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INTRODUCTION

On estime à 13 % la prévalence des problèmes de santé mentale (PSM), diagnostiqués ou non, chez les Québécois âgés de 65 ans et plus1. Ces aînés sont plus susceptibles que les personnes plus jeunes de présenter des comorbidités telles qu’une perte d’audition, une altération des fonctions cognitives, des limitations fonctionnelles, et d’avoir besoin d’assistance pour les soins personnels, la gestion des médicaments et pour d’autres activités quotidiennes2. Les PSM ont des répercussions sur les conditions de vie des aînés et sur leurs opportunités d’exercer des rôles sociaux valorisants3. Ces aînés sont donc moins enclins d’avoir un mode de vie socialement actif que ceux n’ayant pas de problème de santé mentale4. Ils font partie des populations vulnérables, à risque de vivre des situations d’exclusion, liées à la fois à leur vieillissement et à leur problème de santé mentale5,6.

Décliné en de multiples définitions, le concept de participation sociale peut se rapporter à des dimensions liées au fonctionnement dans la vie quotidienne, aux interactions sociales, au réseau social et à l’associativité structurée7. Il est reconnu que la participation sociale contribue au maintien de la santé et du bien-être des aînés7. Être actif socialement est associé à une réduction des risques de mortalité8, de dépression9, de déclin cognitif et fonctionnel10, en plus d’être associé à une amélioration de la perception de l’état de santé11 et du sentiment de bien-être12 ainsi qu’à une utilisation moindre des services sociaux et de santé13. C’est pourquoi la participation sociale fait maintenant partie de cadres stratégiques dans le domaine du vieillissement et de la santé mentale14. Pourtant, les aînés vivant avec des PSM constituent une clientèle souvent mal desservie par les services de santé et communautaires15.

Alors qu’il existe plusieurs interventions visant à favoriser la participation sociale des aînés16, très peu ciblent les défis particuliers soulevés par les PSM. Par contre, quelques programmes ont été développés spécifiquement pour renforcer les compétences sociales et favoriser l’autogestion des symptômes de PSM chez les aînés, notamment le Functional adaptation skills training-FAST17, le Cognitive behavioural social skills training et le programme Helping older people experiences success-HOPES18. Ces programmes sont habituellement réservés aux personnes qui vivent des PSM graves et persistants et sont offerts dans des milieux cliniques spécialisés19.

Or, selon une perspective populationnelle, il serait opportun de rendre disponibles des interventions de promotion de la santé mentale pouvant être offertes dans différents milieux, incluant les organismes communautaires, à une population cible élargie20. Cet article relate le processus de co-construction et décrit les principales composantes d’un programme de promotion de la participation sociale destiné aux aînés, avec ou sans diagnostic en santé mentale, qui vivent des problèmes psychosociaux qui peuvent limiter leur participation aux ressources de leur communauté.

LA CO-CONSTRUCTION DU PROGRAMME

Le Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-CO) a, entre autres mandats, de développer, d’évaluer et de transférer des interventions novatrices abordant des aspects sociaux du vieillissement. C’est dans ce contexte qu’en 2012, une équipe de pilotage interdisciplinaire composée de deux intervenants, de trois chercheuses et d’une professionnelle de recherche, s’est donnée comme mandat de développer un programme qui pourrait être implanté dans une variété de contextes, incluant des organismes communautaires, des installations du réseau de la santé et des services sociaux et des ressources résidentielles (ex. : logement social, loyers supervisés). Pour ce faire, l’équipe a eu recours à la « Démarche de co-construction de pratiques innovantes en promotion de la santé » proposée par Parisien, Nour et Laforest (2011). Cette méthode implique une évolution continue et simultanée de trois dimensions importantes du développement de pratiques soit : l’élaboration des outils d’intervention, l’évaluation et le transfert (figure 1). Elle tire ses fondements des modèles de planification en promotion de la santé21, de gestion de projets22, de transfert de connaissances23 et d’évaluation de programmes24. Alors que les quatre premières phases de la démarche mènent au développement de l’intervention comme tel, les phases suivantes portent sur son évaluation dans une perspective de recherche évaluative et sur son déploiement élargi. Cet article décrit les activités liées aux quatre premières phases, soit celles de définition du projet, de conceptualisation de l’intervention, de création des outils et de mise à l’essai. Un certificat d’éthique a été obtenu du CIUSSS-CO pour procéder à l’analyse des besoins auprès de la population cible et à la mise à l’essai du programme au sein de milieux de pratique.

Figure 1

Démarche de co-construction du programme Participe-présent

Démarche de co-construction du programme Participe-présent

Encadré : phases présentées dans l’article

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Phase 1. Définir le projet

La première phase de la démarche de co-construction était d’analyser les besoins pour préciser le périmètre du projet, c’est-à-dire d’identifier la population cible, le but, le contexte d’implantation et le format de l’intervention à développer. Pour ce faire, l’équipe de pilotage s’est principalement appuyée sur les résultats d’une évaluation préalable des services de santé mentale et sur des échanges avec des parties prenantes.

En 2009-2010, Nour et coll. ont procédé à une évaluation des services communautaires en santé mentale pour aînés du CSSS Cavendish-CAU (maintenant intégré au CIUSSS-CO). Pour ce faire, ils ont mené quatre entretiens individuels auprès de gestionnaires d’une équipe de santé mentale, deux groupes de discussions focalisées auprès d’intervenants en santé mentale (n = 12) et trois entrevues individuelles auprès d’usagers des services de santé mentale, âgés de 60 ans et plus (n = 30)25. Cette évaluation a notamment permis de constater que les usagers des services de santé mentale avaient très peu de contacts dans la communauté. Elle a aussi mis en lumière l’existence d’une population qui était moins bien desservie, soit les personnes aînées sans diagnostic spécifique en santé mentale, mais qui présentaient des conditions psychosociales telles que l’isolement, des difficultés d’adaptation, une perte d’autonomie psychosociale et de la détresse psychologique.

Ultérieurement, des échanges informels réalisés avec quatre gestionnaires de services pour personnes âgées ou de santé mentale de différents établissements du réseau de la santé ont permis de constater une importante variation dans l’organisation des services en santé mentale. Cette disparité a d’ailleurs été soulevée par l’Association des médecins psychiatres du Québec26. Des entretiens semi-dirigés ont aussi été réalisés auprès de responsables et d’intervenants de deux organismes communautaires spécialisés en santé mentale et de deux organismes communautaires non spécialisés. Il en est ressorti que les responsables et intervenants des milieux spécialisés se questionnaient sur l’adéquation de leur programmation en fonction des besoins de leur clientèle vieillissante tandis que ceux qui oeuvraient dans des organismes non spécialisés rapportaient un certain inconfort à l’égard de la clientèle aînée qui vit des PSM. Ainsi, malgré des expertises et des niveaux d’action variables en ce domaine, les acteurs consultés ont tous validé la pertinence de développer une intervention ciblant spécifiquement la santé mentale, le vieillissement et la participation sociale.

La phase de définition de projet a mené l’équipe de pilotage à statuer sur le périmètre de l’intervention à développer. Ainsi, afin de rejoindre une plus large population, il a été décidé que le programme soit destiné aux aînés vivant avec des problèmes psychosociaux, avec ou sans diagnostic spécifique en santé mentale. La participation sociale étant un concept pluriel27, il a été retenu que le programme viserait spécifiquement la participation communautaire, ce que l’équipe a défini comme étant l’utilisation, par les aînés, des divers services et ressources de leur communauté pouvant être sources d’activités et d’espaces de socialisation. Pour ce faire, une perspective de promotion de la santé a été privilégiée, misant sur l’amélioration du bien-être plutôt que sur le traitement de la problématique28.

Finalement, l’équipe s’est fixé des caractéristiques à respecter lors du développement du programme, inspirées notamment des conditions de réussite identifiées par Shankland et Lamboy (2011) pour la promotion de la santé mentale et par l’équipe de Raymond (2008) au sujet des interventions favorisant la participation sociale des aînés :

  • Accessible : cibler une population élargie, notamment les personnes plus difficiles à rejoindre (ex. : isolées ou à faible littéracie) ;

  • Axé sur l’autonomisation : viser à rehausser le sentiment d’efficacité et les habiletés sociocognitives des participants (ex. : communication, résolution de problèmes) ;

  • Expérientiel : offrir aux participants des occasions d’applications pratiques (ex. : expérimentations, jeux de rôle, vignettes), dans le contexte sécuritaire du groupe ;

  • Socialisant : faciliter la création de liens sociaux entre les participants et dans la communauté ;

  • Exhaustif : produire une trousse d’animation qui comprend les outils nécessaires pour optimiser la conformité et la qualité de l’implantation du programme ;

  • Flexible : adapter le programme à différents types d’animateurs (professionnels, intervenants communautaires et pairs aidants), de milieux (établissements du réseau de la santé et organismes communautaires) et de profils de participants.

Phase 2. Conceptualiser l’intervention

La seconde phase visait à élaborer la base théorique sur laquelle s’organiserait chacune des composantes du programme. L’équipe de pilotage a choisi l’approche d’intervention, a réalisé des entrevues auprès de représentants de la population cible et a organisé des rencontres de remue-méninges.

L’approche par les forces a été retenue comme principe organisateur du cadre théorique29. Cette approche, d’abord développée pour les personnes vivant avec des PSM, se veut une alternative aux modèles traditionnels, centrés sur les problèmes et déficiences et propose des interventions misant plutôt sur les forces de la personne, notamment : ses attributs personnels ; ses intérêts et ses aspirations ; ses talents et ses habiletés de même que les ressources disponibles dans son environnement30. Elle est particulièrement pertinente dans une perspective de promotion de la santé puisque le résultat souhaité n’est pas l’absence de symptômes, mais plutôt l’intégration optimale de la personne dans la communauté et l’amélioration de sa qualité de vie29.

Les écrits portant spécifiquement sur les forces qui favorisent la participation communautaire des aînés ayant des PSM ou des difficultés psychosociales sont rares, la plupart des chercheurs s’étant davantage intéressés aux obstacles31. Pour documenter la perspective de la population cible, des entrevues ont été réalisées auprès de personnes âgées de 50 à 79 ans (n = 12), vivant avec des problèmes psychosociaux (avec ou sans diagnostic en santé mentale), recrutées par des organismes communautaires. Au cours d’une entrevue semi-structurée d’une heure, les répondants étaient notamment appelés à décrire les activités qu’ils réalisaient dans leur communauté (leur participation) et à identifier ce qui les aidait à réaliser leurs activités (leurs forces et ressources). Les verbatim ont été transcrits et analysés. La richesse du contenu a mené l’équipe de pilotage à en faire l’objet d’une future publication. En bref, les forces qui ont été identifiées se regroupent en trois catégories : 1) des facteurs individuels (ex. : la confiance en soi, le sentiment d’appartenance, le budget) ; 2) des facteurs sociaux (ex. : l’attitude favorable des intervenants, la relation avec les autres membres des organismes) ; 3) des facteurs environnementaux (ex. : la programmation des organismes, l’aménagement des lieux, le transport).

Les remue-méninges de l’équipe de pilotage ont mené à la création du modèle logique visant à expliciter les mécanismes de changement prévus, notamment le but, les objectifs et les activités du programme (figure 2)32. Conformément à une perspective de promotion de la santé, il a été décidé que le programme s’articulerait autour de deux objectifs généraux soit : renforcer les compétences des participants en matière de participation communautaire, et rendre leur environnement socio-organisationnel plus favorable. Pour renforcer les compétences personnelles, le processus du programme s’inspire des cinq étapes de l’intervention par les forces proposées par Bougie (2010) : favoriser l’engagement et l’établissement du lien de confiance ; identifier ses aspirations et ses intérêts en matière de participation communautaire ; identifier un objectif de participation ; renforcer ses compétences et acquérir des ressources puis favoriser le transfert dans la communauté. Pour favoriser la création d’environnements propices à la participation communautaire de cette population, les stratégies retenues ont été la sensibilisation via la communication médiatique et le renforcement de la collaboration interorganisationnelle par le biais de l’organisation de visites d’organismes.

Figure 2

Modèle logique de Participe-présent

Modèle logique de Participe-présent

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En vue d’en optimiser la pertinence, la cohérence et la vraisemblance33, le modèle logique a subi de nombreux ajustements, au fil de l’avancement des travaux et des consultations auprès des membres d’un comité de validation. Les modalités de ces consultations sont expliquées à la prochaine phase.

Phase 3. Créer les outils d’intervention

Une fois les fondements théoriques établis, la troisième phase était de créer la première version des outils d’intervention puis de les valider auprès d’experts. Tel qu’illustré dans le modèle logique (figure 2), le programme se décline en quatre volets : 1) une rencontre individuelle ; 2) un atelier de groupe ; 3) des visites d’organismes communautaires et 4) la production de capsules médiatiques. Réalisée en début de programme, la rencontre individuelle consiste en un entretien structuré qui vise à amener le participant à identifier ses intérêts, ses forces ainsi que ses ressources et à formuler un objectif personnel de participation communautaire. Ensuite, l’atelier de groupe propose huit rencontres de 120 min sur des thèmes liés à la participation communautaire, soit : définir la participation ; reconnaître ses forces ; connaître les ressources de la communauté ; s’adapter au vieillissement ; participer sans trop dépenser ; renforcer ses habiletés sociales ; consolider son réseau et explorer la participation citoyenne. Plusieurs de ces thèmes avaient été identifiés comme des leviers à la participation par les 12 représentants de la population cible ayant participé aux entrevues lors de la phase précédente. Les activités sont à la fois réflexives et interactives (ex. : discussions, quiz, jeux de rôles, vignettes). Certaines ont été inspirées d’activités utilisées dans le domaine de la psychothérapie30, 34. Des techniques de changement de comportements ont été intégrées, notamment l’analyse des barrières, l’accent sur les réussites et le suivi post-intervention, dont le format a été décidé avec les participants35.

L’organisation des visites d’organismes de la communauté est sous-tendue par des stratégies d’autonomisation36 et plusieurs variantes sont proposées afin de convenir aux différents profils de participants (ex. : visite individuelle, en dyade ou en groupe). La production de capsules médiatiques est un projet collectif réalisé pendant les ateliers de groupe. Des techniques de prise de décision sont proposées pour amener le groupe à formuler des messages de sensibilisation sur la santé mentale, sur la participation communautaire et sur le vieillissement en vue de les insérer dans des canevas qui seront affichés sur le babillard de l’organisme ou déposés sur un site Internet.

Les animateurs prédestinés pour le programme sont : des intervenants des milieux communautaires et du réseau de la santé ou encore des pairs aidants certifiés. Les quatre volets ont été décrits dans une trousse d’animation qui comprend notamment : la base théorique du programme, les consignes d’animation, du matériel imprimé pour les participants et des recommandations pour implanter le programme37. La première version de la trousse et du modèle logique du programme a été soumise aux quatre membres de l’équipe de pilotage (principalement des chercheurs) ainsi qu’à un comité de validation formé de deux ergothérapeutes de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, de deux membres du personnel de l’Association canadienne pour la santé mentale-Filiale de Montréal (ACSM-Mtl) et d’une chargée de projet de l’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale (figure 3). La trousse leur a été acheminée de même qu’une grille de questions portant notamment sur : l’adéquation du programme pour la population cible, la faisabilité des activités, le processus du programme ainsi que le contenu et le format de la trousse d’animation. Chacun s’est vu offrir de transmettre ses commentaires par écrit ou par téléphone. Certains ont opté pour utiliser plusieurs moyens de rétroaction. Ainsi, des neuf experts consultés, cinq ont répondu par écrit aux questions sur la grille, cinq ont transmis leurs commentaires par téléphone et deux les ont annotés directement sur la trousse d’animation. Lors de la mise en commun des résultats de la validation (tableau 1), plusieurs suggestions ont été directement intégrées dans la trousse et d’autres ont été transcrites dans un tableau afin de faciliter le suivi ultérieur avec le comité de pilotage.

Tableau 1

Rétroaction des experts sur la version préliminaire du programme (extrait)

Rétroaction des experts sur la version préliminaire du programme (extrait)

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Phase 4. Mettre le programme à l’essai

La mise à l’essai pilote visait à vérifier la faisabilité des divers volets du programme et à explorer leur acceptabilité pour la population cible38. Cinq organismes ont été mobilisés : un centre communautaire de quartier, deux organismes communautaires spécialisés en santé mentale, un organisme offrant des services dans une habitation à loyer modique (HLM) et un centre de jour pour aînés en perte d’autonomie (tableau 2). L’offre du programme était sous la responsabilité des organismes, mais un petit fonds de démarrage a permis de dégager l’animateur pour participer à diverses activités de collecte en lien avec le projet.

Une ou deux rencontres préparatoires ont été réalisées auprès de chaque animateur afin de l’accompagner dans le processus suggéré dans le guide d’animation pour adapter les volets du programme en fonction du contexte et de la clientèle. Un suivi téléphonique informel de mi-implantation a permis de s’enquérir du déroulement de la mise à l’essai. En fin de programme, une entrevue semi-dirigée, à l’aide d’une grille, a permis de documenter l’appréciation des animateurs à l’égard des volets du programme et leurs observations quant à la réponse des participants. Finalement, les animateurs ont été invités à utiliser un journal de bord ou encore à inscrire directement sur le guide d’animation : les activités qu’ils n’avaient pas réalisées ou modifiées, celles qu’ils avaient ajoutées et les réactions des participants à chaque rencontre. Une collecte de données a aussi été menée auprès des participants (ex. : entrevues pré et post programme), ces données seront rapportées dans une future publication.

Les animateurs ont jugé les outils de l’entretien individuel pertinents et bien adaptés aux divers profils de participants. Par contre, deux intervenantes n’ont pas mené d’entretien individuel tel que proposé par le volet 1 du programme. Elle ont plutôt utilisé la grille d’entretien et le formulaire d’objectif personnel pendant une rencontre de groupe, par souci d’efficience et parce que le groupe correspondait davantage à leur mode d’intervention privilégié. Pour ce qui est de l’atelier de groupe, les adaptations ont été mineures. Certains animateurs ont néanmoins proposé des variantes supplémentaires pour certaines activités. Tous ont souligné que les activités étaient trop nombreuses, mais il n’y a pas eu de consensus sur celles à retirer. Il y a aussi eu des avis contradictoires au sujet des supports à l’animation : certains ont beaucoup apprécié les documents à remettre aux participants alors que d’autres les ont considérés comme des distracteurs. Les visites d’organismes ont nécessité passablement de démarchages aux animateurs (ex. : se renseigner sur les ressources, établir des ententes pour les visites). Par contre, certains ont rapporté qu’ils aimeraient en organiser davantage lors de futures applications du programme. Considérant les problèmes de mobilité des participants en centre de jour, l’animatrice a remplacé les visites d’organismes par des présentations sur les diverses ressources de la communauté. Le volet des capsules médiatiques a été décliné dans trois des cinq groupes, les animateurs le considérant moins approprié aux intérêts de leur groupe. Les deux animatrices qui l’ont réalisé ont toutefois apprécié ce volet de l’intervention. Comme principal défi dans l’organisation du programme, tous les animateurs ont soulevé l’important investissement de temps nécessaire pour s’en approprier le contenu. Tous étaient intéressés à offrir le programme à nouveau.

Tableau 2

Mise à l’essai du programme

Mise à l’essai du programme

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En ce qui concerne l’acceptabilité du programme, les animateurs ont rapporté que les participants avaient apprécié tous les volets, plus particulièrement les activités interactives de l’atelier et les visites d’organismes. La plupart des participants ont réussi à ébaucher un objectif en matière de participation communautaire. Dans deux organismes, le programme a été proposé à un groupe intergénérationnel sans que cela ne pose de défi particulier. Par contre, une animatrice a rapporté que les deux participants de son groupe qui avaient une déficience intellectuelle légère ont éprouvé plus de difficultés à comprendre les concepts du programme. Le but de cette mise à l’essai étant de poursuivre le développement du guide d’animation, chaque application a mené à des ajustements successifs du programme et une révision plus importante a été réalisée en fin de mise à l’essai.

DISCUSSION

Le but de cet article était de présenter le développement et de décrire les principales composantes de Participe-présent, un programme visant à promouvoir la participation communautaire des aînés qui vivent des problèmes psychosociaux, avec ou sans PSM. La prochaine section discute du processus de co-construction, du programme qui en a découlé et soulève les principaux défis et limites du projet.

Un processus itératif, intégratif et collaboratif

Bien qu’elle soit schématisée de façon linéaire (figure 1), la démarche de co-construction utilisée pour développer le programme Participe-présent a été un parcours itératif, caractérisé par de nombreux allers-retours. Par exemple, pendant la mise à l’essai du programme (phase 4), l’équipe de pilotage a saisi l’occasion pour réaliser des entrevues auprès de futurs participants afin d’approfondir l’analyse des besoins (phase 1). Cette flexibilité a permis de s’adapter continuellement aux opportunités et à l’évolution des contextes.

Une autre caractéristique de la démarche est qu’elle a intégré, de façon continue, les dimensions d’évaluation et de transfert aux étapes de développement du programme. Ainsi, pendant les quatre premières phases, l’évaluation avait un but formatif, visant notamment à analyser les besoins, la problématique ainsi que le contexte et à colliger la rétroaction nécessaire pour parfaire le contenu et le format du programme. Cette évaluation continue a été possible grâce à un étroit maillage entre les chercheurs et les intervenants. Pour préparer le transfert du programme au sein des milieux de pratique, il est recommandé d’intégrer de futurs utilisateurs, dès le début du projet39. Ainsi, divers acteurs sont intervenus à titre de membres de l’équipe de pilotage (responsable des grandes orientations du projet), d’experts du comité de validation (consulté à des étapes cruciales), de partenaires de la mise à l’essai ou encore de collaborateurs sporadiques (figure 3). Chacun a été sollicité avec un souci de complémentarité des expertises de contenu, de processus, scientifique, pratique, organisationnelle et expérientielle40.

Très peu d’auteurs rapportent le processus qui a mené au développement de leur intervention. En ce qui concerne deux initiatives inspirantes portant sur le renforcement de compétences sociales d’aînés qui vivent avec des PSM persistants, les auteurs du programme HOPES soulignent qu’ils ont commencé par conceptualiser un modèle théorique41 tandis que les instigateurs du programme FAST expliquent qu’ils ont réalisé une recension des écrits, se sont inspirés d’un programme existant, ont réalisé un sondage auprès d’usagers de leur service et se sont basés sur leur expérience clinique17.

Figure 3

Sociogramme du projet

Sociogramme du projet

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Un programme prometteur

La co-construction permet de tenir compte de la pluralité des points de vue, donne une voix à des groupes parfois moins sollicités et favorise la création d’innovations utiles et applicables42. Le programme issu de ce projet est novateur par son approche de promotion de la santé, sa population cible élargie et son cadre théorique axé sur les forces. La rétroaction positive des acteurs clés, tout au long du processus, a laissé entrevoir l’aspect prometteur du programme, tant au niveau de sa pertinence, de sa faisabilité que de son acceptabilité. La mise à l’essai pilote a permis de poursuivre l’ajustement des outils du programme en fonction de différents contextes d’implantation et divers profils de participants et d’animateurs. Cela dit, la réflexion devra être poursuivie par l’équipe de pilotage sur certains aspects du programme qui n’ont pas fait l’unanimité, notamment l’activité de production des capsules médiatiques. Cet accueil mitigé milite en faveur de mieux justifier la pertinence de ce volet et d’améliorer les outils d’animation qui s’y rapportent. Une formation aux futurs animateurs pourrait favoriser une compréhension plus globale des déterminants de la participation communautaire et des pratiques probantes en matière de promotion de la santé mentale20.

Défis et limites du projet

La co-construction soulève le défi de la conciliation des agendas et des points de vue et peut être tributaire de certains facteurs contextuels. Par exemple, il a été difficile de mobiliser un établissement du réseau de la santé et des services sociaux pour la mise à l’essai. Le programme portant à la fois sur la population aînée, sur la promotion de la santé et sur la santé mentale, plusieurs gestionnaires ont décliné, arguant qu’il n’était pas dans le mandat de leur unité administrative d’offrir une telle intervention. Il faut préciser que ceci s’est déroulé dans le contexte d’une importante réforme du réseau de la santé et des services sociaux québécois. Ceci a soulevé la pertinente question de la « niche » du programme. L’idée de l’équipe de pilotage était de le positionner en complémentarité avec les interventions interdisciplinaires portées par les services externes de psychogériatrie et avec les programmes proposés dans le milieu communautaire tels que les ateliers-discussions offerts par l’ACSM ou encore l’Accompagnement personnalisé d’intégration communautaire-APIC27.

Finalement, la principale limite du projet est qu’au terme de ces quatre phases de co-construction, il n’est pas possible de statuer sur l’efficacité du programme à atteindre ses objectifs, c’est-à-dire d’améliorer les déterminants personnels et socio-organisationnels de la participation communautaire. Alors qu’il existe des données probantes au sujet de la promotion de la santé mentale, des auteurs soulignent que des études sont encore nécessaires en ce domaine. Pour ce faire, ils recommandent d’avoir recours à des protocoles rigoureux, de bien définir les dimensions d’évaluation et de varier les approches évaluatives20. Dans le cas de Participe-présent, le modèle logique du programme serait une pierre angulaire pour guider le choix des dimensions de l’évaluation32 et les méthodes utilisées pour la mise à l’essai pourraient inspirer la mise en place du terrain de recherche.

CONCLUSION

Ce projet visait à développer une intervention destinée à favoriser la participation communautaire d’aînés vivant avec des difficultés psychosociales, avec ou sans problèmes de santé mentale. Un processus collaboratif a mené à la création d’un programme fondé sur un cadre logique, dont le contenu a été validé par des experts et pour lequel les activités ont été mises à l’essai au sein de cinq organisations. La révision du programme, à la suite des mises à l’essai, sera suivie des activités de production de la trousse d’animation (ex. : révision linguistique, graphisme et traduction). Le programme pourra ensuite entrer dans sa phase de déploiement élargi et un plan de transfert sera élaboré. En s’inspirant des méthodes de marketing social, ce plan identifiera les objectifs, les cibles, les stratégies de transfert de même que les « livrables » à produire. En parallèle, il pourrait aussi se mettre en place un projet de recherche évaluative qui viserait à mesurer les effets et à analyser l’implantation du programme. Quelques années après le lancement du programme, le projet entrera normalement dans sa phase de consolidation. Puisque les connaissances se multiplient et que les pratiques évoluent, des mécanismes de mise à niveaux du programme devront alors être prévus.

Au terme des phases de co-construction réalisées dans le cadre de ce projet, on peut conclure à l’aspect prometteur de Participe-présent, tant au niveau de sa pertinence et de sa faisabilité dans différents contextes d’implantation que de son acceptabilité pour divers profils de participants. Éventuellement, avec son potentiel de diffusion élargie, ce programme, en complémentarité avec les services du réseau de la santé et des services sociaux et du milieu communautaire, pourra contribuer à relever le défi populationnel soulevé par le vieillissement, la santé mentale et la participation communautaire.