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Quel homme, quel livre ! Au printemps 1998, le Dr Camille Laurin, qui avait préfacé mon livre La Danse autour du fou, avait présenté le livre, au lancement à Louis-H Lafontaine, comme un ouvrage si excellent qu’il devrait être obligatoire pour les étudiants en médecine. Avec mon sens habituel du marketing, je n’avais même pas prévu de photographe (mais un ami eut l’initiative d’agir à ce titre) et encore moins d’enregistrement officiel de la cérémonie. Mais, son soutien me convainquit de lui demander, quelques mois plus tard, de pouvoir faire une entrevue avec lui, éventuellement accompagné du Dr Pierre Migneault. Il était d’accord. J’avais appris qu’il était malade mais je ne me doutais point de quelle maladie et à quel degré et, interrogé à ce sujet, il ne me donna aucune indication susceptible de m’inquiéter, ce qui m’aurait pressé. C’est donc avec stupeur et désarroi, et aussi beaucoup de chagrin que j’ai appris son décès moins d’un an plus tard. Cet ouvrage me console donc, non du décès, mais de l’impossibilité de mon projet d’entrevue.

L’ouvrage situe bien la biographie dans le contexte socio-culturel des différentes époques traversées. Sur ce fond bien tissé, la personnalité du Dr Laurin ressort mieux. Il est né en 1922 dans une grande famille d’un milieu rural modeste. Enfant, il excellait en tout, sauf en dessin. Il est néanmoins décrit comme un premier de classe, plutôt distrait, souvent dans la lune et lisant en cachette derrière la classe durant les cours, et il « n’était pas irréprochable au chapitre de la discipline » (p. 33). « Au collège, Camille lisait tout le temps. […] un matin, alors qu’il se dirigeait vers la chapelle en compagnie des autres élèves, il a entendu tout le monde rire autour de lui. Abandonnant momentanément sa lecture, il s’est alors rendu compte qu’il avait quitté le dortoir en oubliant de mettre ses pantalons […] » (Picard, 2003, p. 37)] Étrange familiarité de ce portrait ! Jeune, il était grassouillet sinon gras, ce qui lui valait des taquineries qui ne le laissaient pas indifférent.

Ayant envisagé très tôt la prêtrise, ayant même fait un an de grand séminaire, il est simultanément un grand amoureux des femmes, et n’eût été de la règle du célibat pour les prêtres, il aurait sans doute opté pour le sacerdoce et il y a songé à nouveau plus tard à la mort de sa première épouse. « Au collège, Camille lisait tout le temps. […] un matin selon ses collègues, dont le sociologue Guy Rocher, la piété du jeune Camille n’était pas très manifeste, il en parlait peu, il n’était pas un fanatique de la chapelle et discutait peu de la foi ou de ses projet d’avenir. « La règle d’or de mes actions ? Le bon plaisir de Jésus ! » note-t-il dans son journal de collège. Il fut dispensé du service militaire en raison de pieds plats, Il réussit à se faire payer des études classiques. À l’époque, l’élite francophone était nationaliste et très religieuse, inspirée notamment par le chanoine Groulx. Et Laurin en fut imprégné.

Chanceux ou habile aux cartes, la légende veut qu’il ait payé ainsi ses études universitaires, ce qui ne serait pas tout à fait vrai, selon le biographe. Il termine ses 5 années d’études médicales avec une moyenne de 87 %, et en quatrième année, il obtient une note de 100 % en gynécologie, en matière médicale et thérapeutique, en neurologie, en psychiatrie et en urologie. Il disait n’avoir néanmoins aucune habileté manuelle.

À l’université, il deviendra collaborateur puis directeur du journal étudiant Le Quartier Latin, succédant ainsi à Jacques Hébert. Il y écrit notamment : » Le corps féminin est la plus grande splendeur humaine. Au cours des siècles, les plus grands artistes se sont agenouillés devant lui… » (Amour, existes-tu ?, Quartier latin, vol. XXIX no 19). Mais, déjà, un de ses thèmes favoris est la gouverne des sociétés et le rôle de l’élite qui doit s’ouvrir aux idées nouvelles. » Têtes bien faites au service d’une charité dynamique, voilà ce qui est exigé de nous. Marx, Freud, Bergson, Dewey, Carnap ne sont pas pour nous des adversaires. Leurs oeuvres étincellent d’aperçus nouveaux… Le chef ira prendre la vérité partout où elle éclôt. Et par un travail ardu d’émondage, de correction, de recherche bien conduite, il essaiera de donner à l’humanité qui l’attend cette doctrine souple et lumineuse que la charité orientera vers l’ordre et la paix. » (Cette fameuse élite, Quartier latin, vol. XXIX, no 30). Dès 1947, il croit que, malgré l’énorme contribution antérieure de l’Église, il faut maintenant faire une plus grande place aux laïcs, en particulier dans les établissements d’enseignement. Ouvrir les portes aux jeunes diplômés francophones, en somme. Il préconise aussi des lois sociales pour mieux protéger les travailleurs et leur donner un meilleur accès à l’éducation, qui est, selon lui, la clé de tout. Dans un numéro spécial du 12 décembre 1947 consacré à l’avenir de la Confédération, Laurin signe un texte où il dénonce le séparatisme et soutient un renouvellement du fédéralisme à partir d’une décentralisation des pouvoirs vers les provinces, et notamment vers le Québec. Il ne fait toutefois pas confiance au gouvernement Duplessiste. Comme délégué de son association facultaire, il participe à divers congrès au Canada et à l’étranger, ce qui l’ouvre au monde, et lui fait découvrir la France, le monde de ses auteurs, dont il tombe amoureux. Ces participations l’interpelleront, car il y découvrira des jeunes, inspirés par les doctrines marxistes et socialistes, reniant Dieu et comptant sur l’État pour atteindre les objectifs de liberté, d’égalité et de fraternité. Si bien que « sans adhérer au communisme dont il rejette absolument l’athéisme et le totalitarisme, il est dès lors fasciné par l’idéal marxiste qui vise à libérer la classe ouvrière de ses servitudes économiques. » (Picard, 2003, p. 72). En 1948, il succédera à Gérard Pelletier, à la demande de ce dernier, comme secrétaire de l’ISS (International Student Service), ce qui l’amène en France et ainsi à suspendre pendant un an le début son internat, au grand dam de son doyen. Dans cette tâche, il visitera aussi l’Allemagne où il ne verra, après la guerre, que misère et désolation. « Les étudiants canadiens savent maintenant qu’un même coeur d’homme bat sous la capote nazie et l’uniforme canadien. » écrira-t-il alors à Pelletier. Il convainc les dirigeants de l’ISS d’organiser deux grands colloques dont l’un à Amsterdam sur la santé des étudiants et un second en Haute Savoie sur la situation de la langue française dans le monde, qui lui apparaît en recul par rapport à l’anglais.

En novembre 1949, il écrit au directeur des études psychiatriques de la faculté de médecine de l’Université de Montréal pour lui faire part de son choix de carrière. Évoquant dans sa lettre la lecture de L’Homme, cet inconnu d’Alexis Carrel, il justifie ainsi son choix : « J’y trouvai ce que j’y avais cherché mais quelque chose en plus. Ce quelque chose, c’était le malade et surtout le malade mental. […] Et cela d’autant plus que le malade mental me semblait parmi tous les autres le moins connu et le plus délaissé […] » Il choisira de commencer sa formation au Queen Veteran Hospital. Il estime que la formation y est beaucoup plus avancée que dans les établissements francophones. « Les hôpitaux anglophones avaient commencé à s’éveiller aux courants modernes de la psychiatrie, qui comprenaient notamment une formation plus poussée en psychologie. Du côté francophone, on en était encore à l’école aliéniste qui expliquait la maladie mentale uniquement sous l’angle physique et physiologique. Dispensées par des neurologues, les leçons cliniques consistaient à nous montrer des aliénés et à nous décrire des symptômes d’aliénation. C’était plus un spectacle que de l’enseignement. « (entrevue avec l’auteur, 1998). Bientôt, il s’amourache d’une pianiste originaire d’Abitibi qu’il épouse. Par la suite, il s’inscrira à la Psychiatric Training Institute Faculty de Boston et sera affecté au Boston State Hospital. Il y passe deux ans. Mais au printemps 1953, le gouvernement américain voulant lui faire faire le service militaire au sein des forces de réserve, il est hors de question pour lui de s’engager sous le drapeau américain. Il se tournera alors vers l’Europe où il s’inscrira à l’Institut de psychanalyse de Paris et entreprendra une « analyse didactique » avec la Dre Juliette Favez Boutonnier. Il y séjourne pendant 4 ans. Il traduit pour les PUF l’ouvrage The Technique of Psychoanalysis d’Edward Glover. Il devient président de l’Association des médecins canadiens en France. À cette époque, le Collège des médecins du Québec refuse de reconnaître les années de résidence des médecins québécois dans les hôpitaux français sous prétexte que ces derniers ne sont pas affectés à temps plein à un hôpital et surtout qu’ils n’ont pas la pleine responsabilité des malades confiés à leurs soins. Camille Laurin, dans ses nouvelles fonctions, mettra en oeuvre différentes stratégies qui aboutiront à l’adoption, par les autorités médicales françaises, de modification de leurs programmes d’étude et par la création d’un statut d’interne-résident pour une vingtaine d’étudiants québécois. À son retour au Québec, il sera mandaté par le doyen Wilbrod Bonin pour faire une tournée d’hôpitaux européens pour examiner divers modèles d’organisations hospitalières psychiatriques. Prêt à revenir au Québec, un problème surgit. L’Ordre des médecins de France intente une poursuite judiciaire contre Laurin parce qu’il a traité, contre rémunération, des patients à son domicile dans le cadre de sa formation psychanalytique, sans être membre de l’Ordre et sans avoir reçu son autorisation. Ce qui l’exposait à de fortes amendes sinon la prison. Clamant avoir agi de bonne foi sur les conseils de ses maîtres, Favez-Boutonnier et Lagache, et fort de l’aide de ces derniers, il réussit à ce que l’Ordre retire sa poursuite. Suit l’épisode d’Albert Prévost, bien décrit par Françoise Boudreau (1984) et Hubert Wallot (1998) mais que Jean-Claude Picard reprend avec plus de détails. « Déjà, à cette époque, Camille Laurin maîtrise à merveille l’art de promouvoir et même d’imposer, d’une voix onctueuse et apaisante, le changement en le décrivant suavement comme un prolongement normal et quasi indolore du statu quo » (Picard, 2003, p.122) Cette aptitude lui avait valu d’une amie bostonnaise le surnom de « The Smooth Operator ». Il deviendra là le directeur scientifique (1958) tout en devenant aussi le directeur du département de psychiatrie (1957). Dans ce cadre, c’est lui qui fera nommer le Dr Denis Lazure directeur du département de pédopsychiatrie à l’hôpital Sainte-Justine. Il réforme l’enseignement de la psychiatrie et introduit l’enseignement de la psychologie médicale dans l’enseignement médical de premier cycle. L’Institut Albert Prévost devient un modèle dans ses normes thérapeutiques, dans l’usage des nouveaux médicaments découverts en Europe, dans le recours à des équipes multidisciplinaires, etc.

Vient alors le manuscrit Les fous crient au secours de Jean-Charles Pagé, soumis à Laurin. Pagé avait été interné à Saint-Jean-de-Dieu (aujourd’hui Louis-H. Lafontaine) alors qu’il n’était, selon Laurin, qu’un alcoolique qui balançait tout cul par-dessus tête lorsqu’il buvait et « auraît dû (plutôt) être traité pour toxicomanie. » (ibid., p.135). Le livre décrit les conditions terribles faites aux patients psychiatriques à l’époque, et Laurin y reconnaît les conditions décrites par son collègue (et ami selon Picard) Roger Lemieux qui avait travaillé auparavant à Saint-Jean-de-Dieu. Laurin comprend que ce témoignage explosif peut permettre un changement. Il en écrit la post-face, qui confère toute sa caution morale à ce livre qui scandalisera le public et entraînera la mobilisation de des psychiatres, de la presse, des syndicats et du public en général en faveur du changement. « Se comportant déjà en politicien plutôt adroit, Camille Laurin réussit à écrire sa postface d’une douzaine de pages sans critiquer directement le rôle des principales communautés religieuses concernées. Il a même l’habileté de citer en conclusion un extrait d’une récente conférence du cardinal Léger. » (Picard, 2003). Il vérifiera l’appui de différentes personnalités, avant de laisser publier le livre avec sa postface en 1961. Le gouvernement Lesage ayant été élu sur le thème du changement, son ministre de la santé, le dr. Alphonse Couturier, met sur pied la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques comprenant comme commissaires le président Dominique Bédard, le docteur Denis Lazure et le docteur Charles Roberts. Le docteur Bédard m’a déjà dit qu’il croyait que c’est le docteur Laurin qui avait proposé son nom et celui du docteur Lazure pour la composition de cette commission. Il aurait même aidé le Dr Denis Lazure à rédiger la partie du rapport de la commission sur l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu. (Picard, 2003, p.150). Le rapport de cette Commission établira un diagnostic de la situation et proposera des solutions que les commissaires seront ultérieurement invités à appliquer dans le cadre de responsabilités d’une nouvelle Direction des services psychiatriques au sein du ministère de la santé. Si cela est le début d’une réelle et profonde réforme de la psychiatrie au Québec, c’est le début d’un tumulte à l’Institut Albert Prévost dont l’issue paraît plus mitigée chez Picard (2003) que chez Boudreau (1984). Le livre de Picard rappelle avec bonheur que Laurin avait participé, en compagnie de son collègue Victorin Voyer, à une émission de télévision, À coeur ouvert, pour livrer des explications à caractère psychologique sur des problèmes de la vie courante. Puis, au début des années 60 il commença à remplacer, assez souvent, son collègue psychologue Théo Chentrier à la populaire émission quotidienne Psychologie de la vie quotidienne, sorte de courrier du coeur. Laurin commentait et donnait des conseils. Même si j’étais jeune, je me souviens de cette émission qui me paraissait si intéressante. Évidemment, le style, un modèle en son genre, était aux antipodes de celui de notre célèbre collègue qui effectue des activités semblables aujourd’hui. J’aurais aimé entendre des enregistrements de ces émissions. Il agira aussi comme expert témoin dans des causes célèbres, dont celle « d’un monstre », Léopold Dion, assassin pédophile.

En parallèle, la vie privée n’est pas facile. Son épouse semble avoir une problématique bipolaire et ses problèmes physiologiques la rendent incapable d’avoir des enfants. Le couple se tourne donc vers l’adoption : Marie-Pascale (1961) et Maryse (1966).

Mais le monde politique est déjà là. À l’automne 1964, le député libéral fédéral Maurice Sauvé, est chargé de lui proposer de joindre les trois colombes (Trudeau, Pelletier et Marchand). Laurin décline, sans donner vraiment de raison, mais il entrevoit déjà des perspectives centralisatrices chez ses collègues, ce qui va contre ses convictions. Surtout, il lui faut une motivation profonde pour s’engager en politique. « Cette motivation, c’est son métier de psychiatre qui la lui procure, en lui faisant transposer sur le plan collectif les errances et les déficiences qu’il perçoit à l’échelle individuelle chez ses patients. […]. Je voyais des gens résignés, tristes, passifs, découragés, expliquera-t-il à la fin de sa vie. La partie saine de leur personnalité était affectée par une importante perte de confiance en soi et la conviction d’être pour toujours né pour un p’tit pain. Notre histoire collective empêchait de développer des comportements individuels heureux. » (Picard, 2003, p.186).

En 1966, il vote pour le RIN (Rassemblement pour l’Indépendance Nationale) dirigé par Pierre Bourgault. Puis, en 1967, le Parti libéral est défait et lors d’un congrès où son option constitutionnelle est rejetée, René Lévesque quitte le parti libéral et fonde le MSA (Mouvement Souveraineté Association) qui mettra sur pied le parti québécois. Il est rapidement élu au conseil exécutif du Parti où il joue le rôle de « paratonnerre face à Lévesque » (Louise Harel). « Camille, c’était le papa de tout le monde. Il était beaucoup utilisé pour régler les conflits entre les diverses ailes du parti. » (Martine Tremblay). Mais il demeurera fondamentalement lévesquiste jusqu’à sa démission de 1984. Le 12 mars 1970, Laurin est candidat inexpérimenté, « docile » à ses conseillers, contre deux adversaires de taille, le député unioniste sortant, connu et respecté, et un candidat libéral vedette Gérard Beaudry. Il l’emporte avec près de 400 voix de majorité, et fait son entrée au parlement avec six collègues et en devient, à la demande de Lévesque qui a perdu son élection, chef parlementaire. Habile et aussi réaliste, il prête serment d’allégeance à la reine pour pouvoir aller expliquer à ses collègues pourquoi il ne voulait prononcer ce serment « vide de sens […] il a une saveur de domination ». Dès les premiers mois, députés et recherchistes le surnomment affectueusement « Camomille ». « Camille c’était notre père, notre mère et notre psychiatre. il a donné de la respectabilité, de la stature morale à notre groupe. Il nous a appris la force et la ténacité. » (Robert Burns). Il savait soutenir les aspects constructifs du gouvernement en place : « Mes rapports avec Laurin étaient très cordiaux. On divergeait d’opinion sur la question constitutionnelle, mais on était passablement sur la même longueur d’onde sur les grands dossiers que j’ai pilotés […] Nous n’avions pas de rapports partisans et j’ai toujours senti chez lui le désir de collaborer et d’améliorer les projets de loi. » (Castonguay). Il perdra par 300 voix les élections de 1973. Mais sa patience — ou sa ténacité — est déjà légendaire. Il doit cependant soutenir un chef, René Lévesque, qui, « financièrement ruiné » a été « aigri » par deux défaites électorales, se remettait constamment en question. Entre-temps, le député au chômage réussit à se faire nommer directeur de l’enseignement à Albert-Prévost où il a mis en place toutes sortes de projets pédagogiques. La suite de la vie du Dr Laurin est mieux connue de tous. Élu député à nouveau en 1976 avec l’équipe gagnante du PQ, il devient dans le nouveau gouvernement ministre d’État au développement culturel où il aura à travailler le dossier de la langue française. Ce sera le projet de Charte de la langue française, sous forme du projet de loi no 1, qui fut un choc au début pour René Lévesque (« Je ne vous en demandais pas tant »), et qui dût, pour des raisons pratiques, se transformer en projet de loi 101 qui sera adopté le 26 août 1977. Devant la division tant interne au PQ que du Québec, Laurin demeure impassible dans la défense de son projet, disposé à porter l’odieux des réactions négatives, en bon psychiatre qu’il était. Puis vint son Livre blanc sur La politique québécoise de développement culturel auquel on devra la création d’un ministère de la Science et de la Technologie et qui préconise une politique de la recherche scientifique. Puis le livre blanc sur La juste part des créateurs, portant sur l’industrie culturelle. 1980 lui fut une année difficile. Son épouse, connue pour son éthylisme, décède d’une intoxication d’alcool et de médicaments. Puis, il y a le référendum du 20 mai. Il a peu participé, d’abord endeuillé, puis il ne prise ni le moment ni la question qui lui semble être « le fruit empoisonné des stratégies fumeuses de Claude Morin » avec lequel les relations sont difficiles depuis les débats internes sur la Charte à l’occasion desquels celui qui a joué à l’espion s’opposait aux positions de Laurin. Après l’échec du référendum, il eût envie de lâcher, et, dans le contexte de son deuil, son idée de se tourner vers la prêtrise est revenue. En novembre 1980, il devient ministre de l’éducation. Il a alors un projet de réforme de l’École qui se dévoile dans le livre blanc Une école communautaire et responsable où les commissions scolaires perdent du pouvoir au profit des parents. Le problème de la réforme envisagée, c’est que personne n’en voyait très bien la nécessité : c’était une vision et seuls les parents s’en montraient satisfaits sans pourtant être organisés efficacement contre les lobbys syndicaux et des commissions scolaires. Ce n’est pas très électoraliste. À peine réélu en 1981, le gouvernement péquiste fait face à une crise économique et adoptera une loi qui va effectuer des baisses de salaires dans la fonction publique. Les négociations avec les enseignants seront dures, il y aura à la fin janvier 1983 une grève illégale. À la suite de la publication d’un document pamphlétaire et provoquant par le gouvernement As-tu 12 minutes ?, Camille Laurin se fait blesser au visage en se rendant au conseil national : « il aurait pu se faire tuer ». Après cette négocation, les enseignants n’avaient plus l’oreille pour la réforme, et tout ce qui venait de Laurin était perçu comme négatif. Comme Laurin ne cède jamais sur le fond de ses intentions, Lévesque est convaincu, à la suite de la commission parlementaire sur le projet de loi sur la réforme scolaire, que cette dernière va nulle part. Il remanie donc son cabinet en mars 84 et nomme Laurin aux affaires sociales où Pierre-Marc Johnson était en difficulté. Laurin était peu heureux mais bon soldat. Mais il n’y sera que huit mois. En effet, Lévesque choisit d’adhérer au Beau Risque de Brian Mulroney et de mettre en veilleuse la souveraineté. Le groupe des douze dont fait partie Laurin démissionne. Le livre fournit en annexe les lettres de Lévesque et de Laurin sur la question. Il retourne à l’Institut Albert Prévost où il jouera un rôle majeur dans la relance de cet Institut que l’hôpital Sacré-Coeur voulait fermer. Ses diverses activités professionnelles lui valent de recevoir en 1990 le Prix d’excellence en psychiatrie de l’AMPQ. En septembre 1994, à 72 ans, il sera à nouveau candidat péquiste aux élections. Élu, il ne sera plus jamais nommé ministre, ce qui est pour lui une pilule dure à avaler. Mais Jacques Parizeau veut donner « une image de renouveau « à son gouvernement (Duchesnes, 2004). Le 30 octobre 1995, c’est, mais tant de justesse, l’échec du deuxième référendum (Non = 50.6 %, Oui = 49.4 %). Il prévoyait participer aux élections de 1998, mais la maladie le force à se retirer en faveur de Diane Lemieux. Durant les derniers mois de sa vie, ses livres sont des lectures spirituelles. Il meurt du cancer le 11 mars 1999.

Le livre de Jean-Claude Picard est bien écrit et bien documenté, livrant aussi certains aperçus sur la vie privée et familiale du Dr Laurin. Bien qu’évidemment écrit dans un esprit certainement admiratif, cet ouvrage n’est pas un panégyrique et ne tombe pas dans la complaisance. Les critiques de l’homme politique sont bien présentées. Bien que volumineux, cet ouvrage se lit assez facilement. Cependant, en raison de la qualité de la pensée de Laurin, et aussi de la nature académique de certaines subventions, on aurait pu s’attendre à une bibliographie des documents, articles ou livres écrits par Camille Laurin, ce qui aurait complété la qualité du livre. Peut-être l’auteur se fie-t-il sur le web ? L’annexe I est la postface de Les fous crient au secours, qui trace en bonne partie les grandes lignes de la réforme que sera le rapport Bédard (1962), l’annexe II est le discours de deuxième lecture sur le projet de loi 101. L’annexe 3 est sa lettre de démission du 22 novembre 1984, l’annexe 4 est la réponse de René Lévesque le 4 décembre 1984 et l’annexe 5 est sa lettre à sa conjointe Francine le 22 décembre 1998 (À lire plus tard). Ces textes sont un témoignage à la fois de la profondeur de sa pensée mais aussi de son écriture. L’annexe V, la lettre à Francine, est particulièrement touchante. Le début le ramène à sa foi : « Jésus (Dieu qui sauve) a toujours été présent en moi, bien que caché sous le voile de la foi… » Il remercie Jésus de diverses choses de la vie comme de sa vie à lui. Puis, il termine. « L’amour est éternel. Les formes, les circonstances, les modes peuvent varier. Mais comptent d’abord et seulement les liens qui unissent les âmes. Les nôtres sont solides, pleins de paix et de bonheur, et ils dureront à jamais. Ton Camille. »