformateur » alors que d’autres sont tenants du marxisme. On lui doit encore dans la dernière ligne droite de sa carrière la formulation d’une sociologie du droit au sein du Centre de recherche en droit public, où on lui a fait aussi la vie dure.

La carrière du professeur est marquée aussi par les appels à s’engager dans l’administration universitaire, notamment au rectorat, et qu’il a repoussés pour mieux pratiquer ce qu’il aimait avant tout : l’enseignement. Il n’a toutefois pas résisté en 1969 à l’invitation de présider le Conseil des arts du Canada. Mais il a décliné celle, insistante, de Robert Bourassa à se porter candidat pour le Parti libéral.

Enfin, les pages relatives à sa vie personnelle et familiale sont empreintes de retenue. La famille compte quatre filles dont l’une est morte accidentellement, laissant son père dans une grande affliction. Ces pages projettent l’image d’une jeune famille heureuse, animée par la foi chrétienne. Le récit du voyage en Californie où Rocher ira avec les siens poursuivre en 1969 « une retraite intellectuelle » est fort sympathique. Néanmoins, le mari quittera Suzanne Cloutier après 25 ans de vie commune pour une nouvelle compagne qu’il délaissera aussi. Il épousera finalement, en 1986, Mme Marie-Claire Depocas.

Enfin, le dernier élément biographique important est la prise de distance définitive avec l’Église que prend Rocher et l’abandon de la foi chrétienne.

Éléments critiques

Cette biographie repose sur une abondance de sources diversifiées qui en assurent la solidité. D’abord Duchesne a eu accès au fonds d’archives de Rocher conservé à l’Université de Montréal. Il s’appuie aussi sur de multiples entrevues avec des témoins de sa carrière. Il en découle une biographie étoffée qui rend justice au personnage. Les lecteurs et lectrices en apprendront beaucoup tant sur lui que sur les débats majeurs des 50 dernières années.

Cela dit, on aurait aimé que les premiers chapitres sur la Commission Parent portent davantage sur le rôle que Rocher y a joué. Ils nous sont déjà bien connus par les ouvrages de Paul Gérin-Lajoie, Arthur Tremblay, Mario Cardinal et par des témoignages antérieurs des membres de la Commission et que cite d’ailleurs l’auteur.

Il fait aussi grand cas de la trouvaille de Rocher concernant le critère de l’admissibilité à l’enseignement en anglais. Pour feu Jean-Claude Corbeil, c’est là « la contribution la plus importante de Rocher à l’endroit de la politique linguistique ». C’est vrai. Mais Duchesne aurait pu savoir que l’Association québécoise des professeurs de français avait déjà publiquement proposé cette même formule en 1969. C’était connu et publié. À sa décharge, Rocher l’ignorait en 1977 parce qu’elle était tombée dans l’oubli.

L’ouvrage compte plusieurs réflexions et constats pertinents sur le catholicisme québécois. On comprend aisément que les positions de l’Église sont problématiques. Mais sur l’évolution des convictions de foi de Rocher, on reste sur sa faim. Comment l’ancien militant de la Jeunesse étudiante chrétienne, le père de famille chrétien, est-il devenu agnostique ? Duchesne se contente d’écrire « que sa foi semble atteinte d’un questionnement incurable » (p. 196).

Signalons enfin deux erreurs de fait. Duchesne fait de M. Germain Gauthier, un ancien président du Conseil supérieur de l’éducation. Ce n’est pas le cas. Il fait aussi de Daniel Weinstock, professeur à la faculté de droit de McGill, « le rédacteur principal du rapport Bouchard-Taylor » (p. 582). Vérification faite, c’est inexact.