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Dans notre société contemporaine, la famille est souvent assimilée au territoire par excellence de l’intimité. Les individus vivent dans une idéologie de l’intimité conjugale et familiale. Mais il s’agit aussi pour chaque être humain de se préserver une intimité personnelle. Ainsi, un fragile équilibre est à trouver parmi ces trois « territoires d’intimité » (Neuburger, 2000), d’autant qu’il peut y avoir autant de visions du monde que de protagonistes. D’après De Singly (1996), la famille est le lieu où s’articulent la quête de soi et la quête d’autrui : l’individu étant partagé, voire déchiré, entre ces injonctions. D’un côté, apparaît le souci de soi, se traduisant par une revendication d’individualisme, la recherche de l’épanouissement personnel, de l’autonomie et la préservation d’une intimité personnelle. D’un autre côté, on recherche le souci d’autrui, requérant une exigence de solidarité, l’obligation et/ou le désir de tenir compte des proches familiaux et aussi de partager un territoire d’intimité. En ce sens, l’intimité peut être considérée comme un rapport de soi à autrui mais aussi comme un rapport de soi à soi. D’une part, elle renvoie à l’espace privé et à ce que l’on partage seulement avec quelqu’un de très proche ; mais d’autre part, elle fait aussi référence au jardin secret de chacun, ce que l’on garde pour soi, voire ce que l’on ignore de soi, « l’inconnu de soi sur soi » (Tisseron, 2001). Dans les pages qui suivent, on a tenté de décrire comment l’articulation de la double prescription (souci de soi/souci d’autrui) est vécue au plan de la fratrie, en considérant le lien fraternel comme une expression possible de l’intimité. Certaines formules du sens commun (« il est comme un frère pour moi ») associent d’emblée fratrie et intimité ; affirmation qu’il s’agit de poser en interrogation. Cette réflexion pose aussi la question de la spécificité de l’intimité fraternelle par rapport à l’identité intime du sujet et de leur articulation. On rejoint le cadre plus large de la problématique identitaire. Les interrelations entre l’intimité et l’identité semblent évidentes. Les injonctions qui pèsent aujourd’hui sur l’individu (se singulariser, se réaliser, décider de son sort) constituant la quête de soi se réalisent au sein des rapports sociaux. Et l’appartenance fraternelle ne constitue-t-elle pas un réservoir potentiel de ressources identitaires nécessaires à l’accomplissement de soi ? Par ailleurs, les frères et soeurs peuvent aussi attester ou non de la continuité temporelle du moi de chacun des membres de la fratrie.

La sociologie des frères et soeurs est en pleine construction : « [...] peu d’aspects de la vie familiale ont été moins étudiés que l’interaction entre frères et soeurs » (Caplow, 1984). Certaines approches sont stimulantes (Langevin, 1991, 1996 ; Muxel, 1998 ; Widmer, 1999 ; Crenner et al., 2000 ; Buisson, 2003), leur intérêt majeur consistant à décentrer le regard sur les réalités familiales, lesquelles sont trop fréquemment considérées à travers les seuls liens conjugaux et parentaux. Quant à la psychologie, elle réduit trop souvent les relations entre frères et soeurs à des rapports d’enfance, en les assimilant habituellement à des conflits de pouvoir, à de la rivalité et à l’interdit de l’inceste. On doit en outre à la psychanalyse l’idée que le lien de germanité ne peut s’étudier sans référence au lien parental. D’après Muxel, « bien qu’essentielle, la relation aux parents n’explique pourtant pas tout de ce qui se passera au sein de la fratrie » (1998, p. 7).

La réflexion qui suit prend appui sur une enquête qualitative réalisée au moyen d’entretiens individuels approfondis auprès de 23 individus issus de 6 fratries, constituant ainsi des récits croisés de frères et soeurs d’âge adulte « confirmé » (âgés de 52 à 66 ans), récits réflexifs sur soi et sa famille, dans une optique compréhensive (Kaufmann, 1996). Les prénoms utilisés constituent des pseudonymes. L’appartenance sociale d’origine des frères et soeurs est bourgeoise. Ainsi, une certaine homogénéité sociale est satisfaite, du moins au plan de l’origine sociale, chacun ayant sa propre trajectoire ; car si on naît bourgeois, il s’agit aussi de le rester ou non (Le Wita, 1988). En outre, les fratries de l’échantillon ont une taille importante (entre quatre et six membres) ; on peut parler de familles nombreuses. Dans cet article, ne sont pas développées des réflexions à propos du milieu social et de la question du genre, afin de nous centrer pleinement sur la vaste question de l’intimité fraternelle.

1. Souci d’autrui au sein de la fratrie

Au sein de la fratrie à l’âge adulte, le souci d’autrui reste une norme en vigueur, tout en étant subordonné au souci d’autrui d’ordre conjugal et parental : la vie hors fratrie étant prioritaire. En outre, ce souci d’autrui n’est pas toujours immédiatement décelable, pouvant être étouffé par les non-dits, les secrets ou les conflits. Toutefois, on ne se désintéresse pas de ses frères et soeurs ; le conflit lui-même constitue une modalité du lien social (Simmel, 1992 ; Widmer, 1999). Le souci d’autrui fraternel semble en fait se déployer en diverses versions, se traduisant entre autres dans deux mythes familiaux ; histoires que la famille se raconte sur elle-même, montrant la façon dont elle est perçue de l’intérieur, par ses propres membres, incarnant une grille de lecture du monde familial (Ferreira, 1981, p. 83). Des rituels y sont associés : « Avec les rituels qui en découlent et le confirment, le renforcent et le créent, il nous dit ce que nous sommes, à quoi nous appartenons et comment et pourquoi. Et cela nous sécurise et nous aide à construire notre identité » (Segers-Laurent, 1997, p. 41). Ont pu ainsi être dégagés, d’une part, un mythe de « bonne entente » et, d’autre part, un mythe des « atomes crochus », ainsi que certains rituels et normes de comportement. Ces deux mythes illustrent deux conceptions différentes du souci d’autrui fraternel : ce dernier peut être perçu prioritairement en tant que devoir moral, responsabilité éthique, mais aussi comme relevant d’un élan affectif, de relations librement consenties. Par ailleurs, différentes formes d’intimité ont pu être mises à jour.

2. Le mythe de la « bonne entente » de la fratrie

Dans les récits des frères et soeurs, on perçoit immédiatement une évidence pour chacun : la nécessité de « bien s’entendre », qui permettrait d’entretenir des relations « normales ». Sinon raconter son expérience de la « fratitude » (Neuburger, 1995) va moins de soi, motivant des refus de participer à l’enquête ou provoquant une réserve au début de l’entretien, Ego percevant sa fratrie comme hors norme. Mais que signifie « bien s’entendre » au plan de la fratrie ? Ce mythe semble être composé de plusieurs injonctions d’ordre relationnel articulées les unes aux autres, lesquelles vont être détaillées ci-dessous.

A. La permanence du lien fraternel

La « bonne entente » semble indépendante de la fréquence des contacts, il est autorisé de « se voir peu » entre frères et soeurs, en raison du primat de la vie hors fratrie. Cela ne signifie pas que tous les frères et soeurs n’entretiennent pas de contacts réguliers, mais qu’au sein de la fratrie, on fait comme si la fréquence des contacts n’avait que peu d’effets. Ainsi, on pourrait rester intimes avec ses frères et soeurs, même en les voyant rarement. C’est donc la permanence des contacts dans la durée d’une vie et non leur fréquence qui est valorisée. Si les amis ou les relations professionnelles semblent occuper une place plus importante dans la vie quotidienne, la fratrie jouit d’un avantage, sa permanence dans le temps :

On partage plus de temps finalement avec les amis ou les gens avec qui on est amené à travailler mais seulement on se rend compte que ça n’a qu’un temps justement. Et par contre, il y a cette permanence de la fratrie, qui dure sur de plus en plus d’années. Et on se rend compte que ce n’est pas la seule chose qui compte et qui dure mais que ça a beaucoup d’importance finalement. Parce que bon, on a à la fois l’histoire, le présent et une forme de futur, alors que ce n’est pas toujours aussi évident avec des amis...

Alain, 58 ans, 3e sur 6, fratrie Verbois

Ainsi, la particularité du lien fraternel résiderait dans son inscription dans le temps long, celui de la vie d’Ego et de ses frères et soeurs (voire dans l’histoire familiale antérieure). Afin d’entretenir la bonne entente et la permanence de fratrie, des rituels de rassemblement peuvent être organisés ainsi qu’une mobilisation en cas de « coup dur », ce qui va être détaillé ci-dessous.

B. Les rituels de rassemblement : une intimité « mondaine »

Des rencontres formelles peuvent être expressément organisées entre frères et soeurs, révélant un souci de fédérer le groupe. Ces contacts tentent souvent de pallier la fin des rencontres chez les parents (à la suite de leur décès ou de leur entrée dans la grande vieillesse), dont une partie du répertoire va dans le sens fédérateur de la fratrie, parfois par-delà leur mort. « Les parents, qui sont les grands-parents de nos enfants, restent le point central et un point de liens. Quand ils ne sont plus là, il faut créer ses propres liens et c’est beaucoup plus compliqué, plus difficile » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez). « Le volontarisme aussi, parce qu’on a une volonté de rester une famille ensemble, sans les parents. C’est pour ça qu’on s’est organisés, on se voit tous les trois mois chez l’un ou chez l’autre » (Jean, 61 ans, aîné de 6, fratrie Verbois). Le déploiement de rituels contribue à « rester une famille après les parents », à remémorer l’appartenance commune, à consolider l’intimité familiale. Ces réunions entre frères et soeurs peuvent être assimilées à une stratégie de survie de la fratrie, source d’intimité par rencontres ritualisées ; on pourrait parler à ce sujet d’intimité « mondaine ».

Le rituel, selon qu’il rassemble les membres de la fratrie « seuls » ou « avec » (De Singly, 2000) leur conjoint et/ou leurs enfants, dévoile la ou les facettes de l’identité et la ou les appartenances sur lesquelles le rituel désire insister. Les conjoints sont en général conviés à ces réunions ; la majorité des interviewés estimant qu’il serait inconvenant de ne pas les inviter : « Parce que tu ne peux pas dire “Ne venez pas”, ce serait comme si je ne voulais pas des autres, donc ça ne va pas... Il ne faut pas dire qu’on ne veut pas des conjoints... » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez). Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’on se permet de ne pas les inclure, ce qui peut susciter des différends, chacun n’ayant pas le même avis (par exemple, au moment de l’héritage parental, organisation des soins à un parent en fin de vie, etc.). Le plus souvent, chacun s’y rend en tant que « conjoint de » et « frère/soeur de ». Mais l’appartenance conjugale semble rester prioritaire. Ainsi une dame a dû renoncer à un programme de vacances communes avec une de ses soeurs, car son mari n’adhérait pas à ce projet : « Mon mari m’a dit : “Avec elle, plus de deux jours, je crois que je ne pourrais pas tenir.” Alors bon, on est bien obligé, moi, ça m’aurait fait plaisir, je ne crois pas que ça m’aurait posé problème mais on est quand même tributaire dans ses relations... C’est comme ça, je n’allais pas lui imposer ça... » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez).

C. La mobilisation en cas de « coup dur » : l’intimité « roue de secours »

Par ailleurs, selon la majorité des interviewés, en cas de « coup dur », on peut toujours « compter sur ses frères et soeurs » : « On se voit peu, c’est normal, chacun a sa vie mais bon, on sait qu’on est là quoi... » (Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy). En fait, ces épisodes constituent des opportunités de réactivation du lien fraternel : « Ce sont les événements douloureux qui rapprochent » (Jean, 61 ans, aîné de 6, fratrie Verbois). Ainsi la norme prioritaire de respect de la vie personnelle de chacun est levée en cas de circonstances exceptionnelles, au profit d’une règle exigeant au contraire de manifester sa présence, de s’immiscer dans la vie de la personne en difficulté : « On a tous notre vie [...] on vit dans des mondes un peu séparés [...] mais quand il y a des événements, en général des événements douloureux, alors le téléphone sonne énormément... » (Alain, 58 ans, 3e sur 6, fratrie Verbois).

Ainsi, des rituels de mobilisation sont déployés en cas de détresse d’un frère ou d’une soeur : un deuil, une maladie, une séparation, un licenciement, etc. Ils permettent de préserver et/ou de réactiver le mythe de bonne entente, et tentent de refléter une image de la fratrie en tant que bloc soudé. Par exemple, au sein de la fratrie Verbois, tous les membres « se font du souci » au sujet d’un de leurs frères, dépeint unanimement comme une personne fragile et très isolée. Ce dernier, que nous nommerons Luc, est prêtre et a vécu au cours de sa vie plusieurs épisodes de dépression profonde. Dernièrement, il a tenté de mettre fin à ses jours. Il est décrit comme « le problème de la famille », « le sujet de conversation par excellence » entre frères et soeurs. Le besoin de l’aider suscite l’unanimité et ainsi renforce le sentiment d’affiliation. La fratrie se sent responsable de ce frère, mais chacun reconnaît ne pas s’en sentir très proche. Le souci d’autrui est dans ce cas plus normatif que sentimental, c’est-à-dire qu’il résulte d’un sentiment de responsabilité et moins d’un élan de proximité. Selon les frères et soeurs de Luc, la fratrie représenterait pour ce dernier le seul territoire d’intimité ; en tant que prêtre, il n’a ni conjoint ni descendance : « Les parents étant morts, on s’est rendu compte qu’il n’avait plus que nous... » (Jean, 61 ans, aîné de 6, fratrie Verbois). La fratrie se mobilise ainsi afin de combler une défaillance ou une absence d’autres réseaux d’appartenance, en organisant des visites régulières à ce frère en difficulté ; l’objectif étant de « l’entourer ». Mais dès que ce dernier semble rétabli, chacun se focalise à nouveau sur sa vie personnelle, la fratrie redevenant un territoire en état de veille. La mobilisation fraternelle est donc temporaire alors que la souffrance de Luc s’inscrit dans le long terme. Dans ce cas, on peut concevoir la fratrie comme un territoire d’intimité « roue de secours », c’est-à-dire qui tente de combler provisoirement les défaillances d’autres territoires d’intimité, jusqu’à ce que ces derniers soient reconstruits, même superficiellement.

Mais cette mobilisation peut susciter des tensions, notamment lorsqu’un frère ou une soeur a l’impression d’en faire plus que les autres. Ainsi, au sein d’une fratrie, la mobilisation fraternelle lors de la fin de vie de la mère a suscité des discordes ; certains estimant injuste de devoir plus se dévouer que d’autres ; ces derniers considérant que celui qui en fait plus le fait par choix personnel :

Je me pliais en quatre pour ma mère [...]. Et j’en ai voulu beaucoup à cette soeur parce que soi-disant, enfin non, pas soi-disant, elle travaillait beaucoup, c’est vrai, mais le travail était quelque part un prétexte. Je me dis qu’elles ont bon dos les femmes qui travaillent, elles ne prennent jamais leur part familiale. Je ne lui ai jamais dit, mais je lui en voulais et je faisais tout pour qu’elle comprenne. Je ne trouvais pas ça juste.

Joëlle, 55 ans, 3e sur 5, fratrie Hannez

On est obligé de se mobiliser... Il y en a qui ont voulu porter plus mais ça, c’est leur problème à eux... [...] C’est le choix de chacun. Moi je ne l’ai pas trop entendue nous le reprocher. Elle a dû le dire, mais moi je ne l’ai pas vu comme un reproche, je lui ai dit que si elle voulait assumer plus, c’était son problème. Mais je ne me sentais pas coupable...

Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez

Ainsi, des divergences apparaissent à propos de la quantité de souci d’autrui (« part familiale ») que chacun doit assumer ; certains estimant que d’autres sont trop centrés sur le souci de soi, notamment le soi professionnel.

De plus, la mobilisation de la fratrie peut être vécue par celui qui en est l’objet de façon négative ; Ego estimant que l’intervention fraternelle est mal adaptée, que le souci d’autrui est superficiel :

Dans mon divorce, j’ai eu très mal la première année. J’avais vraiment l’impression que je n’allais pas en sortir tellement je me sentais cassé. Je ne faisais pas une dépression mais je sentais qu’il me fallait un soutien et ce n’était pas la famille, ni les amis, qui allaient m’aider, à part de dire : « Tu es triste fifi, ce n’est rien, la vie est longue... » Alors j’ai vu un osthéopathe, un radiesthésiste, une astrologue ; ça m’a beaucoup aidé.

Bertrand, 51 ans, 6e sur 6, fratrie Leroy

Ainsi Ego doit parfois mobiliser ou créer d’autres réseaux de proximité, dans le cas présent un réseau de professionnels, au sein duquel le souci d’autrui correspond mieux à ses attentes. Cet extrait montre aussi les défaillances dans le soutien affectif, relationnel et identitaire dont peut faire preuve la fratrie.

D. Le rôle des non-dits et de la retenue dans la perpétuation de l’intimité mondaine

Afin de conserver la « bonne entente » entre frères et soeurs, les sujets qui suscitent des tensions sont évacués des conversations. La retenue serait une condition essentielle à la pérennité de la fratrie. L’interdiction de se disputer est souvent érigée en particularité familiale transgénérationnelle : « On ne s’est jamais disputés, ce n’était pas dans le style de la famille. [...] Les disputes chez nous, c’est presque inimaginable...  » (Alain, 58 ans, 3e sur 6, fratrie Verbois). « Les bagarres familiales étaient très rares, il y a eu peu de tensions entre nous, peut-être d’ailleurs parce qu’on ne s’exprimait pas à fond et qu’on savait se retenir » (Jean, 61 ans, aîné de 6, fratrie Verbois). Cette interdiction, résultat de la volonté parentale, remonte à l’enfance :

On veut absolument s’entendre, dans le sens que dans la famille de ma mère, il y a eu des disputes. Et donc on a toujours entendu dire mon père : « Chez nous, pas de disputes. » C’est lié à ce qu’on a vécu, à ce que vivaient nos parents, on a été marqués par ça. Et donc une volonté de ne pas se disputer et donc de ne pas aborder éventuellement le sujet qui pourrait susciter des disputes.

Colette, 52 ans, 5e sur 5, fratrie Hannez

C’était quand même assez conflictuel. Et comme à l’époque, on avait plutôt tendance à mettre les couvercles sur les conflits, on n’allait pas au fond des conflits, parce qu’on avait un peu peur et qu’on avait l’impression qu’il ne fallait pas le faire. Mais c’était très latent, très nerveux, très tendu comme ambiance. Je sais que mon petit frère et moi, on priait pour qu’il n’y ait pas de disputes aux fêtes de Noël, donc on devait avoir une angoisse quelque part...

Nadine, 59 ans, 4e sur 5, fratrie Castadot

Comment la fratrie gère-t-elle les conflits à l’âge adulte ? Car s’ils sont codés négativement, ils constituent néanmoins une réalité. Ainsi, une dame a été accusée par ses soeurs d’être « l’enfant gâtée de sa mère », ce qu’elle n’a pas toléré ; position privilégiée qu’elle admet pourtant, lors de l’entretien, avoir occupée. Pendant de longs mois, elle a évité les contacts avec sa fratrie. Et puis, à l’occasion du mariage d’un de ses neveux, où elle estimait devoir se rendre, la rancoeur se serait effacée : « On s’est souri d’une manière... Je me suis dit, mais oui, c’est vrai, c’est ma soeur... Le sourire avait tout effacé... » (Joëlle, 55 ans, 3e sur 5, fratrie Hannez). Toutefois les réserves de conversation perdurent ; la « bonne entente » est à nouveau de mise mais le sujet de discorde est devenu tabou.

En cas de dispute entre certains membres de la fratrie, deux possibilités ont été relevées concernant les rituels rassemblant la fratrie. Dans le premier cas, il s’agit de feindre la bonne entente afin de ne pas perturber l’atmosphère, tout en se désintéressant de la vie personnelle du frère ou de la soeur incriminé : « Avec elle, je n’ai plus de relations depuis deux ans. On se voit aux trucs de famille. Si je téléphone chez Maman et que c’est elle qui décroche, je dis “salut, ça va ?”, je ne suis pas agressive mais c’est quelqu’un qui m’est devenu tout à fait indifférent... » (Monique, 56 ans, 3e sur 6, fratrie Leroy). Dans le second cas, on ne vient plus à ces réunions familiales, soit en adoucissant l’offense par la détention d’un alibi solide (par exemple, instaurer la tradition d’un séjour à l’étranger chaque année à l’époque de Noël), soit en assumant l’offense, en refusant d’y participer. En fait par sa présence ou son absence, chacun respecte la norme de retenue nécessaire à la perpétuation des rituels rassemblant les frères et soeurs. Il en résulte une faible qualité des échanges entre frères et soeurs : « Je ne trouve pas la communication très audacieuse dans notre famille. [...] Il n’y a rien de négatif qui se passe quand on se voit, m’enfin, parfois, je trouve que la relation est triste.... » (Joëlle, 55 ans, 3e sur 5, fratrie Hannez). « On ne se parle pas dans notre famille, enfin... on parle de tout et de rien mais pas... » (Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy). Cette réalité est vécue diversement : d’un côté, il y a ceux qui dénoncent avec amertume cette mise en scène factice de la bonne entente, la qualifiant de « superficielle ». C’est le décalage entre le mythe de la bonne entente familiale et la réalité qui est ainsi dénoncé :

Pour moi, la famille, c’est très gentil, c’est très bien mais c’est très superficiel. On a été élevé dans le culte de la famille et tout le système mais en vérité, on ne retrouve pas grand-chose. C’est fort chacun pour soi et Dieu pour tous... Mais pour l’image de la famille, ça fait bien de montrer qu’on est tous ensemble...[...] Tout ce truc est superficiel et je déteste ça, je deviens allergique à ça, je fais presque de l’agoraphobie au niveau famille et groupe parce qu’il n’y a rien de vrai là-dedans...

Bertrand, 52 ans, 5e sur 6, fratrie Leroy

Dans ce cas, la mise en scène d’un « être-ensemble » familial masquerait l’absence d’un « dire-ensemble », d’échanges approfondis. D’un autre côté, les farouches défenseurs de la retenue estiment que l’essentiel est de conserver une bonne distance relationnelle, quitte à censurer ses propos : « Donc on arrive à s’entendre sur un tas de choses mais pas nécessairement au niveau de la confidence. On arrive à la confidence à partir du moment où la personne qui est en face de vous partage avec vous certaines longueurs d’onde. Sinon, on se tait, en tous cas, on se limite, on trie ce qu’on peut dire et ne pas dire... » (Didier, 64 ans, 2e sur 4, fratrie Claes).

D’après Louis, le bon déroulement d’un rassemblement familial est prioritaire face à la profondeur dialogique. La fonction du rituel dans ce cas consiste essentiellement à exposer le signe d’un lien entre frères et soeurs. Ainsi, en profond désaccord avec une soeur à la suite du divorce de celle-ci, le sujet devient un tabou. Afin de « s’entendre convenablement » au gré du temps qui passe, il faut constamment « écraser », ce qui représenterait une spécificité du lien entre frères et soeurs :

Avec les frères et soeurs, on passe, on écrase, ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est qu’on continue à s’entendre convenablement, même si on se dispute parfois mais je passerais au-dessus. [...] J’ai eu des brouilles temporaires avec une de mes soeurs, on n’était pas du tout du même avis sur un point et on a essayé de prendre un peu de recul et de distance pour ne pas verser de l’huile sur le feu. [...] Je n’étais pas d’accord avec la façon dont elle divorçait. Je lui ai dit, on a eu des discussions très sévères et puis j’ai dit « maintenant c’est tout, sinon chaque fois qu’on va se voir, on va s’écorcher », et on n’a plus parlé de rien. [...] Je n’en parle plus, j’évite tout ça, c’est passé, c’est passé, et maintenant, on s’entend très bien...

Louis, 66 ans, aîné de 5, fratrie Castadot

Ainsi, il s’agit de laisser de côté les singularités qui seraient sources de tensions, en faveur d’une entente globale, même plus insipide. Seules les « brouilles temporaires », c’est-à-dire les conflits qui sont très limités dans le temps, sont autorisées. D’après la soeur de Louis, leurs visions du monde très différentes entraînent automatiquement des relations superficielles afin d’éviter l’invasion de son identité intime et de continuer à vivre des moments d’être-ensemble dans la « bonne entente » :

Mon frère Louis, maintenant je m’entends bien avec lui mais je n’ai pas d’atomes crochus quoi. Il est trop différent et il y a des choses qui m’exaspèrent. Je vais une fois par mois dîner chez eux, ça se passe bien mais il ne faut pas approfondir, il faut rester dans la superficialité... Ce n’est pas pour taper sur lui mais il a une mentalité très... plus antique : il accorde énormément d’importance à des queues de cerises. [...] Quand on se retrouve dans les réunions de famille, il est hyper affectueux, mais moi je trouve qu’il n’y a rien derrière quoi...

Corinne, 62 ans, 3e sur 5, fratrie Castadot

Ainsi l’un interprète comme une incursion dans son intimité personnelle ce que l’autre percevra comme une marque de souci d’autrui. De même, l’un peut ressentir comme une marque de respect de sa vie personnelle ce que l’autre percevra comme un manque de souci d’autrui. À l’âge adulte, la mobilisation fraternelle doit rester exceptionnelle, ce que certains peuvent ne pas comprendre : « Il y a un moment où on n’a pas droit d’ingérence dans les affaires des autres, surtout à partir du moment où ils sont mariés. Là il y a eu un peu une rupture parce qu’elle s’est sentie abandonnée, elle n’a pas compris qu’elle était adulte, qu’elle ne pouvait plus faire tout le temps appel à l’équipe... » (Paul, 64 ans, 3e sur 4, fratrie Duesberg). Les visions du monde des membres de la fratrie ne sont pas toujours en harmonie.

Cette « bonne entente » entre frères et soeurs, très codifiée, semble être très éloignée de la notion d’intimité, entendue comme ce qui est partageable avec les personnes les plus proches ; la véritable intimité serait d’avoir « des atomes crochus ». En fait, on peut relever une ligne de tension entre avoir le « sens de la famille », du groupe, et avoir des « affinités » entre frères et soeurs ; ainsi une soeur à propos de son frère aîné : « C’est peut-être celui qui a le plus de sens familial mais le moins d’affinités naturelles avec les quatre autres. » (Nadine, 59 ans, 4e sur 5, fratrie Castadot). Louis, en tant qu’aîné de la fratrie, élève le sens des responsabilités familiales en horizon de signification alors que c’est la dimension sentimentale de la fratitude qui est valorisée par sa soeur.

C’est une responsabilité d’être présent autant que possible dans les événements familiaux. Dès qu’il y a une naissance, un mariage, un décès ou un événement quelconque dans la famille, j’estime que je dois me manifester, non pas que ma manifestation soit plus importante mais parce que ça se fait, parce qu’il est normal puisque j’occupe cette position-là de donner des nouvelles, que je ne reste pas indifférent à quelque chose. [...] C’est une responsabilité morale.

Louis, 66 ans, aîné de 5, fratrie Castadot

Ainsi les deux logiques, celle de responsabilité familiale et la logique affinitaire, élective, ne se superposent pas toujours. Louis se centre essentiellement sur la première dimension et conçoit sa position d’aîné comme une obligation de manifester sa présence au sein de sa famille à l’occasion de grands événements. Ses frères et soeurs regrettent que ce souci d’autrui relève plus d’une obligation, d’un sens du devoir (« responsabilité morale ») que d’un élan affectif. Et le deuxième type de souci d’autrui est codé plus positivement par la fratrie de Louis que le premier type. En fait, Louis a transformé une contrainte de position en un engagement personnel.

3. Le mythe des « atomes crochus »

Parallèlement au mythe de « bonne entente », lequel fixe des relations plus instituées dans un cadre collectif, apparaît le mythe des « atomes crochus », qui touche aux relations individualisées et librement consenties. Par conséquent, les frères et soeurs admettent aisément que certains partagent une intimité plus approfondie, en raison d’affinités, tant que cela ne met pas en péril le mythe de bonne entente. Ainsi au sein de la fratrie, certains sont élus et considérés comme plus proches : « On peut avoir des liens plus particuliers, se sentir plus en confiance, avoir envie de discuter, de partager plus avec l’un qu’avec l’autre mais ce n’est pas pour ça qu’on est en conflit avec les autres » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez). « Entre frères et soeurs, il n’y a pas de disputes : il y a des atomes crochus, des atomes moins crochus, il y a des préférences et tout ça mais il n’y a pas de disputes. [...] De la distance, parfois de la froideur à la limite mais pas des disputes. Il y a vraiment une bonne entente » (François, 55 ans, 4e sur 6, fratrie Verbois). Sous le vocable « atomes crochus », on perçoit un souci d’autrui d’ordre sentimental. En somme, un sentiment de proximité relationnelle, venant se superposer au principe d’appartenance statutaire. La position renforcerait l’affection, et inversement. En outre, le souci de soi y est également rencontré : ce type de relation, basée sur le partage, apporte un sentiment d’épanouissement personnel. Ego insiste sur la qualité de l’échange, son intensité ; ce qui peut se décliner de diverses façons, l’une n’excluant pas l’autre.

A. L’intimité « être-ensemble », au-delà du langage verbal ?

Ce lien privilégié avec un frère ou une soeur élu(e) est parfois décrit comme un accord immédiat, silencieux, de l’ordre de l’inexplicable, au-delà du langage verbal :

C’est inexplicable, on se parle très peu mais on se sent. Si on est à un dîner et que quelqu’un dit quelque chose, je sais à la seconde ce que mon frère pense... Donc on se sent très fort sur les manières de penser et de voir. On est très, très proches. Je m’entends anormalement bien avec lui, tout en se voyant peu parce qu’on se sent. S’il arrive quelque chose à l’un des deux, c’est la catastrophe pour l’autre. Un peu comme tu aurais avec des jumeaux, c’est pareil... On n’a pas besoin de se parler, c’est vraiment ce que l’on appelle les connivences.

Monique, 56 ans, 3e sur 6, fratrie Leroy

On fait comme si on était en harmonie une fois pour toutes, en ne prenant toutefois pas trop le risque de la confrontation dialogique. Le souci de soi est aussi rencontré, car la seule présence de l’un et l’autre permettrait la confirmation mutuelle de l’existence d’un soi intime durable, reconnu par l’autre.

B. L’intimité « dire-ensemble » : entre dévoilement de soi et réserve d’information

L’intimité prend aussi sa source dans le fait qu’on vit le même genre de vie et qu’on partage donc le même type d’expérience, ce qui faciliterait l’échange et la confidence. Par exemple, une dame se sent très intime avec un de ses frères, ce qu’elle explique par leur trajectoire respective assez chaotique par rapport au reste de la fratrie. Elle a divorcé à une époque et dans un milieu social qui ne tolérait pas ce genre d’écart, surtout pour une mère de famille ayant des enfants en bas âge ; son frère, lui, a renoncé à la vie sacerdotale afin de se marier. Ces « déviances » sont sources de complicité et de compréhension mutuelle : « Avec les autres, les relations sont bonnes mais bon... J’ai assez bien d’intimité avec Daniel parce qu’on est tous les deux passés par des choses assez difficiles. [...] Ma mère n’a jamais accepté qu’on puisse rompre un engagement. Pour elle, le mariage, il fallait endurer... » (Anne-Marie, 56 ans, 4e sur 4, fratrie Claes). Le fait de partager des expériences de vie permettrait de moins censurer son discours, de se sentir compris et reconnu dans son moi profond, alors que dans le cas contraire, au niveau relationnel, il s’agit de réfléchir afin de ne pas heurter l’autre par ses propos.

L’intimité « dire-ensemble » sous-tend une implication de soi, voire le dévoilement de soi. On abandonne une part de son intimité personnelle au profit de cette relation privilégiée, laquelle permet en échange la confirmation de l’identité intime. Dans les termes de Goffman, la confidence équivaut à « l’exercice de la liberté de pénétrer les réserves d’information d’un autre, et plus particulièrement d’accéder à une information secrète sur lui-même » (1973, p. 185). D’après Bidart (1997), la plupart des confidences concernent des problèmes personnels touchant à l’affectif. Toutefois, au sein de l’intimité « dire-ensemble », les réserves d’information sont néanmoins présentes : « Moi je garde beaucoup pour moi. Il y a des choses très personnelles que j’ai à régler et j’estime que c’est moi qui doit les régler. À la limite, si j’ai besoin d’aide, je préférerais une personne extérieure » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez). « Il y a des choses, ne fût-ce que dans la relation de couple, il y a des choses plus compliquées et des choses qui ne se disent pas... Donc là, de toute façon, je ne dis pas tout, ça c’est sûr. Maintenant, dire qu’on est dans une période un peu plus difficile pour telle ou telle raison, ça peut se dire à une soeur, oui... » (Colette, 5e sur 5, fratrie Hannez). Ainsi certaines incursions ne sont pas autorisées, tous les soucis personnels d’ordre affectif ne sont pas abordés. Les sujets de prédilection semblent plutôt concerner la vie des enfants ou les difficultés rencontrées avec ceux-ci, plutôt que les problèmes de couple, où la réserve semble être le plus souvent de rigueur, principalement en matière de sexualité. Il y a donc des domaines que l’on préfère garder pour soi. Le secret fait pleinement partie de la préservation de son identité intime. Les neveux semblent remplir un rôle-clé, dans le sens d’un rapprochement entre les frères et soeurs. Une ligne de tension apparaît donc entre le dévoilement de soi et la réserve ; un point d’équilibre est ainsi à trouver par chacun afin que l’intimité affinitaire entre frères et soeurs ne se transforme en violation du territoire d’intimité personnelle.

C. L’intimité « faire-ensemble »

Une autre forme d’intimité entre frères et soeurs est celle qui concerne le domaine de l’action, en ce sens qu’on « fait » des choses ensemble ou on vit les mêmes choses. On peut par exemple être inscrits dans le même club sportif ou la même association caritative, occasion de se retrouver ensemble à intervalles réguliers et donc de vivre des moments communs. Ce qui permet d’atteindre un niveau assez élevé de proximité, tout en dévoilant bien peu de choses de son soi intime, en se centrant fortement sur l’engouement commun en faveur d’une activité sociale, sportive ou culturelle.

D. L’intimité fraternelle incarnée

Il arrive qu’un frère ou une soeur joue ce rôle affinitaire vis-à-vis de tous les membres de la fratrie. Cette personne est présentée par chacun comme le frère ou la soeur avec qui le partage est le plus intense, la compréhension la plus profonde. Cet individu jouirait en effet d’une disposition à la bienveillance vis-à-vis de ses frères et soeurs, désirant comprendre l’autre, se mettre à sa place, l’écouter, etc. Cette position privilégiée est toutefois inconfortable car Ego joue le rôle de médiateur dans les conflits et les incompréhensions familiales : « Je faisais plaque tournante dans la famille. Parfois ma mère était en conflit avec ma plus jeune soeur et j’étais plaque tournante. Parfois ma mère était en conflit avec mon père et c’est moi qui recevait les confidences. [...] J’étais comme un médiateur, et comme moi, je n’aime pas les conflits... » (Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez). Cette dame refuse en fait de considérer les différences avec les membres de sa fratrie comme des incompatibilités, ce qui est source, selon elle, d’un manque de proximité, ce que vivent deux de ses soeurs :

Moi je vis ça en disant que chacun a le droit à sa différence. Moi j’accepte les différences tandis que mes deux soeurs les acceptent moins. [...] Quand ma soeur Joëlle a une opinion, elle a beaucoup de mal à entendre que quelqu’un vive d’une façon très différente... Moi, ça ne me dérange pas : si on est différent, on est différent... Joëlle va lui dire qu’elle a le droit de penser comme elle veut mais elle va estimer qu’elle n’a plus rien de commun avec cette personne.

Paule, 53 ans, 4e sur 5, fratrie Hannez

E. Le manque d’atomes crochus

Face à ce lien électif apparaissent aussi des « atomes moins crochus », voire des incompatibilités. Un interviewé considère un ami d’enfance comme son « véritable » frère car avec lui, « l’échange est total » alors qu’il estime ne partager que très peu de choses avec son frère de sang : « Mon frère, c’est la famille qui m’a dit que c’était mon frère... » (Bertrand, 51 ans, 6e sur 6, fratrie Leroy). Dans ce cas, la logique positionnelle n’est pas doublée d’une logique affinitaire. Le manque d’atomes crochus peut aussi exprimer un manque de réciprocité de l’échange, source d’essoufflement pour Ego : « Ce n’est pas un vrai partage, parfois j’ai l’impression que c’est un monologue. J’écoute, je prends des nouvelles et puis voilà... C’est plus occasionnel et c’est plus formel. Ce sont des relations moins privilégiées. Si j’ai un problème ou une difficulté, ce n’est pas vers elle que je me tournerai » (Annette, 64 ans, 2e sur 5, fratrie Hannez). La relation est à sens unique, elle manque de réciprocité.

Ego peut aussi être totalement excédé par un de ses frères ou une de ses soeurs, éprouver un sentiment d’agacement :

C’est une personne qui a l’art de m’irriter parce qu’elle est très nerveuse. C’est pour ça que je vous ai dit au téléphone de prendre deux Perdolan avant d’aller la voir... Son mari, je ne sais pas comment il fait pour tenir. Dominique, c’est un engin de guerre, c’est une bombe et c’est terrible parce qu’on en arrive à des situations familiales qui sont un peu dommage : quand je mime ma soeur à ma mère, ma mère se tord de rire. Dominique est impossible à vivre, passez deux jours avec une personne comme ça et vous devenez fou. Elle vit tout le temps sur les nerfs et elle ne sait pas s’arrêter et dire « comment vas-tu ? », enfin elle peut poser la question mais ses oreilles n’écoutent pas la réponse. L’oreille est déjà fermée au moment où la phrase part et ça me tue avec elle.

Bertrand, 51 ans, 6e sur 6, fratrie Leroy

Le non-dit dans ce cas est également de mise, on se permet d’en parler aux autres familiaux mais devant le frère ou la soeur directement impliqué(e), le silence est de rigueur. Vécu dans sa version négative, le mythe des atomes crochus implique qu’un individu se sente alors la « troisième roue de la charrette », exclu d’une relation privilégiée, ce qui constitue une particularité des familles nombreuses (de plus de deux personnes). Entre frères et soeurs, on ne retrouve pas toujours une disposition à la bienveillance, une volonté de ne pas juger ; les phrases de ce type commencent bien souvent par « Je ne la critique pas mais... ». Mais d’un autre côté, quand des personnes extérieures à la fratrie se permettent de critiquer un frère ou une soeur, Ego mobilise volontiers un mécanisme de défense : « Il ne faut pas qu’on y touche, il ne faut pas qu’on l’ennuie, même si il y a des jours où je lui donnerais des coups de pied au derrière tellement elle me gonfle ! Mais il ne faut pas qu’on la touche... » (Bertrand, 51 ans, 6e sur 6, fratrie Leroy).

4. Intimité et mémoire familiale

Entre les mythes de « bonne entente » et des « atomes crochus », entre la logique statutaire et la logique affinitaire, apparaît la mémoire familiale, laquelle selon Muxel (1998) enracine la possibilité même du lien fraternel. La mémoire familiale peut se concevoir comme une histoire, la façon dont un individu ou un groupe d’individus va mobiliser des éléments du passé familial afin de donner un sens au présent (Muxel, 1996). Un travail d’unification, que De Singly (2000) nomme la « colle identitaire », permet de faire tenir ensemble différents morceaux d’une vie, celle d’Ego ou d’un de ses frères ou une de ses soeurs. Bien entendu, des divergences d’interprétation sont fréquentes entre les frères et soeurs.

A. La mémoire familiale, porteuse de scénario de vie

La fratrie peut « pêcher » au sein de l’histoire familiale des exemples de mobilisation familiale afin d’exhiber le souci d’autrui dans sa particularité familiale transgénérationnelle :

L’esprit de famille, c’est extraordinaire, c’est très fort chez nous ce truc-là [...]. Mes petits frères et soeurs ont peut-être oublié cela mais mes oncles et mes tantes, et mon père avant sa mort, eh bien tous les jours, ils allaient embrasser leur père et leur mère avant de rentrer chez eux. Plus tard, ma grand-mère a eu des problèmes psychiatriques, elle était chez elle, avec une infirmière, mais ils passaient tous les jours, tous les jours... Je trouve que c’est important la famille...

Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy

L’esprit de famille est « ce principe cognitif de vision et de division, et en même temps principe pratique de cohésion, générateur de dévouements, de générosités, de solidarités, et d’une adhésion vitale à l’existence d’un groupe familial et de ses intérêts » (Bourdieu, 1994, p. 11). Toutefois, ce souci d’autrui, tant valorisé par cette dame lorsqu’il est incarné dans des scénarios de vie familiaux (De Gaulejac, 1999), est codé négativement lorsqu’il la concerne directement, considéré comme un « empiètement » (Goffman, 1973) du territoire d’intimité personnelle :

Des fois, c’était intenable, je rentrais du Pérou, mariée et vaccinée, et un de mes oncles, qui a été comme un père après la mort de papa, me disait que je ne devais pas oublier d’aller rendre visite ci et là dans la famille, puis il me demandait si j’avais bien été ci et là. Un jour, je lui ai dit, j’ai X ans... [...] Si tu es sur place, tu ne peux pas ne pas y aller, il y a des gens qui s’en ficheraient, mais moi, ce n’est pas dans ma nature...

Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy

Cette dame, socialisée sur le modèle de la femme dépendante et dévouée à sa famille, dénonce le manque d’autonomie dans sa famille ; la quête de soi étant entravée par les autres familiaux : « On peut étouffer dans une famille comme ça » (Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy). Ego doit alors user de parades afin de ne pas être enfermé dans des marqueurs statutaires, des scénarios de vie et des injonctions familiales jugés trop écrasants pour le soi intime. La solution pour Dominique lors de sa jeunesse fut de fuir le plus possible l’atmosphère familiale en se réfugiant chez des amies. À l’âge adulte, épouser un homme amené par sa profession à habiter à l’étranger lui a permis de placer une distance géographique, véritable barrière symbolique entre elle et sa famille, lui permettant de réduire son malaise dans l’articulation de la valeur familiale de dévouement total à la famille et de l’injonction contemporaine à être soi.

B. Raviver le fond commun de la fratrie : les rémanences d’intimité

Entre frères et soeurs, un lien intime, un « fond commun » (Halbwachs, 1994) peut être ravivé. Les souvenirs communs peuvent être source d’intimité :

On a vécu des vies complètement différentes mais oui, des connivences... Je me rends compte qu’on ne se dit pas grand-chose quand on se voit mais il suffit d’un petit truc et hop, on va rigoler ensemble, se comprendre [...]. Il y a quelque chose de fort dans notre famille, même avec les gens avec qui on a moins d’atomes ou qui ont changé dans la vie.

Dominique, 62 ans, aînée de 6, fratrie Leroy

Dans ce cas, la mémoire familiale est un véhicule d’intimité, dans le sens où elle ravive l’intimité de la fratrie, assurant une identité familiale du « même » (Neuburger, 1995), sous-entendant une volonté de cohésion, d’affiliation et de perpétuation d’un « fond commun ». Ce fond commun se matérialise par exemple par le biais d’expressions fétiches réservées aux initiés. Ainsi, au sein d’une des fratries, une formule, véritable mot de passe entre les frères et soeurs est source de complicité, d’intimité familiale :

« Tu as le nez qui crolle ! » : quand on dit ça, c’est qu’on évoque papa, je suppose qu’on vous l’a dit... Papa était connu pour être quelqu’un qui avait une telle spontanéité non maîtrisée de son corps, qui fait que quand il était heureux, eh bien il ouvrait la porte, et on le voyait, son nez crollait ! Il avait une espèce d’afflux de sang dans le nez et une espèce de nervosité dans la démarche qui fait qu’on savait qu’il y avait quelque chose qui allait bien quoi... [...] Chez mon père, c’était typique. Si ça nous arrive de dire ça, c’est à la limite un compliment et une reconnaissance qu’on est le fils de notre père. [...] Ce sont des petits clins d’oeil que nous seuls pouvons comprendre, avec notre mère ; personne d’autre ne sait ça.

Bernard-Henri, 62 ans, 3e sur 4, fratrie Claes

Énoncer ou entendre cette anecdote retisse les liens, rappelle l’appartenance commune, réactive l’intimité, laquelle n’est certes plus prépondérante dans le présent ; on pourrait parler à ce sujet de rémanence d’intimité.

Un interviewé décrit de la façon suivante ce fond commun, source d’intimité familiale : « Une espèce de petite bourse d’événements communs, qu’on caresse comme ça ensemble. [...] On a un petit bagage qu’on entretient, un peu comme si on avait un jardin dans lequel on tourne pour regarder toutes les fleurs qu’on a plantées. Un petit domaine qu’on triture gentiment ensemble » (Daniel, 66 ans, aîné de 4, fratrie Claes). Ces souvenirs communs doivent en effet être « entretenus » afin de survivre dans le présent. Les rituels rassemblant la famille peuvent jouer ce rôle d’entretien, de perpétuation d’un « nous fraternel ». Toutefois, Ego peut moins investir que les autres dans ce pot commun. C’est le cas de Daniel, qui a mis en veilleuse son appartenance fraternelle durant de nombreuses années, ce qu’il dépeint par la perte symbolique de son patronyme, en raison de sa trajectoire personnelle, sa « vie sacerdotale », jusqu’à ce qu’il renonce à celle-ci afin de se marier :

Mais moi, je ne suis pas tellement comme ça, parce que, je vous dis, de par mon vécu personnel, ça a éclaté, parce que je n’ai pas fondé moi-même de famille et que j’étais pris dans des tas d’autres groupes. [...] J’étais frère et soeur d’une centaine de gens, beaucoup plus proches que mes frères et soeurs de naissance. Donc cette notion de famille, je l’ai récupérée un peu maintenant parce que je n’ai plus ma vie sacerdotale. Mais comme prêtre, on est beaucoup plus proche des gens avec qui on vit dans les communautés. [...] Moi j’étais le père Daniel, les gens ne connaissaient pas mon nom de famille et je suis redevenu Daniel X en me mariant

Daniel, 66 ans, aîné de 4, fratrie Claes

Ce fond commun peut donc être oublié temporairement, en fonction de la vie d’Ego, et ensuite être remis en avant.

Par ailleurs, ce « fond commun » résulte d’une sélection, d’un tri : on convoque dans le présent et on s’approprie ce qui a du sens et ce qui est codé positivement ; le reste, on tente de s’en débarrasser, voire de le laisser aux autres frères et soeurs :

Tout ce qui est du côté paternel, je dirais, entre mes soeurs, qu’on se l’arracherait presque... Ça, c’est du bon, c’était une famille correcte, honnête, humaine. Elle avait les qualités qu’on pouvait espérer avoir. Mais dès que c’est de l’autre côté, eh bien, on se le renverrait bien en disant « allez ça tu peux prendre, ça ne m’intéresse pas. » [...] Mais je pouvais essayer de me débarrasser de cet héritage, il venait quand même...

Joëlle, 55 ans, 3e sur 5, fratrie Hannez

On tente ainsi d’abandonner aux autres les pans de la mémoire trop encombrants, tandis qu’on tire vers soi les pans dans lesquels on a envie de se reconnaître. Des tensions pour s’approprier ce fond commun et pour en définir les contours peuvent apparaître. Différentes versions de l’histoire familiale peuvent alors circuler au sein de la fratrie et les risques de violation, d’« offense territoriale » (Goffman, 1973) sont réels.

C. Identité intime et mémoire familiale

Car la mémoire (familiale) incarne également un lieu pour se préserver un « quant à soi » : le monde des souvenirs comme fief de l’identité intime (De Singly, 2000). « Si l’on admet [...] qu’il existe une singularité irréductible propre à tout individu isolé, la mémoire de cet individu lui » sert « également à composer, à maintenir et à promouvoir cette singularité » (Javeau, 1988, p. 186). Dans ce cas, la mémoire familiale est source d’intimité de soi à soi. Mais, la mémoire familiale dans sa part collective est la propriété de plusieurs individus, qui peuvent en avoir des interprétations divergentes. La mémoire familiale serait une sorte de réservoir à la disposition du sujet, dans lequel il va puiser en fonction des exigences du présent (De Gaulejac, 1999).

Au sein de la fratrie, différentes versions de l’histoire familiale peuvent circuler, résultat d’interprétations divergentes ou d’expériences de vie différentes. Néanmoins, toute divergence n’est pas vécue comme de l’empiètement. L’un ou l’autre peut tenter de s’ériger en véritable détenteur de la version légitime, tentant de représenter un « notable de la mémoire » que Namer définit comme un « médiateur qui contrôle l’accès et l’interprétation de la mémoire » (cité par Déchaux, 1997, p. 196). Parfois la version d’Ego est trop éloignée de la version officielle partagée par les autres frères et soeurs, accusé de fabulation : « Mon frère déforme les choses, il les interprète et affirme haut et fort sa version... » (Francine, 56 ans, 4e sur 4, refus de l’entretien, fratrie Claes). « Mon frère, il n’a rien réussi quoiqu’il vous raconte aujourd’hui. Je sais par ses enfants, c’est eux qui ont raconté ça ici “Papa a fait l’université de X”. C’est de la frime. Il est mythomane et il raconte ça à ses enfants. Il fabule. Moi je ne dis rien, ce n’est pas mon problème... Et ses enfants boivent ses paroles » (Jean-Philippe, 66 ans, 2e sur 4, fratrie Duesberg). Durant l’entretien, le frère incriminé est accusé de mythomanie, mais on se permet rarement de dénoncer ce fait devant la personne elle-même et surtout pas devant sa descendance (respect des territoires d’intimité personnelle et familiale). À l’intérieur de la fratrie, c’est le non-dit qui prédomine, c’est-à-dire qu’on ne parle plus du passé, qu’on n’interfère pas en direct dans l’interprétation de l’autre, comme si on établissait une zone de sécurité, des « réserves d’information » (Goffman, 1973), en justifiant ce fait par un souci d’autonomie des uns sur les autres.

Ego manifeste parfois explicitement sa souffrance face au manque de reconnaissance de sa version. Car malgré les non-dits majoritaires, Ego perçoit bien à travers ses derniers et à travers des insinuations que sa version est rejetée. C’est le cas de Mireille (fratrie Verbois) ; le récit de ses frères et soeurs à propos du père et de la mère est similaire : la mère est encensée dans son rôle de mère, elle est présentée comme parfaite, aimante, attentionnée envers tous ses enfants (primat du souci d’autrui). Par contre, le père est décrit comme un personnage froid, plongé dans son travail, ne manifestant pas ses sentiments. Mireille est la seule à remettre en question ce mythe, estimant avoir été moins aimée que les autres par sa mère et avoir trouvé l’amour parental auprès de son père. Elle dénonce en somme le non-respect d’une norme d’équité familiale mais aussi la version collective, à laquelle semblent adhérer ses frères et soeurs :

Chez nous, il y a une certaine unanimité au niveau de la personne de papa et de la souffrance... Mais là, c’est moi qui ai fait crac en disant mais non... Par contre, ils ont tous eu une relation très proche avec ma mère ; moi pas... [...] Ma perception est différente de celle des autres. Je perçois plus les autres comme faisant un bloc. [...] La perception que j’ai de mes parents est assez différente de celle des autres. Et ça, je n’essaie plus de la partager avec eux, je n’essaie même plus... J’ai essayé mais je n’ai pas envie d’en rajouter une couche...

Mireille, 53 ans, 5e sur 6, fratrie Verbois

Après avoir à maintes reprises exposé sa vision de la situation à ses frères et soeurs, lesquels n’ont pas reconnu sa version, elle a préféré se taire, jusqu’au jour où sa soeur cadette a reconnu l’inégalité du traitement maternel entre les enfants, véritable « échange réparateur » (Goffman, 1973) :

Ça fait mal quand je le partage et que ce n’est pas compris. Ça rajoute encore une couche en fait. [...] Ça fait mal quand tu as le sentiment de ne pas avoir été comprise, de ne pas pouvoir partager. [...] Qu’un frère te dise « Tu as fabulé », ça fait mal... Mais ça fait du bien aussi quand c’est quelqu’un qui te soutient. Ma soeur l’a compris, elle m’a dit : « C’est vrai que maman n’a pas été juste avec toi. » Et ça, ça met énormément de baume. [...] Et je me dis, je n’ai pas rêvé, parce que c’est si profond qu’on ne sait plus...

Mireille, 53 ans, 5e sur 6, fratrie Verbois

À force de voir sa version niée par ses frères et soeurs, la jeune femme commençait elle-même à douter de ses propres souvenirs. Mireille tente d’expliquer cette injustice par son rang dans la fratrie (cinquième enfant et première fille) ; selon elle, sa mère aurait préféré n’avoir que des garçons tandis que son père a été enchanté d’avoir « enfin » une fille.

Conclusion : les intimités fraternelles

Le choix du pluriel pour le terme « intimité » reflète bien l’idée que l’intimité fraternelle peut revêtir une pluralité de formes. En effet, il semble qu’il existe potentiellement deux territoires d’intimité de la fratrie. Le premier correspond à celui des relations collectives, où la fratrie est envisagée en tant que bloc, où doit régner la « bonne entente » tandis que le second est celui des relations individualisées, où les uns et les autres sont différenciés en fonction de ce qu’ils entretiennent ou non des « atomes crochus ». Dans le premier cas, on peut parler d’une suprématie de proximité statutaire, alors que dans le second, la proximité valorisée est de type relationnel.

En ce qui concerne la proximité statutaire, l’essentiel n’est pas la profondeur de l’échange mais la manifestation des signes du lien fraternel (source d’identité statutaire). Dans ce cas, la fratrie a la responsabilité du devenir de ses membres, représentant un territoire d’intimité de type normatif, avec les intimités « mondaine » et « roue de secours ». Ego peut y adhérer, en manifestant son engouement envers la manifestation des signes du lien fraternel ou, au contraire, dénoncer la mise en scène de ce qui représente à ses yeux une représentation factice de la fratrie. Dans le premier cas, la contrainte de position est transformée en un engagement personnel (identité intime).

Ainsi la fratrie ne forme pas seulement un bloc homogène ; les individus qui la composent ne sont pas tous sur un pied d’égalité. Un arbre généalogique peut donner l’illusion que les positions au sein de la fratrie sont équivalentes alors que, symboliquement, ce n’est pas le cas. En plus d’une logique statutaire, correspondant aux positions objectives dans l’ordre généalogique, une logique affinitaire est à l’oeuvre.

La proximité relationnelle valorise la profondeur de l’échange : ce qui est primordial, c’est la relation d’une certaine qualité avec autrui. Dans le versant positif, on parle de son frère « préféré », de son « double », du « trio d’aînés » ; mais en négatif, on évoque une soeur « troisième roue de la charrette », etc. L’élan affectif venant se superposer à la logique statutaire est source d’intimité sentimentale entre certains membres de la fratrie, avec les intimités « être-ensemble », « dire-ensemble » et « faire-ensemble ». En outre, un membre de la fratrie peut incarner cette intimité fraternelle. Ego peut adhérer à l’importance de la profondeur de l’échange, la proximité relationnelle étant alors source de soutien identitaire et/ou d’épanouissement personnel mais il peut également ne pas profiter de cette logique affinitaire, source, pour lui, de souffrance et/ou d’enfermement identitaires.

Par ailleurs, un fond commun peut également être ravivé ou entretenu, amenant des rémanences d’intimité, relevant d’un mixte des deux logiques, lesquelles ne sont pas contradictoires, elles se rencontrent le plus souvent ensemble dans le fonctionnement fraternel.

Tout ce qui vient d’être dit est synthétisé dans le tableau 1.

Tableau 1

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Figure 1

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Au travers de cette recherche, on perçoit bien que le familial ne se réduit pas au conjugal et au parental, ni à une temporalité uniquement présente (c’est aussi du passé et du futur), ni au vivant (c’est l’ensemble des personnages et des récits qui restent en mémoire). Et pour Ego à l’âge adulte, dans ce tissu familial, la fratrie est bien vivace : la dynamique fraternelle ne s’arrêtant pas après l’enfance, elle se maintient, se transforme ou se reconstitue au fil du temps.