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Les personnes issues de minorités sexuelles ont longtemps hésité à consulter en psychiatrie, méfiance tout à fait compréhensible compte tenu du passé pathologisant de la psychiatrie à leur endroit. Même si l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie mentale depuis plus de 40 ans (American Psychiatric Association, 1974), les patients rapportent encore des « microagressions » dans le cadre psychothérapeutique (Shelton, Kimber, Delgado-Romero, Edward A., 2011). Nous avons voulu créer un lieu sûr où les patients issus de minorités sexuelles pouvaient consulter en psychiatrie sans craindre aucune discrimination ni être considérés comme des cas pathologiques. C’est ainsi que, en 1999, nous avons fondé le McGill University Sexual Identity Centre (MUSIC), Centre d’orientation sexuelle de l’Université McGill (COSUM) en français. Depuis lors, nous avons évalué environ 2 000 patients, et avons un volume moyen de 1 500 visites par an. Nos patients ont entre 5 et 82 ans. Ils viennent de toutes les strates socioéconomiques de la société, sont originaires des cinq continents et vivent dans toutes les régions du Québec. Ils consultent en raison d’un questionnement sur leur sexualité ou leur genre ou parce qu’ils ressentent un inconfort à cet égard. Ils ont vécu divers niveaux de discrimination, allant des railleries de cour d’école aux voies de fait et aux menaces de mort. Certains ont fui leur pays d’origine, et parfois même leur propre famille, craignant pour leur vie.

Au cours des années, nous avons été témoins de l’impact des attitudes homophobes, transphobes ou simplement hétérosexistes sur la santé mentale de nos patients d’ici et d’ailleurs : intériorisation d’attitudes négatives créant une piètre image de soi, symptômes dépressifs et anxieux (Igartua et al., 2003) et trouble de stress post-traumatique chez les survivants de violences physiques (Herek et Garnets, 2007 ; D’augelli, Grossman et Straks, 2006). Notre travail clinique consistait surtout à traiter les séquelles psychologiques des expériences d’homophobie vécues par nos patients.

Malgré notre succès auprès de cette clientèle, il est devenu clair que pour aider un nombre maximal de personnes, nous devions également prendre part à la prévention de la discrimination sociétale, facteur de risque important. Nous avons donc travaillé en amont, pour tenter de diminuer l’homophobie et la transphobie dans la société avant que celles-ci ne puissent nuire. Depuis lors, nous intervenons dans les milieux de vie de nos patients et nous soutenons, grâce à des programmes de formation, les groupes communautaires qui luttent contre l’homophobie, comme le GRIS, Gai Écoute et la Coalition des familles LGBT. Notre expérience unique au Québec est reconnue : nous sommes sollicités à titre d’experts par les ministères de la Santé, de la Justice et de la Famille.

Nous enseignons régulièrement, tant au niveau universitaire qu’en formation continue. Dans les pages qui suivent, nous souhaitons partager notre expérience afin de fournir un cadre théorique et clinique qui permet de répondre aux besoins en santé mentale des personnes issues de minorités sexuelles. Les contraintes d’espace nous obligent à limiter notre propos. Nous aborderons donc ici les concepts de genre et d’orientation sexuelle, pour ensuite analyser l’approche clinique adaptée à l’évaluation et au traitement d’une personne qui consulte pour une difficulté liée à son orientation sexuelle ou une question d’identité de genre.

Concepts théoriques

L’orientation sexuelle

En langage courant, on entend les termes « homosexuel » et « hétérosexuel » utilisés comme si ceux-ci désignaient deux catégories de personnes distinctes. Or, l’orientation sexuelle ne se prête pas réellement à cette catégorisation binaire. Il est plus juste de conceptualiser l’orientation sexuelle en plusieurs dimensions indépendantes les unes des autres, les quatre plus courantes étant les suivantes : attirances sexuelles, attirances émotives, comportements sexuels et identification à un groupe (gai, lesbienne, bi, hétéro). Ce raffinement conceptuel est non seulement plus juste, mais il permet de se positionner librement selon chacune de ces dimensions, indépendamment des autres.

Ainsi, un homme n’éprouvant aucune attirance physique pour les femmes pourrait ne ressentir aucune, ou ressentir un peu ou beaucoup d’attirance physique pour les hommes. L’attirance envers un sexe est indépendante de l’attirance envers l’autre sexe, comme l’illustre Michael Storms (Storms, 1980) à la Figure 1.

Figure 1

Graphique orthogonal des attirances sexuelles de Storms

Graphique orthogonal des attirances sexuelles de Storms

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Entre elles, les différentes dimensions ne concordent pas nécessairement (Igartua et al., 2009). Une femme qui tombe amoureuse d’une autre femme pourrait n’avoir aucune attirance sexuelle envers celle-ci ou en ressentir un peu ou beaucoup. Une autre femme pourrait n’avoir des rapports sexuels qu’avec des femmes même si elle ressent aussi du désir sexuel pour les hommes. L’attirance physique, l’attirance émotive, les comportements sexuels et l’identité d’orientation sexuelle peuvent coïncider, mais ce n’est pas toujours le cas. Le diagramme de Venn (Figure 2) illustre toutes les possibilités de concordance et de discordance entre ces concepts chez un individu à un moment donné de sa vie.

Figure 2

Concordance et discordance entre l’attirance émotive, l’attirance sexuelle, les comportements sexuels et l’identité sexuelle

Concordance et discordance entre l’attirance émotive, l’attirance sexuelle, les comportements sexuels et l’identité sexuelle

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De plus, le parcours de nos patients nous montre qu’au gré des expériences de vie, l’érotisme évolue parfois. Les attirances pour un sexe ou l’autre s’intensifient ou s’amoindrissent au fil du temps. Par ailleurs, même si nous savons que l’érotisme peut être fluide, la majorité ne le ressent pas comme un choix. Aucune donnée ne permet de croire qu’on peut changer l’érotisme d’un patient. Les thérapies dites « de conversion » sont considérées comme non éthiques, car, d’une part, elles ne peuvent modifier l’érotisme et, d’autre part, elles sont dangereuses pour la santé mentale des patients puisqu’elles renforcent les sentiments de honte et de haine de soi (American Psychological Association, 2012 ; American Psychiatric Association, 2000).

Alors que l’étiologie de l’érotisme est fort probablement multifactorielle, l’identité adoptée et les comportements connexes sont socialement construits. La définition du concept de « gai » varie selon les cultures (Herdt, 1987), même si, dans toutes les cultures étudiées, on observe des comportements homosexuels (Ford et Beach, 1951). Pour les Nord-Américains, un homme est homosexuel s’il est amoureux d’un autre homme. Ailleurs, c’est le fait de se faire sexuellement pénétrer qui définit « l’homosexuel » ; celui qui pénètre conserve une identité hétérosexuelle (Calhoun, 1993).

Pour les personnes à l’érotisme hétérosexuel, l’identification à l’hétérosexualité se fait plus ou moins inconsciemment. Très jeunes, on nous apprend ce que nous sommes ; il n’y a plus ensuite de remise en question. Pour les personnes issues de minorités sexuelles, la prise de conscience se fait graduellement : l’identité présumée n’est pas la bonne. L’orientation se découvre par un processus plus ou moins long, selon l’érotisme de l’individu et l’ouverture de son milieu à la diversité sexuelle. Le processus identitaire inclut plusieurs phases dont la confusion, la prise de conscience d’un homoérotisme, la comparaison avec des pairs hétérosexuels et homosexuels, le deuil des privilèges sociaux reliés à l’hétéronormativité et, enfin, l’acceptation et l’intégration de son orientation sexuelle minoritaire (Cass, 1979 ; Troiden, 1989).

Plusieurs critiques et de nombreuses propositions d’amélioration ont été proposées pour ces modèles de développement de l’identité homosexuelle : 1) ceux-ci négligent les identités bisexuelles et asexuelles ; 2) ils font fi de la fluidité de la sexualité ; 3) ils ne différencient pas nécessairement les parcours des hommes et des femmes ; 4) ils ne tiennent pas compte de l’identité de genre ; 5) ni de l’intersection entre multiples identités minoritaires (sexuelle, raciale, religieuse) (Grov et al., 2006 ; Floyd et Bakeman, 2006 ; Kenneady et Oswalt, 2014). En revanche, ces modèles demeurent pertinents puisqu’ils mettent en lumière qu’un inconfort envers son homoérotisme est normal dans une société occidentale et que le questionnement par rapport à son identité sexuelle est un processus qui peut s’échelonner sur plusieurs mois, voire plusieurs années.

Le genre

Qu’est-ce qu’une femme ? À première vue, cette question semble bien simple, mais il est impossible de cerner ce groupe à l’aide d’un seul critère, même biologique. En effet, il y a des femmes avec des chromosomes XY (syndrome d’insensibilité aux androgènes, par exemple), des femmes sans seins ou sans utérus, des femmes aux cheveux longs et d’autres aux cheveux courts, des femmes plus ou moins hirsutes, plus ou moins grandes. Le seul critère que l’on retrouve chez toutes ces femmes, c’est une identification comme femme. Ces femmes sont femmes parce qu’elles se sentent femmes. L’identité de genre est donc une croyance, une conviction. Nous en savons peu sur les facteurs qui conditionnent cette conviction, mais des recherches récentes laissent croire que celle-ci réside dans la microstructure du cerveau (Hanh et al., 2014).

Quant au rôle de genre, il repose sur une construction sociale. Il y a des femmes plus ou moins autonomes, sensibles, fonceuses, conciliantes, altruistes. Il y a des femmes au foyer et d’autres qui dirigent de grandes entreprises. À ce titre, l’évolution du rôle de la femme depuis les 60 dernières années est éloquente : ce qu’on attribue socialement à un genre n’est qu’une convention sociale, vouée à changer avec la société.

La conception binaire du genre ne reflète pas la réalité de la diaspora existante. À travers les époques et les cultures, on observe plusieurs exemples de personnes qu’il est difficile de catégoriser comme homme ou comme femme. Prenons par exemple les hijra en Inde, les femminielli en Italie, les Ihamana chez les Indiens zuñi du Nouveau-Mexique, les Mahu et les RaeRae en Polynésie française, les fa’afafine (Samoa), les bispirituels et les transsexuels en Amérique du Nord. Toutes ces personnes se caractérisent par une combinaison d’attributs physiques et psychiques, des vêtements et des rôles sociaux d’hommes et de femmes ainsi qu’une identité de genre qui leur est propre.

Les concepts d’« intersexe » ou de « trans » existent dans les cultures occidentales quand celles-ci reconnaissent que l’étiquette « homme » ou « femme » ne s’applique pas à tout le monde. Pourtant, cette classification est problématique puisqu’elle tente de résoudre le fait que les genres ne sont pas des catégories distinctes en ajoutant une troisième catégorie intermédiaire, mais encore distincte, plutôt que de penser en termes de diaspora. En effet, certains de nos patients sentent qu’ils ont une identité d’homme dans un corps de femme ; d’autres ne se sentent ni homme ni femme, ou partiellement homme et partiellement femme ; d’autres encore ne reconnaissent même pas le concept de genre. L’épithète gender queer est souvent utilisée par ceux qui n’adhèrent pas au concept binaire du genre.

Approche clinique

Sur le plan clinique, affirmer que la variété sexuelle et de genre existe de façon légitime et qu’aucune orientation ou identité n’est de facto problématique permet une exploration ouverte. Encore aujourd’hui, la population LGBT hésite à se révéler à un professionnel de la santé mentale. Il est donc important d’aborder tous les patients avec la même ouverture. La personne est alors libre d’explorer ses sentiments, ses pensées et ses attirances, sans jugements ni idées préconçues quant à l’issue de son cheminement. Partant de la prémisse que nous ne pouvons ni choisir ni changer la sexualité, l’épanouissement personnel se travaille par l’acceptation de soi et la négociation de relations harmonieuses avec l’entourage. À des fins de structure du texte, nous distinguerons l’évaluation initiale de la sexualité et de la détresse reliée du traitement subséquent, mais il faut souligner qu’une évaluation bien faite peut être thérapeutique en soi.

Évaluation 

Lors de l’évaluation, on explorera le genre et l’érotisme, le stade du processus identitaire et le niveau d’homophobie ou de transphobie intériorisée (Peterkin et Ridson, 2003). L’objectif n’est pas seulement de décrire ces identités, mais de découvrir en quoi elles sont liées à la détresse qui pousse le patient à consulter. Les dimensions à explorer sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1

Dimensions à explorer lors de l’évaluation

Dimensions à explorer lors de l’évaluation

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Traitement

Le traitement peut comprendre plusieurs volets : éduquer à la diversité sexuelle, déconstruire les mythes entourant les minorités sexuelles, panser les blessures narcissiques et relationnelles dues à l’homophobie et analyser les pertes et les gains individuels, familiaux et sociaux liés à la décision de vivre de façon authentique (Evosevich et Avriette, 2000). Ces interventions se déroulent sous forme de thérapie individuelle ou de groupe.

Éduquer à la diversité sexuelle

Un premier niveau d’intervention consiste à éduquer à la diversité sexuelle, tant en ce qui a trait aux composantes de l’orientation sexuelle qu’aux identités de genre, comme on l’a décrit plus haut.

Lorsque l’inconfort est plutôt lié à l’érotisme, il est utile de présenter les attirances envers les hommes et les femmes comme deux pulsions distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Pour faciliter la compréhension, nous proposons un plan cartésien (Figure 3) avec, à l’axe des abscisses (x), l’attirance envers les femmes et, à l’axe des ordonnées (y), l’attirance envers les hommes.

Figure 3

Représentation sur plan cartésien des attirances envers les hommes et les femmes

Représentation sur plan cartésien des attirances envers les hommes et les femmes

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L’asexuel se trouve au point 0,0 (A). En se déplaçant vers le haut, l’attirance envers les hommes croît (B). En se déplaçant vers la droite, l’attirance envers les femmes augmente (C). L’égalité des deux attirances se situe sur la diagonale, mais avec des degrés d’intensité de désir variés (D et E). Après le lui avoir présenté, on demande au patient de se situer sur le plan. Les points sur le plan étant infinis, le graphique montre concrètement qu’il y a une infinité de possibilités pour chaque individu.

Il est aussi thérapeutique de valider la possibilité de non-concordance entre les diverses composantes de l’orientation sexuelle (attirance sexuelle, attirance émotive, comportement, identité). En effet, on peut refaire l’exercice du plan cartésien pour les attirances émotives et les comportements. On compare ainsi les trois plans. L’identité d’orientation sexuelle ne concorde pas nécessairement avec ces dimensions et on peut utiliser le diagramme de Venn présenté plus haut pour illustrer la situation.

Lorsque le questionnement porte plutôt sur l’identité de genre, présenter un modèle non binaire du genre peut donner une permission et la liberté d’être soi-même, sans sentir la nécessité de se conformer à une norme préétablie. À cette fin, on peut aussi utiliser un plan cartésien avec le féminin sur un axe et le masculin sur l’autre. On fait l’exercice une première fois afin de se situer au chapitre de l’identité et ensuite, de nouveau, pour les rôles.

Déconstruire les mythes pour réduire l’homophobie ou la transphobie

Nous sommes tous victimes de mythes sur les minorités sexuelles. Pour les personnes issues de ces minorités, ces mythes contribuent parfois à créer une mauvaise image de soi. Une approche cognitive permet de mettre en lumière les généralisations, les conclusions hâtives, les abstractions sélectives et autres distorsions cognitives indissociables du mythe.

Ainsi, entend-on souvent que les comportements homosexuels ne sont pas « naturels ». Ce mythe n’est possible qu’à la condition de faire abstraction des comportements homosexuels que l’on croise dans toutes les cultures humaines, toutes époques confondues, et chez tous les mammifères, oiseaux et reptiles (Bagemihl, 1999). On entend aussi que l’homosexualité, ce n’est pas « normal ». On doit alors définir ce qu’on entend par « normal ». Certes, par rapport à une norme, l’homosexualité et la transsexualité sont des phénomènes minoritaires, tout comme les yeux bleus ou l’intelligence supérieure. Cependant, être minoritaire ne constitue pas un défaut en soi. Si par « normal », on entend plutôt « moral », alors on peut examiner quel principe moral on croit enfreindre en aimant quelqu’un du même sexe. Si l’on fait référence au dessein d’un dieu, un survol des attitudes des différentes religions relativement à l’homosexualité révèle que les humains de diverses confessions ont interprété différemment la volonté des dieux à cet égard.

D’autres mythes – « Les homosexuels sont tous des obsédés sexuels », « Les femmes deviennent lesbiennes à la suite de mauvaises expériences avec les hommes », « Les trans sont des personnes instables » – découlent habituellement de l’ignorance et de la xénophobie. Rencontrer des personnes issues de ces minorités permet de venir à bout de ces généralisations. Il est donc utile d’aiguiller la personne qui consulte vers des groupes communautaires afin que celle-ci puisse se bâtir un réseau social. Grâce à la fréquentation de groupes de loisir ou de discussion pour personnes LGBT, elle pourra côtoyer des individus qui partagent les mêmes intérêts et vaincre ainsi ses préjugés.

Déconstruire les mythes homophobes et transphobes avec un thérapeute peut permettre à l’individu de changer positivement sa vision de lui-même. Pour d’autres, ce changement cognitif ne sera pas suffisant pour apaiser la détresse. Il faudra alors explorer comment l’homophobie sociétaire a teinté les relations avec les autres et l’impact de cela sur la construction identitaire.

Panser les blessures narcissiques et relationnelles dues à l’homophobie ou la transphobie

Ne pas correspondre à ce que ses parents, sa famille et la société avaient prévu ou même souhaité pour nous peut laisser des séquelles psychologiques : on peut se voir comme étant défectueux, honteux, impossible à aimer, indigne du bonheur (Margolies, Becker et Jakson-Brewer, 1987).

Si les parents, plutôt que de protéger l’enfant, ont contribué, même à leur insu, à l’opprimer, celui-ci pourra développer des schèmes relationnels où il fait difficilement confiance, où les figures d’autorités sont perçues comme un danger.

Si les parents étaient mal à l’aise en présence d’un érotisme infantile normal envers le parent du même sexe, l’enfant aura appris à refouler ses pulsions afin de préserver la relation. Ainsi, à l’âge adulte, il risquera de dissocier intimité physique et intimité émotive dans son mode relationnel, rendant la sexualité possible seulement lorsque l’attachement est absent (Isay, 1989).

La thérapie vise à reconnaître ces schèmes et à en découvrir les racines dans les expériences d’homophobie antérieures avec la famille et la société. L’espace thérapeutique sert ensuite de lieu de pratique afin de vivre des expériences émotionnelles correctrices. Par exemple, le thérapeute pourra représenter une figure d’autorité accueillante ou encore un objet de désir sexuel tout en maintenant une intimité psychique.

Vivre de façon authentique (et faire un coming out) : analyser le pour et le contre

Dans les domaines psychologique et relationnel, il peut y avoir des gains énormes à vivre en accord avec le genre ressenti et son érotisme : ne pas se cacher, cesser d’avoir honte, se savoir aimable, s’investir dans ses relations. Cependant, selon les circonstances sociales, culturelles et familiales, cette authenticité peut coûter très cher. On risque en effet de perdre son emploi, le soutien familial, son héritage, sa communauté, sa sécurité émotive, voire physique.

En général, moins on a d’autonomie et de pouvoir, plus on est vulnérable et sensible à la discrimination. Prenons l’exemple d’un adolescent issu d’une famille conservatrice, où la religion et les apparences sociales sont très importantes. Un coming out pourrait coûter sa famille et son toit à ce dernier. Il pourrait se retrouver à la rue et devoir se prostituer pour survivre. En effet, les jeunes issus de minorités sexuelles sont plus à risque de vivre sans abri que les jeunes hétérosexuels (Krucks, 1991). Au secondaire, un coming out peut être synonyme de suicide social si le milieu est très homophobe. En effet, nous avons constaté que l’identification comme LGB, et non la présence d’homoérotisme, intensifiait l’effet de la discrimination et augmentait le risque de suicide chez les adolescents (Zhao et al., 2010). Selon les circonstances, il n’est donc pas toujours prudent de s’afficher comme appartenant à une minorité sexuelle. L’analyse du pour et du contre devra inclure une évaluation du danger tant émotif que physique lié au dévoilement de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.

Pour un adulte, les risques associés à la décision de s’affirmer s’analysent selon la stabilité d’emploi et l’ouverture du milieu de travail, la dépendance émotive envers la famille d’origine et le degré d’ouverture de celle-ci à la différence, l’importance de l’appartenance à une communauté culturelle ou religieuse et les attitudes de celle-ci, etc. Il faut aider la personne, en examinant des faits précis, à évaluer justement le degré de risque. Certains le surestiment, conditionnés par leur propre homophobie intériorisée, d’autres, au contraire, le sous-estiment, animés plutôt par un désir de rectitude politique. Il y a encore de la discrimination dans diverses couches de la société, même au Québec. Chaque personne doit faire ses choix de vie en ayant pleinement conscience des gains et des pertes associés aux réactions de la société relativement à ce qu’elle est.

Interventions familiales

Chez les adultes affranchis, le travail individuel peut suffire. Chez les adolescents, où la dépendance envers les parents est encore grande, il est utile de travailler avec la famille. On éduque sur la diaspora sexuelle, on fournit un espace pour faire le deuil de l’enfant espéré et des outils pour soutenir la transition sexuelle du jeune. Le soutien parental est primordial puisqu’il s’agit d’un facteur de protection contre la dépression, l’abus de substances et les idées suicidaires. Il contribue de plus à une meilleure estime de soi chez les jeunes issus de minorités sexuelles (Ryan, 2010).

Lorsqu’une personne fait un coming out comme homosexuel ou transgenre, dans le cadre d’une union hétérosexuelle importante, le partenaire de vie pourrait aussi bénéficier d’une intervention. Dans ce cas, on fournit un espace pour exprimer la colère, faire le deuil de la relation conjugale antérieure et panser les blessures causées par le secret et la trahison. Afin de restaurer l’empathie entre les partenaires, on ajoute une éducation à la diversité sexuelle et une conscientisation des pressions sociales poussant les individus à adopter une vie cisgenre hétérosexuelle malgré une sexualité autre. Finalement, on explore la possibilité de préserver ou non une relation conjugale modifiée (Buxton, 1991).

Interventions de groupe

L’intervention de groupe, en plus d’être rentable, est souvent plus puissante que la thérapie individuelle. D’une part, le groupe permet de vivre une expérience d’appartenance qui manque souvent aux personnes issues de minorités sexuelles. Pour certains de nos patients, ces groupes ont été l’occasion d’un premier contact avec d’autres personnes partageant le même type de sexualité. D’autre part, comme les individus du groupe n’en sont jamais exactement au même stade de leur processus identitaire, on recrée une dynamique familiale où ceux qui en sont au début de leur cheminement profitent des expériences des autres, qui bénéficient, à leur tour, de la possibilité de partager leur expérience.

Au COSUM, nous avons conçu et offert plusieurs interventions de groupe. Une thérapie psychoéducative et cognitive donnée sur huit semaines vise l’éducation à la diversité sexuelle, la déconstruction des mythes et l’analyse du pour et du contre au chapitre d’un mode de vie authentique. Nous y abordons la diaspora de genre et d’orientation, un modèle du développement identitaire, les manifestations et les effets de l’homophobie, le concept de vulnérabilité-stress-résilience associé au stress minoritaire, les techniques de thérapie cognitive liées aux mythes homophobes ainsi que les risques, les avantages et les stratégies découlant d’un coming out dans diverses sphères de la vie.

Le groupe de psychodrame s’étale aussi sur huit semaines. Il s’agit d’une approche créatrice que nous avons utilisée pour explorer l’identité de genre. Les jeunes apprivoisent les concepts d’identité et de rôles de genres à travers des activités projectives (création de masques, jeux de rôles, sculptures humaines).

Finalement, une thérapie d’approche psychodynamique permet de panser des blessures narcissiques et relationnelles dues à l’homophobie. Cette thérapie de 35 semaines par année s’accompagne de la possibilité de revenir au groupe pour un maximum de trois années. À travers leurs interactions avec d’autres membres du groupe, les participants reconnaissent leurs émotions, définissent leurs modes relationnels dysfonctionnels et mettent en pratique de nouvelles façons, plus saines, d’entrer en relation.

Conclusion

Cet article se veut un partage de notre expérience clinique auprès des patients issus de minorités sexuelles. Notre souhait ? Que tous les cliniciens finissent par être à l’aise quand il s’agit de travailler avec cette population. Les concepts théoriques et cliniques présentés dans cet article fournissent un cadre de référence permettant d’évaluer et de traiter la personne qui consulte au sujet d’une difficulté liée à son orientation sexuelle ou à son identité de genre. De plus, ils proposent une attitude clinique grâce à laquelle tout professionnel de la santé peut créer un espace où la personne qui consulte pour d’autres problèmes de santé mentale courants est à l’aise et se sent libre de parler d’enjeux d’ordre sexuel. Le professionnel peut donc effectuer ses évaluations et dresser son plan de traitement en toute confiance puisque la vaste majorité de nos compétences portant sur la détresse humaine sont parfaitement applicables à cette population.