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1. Introduction

Les procédés les plus courants pour le dessalement de l’eau de mer sont la distillation et les séparations par membranes (MAUREL, 2006; PONTIE et al., 1998). Parmi les procédés de séparation membranaire, l’osmose inverse (OI) est un procédé récent qui répond aux contraintes de coûts et de productivité des sites isolés. Près de la moitié de l’eau de boisson produite dans le monde à partir d’eaux salées (de mer ou saumâtre) est produite par OI (MAUREL, 2006).

Selon le rapport 2008 de l’International Desalination Association (IDA, 2008), la production mondiale d’eau dessalée a progressé de 11 % entre 2006 et 2007. Au 30 juin 2008, elle atteignait 52 Mm3•jr-1, soit un doublement par rapport à 2000. Ce volume produit pourrait permettre d’assurer un approvisionnement quotidien d’eau douce suffisant à tous les habitants de la planète. Toutefois, cette eau est produite essentiellement pour l’agriculture et l’industrie (IDA, 2008). Une demande de plus en plus grande se fait toutefois sentir surtout de la part des pays en zones arides, comme la Mauritanie qui, étant situé dans une zone géographique saharienne, est un pays qui à terme sera fortement déficitaire en eau de boisson (DIA, 2006). De plus, la population se concentrant à Nouakchott la capitale (800 000 habitants pour une population totale en Mauritanie de trois millions), les ressources locales à terme seront insuffisantes.

Peu gourmand en énergie, le procédé OI reste très performant. De plus, il permet de proposer des installations modulaires à un faible coût d’investissement. Toutefois, à l’usage, dans les conditions de la Mauritanie, les membranes sont soumises, en l’absence de pré-traitement, à un colmatage accéléré ou, s’il y en a, ils sont souvent très sommaires, induit une durée de vie des membranes qui n’excède alors pas trois ans.

Il est donc nécessaire d’étudier le phénomène d’usure de la membrane afin de prolonger sa durée de vie et donc réduire les coûts de production d’eau de boisson, économie qui se répercutera sur la facture du consommateur. La voie explorée ici est l’autopsie de la membrane usagée ne répondant plus aux critères de qualité pour la préparation d’une eau potable en suivant la méthodologie décrite par PONTIE et al. (2005, 2007), ceci afin d’envisager une seconde vie de la membrane usée d’OI, tel qu’il est rapporté par VEZA et RODRIGUEZ-GONZALEZ (2003) et, plus récemment, par AL AMOUDI et FAROOQUE (2005), en lieu et place de l’incinération.

Nos travaux ont porté sur l’autopsie d’une membrane OI usée, prélevée à Teichitt en Mauritanie, au nord-ouest de Nouakchott. Il s’agit là d’une démarche innovante qui a pour but d’accompagner la recherche de l’origine de la dégradation de la membrane par la mise en oeuvre d’outils d’autopsie de la membrane usagée en comparaison avec une membrane de référence neuve.

2. Matériel et méthodes

2.1 Membrane

Les membranes d’OI provenaient d’une petite unité de dessalement d’eau de mer de Teichitt (Mauritanie) pouvant produire 12 m3•jr-1 et installée par la coopération canarienne au début des années 2000. Cette unité a été installée afin de subvenir aux besoins en eau de boisson des pêcheurs imraguens du Parc National du Banc d’Arguin. Les membranes qui équipent le pilote sont de types composite, asymétrique et montées dans un module spiralé. Elles possèdent une dénomination commerciale SWHR30 et sont fournies par la société Dow (USA). Elles sont constituées d’une couche active de 0,3 à 3 µm d’épaisseur de polyamide reposant sur une sous-couche en polysulfone. Les membranes neuves ont été fournies par la société Dow–Filmtec (USA). Ces dernières ont été déconditionnées pendant 12 h dans de l’eau ultrapure, puis rincées abondamment et stockées moins de 48 h au frigo à 4 °C. Les échantillons de membranes usées ont subi le même traitement.

Durant les travaux, plusieurs échantillons issus de zones différentes du module ont été étudiés, les échantillons appelés A et B, sont issus de la membrane 1, la plus à l’extérieur du module (Figure 1).

Figure 1

Schéma du pilote de laboratoire et vue de profil du module spiralé d’OI

Bench scale pilot design and RO spiral wound module design.

Schéma du pilote de laboratoire et vue de profil du module spiralé d’OI

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D’autre part, une feuille de membrane entière prise au centre du module (membrane 3 sur la figure 1) a permis d’effectuer une étude statistique sur six échantillons prélevés sur cette membrane la plus interne du module.

La chute des performances de la membrane à l’eau de mer a conduit à réaliser une étude d’autopsie. Ainsi, après quelques mois d’utilisation, la salinité dans le perméat s’est avérée très proche de la limite de 1 g•L-1 recommandée par l’OMS en 2006, avec 0,82 g•L-1. Cette valeur correspondait à une rétention de seulement 97,8 %, alors que le fabricant de la membrane préconisait pour une eau de mer et une membrane fonctionnelle une rétention nominale de 99,7 %, avec un minimum à 99,6 %.

2.2 Détermination des perméabilités hydrauliques et de rétention des sels

Afin de déterminer la perméabilité hydraulique, une unité d’OI de laboratoire est utilisée. Ses principaux constituants, rapportés sur la figure 1, sont :

  • Un module GE Osmonics plan;

  • Une membrane d’OI plane placée dans le module de surface géométrique 138 cm2;

  • Une pompe haute pression;

  • Un réservoir d’alimentation d’une capacité de 5 L.

Le module utilisé au laboratoire est de type plan. Il permet de travailler avec une surface de membrane de 138 cm2. Le module spiralé a été démonté et les membranes découpées de manière à les adapter au module plan de laboratoire.

La pompe utilisée est une pompe Wanner haute pression (jusqu’à 70 bars) de type GO3. La vitesse moyenne de circulation à la surface de la membrane a été fixée à 0,3 m•s-1 avec le variateur de vitesse, ainsi un écoulement tangentiel a lieu à la surface de la membrane et avec un nombre de Reynolds moyen de 400; cet écoulement tangentiel est laminaire.

Les pressions mises en jeu variaient de 0 à 25 bars et deux types d’eau ont été employés : de l’eau ultrapure EUP UV-UF (Elga, France) de pH 6,5 et de conductivité 1 µS•cm-1 et une solution synthétique de NaCl à 6 g•L-1 préparée à partir d’eau ultrapure et de NaCl (Aldrich, France) de qualité analytique.

Le pilote de laboratoire était le même que pour la détermination des perméabilités hydrauliques. Un conductimètre (Cond 315i de la marque WTW avec une cellule de conductivité TetraCon®325) permettait de mesurer les conductivités des solutions de perméat et de concentrat, à la température ambiante de 20 C. La conductivité du perméat a été mesurée à chaque pression. Le taux de rétention (noté R) a été calculé à partir de la relation (1) :

avec :Xp, la conductivité du perméat, et Xo, la conductivité de l’eau d’alimentation (microS•cm-1).

Les valeurs de R ont été calculées à partir des mesures de conductivité du perméat et de l’alimentation. Le taux de conversion est de 1 %. Pour remonter aux valeurs des concentrations dans le perméat à partir des valeurs de R, il suffit de remplacer Xo par sa valeur en concentration : la conductivité Xo est de 7 900 µS•cm-1 à 20 °C, ce qui correspond à une concentration massique en NaCl de 6 g•L-1 (ou 0,1 mol•L-1). Connaissant R et Co, il est possible d’en déduire Cp.

2.3 Détermination du point isoélectrique

Le point isoélectrique (PIE) est déduit de mesures du coefficient de potentiel d’écoulement transmembranaire réalisées à l’aide d’un montage mis au point dans le laboratoire GEPEA-UMR CNRS 6144 (France) et décrit par THEKKEDATH et al. (2007). Il faut savoir que le coefficient de potentiel d’écoulement est directement proportionnel au potentiel zeta du matériau. Ainsi, la mesure réalisée donne directement accès à la connaissance de l’état de charge de surface des parois des pores de la membrane en raison du caractère transmembranaire des mesures effectuées. Le banc de mesure comprend une bouteille d’azote, une vanne de régulation de la pression, une cellule Amicon© de filtration de 4 cm3 de capacité et un millivoltmètre à haute impédance d’entrée relié à un ordinateur équipé du logiciel PROFLUID 3.00. Les solutions utilisées sont des solutions de KCl (10-3 mol•L-1) dont le pH est ajusté par des ajouts d’HCl à 0,1 mol•L-1. Le PIE est la valeur du pH où s’annule la charge de la membrane.

2.4 Mesures topographiques par microscopie à force atomique (AFM)

Le microscope à force atomique utilisé est un Thermomicroscope autoprobe CP-research (Veeco, Dourdan, France). Tous les échantillons ont été analysés en mode contact avec des leviers ULCT-AUMT-AB (pointe en nitrure de silicium), une vitesse de balayage de 1 Hz et une force d’appui de 10 nN. L’analyse topographique des images a consisté à déterminer la rugosité moyenne (notée Ra) des membranes neuves et usagées. Le traitement des images est effectué avec le logiciel SPMLab602 de VEECO, licence GA&P (Angers, France). La rugosité moyenne (notée Ra) obtenue par l’analyse des images est calculée par la relation (2). Ra est la rugosité moyenne, c’est-à-dire la valeur moyenne de la surface par rapport au plan centré. Le plan centré est un plan parallèle au plan de rugosité moyenne afin que les volumes délimités de part et d’autres soient égaux. La rugosité moyenne est calculée par :

où :

Lx et Ly sont les dimensions de la surface;

f(x,y) est la surface relative au plan centré;

la fenêtre d’analyse étudiée a été de 10 x 10 µm2.

2.5 Modèle convectif-diffusif et nombre de Peclet’ (Pe’)

La NF qui est située entre l’OI et l’UF présente un mécanisme de transfert de matière double qui combine à la fois le modèle de solubilisation-diffusion de l’OI et le modèle de convection pure de l’UF (MAUREL, 2006; SCHAEFER, 2004). En traçant l’évolution de la concentration dans le perméat (Cp) en fonction de l’inverse du flux de perméat ayant traversé la membrane, il est possible d’estimer la part convective de la part diffusionnelle du transfert, comme rapporté récemment par PONTIE et al. (2008) et, par là-même, de mettre en évidence une augmentation du flux convectif lors du vieillissement de la membrane. Si tel est le cas, cela pourrait permettre d’expliquer la dégradation de ses performances.

La valeur de la pente obtenue lors du tracé de Cp = f(1/Jv) avec Cp = la concentration dans le perméat en mg •L-1 et Jv = le flux de perméat en L•h‑1•m‑2, Jdiff. correspond à la valeur du flux de diffusion, et l’ordonnée à l’origine représente la part convective du transport du soluté. Ainsi, il est possible de définir un paramètre adimensionnel, le nombre de Peclet’ (noté Pe’) comme suit :

avec :

Jdiff. : le flux de diffusion en mg•h-1•m-2;

Cconv. : la concentration de convection en mg•L-1.

Si Pe’>1, le transfert est majoritairement convectif, si Pe’ < 1, le transfert est majoritairement régi par un mécanisme de solubilisation-diffusion et si Pe’ = 1, alors les transferts convectifs et diffusionnels se compensent.

3. Résultats et discussion

L’étude de l’état de vieillissement de la membrane usagée a consisté à mettre en oeuvre une démarche d’autopsie, suite à l’observation de changements dans les propriétés de filtration de la membrane d’OI installée deux années auparavant sur le site. Il a été notamment observé une chute brutale après deux années d’utilisation de la rétention de la salinité totale (passage de 99,7 % à 97,8 %). Ainsi, dans cette démarche de diagnostic, nous avons été amenés à étudier pour la membrane usagée, en référence au même type de membrane neuve, l’évolution des propriétés de productivité (perméabilité hydraulique) et d’efficacité (rétention de sels), mais également les modifications de la surface de la membrane (analyse topographique par AFM), les changements de mécanisme de transfert de sels, ainsi que la dégradation chimique par détermination de son point isoélectrique (PIE).

3.1 Perméabilités hydrauliques et pressions osmotiques

Pour mener à bien cette étude, nous avons d’abord utilisé un échantillon de membrane neuve. Les valeurs obtenues serviront de référence. La figure 2 présente l’évolution du flux de perméat en fonction de la différence de pression transmembranaire pour la membrane neuve, mais aussi pour deux échantillons de la membrane usagée, en présence d’une solution synthétique de NaCl à 6 g•L-1. Il s’agit de mesures de flux à l’eau salée pour des pressions allant de 0 à 30 bars. Trois séries de mesures ont été faites pour chacune des solutions et l’on compare ici la moyenne de chaque série. Les résultats obtenus montrent une évolution linéaire du flux de perméat conformément à la loi suivante (MAUREL, 2006) :

Figure 2

Comparaison des perméabilités hydrauliques de la membrane neuve et des échantillons A et B de Teichitt à l’eau saumâtre synthétique (6 g•L-1).

Comparison of water permeability of the new membrane and Teichitt membrane samples A and B with synthetic salt water (6 g•L-1).

Comparaison des perméabilités hydrauliques de la membrane neuve et des échantillons A et B de Teichitt à l’eau saumâtre synthétique (6 g•L-1).

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La pente des droites donne accès à la perméabilité hydraulique (notée Lp) des membranes. Pour la membrane neuve, elle est de 1,1 ± 0,2 L•h-1•m-2•bar-1, c’est un ordre de grandeur classique en OI. Cette valeur servira par la suite de référence pour déterminer l’usure de la membrane. De même, la valeur de la pente obtenue pour la membrane neuve à l’eau ultrapure est de 1,0 ± 0,2 L•h-1•m-2•bar-1, soit une valeur similaire à celle obtenue à l’eau salée.

Les deux morceaux de la membrane usagés prélevés sont notés A et B. Ils présentent tous les deux des valeurs de la perméabilité hydraulique supérieures à la membrane neuve avec 1,3 ± 0,2 et 1,4 ± 0,2 L•h-1•m-2•bar-1, respectivement.

La pression osmotique théorique de la solution de NaCl à 6 g•L-1 est de 4,8 bars. Sur l’axe des abscisses, on atteint cette valeur lorsque ∆P = 0 conformément à la relation (4). Il s’agit de la valeur de la pression à partir de laquelle le phénomène d’osmose inverse a lieu; la valeur expérimentale lue sur l’axe des abscisses de la figure 2 pour la membrane neuve est de 5 bars, ce qui est très proche de la valeur théorique de 4,5. Par contre, dans le cas des échantillons de la membrane usagée, il est possible d’observer une valeur plus faible de cette pression : pour l’échantillon A, la valeur est de 2,5 bars, alors que pour l’échantillon B, elle est de 2 bars. Cela est une preuve d’un passage de sels plus important et donc d’une diminution de la pression osmotique pour la membrane usagée.

La figure 3 permet de comparer les perméabilités hydrauliques de la membrane de Teichitt (échantillon A) entre l’eau distillée et une solution de NaCl à 6 g•L-1. Les perméabilités hydrauliques de l’eau et de la solution saline sont toutes les deux d’environ 1,3 ± 0,2 L•h-1•m-2•bar-1. L’obtention de deux droites parallèles nous permet de supposer que la membrane a gardé une partie de ses caractéristiques de l’OI. Typiquement, la pente en NF est plus faible à une eau saline qu’à l’eau pure, comme rapporté par PONTIE et al. (1998). Néanmoins, comme souligné précédemment, l’abaissement de la pression osmotique à 2,5 bars (en référence à la pression osmotique théorique de 4,8 bars) est en faveur d’une création de porosité.

Figure 3

Comparaison des perméabilités hydrauliques de l’échantillon A pour l’eau ultrapure et la solution de NaCl (6 g•L-1).

Comparison of water permeability of membrane sample A for ultrapure water and for a NaCl solution (6 g•L-1).

Comparaison des perméabilités hydrauliques de l’échantillon A pour l’eau ultrapure et la solution de NaCl (6 g•L-1).

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3.2 Rétention des sels

Le taux de rétention représente l’efficacité de rétention des sels par la membrane. Une membrane d’OI présente généralement un taux de rétention supérieur à 90 % et une membrane de NF typique présente un taux de rétention variable selon les conditions opératoires entre 20 % et 90 %.

Les taux de rétention observés des échantillons A et B avec la pression transmembranaire appliquée apparaissent sur la figure 4 nettement inférieurs à celui de la membrane neuve. Cela semble indiquer à nouveau qu’une dégradation de la membrane a eu lieu, ce que nous interprétons comme de la création de porosité à travers laquelle les sels peuvent passer, contrairement à l’OI qui est une membrane totalement dense.

Figure 4

Évolution du taux de rétention des sels de la membrane neuve et des échantillons A et B en fonction de la pression transmembranaire.

Evolution of the salt retention of the new membrane and of membrane samples A and B as a function of transmembrane pressure.

Évolution du taux de rétention des sels de la membrane neuve et des échantillons A et B en fonction de la pression transmembranaire.

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3.3 Évaluation du niveau de dégradation via un modèle de transfert convectif-diffusif

Pour confirmer la dégradation de la membrane et la création de porosités, on peut tracer l’évolution de la concentration dans le perméat en fonction de l’inverse du flux de perméat lorsqu’une solution à 6 g•L-1 de NaCl est filtrée, et ceci pour différentes pressions transmembranaires. La pente de chacune des droites obtenues (Figure 5) donne le flux diffusionnel et l’ordonnée à l’origine de la concentration présente dans le perméat mais ayant traversé la membrane selon un mécanisme de convection forcée à travers les porosités crées par le vieillissement. Pour la membrane d’OI neuve, l’ordonnée à l’origine est nulle, ce qui confirme le caractère de diffusion pure du transfert de matière en OI. Par contre, pour les échantillons A et B, l’ordonnée à l’origine est non nulle. Cela montre qu’une part convective s’est additionnée au transfert de matière par solubilisation-diffusion, à l’origine de la diminution du taux de rétention de sels de la membrane usagée.

Figure 5

Évolution de la concentration du perméat en fonction de l’inverse du flux de perméat.

Evolution of the permeate concentration as a function of the inverse of the flow of the permeate.

Évolution de la concentration du perméat en fonction de l’inverse du flux de perméat.

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À partir des données de Jdiff. et Cconv. obtenues graphiquement (Figure 5, Tableau 1), il est possible de calculer les valeurs du nombre de Peclet’ à partir de la définition donnée par la relation (3) pour chaque membrane et à chaque pression de travail. Les valeurs de Pe’ sont rapportées au tableau 2. Pour la membrane neuve, le nombre de Peclet’ est égal à zéro quelle que soit la pression, ce qui correspond bien au modèle classique de diffusion pure en OI. Pour les échantillons A et B, aux basses pressions, le modèle diffusif est prédominant. Par contre, au-delà de 20 bars, le phénomène de convection s’impose et la membrane perd ses caractéristiques de membrane d’OI et elle se rapproche des caractéristiques d’une membrane NF (PONTIE et al., 2008; SCHAEFER 2004).

Tableau 1

Flux diffusionnel et concentration de convection pour la membrane neuve et les échantillons A et B.

Diffusive flow and convective concentration for samples A and B and the unused membrane.

Flux diffusionnel et concentration de convection pour la membrane neuve et les échantillons A et B.

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Tableau 2

Évolution du nombre de Peclet’ (Pe’) en fonction de la pression pour la membrane neuve et les échantillons A et B.

Number of Peclet’ (Pe’) depending on the pressure for each samples A and B and the Peclet’ number (Pe’) depending on the pressure for samples A and B and the unused membrane.

Évolution du nombre de Peclet’ (Pe’) en fonction de la pression pour la membrane neuve et les échantillons A et B.

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Pour compléter ces résultats, des analyses topographiques réalisées par AFM des surfaces de la membrane neuve et de l’échantillon A ont été réalisées et rapportées sur la figure 6. Il apparaît un peu partout sur la surface de la membrane usagée des cavités de dimensions micrométriques (voir sur la figure 6 en bas) d’environ 5 µm de diamètre et qui pourraient expliquer les pertes de performances. Toutefois, il ne s’agit pas de trous ouverts mais de défauts visibles en surface car des trous de la taille du µm induiraient des chutes très importantes de la rétention et l’on tendrait alors davantage vers les propriétés d’une membrane de microfiltration, ce qui n’est pas encore le cas à ce stade du vieillissement de notre membrane. De plus, la rugosité de la membrane usagée est apparue supérieure (74 nm) à celle de la membrane neuve (54 nm). Il est possible d’attribuer cette différence à l’évolution de l’état de surface de la membrane, qui peut s’encrasser en se recouvrant de matières colmatantes (protéines, bactéries, acides humiques, etc.) mais aussi laisser apparaître des porosités. Pour les mettre en évidence, des analyses plus poussées seraient nécessaires, tel qu’il est rapporté récemment par HER et al. (2007).

Figure 6

Analyse topographique par AFM des membranes neuve et usagée (éch. A).

Topographical analysis of unused and old (sample A) membranes.

Analyse topographique par AFM des membranes neuve et usagée (éch. A).

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3.4 Déplacement de point isoélectrique (PIE)

Sur la figure 7 il est possible de suivre l’évolution du coefficient de potentiel d’écoulement avec le pH. Il apparaît pour la membrane neuve un PIE de 2,5 ± 0,2. Cela signifie qu’avant pH 2,5 la membrane est chargée positivement. Ces charges peuvent être attribuées à la présence d’ions spécifiquement adsorbés à la surface de la membrane (par ex. H+ ou K+), alors qu’au-delà de pH = 2,5, la charge de la membrane est négative et d’autres ions spécifiquement adsorbés peuvent être à l’origine de cette charge négative (OH- ou Cl-), comme rapporté par KÉCILI (2006). Au PIE, la membrane est neutre. Concernant l’échantillon B, la détermination du PIE montre une valeur de 2,2 ± 0,2, ce qui est très proche de la valeur obtenue pour la membrane neuve. Nous en déduisons que la dégradation chimique de la membrane, et plus particulièrement des parois des pores, n’est pas très marquée du fait des valeurs très proches de ces PIE. En effet, ce paramètre est lié au potentiel zeta du matériau de la couche active de la membrane (polyamide). Si une dégradation chimique avait eu lieu dans cette couche, elle aurait dû provoquer un déplacement du PIE plus important. Le même résultat a été observé pour l’échantillon usagé A et le PIE obtenu est sensiblement égal à celui obtenu pour l’échantillon B.

Figure 7

Comparaison des points isoélectriques de la membrane neuve et de l’échantillon B de la membrane de Teichitt.

Comparison of the isoelectric points of the new membrane and of membrane sample B from Teichitt.

Comparaison des points isoélectriques de la membrane neuve et de l’échantillon B de la membrane de Teichitt.

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Toutefois, rien ne permet d’écarter qu’un encrassement de type « biofouling » se soit développé à la surface de la membrane, mais celui-ci n’est pas visible ici avec ces mesures de coefficient de potentiel d’écoulement transmembranaires. Pour le mettre en évidence, des investigations plus poussées au microscope électronique à balayage seraient requises, tel qu’il est rapporté par HER et al. (2007), PONTIE et al. (2007) et THEKKEDATH et al. (2007). Cette démarche nous aiderait dans le cas où nous envisagerions de mettre au point un protocole de nettoyage spécifique de cette membrane usagée afin d’envisager sa réutilisation par exemple pour le traitement secondaire ou tertiaire d’eaux usées (DURANCEAU, 2000; VEZA et al., 2003), ou la déminéralisation d’eaux saumâtres ou bien encore comme pré-traitement d’eau de mer avant osmose inverse.

3.5 Étude de l’usure sur le module complet

Le module est constitué de trois membranes pliées en deux et fixées au tube collecteur à la pliure (Figure 1). L’objectif a donc été d’étudier sur une membrane entière six échantillons notés 1a, 1b, 2a, 2b, 3a et 3b, comme indiqué sur la figure 1. L’usure des membranes a été étudiée en ce qui a trait au flux et à la rétention des sels avec l’eau saumâtre synthétique à 6 g•L-1 de NaCl. L’étude a été effectuée à une pression de 20 bars et à une température de 19 ± 0,5 °C. Le flux de perméat et le taux de rétention des sels de chaque échantillon ont été déterminés. Les figures 8 et 9 rapportent respectivement, les résultats de flux traduits en perméabilité hydraulique et les taux de rétention de chaque échantillon analysés dans les conditions expérimentales précisées auparavant.

Figure 8

Comparaison des flux de perméat de chaque membrane avec une solution de NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20 °C).

Comparison of the permeate flow for each membrane with a solution of NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20 °C).

Comparaison des flux de perméat de chaque membrane avec une solution de NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20 °C).

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Figure 9

Comparaison des taux de rétention de chaque échantillon avec une solution de NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20 °C).

Comparison of the retention rates of each membrane sample with a solution of NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20°C).

Comparaison des taux de rétention de chaque échantillon avec une solution de NaCl (6 g•L-1) (P = 20 ± 2 bars, T = 20 °C).

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Il apparaît une grande hétérogénéité de l’usure pour les deux membranes étudiées sur chacun des échantillons A/B et 1a, 1b, 2a, 2b, 3a et 3b. Toutefois, des tendances se dégagent. Elles montrent, d’une part, une usure plus importante au centre de la membrane avec en particulier le feuillet 2a qui présente une perméabilité hydraulique élevée (0,8 L•h-1•m-2•bar-1) et une rétention parmi les plus faibles (65 %). De plus, pour l’échantillon 1a, la perméabilité est la plus faible (0,7 L•h-1•m-2•bar-1) et la rétention la plus élevée (80 %). Toutefois, certains résultats présentent des tendances inverses comme, par exemple, le feuillet 2b qui montre à la fois une rétention faible (65 %) et une perméabilité faible (0,7 L•h-1•m-2•bar-1). La tendance générale qui apparaît est que la membrane la plus externe est moins endommagée que la membrane du centre. Toutefois, ces résultats méritent d’être étudiés sur un nombre d’échantillons plus important, en complément d’études de modélisation des écoulements dans les modules spiralés afin de confronter les modèles d’usure et les expériences d’autopsie.

Toutefois, il ressort très nettement que l’usure de la membrane de Teichitt a eu pour conséquence un début de transformation de la membrane d’OI en membrane de NF, ce qui conforte les résultats obtenus précédemment à partir du modèle convectif-diffusif.

4. Conclusion

L’objectif de ce travail a été d’étudier l’état de vieillissement d’une membrane usagée prélevée en Mauritanie sur une unité de dessalement installée à Teichitt dans le parc national du banc d’Arguin par la coopération canarienne et de lui appliquer une démarche d’autopsie. L’usure de la membrane s’est caractérisée par une augmentation significative de la perméabilité hydraulique (25 % d’augmentation) et une diminution de la rétention en sels (10 % à 30 % de diminution). Un modèle de transfert de matière de type diffusion-convection a permis de montrer l’augmentation du caractère convectif du transfert, lorsque la pression transmembranaire augmentait, et en particulier au-delà de 15 bars. Ainsi, l’usure de la membrane d’OI l’a rapprochée du comportement d’une membrane de NF. L’analyse topographique par AFM de la surface de la membrane usagée en comparaison de la membrane neuve a d’ailleurs laissé apparaître des « cavités » à plusieurs endroits de la surface usagée traduisant la dégradation physique de celle-ci. De plus, la rugosité de la membrane usagée avec 74 nm est apparue supérieure à celle de la membrane neuve avec 54 nm, ce qui nous a informés sur la présence éventuelle de matières colmatantes, dont la nature reste encore à déterminer. Par contre, l’étude de la dégradation chimique des membranes usagée et neuve par la détermination de leur PIE n’a pas montré de modification significative de ce paramètre (PIE = 2.5), preuve de la non-dégradation chimique dans les pores de la membrane. Enfin, une étude statistique préliminaire a été conduite. Celle-ci a consisté à évaluer l’hétérogénéité de l’usure en matière de perméabilité hydraulique et de rétention d’une solution de NaCl à 20 bars et 19 °C, pour six coupons différents pris sur la membrane la plus interne du module. Une tendance se dégage, elle montre en particulier que l’usure est hétérogène non seulement au sein d’une même feuille de membrane mais aussi au sein des différentes membranes constituant le module, avec une usure plus prononcée au centre qu’à l’extérieur. Toutefois, ces derniers résultats devront être confirmés par des études statistiques à être menées sur un grand nombre de modules usagés.

En résumé, il est observé pour la première fois qu’une vieille membrane d’OI d’eau de mer employée dans des conditions d’utilisation saharienne en Mauritanie (sans pré-traitements), induit une microporosité qui lui confère les propriétés d’une membrane de NF. Il est possible alors d’envisager l’usage de cette vieille membrane d’OI en pré-traitement d’une membrane d’OI neuve, ce qui induirait une augmentation de la durée de vie de la membrane d’OI. Des tests dans ce sens sont en cours à la faculté des sciences de Nouakchott, au sein du CRAER en Mauritanie, en collaboration avec les canariens et le GEPEA à Saint-Nazaire et Angers.