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Introduction

L’exposition à la violence conjugale touche un nombre élevé de jeunes et elle engendre des conséquences néfastes chez ces derniers. Bien que nous ne disposions pas de données épidémiologiques sur les taux de prévalence des jeunes exposés à la violence conjugale, il est estimé qu’aux États-Unis dix millions d’enfants sont exposés à la violence conjugale chaque année (Straus, 1991, dans Peled et al., 1995) et que, de 1994 à 1999, environ un demi-million d’enfants canadiens ont entendu ou vu un parent se faire agresser (Centre canadien de la statistique juridique, 2000). Une autre étude canadienne révèle que 39 % des femmes victimes de violence conjugale indiquent que leurs enfants ont été témoins des actes de violence (Rodgers, 1994). Mais il est évident que ces chiffres ne représentent que la pointe de l’iceberg.

Les études portant sur les conséquences de l’exposition à la violence conjugale rapportent une variété de problèmes. À court et à moyen terme, les enfants et les jeunes peuvent présenter des problèmes physiques, psychologiques, comportementaux et cognitifs (Bourassa et Turcotte, 1998; Fortin et al., 2000; Jaffe et al., 1990). Des recherches rétrospectives indiquent que les adultes qui ont été exposés à la violence conjugale au cours de l’enfance souffrent de dépression, ont une faible estime de soi et manifestent des comportements violents (Silvern et al., 1995). De plus, certaines variables sont associées à l’adaptation dans un climat de violence conjugale, à savoir l’âge, le sexe, le tempérament de l’enfant et le type de stratégie que celui-ci adopte devant des scènes de violence, son expérience de la violence, de même que la santé et le degré de stress de la mère (Émond, 2000; Fortin et al., 2000; O’Keefe, 1994) (voir Bourassa, 2003, pour une présentation plus détaillée de l’effet de ces variables sur l’adaptation).

Par ailleurs, un nombre élevé d’enfants et de jeunes exposés à la violence conjugale subissent également des mauvais traitements et de la négligence de la part des parents (Edleson, 2001). Le chevauchement entre la violence conjugale et la violence parentale physique se situe entre 30 % et 60 %. Des études indiquent également que la violence conjugale est présente dans 40 % des cas où un enfant est blessé sérieusement ou décède en raison de mauvais traitements ou de négligence (ibid., 2001). Le fait de subir la violence parentale en plus d’être exposé à la violence conjugale compromet plus sévèrement le développement psychosocial du jeune que le fait d’être uniquement témoin (Carlson, 1991; Fortin et al., 2000; O’Keefe, 1996).

La majorité des études établissent un lien entre la violence conjugale et les troubles de comportement; cependant, certaines recherches révèlent que les réactions sont variées. L’étude de Hughes et Luke (1998) et celle de Grych et al. (2000) indiquent que certains enfants exposés à la violence conjugale présentent des difficultés sérieuses, alors que d’autres montrent des problèmes modérés. De plus, ces deux recherches établissent que certains enfants semblent peu affectés par la violence conjugale. Comment expliquer ces divers modèles de comportement chez les jeunes exposés à la violence conjugale ? L’étude des variables médiatrices permet de déterminer les liens entourant la violence conjugale et les troubles de comportement. Une variable médiatrice s’inscrit dans une chaîne de relation : un prédicteur influence la variable médiatrice qui, en retour, affecte la variable critère (Baron et Kenny, 1996). Les recherches qui contribuent à la compréhension des relations complexes entre l’exposition à la violence conjugale et les troubles de comportement sont nécessaires pour prévenir et atténuer les conséquences.

Jusqu’à maintenant, deux recherches ont exploré des variables médiatrices dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement. Ces études indiquent que les rapports parents-enfant constituent des variables médiatrices dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement au cours de l’enfance et de l’adolescence (Bourassa, 2003; Margolin et John, 1997). Selon la recherche de Bourassa (2003), cependant, la fréquence de la violence conjugale et les relations avec les parents expliquent des proportions assez faibles des variances sur les troubles de comportement à l’adolescence. Cela pourrait venir du fait qu’à l’adolescence le réseau des pairs occupe généralement une plus grande place aux yeux des jeunes que leur famille. Le soutien des amis est le type de soutien qui s’avère particulièrement important au cours de l’adolescence (Cauce et al., 1994). On possède actuellement très peu de connaissances quant à son influence sur les jeunes exposés à la violence conjugale (Beeman, 2001).

Le présent texte rapporte certains résultats d’une étude effectuée auprès de jeunes âgés de 16 à 18 ans fréquentant une école secondaire au Nouveau-Brunswick[1]. Le choix de ce groupe d’âge se justifie par le fait que la majorité des études portant sur les effets de la violence conjugale s’attardent aux enfants; les connaissances sont limitées par rapport aux effets de la violence conjugale sur les adolescents, surtout ceux qui sont âgés de 16 à 18 ans. Dans ce texte, nous tenterons de répondre aux deux questions suivantes : 1) Comment la violence conjugale influence-t-elle la perception du jeune par rapport au soutien de ses amis ? et 2) Est-ce que la perception du soutien des amis constitue une variable médiatrice dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement ?

Le texte est structuré en sept parties. Après avoir précisé le concept de « soutien social », le texte fait état, dans une deuxième partie, de l’influence de la violence conjugale et du soutien social sur l’adaptation. Dans une troisième partie, la méthode utilisée pour conduire la recherche est exposée. La quatrième partie rapporte les données relatives au vécu de violence des jeunes. La cinquième partie porte spécifiquement sur l’influence de la violence conjugale sur le soutien des amis et sur l’effet médiateur de ce soutien dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement. Enfin, la discussion esquisse quelques retombées pour l’intervention, les limites de la recherche et quelques avenues de recherche.

Précision du concept de « soutien social »

Dans la littérature, le soutien social est défini de différentes façons (Caplan, 1974; Cobb, 1976; Vaux, 1988; Weiss, 1974). Néanmoins, les chercheurs s’entendent maintenant pour dire que le soutien social est un métaconstruit englobant trois concepts : les ressources du réseau de soutien, les comportements de soutien et le soutien perçu (Vaux, 1988). Les ressources du réseau de soutien correspondent aux relations sociales disponibles auxquelles la personne peut objectivement avoir recours, au besoin, afin d’obtenir de l’aide (Hobfoll et Vaux, 1993). Les comportements de soutien se définissent comme des échanges de ressources entre deux individus ou plus; au cours de ces échanges, celui qui offre le soutien et celui qui le reçoit considèrent que ces échanges ont pour but d’améliorer le bien-être de celui qui le reçoit. Toutefois, même si l’intention est d’aider, le soutien reçu peut ne pas se révéler bénéfique pour la personne qui le reçoit. Enfin, le soutien perçu fait plutôt référence à la perception qu’a la personne des relations de soutien et des comportements de soutien qui ont lieu à l’intérieur de ces relations; l’accent est donc mis sur l’évaluation que la personne fait du soutien (Vaux, 1988). Selon Cobb (1976), le soutien perçu constitue de l’information qui amène la personne à croire qu’elle est appréciée et a de la valeur et qu’elle appartient à un réseau de communication et d’obligation mutuelle. Le soutien perçu constituerait une mesure plus juste du soutien social, car les personnes sont affectées par leur propre interprétation de la réalité (Hobfoll et Vaux, 1993).

On peut distinguer trois types de sources de soutien social chez les enfants et les adolescents : la famille, les amis et le personnel de l’école (Cauce et al., 1994). Il est important de distinguer entre ces trois sources de soutien, puisque chacune peut produire des effets différenciés sur l’adaptation. Et c’est encore plus vrai à l’adolescence, car les relations sont alors redéfinies et renégociées (ibid.,1994). Dans le cadre de la présente recherche, le soutien évalué est celui fourni par les amis, puisqu’il s’agit d’une source de soutien social particulièrement importante à l’adolescence. D’ailleurs, des recherches indiquent une faible relation entre le soutien offert par la famille et l’adaptation des adolescents (ibid., 1994).

L’influence de la violence conjugale et du soutien social sur l’adaptation

La théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1973) peut aider à mieux cerner l’impact de la violence conjugale sur le comportement des adolescents. Selon cette théorie, c’est l’observation des autres qui est l’élément central d’apprentissage. Un modèle significatif (p. ex. les parents) a plus de chance d’être reproduit par ses observateurs. De plus, le modèle a plus de chance d’avoir une influence s’il est du même sexe que son observateur. L’observation de comportements violents fait en sorte que l’enfant intègre des attitudes favorisant la violence et qu’il imite ces comportements violents (Anderson et Cramer-Benjamin, 1999). Dans un contexte de violence conjugale, la fille aura tendance à reproduire les comportements de victime de la mère (c.-à-d. troubles intériorisés), alors que le garçon imitera les gestes violents du père (c.-à-d. troubles extériorisés). Par ailleurs, sur le plan des effets de la violence conjugale selon le sexe de l’enfant, les résultats des études sont contradictoires. Certaines études rapportent que les garçons exposés à la violence conjugale présentent davantage de troubles extériorisés (Jaffe et al., 1986) et qu’il y aurait une présence plus marquée de troubles intériorisés chez les filles (Holden et Ritchie, 1991). D’autres recherches, au contraire, n’ont pas trouvé de différences entre les garçons et les filles (Gleason, 1995). Il est donc encore difficile de déterminer si les filles et les garçons sont affectés différemment par la violence qui les entoure.

Des recherches indiquent également que la fréquence et l’intensité des scènes de violence conjugale sont directement liées à la présence de troubles de comportement : plus la violence conjugale est intense et fréquente, plus l’enfant ou l’adolescent manifeste des troubles intériorisés et des troubles extériorisés (Grych et Finsham, 1990; O’Keefe, 1994; Jouriles et al., 1996; O’Keefe, 1996; Muller et al., 2000). De plus, l’étude de Fantuzzo et al. (1991) fait ressortir que les enfants témoins à la fois de violence verbale et de violence physique présentent plus de troubles intériorisés et de troubles extériorisés que les enfants qui sont uniquement témoins de violence verbale.

Quant à la variable soutien social, elle a été évaluée comme une variable de protection, particulièrement auprès des adultes (Cauce et al., 1994). Une variable de protection est une variable qui permet d’atténuer les conséquences néfastes des événements stressants. Des recherches récentes démontrent que le soutien social protège les enfants contre les effets néfastes d’événements stressants (Cowen et al., 1990) et, plus spécifiquement, d’une violence sexuelle subie au cours de l’enfance (Astin et al., 1993). Au regard de la violence conjugale, son effet est moins clairement établi. Selon l’étude de Muller et al. (2000), plus les conduites de soutien de l’entourage sont fréquentes, et moins les adolescents exposés à la violence conjugale montrent des problèmes de comportement. Mais les résultats de l’étude de Fortin et al. (2000), effectuée auprès d’enfants, ne concordent pas avec cette observation; selon cette étude, le soutien social n’a pas d’influence sur l’adaptation des enfants.

Par ailleurs, puisque dans ces recherches le soutien social est conceptualisé comme une variable de protection, celles-ci ne permettent pas de comprendre comment l’événement stressant affecte l’adaptation. Des recherches conduisent à penser que le soutien social est une variable médiatrice dans la relation entre le fait d’avoir été victime d’abus sexuel et l’adaptation à l’enfance (Runtz et Schallow, 1997) : l’abus sexuel a un impact négatif sur le soutien social perçu et ce faible soutien de l’entourage a un effet dévastateur sur l’adaptation. On ne connaît pas l’effet médiateur du soutien social dans la relation entre la violence conjugale et l’adaptation.

Certains indices laissent croire que les enfants et les jeunes exposés à la violence conjugale risquent d’avoir des relations interpersonnelles limitées. Les enfants exposés à la violence conjugale passent moins de temps en compagnie de leurs amis, sont moins susceptibles d’avoir un meilleur ami et entretiennent des relations amicales de plus faible qualité (Graham-Bermann, 1998). Il semblerait également que les enfants exposés à la violence conjugale éprouvent de la difficulté à établir des relations avec leurs pairs (Moore et al., 1990). Ils peuvent restreindre leurs activités pour s’assurer d’être présents lors des épisodes de violence afin de protéger le parent victime et éviter d’inviter des amis à la maison de peur que la violence n’éclate en leur présence. Ainsi, le climat de violence semble avoir des conséquences néfastes sur les relations interpersonnelles des enfants et des jeunes. Par conséquent, ces derniers risquent de ressentir peu de soutien de leur entourage, notamment pour ce qui est du soutien des amis. En retour, un faible soutien des amis peut engendrer des problèmes d’adaptation (Runtz et Schallow, 1997).

Méthode utilisée

La collecte des données a été effectuée dans trois écoles secondaires au Nouveau-Brunswick. Ces écoles ont été choisies parce qu’elles représentent trois secteurs géographiques de la province et qu’elles sont facilement accessibles pour la chercheure. Un total de 984 jeunes (moyenne d’âge : 16,7 ans) de la onzième et de la douzième année ont été invités à participer à la recherche. Une lettre avait tout d’abord été adressée aux parents pour les informer de la recherche. Les jeunes ont également reçu un formulaire de consentement et une liste des ressources disponibles dans la communauté. Des 984 jeunes sollicités, 296 (30 %) ont refusé de participer et 198 (20 %) questionnaires ont été rejetés en raison d’un nombre trop élevé de réponses manquantes. Le nombre de refus peut s’expliquer par le fait que les questionnaires ont été administrés pendant la période de lecture des élèves; certains ont préféré utiliser cette période pour terminer des travaux scolaires. L’échantillon final est composé de 490 jeunes, soit 269 filles et 221 garçons.

Un questionnaire de recherche, composé de cinq parties, a été distribué : soutien des amis; comportement; violence conjugale; violence parentale; et caractéristiques sociodémographiques. La première partie du questionnaire contient la version française de l’échelle du soutien perçu des amis du Provisions of Social Relations (PSR)[2] (Turner et al., 1983); cet instrument évalue le soutien perçu et, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, il est un concept important du soutien social. L’instrument possède de bonnes qualités psychométriques (ibid., 1983) : sa validité concourante est satisfaisante et les coefficients alpha pour les items varient de 0,75 à 0,87.

Le comportement a été évalué par les versions françaises des échelles « troubles intériorisés » et « troubles extériorisés » du Youth Self Report (YSR) (Achenbach, 1991) : Rapport personnel des jeunes. Le Rapport personnel des jeunes permet de mesurer la perception du jeune (âgé de 11 à 18 ans) en ce qui regarde son comportement et sa compétence sociale. Les qualités psychométriques de la version française du YSR n’ont pas été évaluées; les auteurs utilisent plutôt les normes de la version américaine. Celle-ci possède d’excellentes propriétés psychométriques : pour les échelles de problèmes de comportement, la stabilité test-retest est de 0,83 pour les adolescents âgés de 15 à 18 ans et les scores obtenus sur le YSR permettent de différencier les adolescents adressés à des cliniques de santé mentale de ceux qui n’ont pas été dirigés vers ces ressources (Achenbach, 1991).

Les actes de violence conjugale ont été mesurés à l’aide des versions françaises des échelles « agressions psychologiques » et « agressions physiques » de l’instrument de mesure Relationships between My Parents[3] (Straus, 2000, CTS2-CA). Celui-ci permet d’évaluer la perception qu’a le jeune des conflits entre ses parents. Le CTS2-CA est une version de l’échelle révisée des stratégies utilisées en cas de conflit : The Revised Conflict Tactics Scale, version couples (Straus et al., 1996; CTS2). Les qualités métrologiques du CTS2-CA n’ont pas été évaluées, mais la version américaine du CTS2 possède de très bonnes qualités psychométriques (Straus et al., 1996) : les coefficients alpha varient de 0,79 à 0,95 pour l’ensemble des sous-échelles.

Pour évaluer la violence parentale physique, la version française de la sous-échelle d’agressions physiques du Parent-Child Conflict Tactics Scales, version enfants[4] (Straus, 2000, CTSPC-CA) a été utilisée. Le CTSPC-CA, qui est une version de l’échelle révisée du PCCTS (Parent-Child Conflict Tactics Scales, version parents), évalue la perception de l’enfant en ce qui concerne les stratégies utilisées par les parents lorsque ces derniers sont en colère contre lui. Il n’existe pas de données sur les propriétés métrologiques du CTSPC-CA. Dans l’étude de Straus et al. (1998), le coefficient de consistance interne pour l’échelle d’agressions physiques du PCCTS est 0,55 et l’instrument possède une bonne validité de construit (ibid., 1998).

Enfin, quelques questions visaient à recueillir de l’information concernant les caractéristiques sociodémographiques, à savoir l’âge, le sexe, le nombre d’enfants dans la famille, le type de famille (biparentale, monoparentale, reconstituée, autres) et la scolarité des parents. L’ensemble de ces caractéristiques, sauf la scolarité des parents, constituent les variables de contrôle dans les analyses. La scolarité des parents n’a pas été considérée, puisque de nombreux jeunes n’ont pas répondu à ces questions.

L’environnement de violence des jeunes

Des 490 jeunes constituant l’échantillon final, 253 (51,6 %) ont été témoins au moins une fois de violence psychologique ou physique entre leurs parents au cours des cinq dernières années et 237 (48,4 %) n’ont pas été témoins de ces formes de violence. Parmi les jeunes exposés à la violence conjugale, 101 (20,6 %) ont été exposés à la fois à la violence psychologique et physique et 152 (31 %) ont été uniquement exposés à la violence psychologique. De plus, 122 (24,9 %) ont été à la fois exposés à la violence conjugale et victimes de violence parentale.

Selon les données recueillies auprès des jeunes, la violence est surtout mutuelle dans le couple. En effet, une vérification des corrélations de Pearsons laisse voir une corrélation élevée entre les actes de violence conjugale commis par la mère et les actes de violence conjugale du père, soit 0,83 (p < 0,01). Ainsi, pour les analyses subséquentes, les actes de violence conjugale ne seront pas considérés selon le sexe de l’agresseur. Même si la violence utilisée par la femme et celle de l’homme sont regroupées, la chercheure ne prétend pas qu’elles soient similaires. La présente étude porte sur les actes de violence conjugale et non sur le contexte de cette violence.

Précisons que les filles rapportent plus souvent avoir été exposées à la violence psychologique et à la violence physique entre leurs parents que ne le font les garçons. La moyenne de la violence conjugale est de 37,75 pour les filles et de 24,57 pour les garçons. Des analyses de tests t révèlent des différences significatives entre les filles et les garçons : t (488) = 2,15, p < 0,05.

La relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement selon le sexe

Dans cette section, on s’intéresse à l’impact du vécu de violence sur le comportement des jeunes. À cet effet, des analyses de régression sont effectuées séparément pour les filles et les garçons. Pour chacune des équations, les variables suivantes sont tout d’abord considérées afin de contrôler leur effet : âge, type de famille, nombre d’enfants dans la famille et violence parentale. Dans un premier temps, auprès des garçons, l’équation de régression indique que la violence conjugale ne prédit pas significativement les troubles intériorisés (voir le tableau 1). Par ailleurs, chez les filles, la violence conjugale se révèle significative pour prédire les troubles intériorisés : plus elles rapportent des actes de violence physique et psychologique, plus elles présentent ces troubles.

Tableau 1

La relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés[5]

La relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés5

*** p < 0,001.

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Les mêmes analyses sont maintenant effectuées avec les troubles extériorisés comme variable critère. Chez les garçons, comme chez les filles, on constate que la violence parentale et la violence conjugale prédisent significativement les troubles extériorisés : plus les jeunes rapportent ces deux types de violence, plus ils présentent des troubles extériorisés (voir le tableau 2).

Tableau 2

La relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés

La relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés

** p < 0,01 et *** p < 0,001.

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La relation entre la violence conjugale et le soutien des amis selon le sexe du jeune

Afin de déterminer l’impact de la violence conjugale sur le soutien, une régression multiple a été effectuée. Selon les résultats, la violence conjugale se révèle significative pour prédire le soutien perçu chez les filles, mais non chez les garçons (voir le tableau 3) : plus la violence conjugale rapportée est fréquente, plus les filles risquent de percevoir moins de soutien.

Tableau 3

La relation entre la violence conjugale et le soutien des amis

La relation entre la violence conjugale et le soutien des amis

*** p < 0,001.

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L’effet médiateur du soutien des amis selon le sexe du jeune

La vérification des effets médiateurs est effectuée à l’aide des quatre conditions élaborées par Baron et Kenny (1986) : 1) le prédicteur doit être significativement associé à la variable critère; 2) le prédicteur doit être significativement associé au médiateur; 3) le médiateur doit être significativement associé à la variable critère; et 4) le prédicteur doit être moins fortement associé à la variable critère (coefficient de régression diminue) après avoir contrôlé le médiateur. Ces quatre conditions peuvent être évaluées par trois analyses de régression multiple : une analyse de régression est effectuée pour évaluer la relation entre le prédicteur (A) et la variable critère (C) (condition 1); une autre analyse est effectuée pour évaluer la relation entre le prédicteur (A) et la variable médiatrice (B) (condition 2); et la dernière régression est effectuée avec A et B comme prédicteurs et C comme variable critère (conditions 3 et 4).

Les analyses effectuées précédemment ont permis de déterminer que, chez les garçons, la violence conjugale ne prédit pas significativement les troubles intériorisés, d’une part, et le soutien des amis, d’autre part; ainsi, les deux premières conditions ne sont pas respectées. Pour les filles, les deux premières conditions sont respectées : la violence conjugale prédit significativement les troubles de comportement et le soutien perçu. Ainsi, les deux dernières conditions sont vérifiées auprès des filles seulement.

Pour vérifier les conditions 3 et 4, des analyses de régression sont effectuées avec la violence conjugale et le soutien des amis comme prédicteurs et les troubles de comportement comme variable critère. Les résultats indiquent que le soutien des amis prédit significativement la présence des troubles intériorisés : plus l’appréciation du soutien des amis est faible, plus les troubles intériorisés rapportés sont grands (voir le tableau 4). Également, la relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés s’avère moins importante lorsque la variable soutien des amis est présente dans le modèle (B = 0,041) que lorsqu’elle est absente (voir le tableau 1); cela signifie que le soutien des amis a un effet dans le modèle. Puisque l’ensemble des conditions sont respectées, le soutien des amis constitue une variable médiatrice dans la relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés. Lorsque les troubles extériorisés constituent la variable critère, le soutien des amis prédit significativement ces troubles : plus l’appréciation du soutien des amis est faible, plus les troubles extériorisés rapportés sont manifestes. On constate en outre que la relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés s’avère moins importante dans le tableau 4 (B = 0,027) que dans le tableau 2 (B = 0,033). L’ensemble des conditions étant respectées, il est possible de conclure que le soutien des amis constitue encore une fois une variable médiatrice.

Tableau 4

La régression avec la violence conjugale et le soutien des amis comme prédicteurs et les troubles intériorisés comme variable critère

La régression avec la violence conjugale et le soutien des amis comme prédicteurs et les troubles intériorisés comme variable critère

*** p < 0,001.

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Discussion

La recherche présentée dans ce texte révèle des résultats inquiétants : la moitié des jeunes qui ont participé à l’étude rapportent avoir été exposés au moins une fois à la violence psychologique ou physique entre leurs parents au cours des cinq dernières années et 25 % ont été à la fois exposés à la violence conjugale et victimes de violence parentale. De plus, cette expérience de violence n’est pas sans conséquence; plus elle est fréquente, plus les jeunes manifestent des troubles de comportement importants. Ces données démontrent l’urgence de la mise sur pied de mesures permettant de cesser la violence conjugale dans notre société et de diminuer ses effets dévastateurs. Elles soutiennent également l’importance de former l’ensemble du personnel scolaire aux phénomènes de la violence conjugale et de la violence parentale et de leurs effets néfastes.

Les relations entre la violence conjugale et les troubles extériorisés sont compatibles avec les observations rapportées dans d’autres études (Jouriles et al., 1996; O’Keefe, 1994; O’Keefe, 1996). Ces résultats peuvent s’expliquer à l’aide de la théorie de l’apprentissage social. Cette théorie avance que les parents constituent des modèles très influents sur les enfants; ces derniers sont donc susceptibles de reproduire les comportements de leurs parents. Notre étude indique qu’aux yeux des jeunes la violence est mutuelle dans le couple. Ainsi, les filles comme les garçons sont exposés à des modèles de même sexe qui utilisent la violence pour résoudre les conflits. Plus ils sont exposés à ces modèles de comportements violents, plus les jeunes risquent d’intégrer que la violence est une composante des relations interpersonnelles et plus ils endosseront, à leur tour, des comportements de violence.

Par ailleurs, la recherche indique que plus la violence conjugale est fréquente, plus les filles sont susceptibles de démontrer des troubles intériorisés; une telle relation est absente chez les garçons. La socialisation différenciée selon les sexes peut en être la cause. Les filles sont socialisées, dès leur tendre enfance, à adopter un comportement de passivité et de soumission. Des recherches indiquent que, face à un événement stressant, elles vont davantage montrer des troubles intériorisés (St-Jacques et al., 1999). Les filles sont plus sensibles par rapport à leur entourage; elles sont plus susceptibles de ressentir de l’impuissance, d’avoir peur d’être abandonnées et d’avoir besoin d’être entourées et aimées (Leadbeater et al., 1999). Ainsi, l’intervention doit prendre en considération que le processus de victimisation des jeunes peut différer selon le sexe.

Les résultats de la présente étude montrent également des différences selon le sexe des jeunes pour ce qui est du soutien perçu des amis. Ainsi, plus les filles sont exposées à la violence conjugale, moins elles formulent une appréciation positive du soutien de leurs amis. De plus, le soutien perçu des amis est une variable médiatrice dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement. Par contre, chez les garçons, la violence conjugale ne prédit pas significativement la perception du soutien des amis et cette dernière variable n’a pas d’effet médiateur. Aucune autre étude n’a exploré la perception du soutien des amis chez les jeunes exposés à la violence conjugale. Néanmoins, les résultats obtenus auprès des filles vont dans le même sens que les observations rapportées dans d’autres études, à savoir que les enfants exposés à la violence conjugale ont de la difficulté à établir des relations avec leurs pairs, qu’ils passent moins de temps en compagnie de leurs amis, sont moins susceptibles d’avoir un meilleur ami et ont des relations amicales de moindre qualité (Carlson, 1991; Graham-Bermann, 1998; Moore et al., 1990). On constate également qu’à l’adolescence la violence conjugale produit des conséquences plus négatives sur la perception du soutien des amis pour les filles.

Il est possible d’avancer certaines explications par rapport à ces résultats. À l’adolescence, les filles comptent davantage sur leurs amis pour du soutien et des conseils que les garçons (Fuligni et Eccles, 1993; Gould et Mazzeo, 1982). Ainsi, les filles semblent utiliser leur réseau d’amis d’une façon différente des garçons. Il se peut que les garçons dépendent davantage sur d’autres personnes pour du soutien (liens de parenté, adultes significatifs, etc.). De plus, les filles ont rapporté avoir été plus souvent exposées à la violence. Ainsi, plus la violence serait fréquente à la maison, plus les filles se sentiraient responsables d’apaiser les tensions ou de protéger le parent victime (Bourassa et Turcotte, 1998). Par conséquent, elles auraient tendance à limiter les activités avec leurs amis afin de s’assurer d’être présentes lors des épisodes de violence.

La présente étude montre qu’une appréciation négative du soutien des amis affecte négativement le comportement des filles. La recherche de Muller et al. (2000) révèle que le soutien reçu de l’entourage peut protéger les adolescents des effets négatifs d’une exposition à la violence conjugale. Par conséquent, des stratégies d’intervention précoces doivent être élaborées afin que les jeunes, surtout les filles, développent les habiletés sociales nécessaires pour se former un réseau d’amis à l’intérieur duquel ils ressentent un sentiment d’attachement, d’appartenance et une reconnaissance de leur valeur personnelle. Puisque la présente recherche révèle des différences significatives entre les filles et les garçons, d’autres études devront porter sur la perception du soutien des amis chez les enfants et les jeunes exposés à la violence conjugale et l’impact différencié de la violence sur le soutien des amis selon le sexe.

Cette recherche comporte des limites. Tout d’abord, le nombre de refus est élevé et 20 % des questionnaires ont été rejetés en raison d’un nombre trop grand de réponses manquantes ou incohérentes. Bien que le taux de réponses soit assez faible, il se compare à ceux que l’on observe dans ce genre d’enquêtes (Cloutier et al., 1994; Dumas et Beauchesne, 1993). Une autre limite a trait au fait que les jeunes ont constitué la seule source d’information; les données autorapportées peuvent être biaisées. Une troisième limite se rapporte à la façon dont l’exposition à la violence conjugale a été catégorisée; dès qu’un jeune indiquait avoir été exposé à au moins une forme de violence conjugale au cours des cinq dernières années, il était considéré comme étant exposé à la violence conjugale. Une dernière limite renvoie au fait que le statut socioécononomique n’a pu être considéré.