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C’est un honneur et un plaisir pour moi de vous souhaiter la bienvenue et de vous adresser quelques mots pour l’ouverture de ce colloque organisé afin de souligner les vingt ans de la Revue des Sciences de l’Eau.

Peu de ceux qui étaient là à l’origine pouvaient s’imaginer que nous nous rendrions jusque là. Il s’en passe des choses en vingt ans et il me sera difficile de toutes les souligner; je ne m’en tiendrai donc qu’à l’essentiel.

Pour les plus jeunes d’entre nous, permettez-moi de rappeler que la Revue des Sciences de l’Eau résulte de la fusion d’une revue québécoise et d’une revue française. La revue française, Sciences de l’Eau, dont la direction scientifique était assurée par le GIS des sciences de l’eau (regroupement de quatre associations scientifiques auxquelles s’est ajoutée l’ORSTOM en 1992) et qui était éditée par Lavoisier, et la revue québécoise, Revue Internationale des Sciences de l’Eau créée en 1985, qui était financée par l’AQTE, et dont la direction scientifique était assurée par le professeur Bernard Bobée de l’INRS-Eau.

En passant, pour la petite histoire, je me rappelle ce jour de 1983 où Bernard Bobée est arrivé dans mon bureau et qu’il m’a dit « Arnold Drapeau quitte la revue Eau du Québec. L’AQTE abandonne la publication d’articles scientifiques pour publier des articles plus techniques. Cette revue va mourir, il faudrait qu’on prenne ça en main ». Je lui ai dit « c’est une excellente idée, tu devrais t’en occuper ». Ainsi est née en 1985 la Revue Internationale des Sciences de l’Eau. Cette revue reprenait donc la partie scientifique qu’avait abandonnée l’AQTE.

Je reviens à la fusion des deux revues. Cette fusion, effectuée en 1988, a permis le regroupement des deux équipes. Elle a eu pour principaux avantages de renforcer et d’élargir l’équipe éditoriale en permettant de couvrir tout le champ des sciences de l’eau, la partie française étant davantage dédiée aux aspects chimiques et biologiques, alors que la partie québécoise s’en tenait plus aux aspects quantitatifs de l’eau. Elle a également permis de favoriser l’éclosion d’une revue de haut niveau scientifique en attirant les articles de scientifiques francophones parmi les meilleurs. Elle a permis aussi de tirer parti de l’expérience et de la réputation de l’éditeur scientifique Lavoisier, spécialisé dans l’édition et la distribution d’ouvrages scientifiques, particulièrement dans le domaine des sciences de l’eau. Elle a eu finalement comme conséquence d’élargir le bassin des lecteurs en regroupant les banques d’abonnés des deux revues.

L’originalité de la Revue des Sciences de l’Eau découle des intentions et des volontés qui ont guidé et permis le regroupement de deux revues. Ce sont les objectifs établis à cette occasion qui traduisent encore le mieux les intentions de la direction actuelle de la Revue. Ces objectifs sont, entre autres, de faire de la Revue des Sciences de l’Eau un véhicule de publication scientifique francophone ayant une reconnaissance internationale égale à celle des meilleures revues anglophones du domaine. Elle veut aussi donner aux francophones, et particulièrement aux québécois oeuvrant en sciences de l’eau, l’occasion et le moyen de publier en français des travaux scientifiques de haut niveau dans une revue ayant une diffusion internationale.

Ce regroupement des deux revues a assuré la spécificité de la Revue des Sciences de l’Eau. En effet, il s’agissait de la seule revue scientifique francophone couvrant l’ensemble des disciplines des sciences de l’eau (hydrologie, météorologie, biologie, chimie, écologie, toxicologie, environnement, assainissement, gestion des ressources en eau, etc.).

La Revue des Sciences de l’Eau présente aussi la caractéristique de vouloir rejoindre tous les scientifiques francophones (lecteurs et auteurs) oeuvrant aussi bien en Europe que dans les Amériques et en Afrique. I1 s’agit encore aujourd’hui de la seule revue du domaine des sciences de l’eau existant dans le monde francophone et la seule couvrant un aussi large éventail de disciplines au niveau international.

Les objectifs qui ont été fixés à l’origine demeurent encore les mêmes aujourd’hui. La volonté de réaliser une revue essentiellement francophone exprimée par les fondateurs de la Revue en 1988 reste encore aujourd’hui l’objectif primordial des gestionnaires de la Revue.

Pour atteindre ses objectifs de qualité et de reconnaissance internationale, les fondateurs ont mis sur pied un système rigoureux pour l’instruction des manuscrits et ils ont créé un Comité de direction, un Comité de direction scientifique et un Conseil scientifique, chacun ayant un objectif particulier. Le Conseil scientifique, composé de scientifiques francophones reconnus de par le monde, a pour rôle d’évaluer le contenu de la Revue et la qualité des articles qui y sont publiés. Il s’agit donc d’un comité de surveillance du niveau scientifique de la Revue. Le Comité de direction assure la gestion administrative de la Revue alors que le Comité de direction scientifique voit à l’évaluation des articles. Ce sont des comités paritaires franco-québécois. Au cours des vingt dernières années, ces comités ont pleinement joué leur rôle et continuent à le faire.

Ce ne sont ni les embûches ni les efforts qui ont manqué tout au long de ces années pour réussir à faire vivre cette revue. Si on peut aujourd’hui fêter ses vingt ans d’existence, cette réussite, on la doit essentiellement à l’implication d’une poignée de scientifiques qui ont cru à l’importance d’une revue scientifique de calibre international écrite dans la langue de Molière, la vôtre et la mienne.

Je ne ferai pas ici la liste exhaustive des difficultés auxquelles nous avons dû faire face pour que la Revue survive au cours de ces vingt dernières années. Cependant, je me dois d’en souligner quelques-unes : la langue d’édition, le financement, les relations avec l’éditeur, les promesses non toujours tenues, les contraintes fixées par les organismes officiels, etc.

Parlons d’abord du financement : le coût annuel pour la réalisation de la Revue, en excluant le temps des bénévoles et les coûts de publication financés par Lavoisier, a toujours oscillé entre 75 000 et 100 000 $ par an. Les sources de financement de 1988 à 1992 furent la coopération franco-québécoise (10 000 $), les fonds québécois pour la recherche (22 000 $), et le GIS (30 000 $). Les revenus d’abonnement étant réservés à Lavoisier pour assurer la publication et la distribution, la différence a été financée par les professeurs et les chercheurs impliqués dans la Revue.

Ces subventions n’étaient cependant pas sans condition : pour la coopération franco-québécoise, on exigeait au début qu’il n’y ait pas un mot d’anglais dans la Revue. Ce qui explique, entre autres et en grande partie, nos échecs consécutifs à faire reconnaître la Revue par « Current Contents ». En 1990, on a officieusement obtenu l’accord du MAI pour les sous-titres anglais et un maximum de 20 % d’articles en anglais. Le problème technique de la langue de publication fut réglé en 1992 où il fut décidé d’accepter un maximum de deux articles en anglais par numéro accompagnés d’un long résumé en français. Cette décision a fait des vagues et certains membres du Conseil scientifique de la Revue ont même démissionné. Je vous dirais cependant que cette discussion sur la langue n’est pas encore totalement réglée, certains ont l’épiderme très sensible quand il s’agit de la langue française, et je ne leur donne pas nécessairement tort.

Le Comité de direction scientifique se réunissait au début deux fois par année, une fois en France et une autre fois au Québec. Pour aider à financer ces déplacements, nous avons reçu, de 1988 à 1992, un financement d’environ 10 000 $ par an de la Coopération franco-québécoise. Comme contrainte, jusqu’en 1990, la Revue n’avait pas le droit d’utiliser la langue anglaise pour publier des articles. À partir de 2000, nous avons dû autofinancer à même nos fonds de chercheurs ces rencontres, ce qui a fait qu’en 2002, les réunions du Comité de direction scientifique n’avaient lieu qu’une seule fois par année. Pour le secrétariat québécois, le financement était assuré en partie par le FCAR, qui est devenu le FQRNT, et par la suite le FQRSC. Nous avons reçu un financement de 24 000 $ de 1990 à 1995 et de 22 000 $ de 1996 à 2005. En 2002, une nouvelle contrainte, le financement du FQRSC, a été liée à l’édition électronique de la Revue. Pour que nous puissions obtenir le financement, il fallait éditer la Revue de façon électronique et la subvention est passée à 14 000 $ pour la réalisation de la Revue et à 8 000 $ pour l’édition électronique. Puis, l’année dernière, nous apprenions que le FQRSC ne financerait plus la Revue. La partie financée par le GIS des Sciences de l’Eau, quant à elle, venait des cotisations de ses membres. C’est donc certains membres du Comité de direction et du Comité de direction scientifique qui assumaient le manque à gagner de la Revue. Je me dois de les remercier des efforts financiers qu’ils ont faits tout au cours de ces années pour assurer la survie de la Revue des Sciences de l’Eau.

Les relations avec l’éditeur

Au début de la Revue, nous avons eu une aide financière indirecte de l’AQTE qui gérait les abonnements au Québec. En 1996, l’AQTE a abandonné son rôle dans la Revue et c’est le Centre de documentation de l’INRS-Eau qui a pris la relève jusqu’à tout dernièrement.

Une problématique qui a miné les efforts de la Revue depuis son origine, malgré nos relations harmonieuses avec Lavoisier, a été liée à la régularité de l’édition de la Revue. Il faut comprendre que, pour Lavoisier, et selon ce qu’ils nous disaient, cette Revue constituait plus une dépense et une vitrine qu’un investissement. En 2000, lorsque nous avons voulu discuter de l’édition électronique, il s’est agi de la part de Lavoisier pratiquement d’une fin de non recevoir. Ce sont ces difficultés qui ont conduit à la rupture avec l’éditeur et au rachat des droits de la Revue par l’INRS et le GIS des Sciences de l’Eau. Ce rachat a d’ailleurs conduit, en février 2006, à la création de la compagnie RSE Inc. qui gère maintenant les intérêts de la Revue. Vous en parlerez avec nos collègues français; ce fut presque un cauchemar administratif dont on peut rire maintenant. Je terminerai mes remarques sur les difficultés en vous citant un grand chercheur de l’INRS-Eau. Il y a une dizaine d’années, alors que nous avions des difficultés à combler le nombre d’articles pour compléter un numéro, je m’adressais à ce grand chercheur de l’INRS en lui demandant s’il aurait la gentillesse de nous soumettre un article. Je vous cite sa réponse : « Je n’ai pas de temps à perdre avec cette Revue et je n’ai surtout pas les moyens de gaspiller un article… ». Imaginez-vous ma réaction et quelle estime je peux avoir pour un collègue qui me répond de cette façon alors que trois ou quatre de ses propres collègues se défoncent pour faire survivre cette Revue.

Je ne pourrais pas terminer ce petit résumé de l’historique de la Revue sans vous donner quelques statistiques. Au cours de ces vingt années, nous avons publié 631 articles. La publication de ces articles implique nous nous avons reçu 1 485 articles à évaluer dont 854 ont été rejetés après évaluation (i.e. 57 %). Selon la politique de révision de la Revue, ceci signifie que 4 500 révisions d’articles ont été effectuées. On en déduit aussi que 1 900 auteurs ou coauteurs ont publié dans la Revue des Sciences de l’Eau. Vous vous imaginez la quantité de travail pour les secrétariats de la Revue. Je me permets donc de souligner ici le travail exceptionnel qu’a réalisé Mme Diane Tremblay depuis 1998 qu’elle gère ce secrétariat.

Si la Revue a su maintenir de hauts standards de qualité et franchir toutes les difficultés et embûches auxquelles elle a dû faire face au cours des vingt dernières années, c’est grâce à la contribution exceptionnelle de ceux qui ont participé aux différents comités de la Revue, c’est-à-dire le Conseil scientifique, le Comité de direction, le Comité de direction scientifique et le Comité de promotion de la Revue.

En terminant, je me dois d’attribuer quelques étoiles à certains qui ont contribué au succès de la Revue et je ne pourrais terminer ce petit historique sans le souligner. D’abord, Bernard Bobée qui a été fondateur de la Revue et qui a fait partie de tous les comités depuis son origine, ce qui fait maintenant vingt ans. Ghislain de Marsily, Jacques Delleur et Pierre Payment, qui participent au Conseil scientifique de la Revue, et qui eux aussi sont là depuis le début. Peter Campbell, qui est membre du Comité de direction scientifique depuis quinze ans, Jacques Sircoulon depuis treize ans, et moi-même, qui agit au sein de la Revue depuis vingt ans.

En terminant, la Revue ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui et n’aurait pas survécu aux différentes embûches auxquelles elle a dû faire face au cours de ces vingt années sans l’ampleur du bénévolat dont elle a heureusement bénéficié.

Merci à tous ceux qui ont participé aux différents comités de la Revue et merci à ceux qui ont bien voulu agir à titre d’évaluateurs. Merci également à tous ceux qui ont montré qu’ils croyaient à l’importance de cette revue francophone en publiant dans la Revue des Sciences de l’Eau.

Longue vie à la Revue des Sciences de l’Eau !