Corps de l’article

On estime qu’environ 10 à 20 % de la population nord-américaine utilise des psychotropes sur une base régulière pour une période de plus de 12 mois. Parmi ces personnes, 80 % utiliseraient des benzodiazépines (BZD) sous une forme quelconque (Laurier et al., 1990 ; Laurier et al., 1992). Le potentiel de développement de la dépendance à cette médication a engendré une controverse importante quant aux risques et bénéfices de leur utilisation thérapeutique, surtout en ce qui concerne le traitement de troubles chroniques (Lader, 1999 ; Busto et al., 1995). La difficulté à en cesser l’utilisation thérapeutique se traduit par des taux de rechute (c’est-à-dire la reprise du traitement médicamenteux) élevés et cela, même dans les études ayant utilisé des stratégies de sevrage graduel (Schweizer et al., 1990 ; Schweizer et al., 1998).

La plupart des études sur le développement de la dépendance aux benzodiazépines ont examiné les mécanismes pharmacologiques sous-jacents à l’émergence des symptômes physiques lors de l’arrêt. Bien qu’aucune cause unitaire n’ait jusqu’à présent été retenue pour expliquer le développement de la dépendance pharmacologique aux BZD, l’influence de certains facteurs pharmacocinétiques et pharmacodynamiques a été clairement démontrée (Miller et Koff, 1994). Toutefois, il appert que les facteurs pharmacologiques ne peuvent à eux seuls expliquer la nature des difficultés rapportées durant la période de sevrage, ni les taux de rechute élevés associés à l’arrêt de cette médication (Bélanger et al., 1999).

Les connaissances actuelles quant au sevrage des anxiolytiques benzodiazépiniques suggèrent que des facteurs psychologiques joueraient un rôle dans l’incapacité perçue par certains à cesser le traitement benzodiazépinique (Shweizer et al., 1998). Bien que l’hypothèse d’une forme de dépendance psychologique aux benzodiazépines ait été avancée pour expliquer pourquoi certaines personnes ont de la difficulté à cesser leur médication (Pelissolo et Bisserbe, 1994), l’investigation des caractéristiques psychologiques à cet effet n’en est qu’à ses débuts. L’un des exemples les plus clairs de l’influence de facteurs autres que pharmacologiques dans la difficulté à cesser les BZD est illustré par la réaction de pseudo sevrage, c’est-à-dire l’apparition de nouveaux symptômes ou l’aggravation de symptômes préexistants lorsque la personne croit que sa médication a été changée même si ce n’est pas le cas. Les auteurs ayant mis en évidence cette réaction (Murphy et Tyrer, 1991 ; Tyrer et al., 1983) l’expliquent par la présence d’attentes négatives élevées de l’individu face à ce qui se produira durant le sevrage comme par exemple, l’anticipation du retour de l’anxiété et l’apparition de symptômes physiques.

Dans les écrits cliniques traitant de la gestion du sevrage des BZD, il est souvent mentionné qu’une attention particulière devrait être accordée aux anticipations de l’individu face à l’arrêt de sa médication avant d’entreprendre le processus de sevrage (Higgitt et al., 1985 ; Higgitt et al., 1987 ; Sanchez-Craig et al., 1986). L’influence des attentes personnelles sur le déroulement et l’issue du sevrage des BZD n’a toutefois pas été investiguée de façon empirique. Il semble donc important d’évaluer de manière systématique la nature des attentes des individus face à l’arrêt de leur traitement benzodiazépinique, l’impact de ces dernières à la fois sur l’expérience du sevrage et sur son issue. Pour ce faire, il est primordial de développer et de rendre accessible des instruments de mesure spécifiques à cette problématique.

Cet article vise à présenter les étapes du développement d’un questionnaire mesurant les attentes personnelles face à l’arrêt de la médication benzodiazépinique et des données préliminaires sur les facteurs associés à l’arrêt de la médication.

Méthode

Une première version du questionnaire sur les attentes face à l’arrêt du traitement benzodiazépinique (QAAT) a été testée dans le cadre d’une étude visant à identifier des prédicteurs du succès/échec du sevrage des BZD et de la rechute suite à l’arrêt complet de la médication (O’Connor et al., sous presse). Les participants complétaient cet instrument de mesure lors de l’évaluation initiale, par exemple, une à deux semaines avant le début du sevrage supervisé par un médecin.

Participants

Quarante et un participants volontaires ont été recrutés par l’entremise de publicité dans les journaux locaux ou ont été référés par des cliniciens de l’hôpital Louis-H. Lafontaine entre les mois de septembre 1996 et avril 1998. Durant cette période, 180 personnes ont été évaluées par téléphone afin de vérifier les critères d’inclusion. Parmi ces dernières, 61 ont été retenues et ont subséquemment été évaluées à l’aide de l’ADIS-IV (Di Nardo et al., 1995). Cette entrevue structurée a été administrée par des psychiatres de l’Hôpital Louis H. Lafontaine. Toutes les entrevues ont fait l’objet d’un accord inter-juges, et les participants retenus seulement lorsque l’accord était de 100 %. Les critères d’inclusion étaient les suivants : a) être âgé entre 18 et 65 ans ; b) utiliser une BZD de façon régulière depuis au moins 8 semaines ; c) rencontrer les critères de l’un (ou plusieurs) des troubles suivants présent depuis au moins 3 mois : trouble panique, trouble d’anxiété généralisée, phobie sociale, ou trouble d’anxiété non spécifié ; et d) souhaiter cesser sa médication. Les critères d’exclusion étaient les suivants : a) souffrir d’un trouble médical grave ; b) souffrir d’un autre trouble de l’axe 1 ; c) souffrir d’un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse ou déprimée ; d) avoir une histoire d’abus de drogues ou d’alcool ; e) utiliser d’autres psychotropes ; avoir reçu une psychothérapie intensive durant les 3 derniers mois.

Procédure de sevrage

Tous les patients ont été suivis par l’un des quatre psychiatres collaborant à l’étude. Un document écrit comprenant la procédure standardisée de diminution ainsi que des consignes écrites quant aux thèmes à aborder avec les patients était remis aux psychiatres. Entre autres, il était recommandé d’offrir du soutien mais de s’abstenir de toute forme de thérapie structurée durant le temps de l’étude. Un sevrage graduel de la médication a été effectué. Bien qu’il n’existe pas de formule standard de sevrage, la formule de sevrage suivante était préconisée : réduire la médication par tranches de 25 % aux deux/trois semaines jusqu’à ce que 75 % de la médication soit éliminée puis, encore plus graduellement, éliminer le reste de la médication. Les participants ont requis en moyenne 15 semaines pour arrêter leur médication complètement [étendue : 12 à 21 semaines]. Au delà de 21 semaines, le processus de diminution était cessé. Les patients n’ayant pas réussi à cesser leur médication à l’intérieur de cette période demeuraient avec le dosage minimal atteint ou reprenaient un traitement médicamenteux ajusté en fonction de leurs besoins (selon l’évaluation du psychiatre).

Mesures

Symptômes de sevrage

Les patients complétaient un questionnaire évaluant la présence de symptômes physiques et psychologiques tout de suite après l’arrêt de la médication (entre 1 et 10 jours selon la demi-vie de la molécule utilisée) ou au moment où la diminution du dosage était cessée (avant l’arrêt complet). Une version francophone du questionnaire de Tyrer et al. (1990), le Benzodiazepine Withdrawal Symptom Questionnaire, a été utilisée à cet effet.

Description de la conception du questionnaire

Un groupe de cliniciens, médecins généralistes, psychiatres, et chercheurs expérimentés dans le domaines du sevrage des benzodiazépines, ont été consultés pour produire un ensemble d’items représentant les attentes que peuvent avoir les personnes qui entreprennent ou entrevoient la possibilité d’arrêter leurs BZD. Cinquante items ayant une bonne validité apparente (selon 6 évaluateurs indépendants) ont été retenus. Le format du questionnaire a été calqué sur un instrument de mesure sur les attentes de résultats reliées à l’arrêt du tabagisme (Mausner et Platt, 1971). Le format de ce questionnaire a été retenu puisqu’en plus de mesurer ce à quoi s’attendent les individus face à l’arrêt d’un comportement, l’instrument mesure aussi ce à quoi ils s’attendent si le comportement est poursuivi et leurs préoccupations de certains aspects associés au comportement. Cette dernière échelle permet d’ajouter un score de pondération à l’attente face à l’arrêt du comportement. Par exemple, une personne très préoccupée par certains symptômes d’anxiété qui s’attend à ce que ces symptômes augmentent avec l’arrêt du traitement médicamenteux aura possiblement plus de difficulté à cesser sa médication qu’une personne peu préoccupée par une recrudescence possible de ces symptômes.

Ayant adopté ce format pour construire l’instrument de mesure présenté ici (voir questionnaire présenté en annexe), trois aspects de l’utilisation des BZD sont donc évalués : la préoccupation actuelle face à l’item décrit [colonne A (par exemple, jusqu’à quel point êtes-vous préoccupé actuellement par votre niveau d’anxiété ?)], les attentes face à l’arrêt de la médication (colonne B) et les attentes face au fait de continuer à prendre la médication (colonne C)]. Les attentes sont évaluées en mesurant le changement escompté face à l’item décrit. Par exemple, Pensez-vous que votre anxiété… augmentera, diminuera ou restera pareille si vous cessez votre médicament ? L’échelle utilisée s’échelonne de – 2 à + 2 où – 2 signifie que l’item décrit diminuera beaucoup, -1 : diminuera un peu, 0 : restera pareil, + 1 : augmentera un peu et + 2 : augmentera beaucoup. Une cote de 0 signifie que la personne n’a pas d’attente spécifique face à l’item décrit. Les items décrivent différents aspects pouvant être associés à la prise d’un traitement médicamenteux pour l’anxiété. L’item décrit une attente positive ou négative selon ce à quoi la personne s’attend (l’item décrit augmente ou diminue suite à l’arrêt de la médication ou à la poursuite de la médication). Par exemple, si la personne s’attend à ce que son anxiété augmente, elle a une attente négative ; si la personne s’attend à ce que son niveau d’anxiété diminue, elle a une attente positive. Les attentes face à la poursuite du traitement ont également été évaluées. Afin d’augmenter la validité interne du questionnaire, ces attentes sont recodées comme étant positives ou négatives en les mettant en relation avec l’arrêt du traitement. Par exemple, si l’individu s’attend à ce que son niveau d’anxiété augmente s’il poursuit sa médication, ceci est considéré comme une attente positive face à l’arrêt de la médication. Des tableaux croisés ont permis de coder les items. Ces cotes s’échelonnent de – 4 à + 4. Une attente est considérée comme étant neutre lorsque l’addition des scores dans la diagonale est égale à zéro.

Les attentes de résultats face à l’arrêt d’un traitement médicamenteux peuvent couvrir plusieurs domaines du fonctionnement individuel quotidien. Dans le but de mieux comprendre ce que peut représenter les anticipations de l’arrêt de ce traitement médicamenteux et son impact anticipé sur la vie quotidienne de l’individu, la liste d’items retenus était plutôt exhaustive. Les items du questionnaire ne concernent pas seulement les attentes immédiates reliées aux symptômes de sevrage, ou au bien-être psychologique et physique, mais aussi le fonctionnement émotionnel, le fonctionnement cognitif, la capacité à former des relations interpersonnelles, à accomplir ses tâches quotidiennes et autres projets personnels. Puisqu’ aucune étude antérieure n’a examiné la pertinence des attentes à l’expérience de sevrage, la liste d’items a été analysée en deux étapes. La première étape fut de déterminer la pertinence de chaque item en évaluant la proportion de l’échantillon pour qui l’item correspondait à une attente nulle face à l’arrêt de la médication. Cette première étape a été réalisée par l’entremise de tableaux croisés examinant la fréquence de réponses à chaque niveau de l’item (-2 à + 2). Une attente nulle équivaut à un score de 0 dans la diagonale du tableau croisé, c’est-à-dire soit la personne n’est pas préoccupée par cet item (répond que l’item restera pareil) ou encore, le résultat (item décrit) attendu sera le même peu importe qu’elle cesse ou qu’elle continue sa médication. Les items, ainsi que la proportion des sujets ayant un score de 0 dans la diagonale, sont reproduits au tableau 1. Une première série d’items a été éliminée lorsque plus de 50 % des participants n’avaient pas d’attentes face à l’item décrit soit un score de 0 dans la diagonale. Vingt-quatre des 50 items ont été éliminés.

La deuxième étape fut de vérifier si les attentes et la direction des attentes (positive, négative ou nulle) étaient différentes selon ce que les sujets avaient réussi ou non à cesser leur médication. La fréquence de réponse aux items positifs, négatifs et neutres a été calculée en fonction de chaque groupe (arrêt de la médication et non-arrêt) et les différences calculées entre les groupes.

Résultats

Sept participants se sont retirés de l’étude dans les deux premières semaines suivant le début de la diminution et ont refusé de compléter l’évaluation prévue à cet effet, ce qui aurait permis d’utiliser les données en les considérant comme faisant partie du groupe n’ayant pas réussi à se sevrer. Les données d’un autre participant n’ont pu être compilées en raison d’un trop grand nombre de données manquantes. Les données de 33 participants ont donc été compilées.

Les pourcentages de personnes ayant répondu de manière positive, négative ou neutre pour chaque item décrit ainsi que les valeurs de la statistique p, unilatéral et bilatéral, sont rapportés dans le tableau 2. Le test de Jonckheere-Terpstra a été utilisé pour tester la différence entre les groupes pour vérifier si les personnes ayant réussi le sevrage avaient des attentes différentes des personnes n’ayant pas complété le sevrage. Ce test statistique permet de comparer des groupes quant à des variables ordinales. Dans ce contexte, le test unilatéral vérifie l’hypothèse suivante : Les participants du groupe ayant réussi le sevrage ont-ils des attentes plus positives que les participants du groupe n’ayant pas réussi le sevrage ? Le test bilatéral vérifie l’hypothèse suivante : les participants du groupe ayant réussi le sevrage ont-ils des attentes différentes de ceux n’ayant pas réussi le sevrage.

Tableau 1

Liste des items et pourcentages des sujets qui n’ont aucune attente spécifique face à l’arrêt de leur médication (la différence entre les colonnes B et C = 0, c’est-à-dire les sujets se trouvent dans la diagonale).

Liste des items et pourcentages des sujets qui n’ont aucune attente spécifique face à l’arrêt de leur médication (la différence entre les colonnes B et C = 0, c’est-à-dire les sujets se trouvent dans la diagonale).

Seuls les items dont le % est inférieur ou égal à 50 % sont considérés pour les étapes ultérieures. No = numéro de l’item.

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Tableau 2

Pourcentage de participants ayant des attentes positives, négatives et nulles à l’égard de chaque item décrit selon l’arrêt ou non de la médication

Pourcentage de participants ayant des attentes positives, négatives et nulles à l’égard de chaque item décrit selon l’arrêt ou non de la médication

% neg = pourcentage de personnes qui ont une attente négative face à cet item ; % nulle = pourcentage de personnes qui ont une attente nulle face à cet item ; % pos = pourcentage de personnes qui ont une attente positive face à cet item.

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Étant donné la nature exploratoire de cette étude, certains items dont le seuil de signification n’est pas en deçà de 0.05 ont tout de même été conservés pour l’étape ultérieure en autant que p < 0.25. Les items 1 (être nerveux), 6 (être capable de me détendre), 10 (être capable de mieux me concentrer), 25 (avoir une bonne mémoire), 29 (avoir des peurs), 31 (être impatient avec les gens), 33 (être en forme) et 34 (être capable de relaxer) ont été retenus. À ces huit items, les personnes du groupe ayant réussi le sevrage rapportaient plus souvent des attentes positives que les personnes du groupe n’ayant pas réussi le sevrage. Un score moyen a ensuite été calculé à partir de ces items pour chacun des groupes, puis un test t de Student a été utilisé pour comparer les moyennes respectives. Une différence significative a été observée entre les deux groupes [t (30) = 2.30, p < 0.0284], un nombre significativement plus élevé de personnes ayant réussi le sevrage rapportaient en moyenne des attentes positives à ces huit items.

À l’examen visuel des données, les personnes ayant réussi le sevrage semblaient rapporter en général plus d’items ayant un score de 0 dans la diagonale, c’est-à-dire qu’elles auraient peut-être moins d’attentes face à l’arrêt de la médication. La différence entre le nombre moyen de zéros observés aux items pour chaque groupe a donc été vérifiée à l’aide d’un test t de Student. Cette différence s’est révélée non significative (p < 0.11 ; test bilatéral).

Afin d’explorer l’impact des attentes qu’ont les gens quant à l’expérience de sevrage, les items du questionnaire ont été mis en relation avec le fait de rapporter des symptômes de sevrage durant la période de diminution (et suite à l’arrêt complet) de la médication mesurée par l’inventaire de Tyrer et al. Des corrélations de Spearman ont été calculées entre les items du questionnaire sur les attentes et le nombre de symptômes de sevrage rapporté par les patients durant le sevrage. Chez les participants ayant réussi à cesser leur médication, des corrélations positives significatives ont été observées entre les items 1 (être nerveux ; r = 0.6941, p = 0.01), 2 (me sentir déprimé ; r = 0.5892, p = 0.04), 14 (être capable d’accomplir des choses ; r = 0.6124, p = 0.0343), 17, (crainte que mon médicament ne fasse plus effet ; r = 0.6444, p = 0.0323), 22 (me sentir épanoui, r = 0.6333, p = 0.0271) et le nombre de symptômes de sevrage rapportés. Ainsi, plus les scores rapportés à ces items sont élevés, plus le nombre de symptômes de sevrage rapportés est élevé. Certaines corrélations ont un seuil de signification proche du seuil critique p < 0.05, ce sont les items, 3 (être actif), 7 (avoir besoin de quelque chose pour me calmer), 9 (me sentir bien en me levant le matin). Dans le groupe n’ayant pas réussi à cesser la médication, aucune corrélation significative n’a été observée. Afin d’explorer la possibilité de la présence d’un lien entre les attentes liées à l’arrêt de la médication et les symptômes de sevrage rapportés, une corrélation entre le score moyen des huit items distinguant les 2 groupes et les symptômes de sevrage a été calculée. La corrélation observée n’était pas significative.

Discussion

Nous présentons le développement d’un instrument de mesure évaluant les attentes que pourraient avoir les individus qui entrevoient cesser leur traitement benzodiazépinique. À notre connaissance, aucun questionnaire mesurant les attentes à l’égard de l’arrêt de ce traitement, ni les données empiriques quant au rôle des attentes personnelles dans l’expérience du sevrage, ne sont actuellement disponibles. Bien que plusieurs auteurs aient postulé l’importance des anticipations négatives dans l’expérience du sevrage des BZD, soit par le biais de l’observation de réactions de pseudo sevrage (Murphy et Tyrer, 1991) ou d’observations cliniques (Lader, 1994), le cadre conceptuel à cet effet demeure mince. Dans le cadre de cette étude, les personnes n’ayant pas réussi le sevrage rapportaient des attentes significativement moins positives que le groupe ayant réussi le sevrage. Le fait que les résultats préliminaires tendent à aller dans le même sens que l’hypothèse de ces auteurs, à savoir que les anticipations négatives pourraient expliquer certaines difficultés lors du sevrage, représente un premier pas encourageant. Toutefois, selon les résultats de cette validation préliminaire, seuls 8 des 26 items auraient une capacité de discrimination entre les personnes ayant complété l’arrêt et celles ne l’ayant pas complété. Compte tenu du petit nombre de sujets composant l’échantillon, il est possible que ceci soit dû à un manque de puissance statistique. Certains autres items du questionnaire, s’approchant du seuil critique, auraient pu être significatifs avec un plus grand nombre de sujets. Une validation approfondie, comportant un plus grand nombre de sujets et vérifiant davantage d’aspects psychométriques du questionnaire demeure nécessaire.

Plusieurs observations faites dans le cadre de cette validation mériteraient d’être investiguées davantage. Premièrement, les individus qui ont réussi à cesser leur médication semblaient moins préoccupés par le processus de sevrage que ceux n’ayant pas réussi à cesser. Ceci indiquerait possiblement une approche plus saine vis-à-vis leurs attentes. Toutefois, avoir des attentes plus positives pourrait comporter un effet protecteur. Dans cette étude, les individus ayant réussi à cesser ont rapporté un nombre d’attentes positives significativement plus élevé que ceux n’ayant pas réussi. Deuxièmement, l’observation à l’effet que les items étant associés à l’issu du sevrage ne sont pas nécessairement associés à l’apparition des symptômes de sevrage est également très intéressante. Cette observation pourrait représenter une nouvelle piste de recherche qui aiderait peut-être à comprendre pourquoi certaines personnes ne réussissent pas à cesser leur médication (ou rechutent très tôt après l’arrêt) en dépit d’un sevrage sans heurts. Des mécanismes cognitifs différents seraient peut-être impliqués dans le processus de sevrage (apparition de symptômes lors de la diminution) et dans la capacité à cesser sa médication. À cet effet, dans certaines études ayant évalué les difficultés rencontrées lors du sevrage, le fait de rapporter des symptômes de sevrage en plus grand nombre lors de la diminution n’est pas nécessairement associé à l’échec du sevrage. Certains patients rapportant de nombreux symptômes de sevrage réussissent à cesser leur BZD tandis que d’autres n’en rapportant peu ou pas du tout, échouent dans leurs efforts de sevrage ou reprennent le traitement médicamenteux peu après l’arrêt (Rickels et al., 1990 ; Schweizer et al., 1990).

Cet instrument de mesure pourrait également être d’une grande utilité clinique. Cesser un traitement médicamenteux peut représenter une expérience anxiogène en soi car la personne (déjà anxieuse) ne sait pas nécessairement ce qui se produira. Ceci peut engendrer des anticipations vagues, difficiles à verbaliser. Le fait de présenter des attentes précises dans le cadre d’un instrument de mesure pourrait aider les patients à identifier ce qu’ils anticipent et les cliniciens à cerner précisément ce qui préoccupe chaque patient et orienter leurs interventions en ce sens.

Les données de cette étude doivent être interprétées avec précaution. Premièrement, le nombre restreint d’observation sur lesquelles elles sont basées en limitent la généralisabilité. Deuxièmement, cette étude préliminaire représente la validation clinique initiale ; une reproduction de ce devis avec un plus grand échantillon permettra de mieux évaluer la capacité de discrimination des items. Enfin, les propriété psychométriques du questionnaire restent à être évaluées. Les résultats de cette validation clinique préliminaire, bien que reposant sur un petit échantillon, sont néanmoins encourageants.

En conclusion, la version préliminaire de ce questionnaire représente un premier pas dans l’étude des attentes personnelles dans le domaine du sevrage des BZD. Les observations et résultats de cette étude suggèrent l’utilité d’incorporer une telle mesure dans les études ultérieures sur l’arrêt des BZD. Des études comparant différents types de populations utilisant des BZD (par exemple, les personnes âgées ; les différents diagnostics d’anxiété comparés entre eux) quant au type d’attentes rapportées pourraient également faire avancer notre compréhension des difficultés associées au sevrage et à l’arrêt des BZD.