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Introduction

Les techniques de stimulation transcrânienne non invasive comme la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS) et la stimulation transcrânienne par courant continu (tDCS) permettent de moduler la connectivité et l’activité cérébrale entraînant des modifications comportementales et cognitives subséquentes. Des études de neurophysiologie ont montré que la rTMS haute fréquence et la tDCS anodique appliquées au niveau de la région du cortex moteur primaire pouvaient augmenter l’excitabilité corticale de cette région (Lefaucheur etal., 2014 ; Brunoni etal., 2012). À l’inverse, il a été montré que la rTMS appliquée à basse fréquence ainsi que la tDCS cathodique pouvaient diminuer l’excitabilité du cortex moteur (Lefaucheur et al., 2014 ; Brunoni etal., 2012). Les études de neuroimagerie ont montré que les patients souffrant d’un épisode dépressif majeur et les patients schizophrènes avec symptômes négatifs prédominants (SN) présentaient des anomalies structurales et fonctionnelles au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) et notamment une hypoactivité du CPFDL gauche. Il a ainsi été proposé d’appliquer les techniques de neurostimulation « facilitatrices » comme la rTMS haute fréquence et la tDCS anodique sur les aires cérébrales dysfonctionnelles chez les patients présentant des symptômes pharmacorésistants afin de développer de nouvelles solutions thérapeutiques pour ces patients (Brunelin et al., 2010 ; Tortella et al., 2015). Depuis la première étude menée en 1993 chez des patients déprimés (Höflich et al., 1993), plusieurs études contrôlées randomisées et plusieurs méta-analyses ont confirmé l’efficacité clinique de la rTMS appliquée au niveau du CPFDL pour diminuer les symptômes chez les sujets déprimés et chez les patients SN (Lefaucheur et al., 2014). Des résultats prometteurs montrant l’efficacité clinique de la tDCS appliquée au niveau du CPFDL ont également été rapportés récemment chez les patients déprimés (Tortella et al., 2015) et chez les patients SN (Mondino et al., 2015 a).

Bien que l’efficacité clinique des techniques de neurostimulation soit solidement établie dans ces deux indications, les mécanismes de l’effet thérapeutique restent incertains. Si le CPFDL est impliqué dans les symptômes dépressifs et dans les symptômes négatifs de la schizophrénie, il est également impliqué dans de nombreuses fonctions cognitives et notamment dans les processus émotionnels (Herrington et al., 2005). Les processus émotionnels sont connus comme étant dysfonctionnels chez les patients déprimés (Beevers, 2005), et chez les patients schizophrènes (O’Driscoll et al., 2014). Nous proposons ici de discuter les études qui ont mesuré les effets des techniques de neurostimulation appliquées en regard du CPFDL sur les symptômes et sur les processus émotionnels chez les patients déprimés et chez les patients SN, afin d’établir s’il existe un lien ou non entre l’amélioration clinique et la modulation des processus émotionnels dans ces deux pathologies. Les études ont été sélectionnées sur la base de données PubMed jusqu’en octobre 2015 avec les mots clés : emotion, DLPFC, rTMS, tDCS, depression, schizophrenia. Seuls les articles abordant les aspects cliniques et émotionnels chez les patients présentant un épisode dépressif majeur ou les patients schizophrènes recevant de la stimulation sur le CPFDL ont été retenus (Tableau I).

1. Stimulation du CPFDL chez les patients déprimés

L’épisode dépressif majeur (EDM) est un trouble invalidant avec une forte prévalence dans le monde occidental. Malgré les avancées des approches pharmacologiques, environ 30 % des patients déprimés demeurent symptomatiques et sont considérés comme résistants aux traitements (Berlim & Turecki, 2007), justifiant le développement de nouvelles approches thérapeutiques. Plusieurs études ont rapporté l’efficacité des techniques de stimulation pour diminuer les symptômes dépressifs résistants (De Raedt et al., 2015 ; Tortella et al., 2015). Dans cette indication, les zones cibles de traitement sont les CPFDL gauche et droit. La sélection de ces cibles est basée sur les études de neuroimagerie qui ont montré une asymétrie préfrontale chez les patients déprimés avec une hypoactivité du CPFDL gauche et une hyperactivité du CPFDL droit (Grimm et al., 2008). Les protocoles de rTMS proposés utilisent soit une stimulation « facilitatrice » à haute fréquence sur le CPFDL gauche, soit une stimulation « inhibitrice » à basse fréquence sur le CPFDL droit (Lefaucheur et al., 2014). La tDCS a montré son efficacité avec le montage positionnant l’anode « facilitatrice » au niveau du CPFDL gauche et la cathode « inhibitrice » sur le CPFDL droit, la région supra-orbitale droite ou dans une position extracéphalique (Tortella et al., 2015).

Par ailleurs, des études ont montré qu’il existait un déficit des processus émotionnels chez les patients déprimés avec notamment un biais attentionnel vers les stimuli négatifs ou un déficit de reconnaissance des émotions faciales (Gotlib & Joormann, 2010 ; Dalili et al., 2015). Plusieurs études cliniques se sont ainsi intéressées au lien entre l’amélioration clinique de la symptomatologie dépressive dans sa globalité, évaluée par des échelles d’évaluations psychométriques standardisées (p. ex., MADRS10, HDRS17) et les effets des techniques de neurostimulation sur l’« humeur » évaluée par des échelles visuelles analogiques (EVA), par des échelles d’évaluation psychométriques standardisées telle que la Profile of Mood States (POMS), la Positive and Negative Affect Schedule (PANAS) ou encore par des tests cognitifs comme le Go/No-go affectif.

1.1 Effet sur l’humeur

Dans une première étude contrôlée randomisée, Dang et al. (2007) ont montré que bien que la rTMS active diminuait significativement les symptômes de la dépression (Avery et al., 2006), elle n’entraînait pas d’effet sur l’humeur des patients déprimés, comparée à la stimulation placebo. Dans cette étude, 68 patients (35 actifs, 33 placebos) devaient coter leur humeur sur une EVA à 5 items mesurant tristesse, anxiété, joie, fatigue et douleur. Les patients recevaient 15 sessions de rTMS à haute fréquence (10 Hz) sur le CPFDL gauche. Dans une autre étude évaluant l’effet de 10 et 15 sessions de rTMS haute fréquence (10 Hz) en regard du CPFDL droit, Anderson et al. (2009) ont montré que chez 20 patients non cliniquement répondeurs à la rTMS après 3 semaines de stimulation sur le CPFDL gauche, la rTMS sur le CPFDL droit n’avait pas non plus d’effet sur l’humeur mesurée à l’aide d’une EVA à 15 items (joie, irritabilité, colère, excitation, confusion, calme, tristesse, anxieux, nerveux, ennuyeux, relaxé, fatigué, distrait, douleur et inconfort).

Ces résultats sont en contradiction avec l’étude contrôlée de Szuba et al. (2001) réalisée chez 14 patients (9 actifs, 5 placebos) qui recevaient 10 séances de rTMS haute fréquence (10 Hz) sur le CPFDL gauche. Cette étude incluant des patients déprimés sans traitement médicamenteux a montré une amélioration immédiate des items dépression, anxiété et colère mesurés par la Profile of Mood States (POMS) suite à la rTMS active comparée à la stimulation placebo. Cette amélioration n’était néanmoins pas significativement liée à une amélioration clinique. Finalement, dans une étude contrôlée en cross-over versus placebo utilisant l’échelle Positive and Negative Affect Schedule (PANAS) qui mesure l’humeur et les sensations, Palm et al. (2012) ont montré que 10 séances de tDCS (1 ou 2 mA, 20 min) avec l’anode appliquée sur le CPFDL gauche et couplée à la cathode sur l’aire supra-orbitale droite entraînaient une augmentation significative des émotions positives et une tendance à la diminution pour les émotions négatives chez 22 patients déprimés. Dans cette étude, la tDCS active appliquée au niveau du CPFDL n’entraînait cependant pas de modification des symptômes dépressifs. Ces études suggèrent qu’il n’y a pas de lien entre amélioration clinique et changement de l’humeur chez les patients déprimés.

1.2 Effets sur les processus attentionnels émotionnels

Bermpohl et al. (2006) ont mis en évidence que la réponse clinique à la rTMS et l’impact sur les émotions variaient selon le site de stimulation et la sévérité de la dépression. Les auteurs ont stimulé 18 patients déprimés à différents stades de la maladie, 10 en phase aiguë et 8 en rémission partielle ou totale selon leur score à l’HDRS17. Les stimulations étaient délivrées à basse fréquence (1 Hz) sur trois zones cibles (CPFDL gauche, CPFDL droit ou cortex occipital). Chaque sujet recevait chacune des séances de stimulation de manière randomisée et réalisait une tâche de Go/No-go affective (AGN). Dans cette tâche, les sujets devaient répondre à des stimuli d’une valence émotionnelle spécifique tout en inhibant la réponse aux stimuli de valences opposées. Le nombre d’erreurs (c.-à-d., la somme des fausses alarmes et des omissions) a été mesuré dans chacune des conditions de l’étude. La rTMS « inhibitrice » appliquée sur le CPFDL droit améliorait les performances pour les patients déprimés en phase aiguë comparativement aux patients en rémission partielle ou totale. La stimulation du CPFDL gauche entraînait une altération des performances chez les patients en rémission partielle ou totale, mais pas chez les patients en phase aiguë. Ces résultats sont en adéquation avec la théorie d’un mauvais équilibre entre le CPFDL gauche hypoactif et le CPFDL droit hyperactif observé dans la physiopathologie de la dépression. À noter que dans cette étude, les effets de la rTMS ne sont pas différents pour les réponses aux stimuli positifs ou négatifs. Aucun effet clinique n’a été recherché dans cette étude, mais plus les sujets étaient déprimés, plus l’effet de la rTMS sur les émotions était important.

En utilisant la même tâche AGN, Boggio et al. (2007) ont montré que 10 séances de tDCS active (2 mA, 20 min) avec l’anode appliquée sur le CPFDL gauche et la cathode sur l’aire supra-orbitale droite amélioraient les performances (nombre de réponses correctes) pour les images avec un contenu émotionnel positif chez des patients non traités par traitements antidépresseurs pharmacologiques. Dans cette étude, aucune amélioration clinique n’a été rapportée chez ces 12 patients recevant la tDCS active, suggérant qu’il n’y a pas de lien direct entre amélioration des processus émotionnels et amélioration des symptômes.

Dans une série d’études, Leymann et al. (2011) ont observé une corrélation entre l’amélioration clinique et l’amélioration de performances des sujets pour inhiber leur réponse aux stimuli tristes, mais pas d’effet sur l’humeur. Les processus inhibiteurs des informations émotionnelles étaient mesurés grâce à la tâche Negative Affective Priming (NAP) avec des visages émotionnels neutres, des visages exprimant la joie ou la tristesse. La rTMS était appliquée à haute fréquence (10 Hz) en regard du CPFDL gauche chez 14 patients déprimés ne recevant pas de traitement antidépresseur pharmacologique. Les auteurs ont rapporté que 9 des 14 patients répondaient cliniquement à la stimulation (10 sessions) avec une diminution d’au moins 50 % de leur score de dépression mesuré par des échelles cliniques psychométriques standardisées (HDRS), tandis qu’aucun effet de la rTMS n’a été observé sur l’humeur cotée avec une EVA à 5 items mesurant dépression, colère, tension, fatigue et vigueur. Cette étude corrobore les données d’études précédentes du même groupe d’auteurs montrant qu’il n’y a pas de lien entre amélioration des symptômes et amélioration de l’humeur (Vanderhasselt et al., 2009a, b) et suggère qu’il existe un lien entre amélioration des symptômes et amélioration des performances d’inhibition des processus attentionnels émotionnels dans une tâche avec des émotions faciales.

Tableau 1

Études évaluant l’effet de la stimulation magnétique (rTMS) ou électrique (tDCS) transcrânienne sur les symptômes, l’humeur et les processus émotionnels chez les patients déprimés et schizophrènes

Études évaluant l’effet de la stimulation magnétique (rTMS) ou électrique (tDCS) transcrânienne sur les symptômes, l’humeur et les processus émotionnels chez les patients déprimés et schizophrènes

A : actif ; P : placebo ; F3 : CPFDL gauche ; F4 : CPFDL droit ; FP2 : région supra-orbitale droite

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2. Stimulation du CPFDL chez les patients schizophrènes

La schizophrénie est une pathologie psychiatrique sévère et invalidante avec une expression clinique hétérogène (Buckley et al., 2009). Les symptômes de la schizophrénie sont traités en première intention par des agents antipsychotiques, mais environ 30 % des symptômes sont résistants à la pharmacologie. Ces dernières années, les techniques de neurostimulation ont montré leur intérêt dans les traitements des symptômes résistants de la schizophrénie et notamment les symptômes négatifs (SN). Dans cette indication, des stimulations « facilitatrices » par rTMS à haute fréquence (Brunelin et al., 2010 ; Lefaucheur et al., 2014) ou par tDCS anodique sont appliquées en regard du CPFDL gauche (Mondino et al., 2015 a ; Tortella et al., 2015).

À ce jour, bien que de nombreuses études incriminent un déficit de processus émotionnel comme la reconnaissance des émotions faciales chez les patients schizophrènes (p. ex., Kohler et al., 2010), peu d’études se sont intéressées aux corrélats entre amélioration clinique et modulation des processus émotionnels ou de l’humeur suite à des stimulations du CPFDL.

Dans une étude récente, Wölwer et al. (2014) ont montré que 10 sessions de rTMS « facilitatrice » à haute fréquence (10 Hz) appliquées en regard du CPFDL gauche chez 18 sujets atteints de schizophrénie amélioraient leurs performances dans une tâche de reconnaissance des émotions faciales (joie, peur, colère, surprise, dégoût et tristesse) comparés au groupe de 14 patients ayant reçu la rTMS placebo. Le pourcentage de réponses correctes pour l’identification des émotions (joie, peur, colère, surprise, dégoût et tristesse) était augmenté par la rTMS active (+ 8,9 %) comparativement à la rTMS placebo (+ 1,6 %). Dans cet échantillon de patients, Cordes et al. (2010) n’ont pas montré d’amélioration clinique après rTMS active comparée à la rTMS placebo. Cependant, une analyse en sous-groupe montrait une amélioration significative des scores Positive And Negative Syndrome Scale (PANSS) après rTMS active dans le sous-groupe de patients présentant les symptômes négatifs les plus sévères comparé au placebo. Dans ce sous-groupe de patients, les auteurs ont également montré une amélioration significative des performances des patients dans une tâche de reconnaissance des émotions faciales après rTMS active comparée à placebo. Cependant, aucune corrélation n’a été trouvée entre ces deux améliorations.

Dans une étude plus récente, Rassovsky et al. (2015) ont montré que la tDCS avec l’anode en regard du CPFDL gauche et la cathode en regard du CPFDL droit améliorait l’identification des émotions faciales chez les patients atteints de schizophrénie. Dans cette étude, 36 patients atteints de schizophrénie complétaient la tâche de Facial Emotion Identification Test (FEIT). Les 24 patients qui recevaient la séance de tDCS active (20 minutes, 2 mA) amélioraient spécifiquement leur performance de reconnaissance des émotions indépendamment d’autres processus cognitifs (perception sociale et interférence sociale) comparativement aux 12 sujets qui recevaient la tDCS placebo. Aucun lien entre amélioration des symptômes et amélioration des processus émotionnels n’a été recherché dans cette étude, l’amélioration clinique n’était pas mesurée.

Discussion

Au travers de cette revue des travaux portant sur les effets des techniques de stimulation du CPFDL sur les processus émotionnels dans les pathologies dépressives et schizophréniques, nous avons mis en exergue des impacts cliniques et émotionnels spécifiques (humeur, processus attentionnel émotionnel et reconnaissance des émotions faciales).

Dans la dépression, les études n’ont pas montré de modification de l’humeur chez les patients traités par des séances répétées de techniques de neurostimulation (Dang et al., 2007 ; Anderson et al., 2009 ; Leyman et al., 2011 ; Vanderhasselt et al., 2009a), alors même que les symptômes dépressifs étaient améliorés. Les études ayant mesuré les capacités attentionnelles émotionnelles à l’aide du Go/No-go affectif n’ont pas montré de relation entre amélioration clinique et amélioration des processus émotionnels après stimulation chez des patients conjointement traités par antidépresseurs pharmacologiques (Bermpohl et al., 2006). Au final, la stimulation du CPFDL pourrait modifier les processus émotionnels chez les patients déprimés non traités par antidépresseurs pharmacologiques en induisant une modification de l’humeur (mesurée par une EVA ; Szuba et al., 2001) ou une modification des processus attentionnels émotionnels (Leyman et al., 2011 ; Boggio et al., 2009). Seuls Leyman et al. (2011) ont rapporté une corrélation entre amélioration clinique et amélioration des processus émotionnels sans toutefois montrer un effet sur l’humeur. De nouvelles études permettraient d’identifier les liens entre symptômes dépressifs, humeur et processus attentionnels émotionnels.

Concernant la schizophrénie, les résultats suggèrent que les techniques de neurostimulation sont capables de modifier la reconnaissance des émotions faciales chez les patients (Rassovsky et al., 2015 ; Wölwer et al., 2014), mais aucun effet sur l’humeur n’a été rapporté. Cependant, aucune corrélation n’a été retrouvée entre l’amélioration de la symptomatologie négative et l’amélioration des performances de reconnaissance des émotions faciales chez les patients atteints de schizophrénie après stimulation du CPFDL (Wölwer et al., 2014).

Finalement, ces données montrent que l’amélioration de l’humeur n’est pas en lien avec l’amélioration clinique observée chez les patients déprimés. Il semble ne pas y avoir de lien entre l’amélioration des processus émotionnels et l’amélioration clinique ni chez les patients déprimés recevant un traitement pharmacologique ni chez les patients schizophrènes. Ces résultats suggèrent que les réseaux neuronaux sous-tendant la symptomatologie des patients et les réseaux neuronaux impliqués dans les processus émotionnels et l’humeur sont des réseaux partiellement distincts qui partagent au moins une structure commune : le CPFDL. Cependant, l’application des techniques de neurostimulation en regard du CPFDL ne suffirait pas à moduler simultanément les symptômes, l’humeur et les processus émotionnels (voir Figure 1). Il est par ailleurs intéressant de noter que l’absence de lien entre humeur et processus émotionnels a également été observée dans les études chez des volontaires recevant de la stimulation au niveau du CPFDL (Mondino et al., 2015 b).

Dans la dépression, l’absence de lien entre symptomatologie et processus émotionnel est en accord avec certains résultats observés dans des études cognitives qui n’ont pas montré de corrélation entre l’intensité des symptômes (mesurés par la BDI) et la sévérité des déficits dans les processus émotionnels (Bylsma et al., 2008). Néanmoins, de nombreuses autres études ont montré des associations entre les déficits des processus émotionnels et la symptomatologie des patients atteints de dépression (Dalili et al., 2015 ; Rottenberg et al., 2002). À côté de ces travaux sur la dépression, chez les patients souffrant de schizophrénie, aucun consensus n’existe sur l’association entre les déficits des processus émotionnels et les symptômes. Certaines études ont montré qu’il existait un lien entre les déficits de processus émotionnels et la symptomatologie négative (Balogh et al., 2014), alors que d’autres ont montré qu’il existait un lien entre les déficits de processus émotionnels et la symptomatologie positive et les déficits cognitifs (Laroi et al., 2010). Ces travaux restent toutefois limités.

Figure 1

Liens entre améliorations cliniques, amélioration des processus émotionnels et changement aigu de l’humeur chez les patients schizophrènes et déprimés bénéficiant de séances de stimulation (rTMS ou tDCS) appliquées au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral.

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Il est important de noter qu’il est difficile de comparer les études entre elles de par la multiplication des échelles de mesure des symptômes (p. ex., HDRS17, MADRS10 dans la dépression ou PANSS, SANS dans la schizophrénie) et des façons de mesurer les processus émotionnels (p. ex., EVA de l’humeur, PANAS, POMS, test cognitifs émotionnel, test de reconnaissance des émotions faciales). Il n’existe pas de consensus sur la méthode optimale pour mesurer chacun des paramètres (humeur, processus émotionnels et symptômes). Par ailleurs, dans la plupart des études, les patients inclus bénéficiaient de traitements pharmacologiques (antidépresseurs et antipsychotiques). Or, les traitements pharmacologiques peuvent modifier les processus émotionnels. En effet, s’agissant des traitements antidépresseurs, des études réalisées chez les sujets sains et les patients déprimés ont montré un effet bénéfique de ces traitements sur la capacité de reconnaissance des émotions (Harmer et al., 2013 ; Shiroma et al., 2014 ; Tranter et al., 2009). Il est intéressant de noter que les seules études qui ont montré un effet des neurostimulations sur les processus émotionnels avaient inclus des sujets atteints de dépression ne bénéficiant pas de traitement antidépresseur pharmacologique (Szuba et al., 2001 ; Leyman et al., 2011 ; Boggio et al., 2007). Ces données suggèrent qu’un traitement antidépresseur pharmacologique ou par neurostimulation peut améliorer les processus émotionnels chez les sujets déprimés. Les résultats négatifs des études de neurostimulation ne montrant pas d’amélioration des processus émotionnels chez des sujets déprimés avec traitement pharmacologique pourraient s’expliquer par un effet plafond des traitements antidépresseurs sur les processus émotionnels. Cependant, cet effet plafond des traitements antidépresseurs pharmacologiques n’empêche pas l’effet antidépresseur des techniques de neurostimulation, mais uniquement son effet sur les processus émotionnels. Cette dissociation pose la question d’un mécanisme distinct des traitements antidépresseurs pharmacologiques, des techniques de neurostimulation et de l’association de ces deux approches sur les symptômes dépressifs, l’humeur et les processus attentionnels émotionnels.

Dans la schizophrénie, les résultats concernant les effets des traitements antipsychotiques sur les processus émotionnels sont controversés. Bien que des études récentes rapportent un manque de preuve quant à l’efficacité des traitements antipsychotiques sur les processus émotionnels (pour revue voir Hempel et al., 2010 ; Bediou et al., 2012), certaines études comme notamment celle de Fakra et al. (2009) ont montré que les traitements antipsychotiques pouvaient améliorer les processus de discrimination des expressions faciales émotionnelles. Nos résultats suggèrent que les neurostimulations peuvent moduler les processus émotionnels chez les sujets schizophrènes qui reçoivent des traitements pharmacologiques. Les relations entre techniques de neurostimulation et traitement pharmacologique restent à être explorées dans des futures études chez les patients déprimés et schizophrènes.

L’effet des techniques de neurostimulation ne dépend pas seulement des paramètres de stimulation (p. ex., cible, fréquence, intensité) et des traitements associés, mais également de l’état d’activation des réseaux neuronaux pendant la stimulation (Silvanto & Pascual-Leone, 2008). En ce sens, Isserles et al. (2011) ont montré que la modulation de l’état émotionnel des patients atteints de dépression pendant les séances de rTMS permettait d’améliorer l’efficacité clinique de la stimulation. Ainsi, appliquer la rTMS lorsque les patients déprimés ressentent des émotions positives est plus efficace que lorsqu’ils ressentent des émotions négatives. Cette étude suggère qu’il existe une interaction entre l’état émotionnel des sujets, le traitement des processus émotionnels et l’effet thérapeutique antidépresseur des techniques de neurostimulation.

Enfin, si le lien entre amélioration clinique et amélioration des déficits des processus émotionnels et de l’humeur est loin d’être linéaire après stimulation du CPFDL, l’effet sur les émotions pourrait cependant être utilisé comme marqueur prédictif de la réponse chez les patients déprimés recevant de la stimulation sur d’autres zones cérébrales dysfonctionnelles ou à l’aide d’autres techniques de stimulation. En ce sens, Downar et al. (2014) ont montré que les sujets déprimés qui répondaient positivement à la stimulation par rTMS à haute fréquence du cortex préfrontal dorsomédian (CPFDM), présentaient des scores d’anhédonie plus bas que les sujets non-répondeurs avant les séances de stimulation. Cette étude suggère que l’intensité de l’anhédonie (qui est liée aux processus émotionnels) pourrait être un marqueur prédictif de la réponse thérapeutique à la rTMS. Dans une autre étude, Levkovitz et al. (2011) ont montré que moins les sujets étaient apathiques, plus ils avaient des chances de répondre de manière bénéfique à des séances de deep TMS appliquée à haute fréquence sur le CPFDL. La deep TMS est une forme de TMS particulière qui utilise une forme de bobine de stimulation spécifique qui permettrait de cibler des régions corticales plus profondes que les bobines en huit classiquement utilisées dans les autres études.

Conclusion

Au final, il semblerait qu’il n’y ait pas de lien direct entre l’amélioration des processus émotionnels (humeur, processus attentionnels émotionnels et reconnaissance des émotions faciales) et l’amélioration clinique chez les patients déprimés et schizophrènes recevant des stimulations en regard du CPFDL (Figure 1). L’effet des traitements pharmacologiques et notamment des antidépresseurs pourrait être un facteur confondant dont l’impact reste à préciser. L’étude des processus émotionnels (anhédonie et apathie) pourrait s’avérer intéressante dans le but de dégager des marqueurs prédictifs de réponse aux techniques de neurostimulation.