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1. Le projet européen NOVIWAM

L’objectif général du projet NOVIWAM (2010-2013) est de contribuer à l’efficience de la gestion de la ressource en eau, dans le contexte européen de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE, 2000), tout particulièrement dans ses aspects économiques, sociaux et environnementaux. Pour ce faire il s’est agi de définir les projets de recherche les plus pertinents (R et D), de transférer les connaissances, de développer les actions de formation en améliorant la capacité des régions à participer à des projets européens tout en incitant à l’augmentation des investissements dans la recherche et l’innovation par les petites et moyennes entreprises. L’ensemble a permis de construire une stratégie d’intérêt commun, le Joint Action Plan (JAP).

Les différents pays ou régions impliqués dans ce projet sont l’Albanie, Chypre, la Région Poitou-Charentes, la Région Hydrologique du Nord Portugal et l’Andalousie.Ces choix permettent d’intégrer une grande variété de situations possibles, notamment dans le cadre du changement climatique (ARNELL, 1999) et des adaptations envisageables (VERT et al., 2013). D’autres contextes (régions, pays) ont aussi été abordés pour une extension éventuelle, à terme, du périmètre du JAP.

Le projet s’est attaché à impliquer dans ses travaux pour chacun des cinq régions ou pays, les quatre types de partenaires (la « quadruple hélice ») suivants, à savoir 1) les organismes de recherche ou universités, 2) les entreprises industrielles ou commerciales, 3) les autorités régionales ou organismes gestionnaires de l’eau et enfin 4) les autres parties prenantes. L’ensemble des partenaires d’une région formait un groupement régional, chargé en particulier de coordonner les différents entretiens et enquêtes; 19 organismes ont contribué directement aux travaux, auxquels s’ajoutent les participants aux enquêtes, entretiens, ateliers de travail et séminaires présentés dans la section suivante.

2. La démarche de NOVIWAM

Une première analyse, intégrant les différentes parties prenantes au projet, et mobilisant leurs réseaux professionnels, ainsi que différentes bases de données auxquelles elles avaient accès, a permis de jeter les bases des premiers travaux, à la fois sur le contexte lié à l’eau pour chacun des États ou régions participants et sur les personnes à contacter pour les enquêtes et entretiens.

Ensuite trois sources principales d’information ont été mobilisées : 1) des travaux sur documents décrivant le contexte économique et social, les objectifs et contraintes de gestion de l’eau, les activités de recherche actuelles et les priorités envisageables, conduisant à différentes synthèses (NOVIWAM, 2011), 2) une enquête en ligne auprès de professionnels et des parties prenantes, afin de compléter les résultats précédents (502 réponses analysées), 3) un approfondissement par des entretiens (43 entretiens) auprès de personnes ciblées, afin de pallier certains manques relevés lors des phases précédentes, et d’approfondir différents points.

En parallèle et tout au long de ce projet, des chercheurs rattachés aux organismes participants ont testé la faisabilité de certaines idées, analysé la frontière des connaissances, de manière à alimenter le futur programme de recherche en thèmes à la fois ambitieux et réalistes. Nous présentons à la section 3.1 un exemple de résultats issus de tels travaux, ici pour ce qui concerne l’apport possible de mesures non structurelles visant à l’économie d’eau, à savoir la mise en place de tarifications non linéaires de l’eau d’irrigation.

Ces trois sources, complétées par les résultats des premiers ateliers de travail, ont permis de réaliser une analyse SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats [Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces]; NOVIWAM, 2012), dont les résultats ont ensuite été discutés dans le cadre de séminaires, d’échanges divers, puis de sessions de discussions avec les différents partenaires. Au final le JAP a été établi, consistant en onze objectifs et rassemblant 41 thèmes d’actions plus détaillées (NOVIWAM, 2013).

3. Quelques résultats et plan d’action pour le futur

L’enquête en ligne a tout d’abord démontré que la plupart des personnes ayant répondu (plus de 60 % à Chypre et en Albanie, plus de 80 % en France, au Portugal et en Espagne) pensent que l’importance de la gestion de la ressource va augmenter dans les prochaines années.

Elles considèrent majoritairement (jusqu’à 80 % en France), sauf en Albanie, que l’équilibre offre/demande va évoluer de manière défavorable dans les prochaines années. Par ailleurs, les personnes interrogées estiment très majoritairement que les sécheresses vont augmenter, et elles s’attendent à une plus grande efficacité des mesures « non structurelles » (réglementation, organisation, tarification) par rapport à la création de nouvelles infrastructures.

Différentes actions de recherches prioritaires ont été identifiées pour la construction du JAP, grâce aux travaux des organismes participants aux différentes branches de la « quadruple hélice », et plus particulièrement après l’analyse SWOT. Les partenaires de NOVIWAM ont ensuite défini dans le détail ces propositions, puis ont fait le bilan des différents moyens de mise en oeuvre possibles. Cette approche a permis l’appropriation, par tous, des priorités du JAP.

3.1 Un exemple d’étude de faisabilité : diminuer la consommation d’eau pour l’irrigation

L’irrigation est l’activité qui consomme le plus d’eau, surtout en période d’étiage, et notamment en ce qui concerne les régions participant à NOVIWAM, en Poitou-Charentes, en Espagne et à Chypre. Le constat partagé (notamment à travers les études de la documentation et les enquêtes et entretiens du projet) est que, dans les pays européens tempérés, les prix de l’eau payés par les agriculteurs, calculés pour être adaptés aux années moyennes, sont trop faibles en année sèche pour être dissuasifs à une utilisation de l’eau, que de nombreux autres usagers considèrent alors comme abusive. Au total, cela conduit à une situation socialement difficile, et à une gestion de la ressource finalement dommageable aux écosystèmes aquatiques.

Et de leur côté, certains agriculteurs, en partenariat avec les gestionnaires de l’eau, ont exprimé le besoin à la fois d’une meilleure sécurisation d’un de leurs intrants, et d’un meilleur partage de la ressource, à la fois entre eux, mais aussi entre eux et les autres usagers (dont l’usage environnemental). Toute cette réflexion s’inscrit d’ailleurs pleinement dans l’application de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau.

Les travaux préliminaires de faisabilité entrepris en appui au projet NOVIWAM ont conduit à étudier la mise en place de tarifications non linéaires de l’eau d’irrigation, rendue possible grâce à l’obligation de mesurer les volumes d’eau consommés. Ces tarifications permettent d’introduire d’autres paramètres dans le calcul du prix de l’eau et parfois révèlent de l’information aux agriculteurs. Leur avantage est d’offrir une meilleure garantie des débits d’étiage dans les rivières, une amélioration de la production agricole et du revenu des agriculteurs, et enfin une meilleure assurance de l’équilibre budgétaire de la structure gestionnaire de l’eau.

Les différents travaux ont porté sur l’étude de tels systèmes, fictifs, ou déjà en place, par exemple par la Compagnie d’Aménagement des Eaux des Deux Sèvres (CAEDS) en Poitou-Charentes (TERREAUX et al., 2012 et SIDIBÉ et al., 2012b). Ces outils de tarification permettent aussi une meilleure gestion de l’eau stockée dans certains barrages (SIDIBÉ et al., 2012a), en tenant compte du niveau de remplissage de ces barrages et du risque pesant sur le niveau de pluie futur.

Si on compare les résultats d’une tarification non linéaire du type de celle pratiquée par la CAEDS, et qui dépend du volume souscrit chaque année ainsi que du volume réellement consommé, et les résultats d’une tarification linéaire (un prix fixe au mètre cube), on peut obtenir une amélioration sensible de la situation.

Dans le cas étudié, si on décide, dans un but de protection de l’environnement, de prélever un quart de moins d’eau dans les rivières (passer d’une disponibilité pour l’irrigation de 200 mm à 150 mm), alors on peut maintenir ou augmenter les valeurs prises par différents critères (revenus de l’agriculteur, coût couvert par le gestionnaire de la ressource, production agricole). Il suffit de passer d’une tarification linéaire à une tarification du type CAEDS avec un paramétrage adapté.

Il est ainsi possible de diminuer l’eau consommée par l’agriculture, ce qui permet d’améliorer l’état des rivières, et aussi, dans un contexte climatique plus incertain, d’améliorer la durabilité des solutions mises en place.

Au final, il reste encore différentes voies à explorer sur les potentialités induites par une telle tarification. Mais ces résultats de modèles, associés avec ce qui est observé in situ par les structures qui ont franchi ce pas, conduisent à être optimiste sur les opportunités d’amélioration de la situation présente, qui sont ainsi révélées.

4. Conclusion

Les tensions s’accroissent entre l’offre et la demande en eau, les incertitudes augmentent, les contraintes, notamment budgétaires, s’accumulent. Le temps est venu de trouver des solutions originales à différents problèmes communs aux pays européens, mobilisant des voies nouvelles, valorisant des marges de manoeuvre jusqu’ici inexploitées. Le premier intérêt de ce projet a été de montrer le bienfait de l’intégration de membres de la « quadruple hélice » pour la définition d’un programme de recherche ambitieux, réaliste, utile et adapté aux problèmes rencontrés.

En cherchant à éviter la dispersion des forces de recherche dans des thématiques trop variées, il est apparu que chacune des branches de cette « hélice », pouvait contribuer si ce n’est à résoudre ces problèmes, du moins à les alléger, par exemple, dans le cas présenté à la section 3.1, lorsque les partenaires « recherche » sont en mesure d’analyser et de généraliser des solutions mises en oeuvre localement par certains partenaires privés.

L’aspect international du projet a permis la mise en place d’une certaine synergie grâce à des échanges de natures multiples (accueil de chercheurs, séminaires de travail, etc.) et de mettre en évidence les problèmes communs aux différents pays.