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LinkedIn, MySpace, YouTube, Facebook, Twitter sont-ils des outils favorisant la démocratique ? Le collectif intitulé iPolitics: Citizens, Elections, and Governing in the New Media Era et dirigé par Richard L. Fox et Jennifer M. Ramos (deux professeurs de science politique à la Loyola Marymount University) tente de répondre à cette question en jetant un regard critique sur l’influence des nouvelles technologies sur la démocratie. Plus spécifiquement, il cherche à savoir si les médias sociaux permettent une plus grande participation citoyenne et conséquemment une résurgence du fait démocratique dans les sociétés occidentales ainsi que dans d’autres parties du globe, notamment au Moyen-Orient.

Regroupant dix-sept collaborateurs, l’ouvrage est divisé en trois sections dans lesquelles les auteurs brossent un tableau particulièrement large des diverses utilisations des médias sociaux et d’Internet faites par le milieu journalistique, les organisateurs de campagnes électorales et les gouvernements (gouvernance en ligne) pour ne citer que celles-ci. En introduction, les deux codirecteurs présentent l’évolution qu’Internet a connue depuis ses débuts en 1993 ainsi que des statistiques des plus étonnantes telles que le nombre de « gazouillis » qui atteignait les 2 milliards par mois en 2010 ou les 112 millions de blogues actifs sur la toile à la même période.

La première section compte trois articles qui traitent de l’interaction entre les médias et les citoyens. Dans le premier article, l’auteur se demande si la multiplication des sources d’information permet au citoyen d’acquérir une meilleure éducation politique. Le second article présente la transformation qu’a subie la télévision à l’ère d’Internet, notamment en ce qui concerne la couverture médiatique des événements politiques, la mise en ondes d’un nombre toujours croissant d’émissions consacrées à la politique ainsi que les chaînes d’information continue. Le dernier texte soulève le défi du journaliste face au monde des blogueurs, notamment en matière de crédibilité des sources et du traitement de la nouvelle, presque inexistant en raison de l’instantanéité qui caractérise Internet.

Dans la deuxième section, les auteurs analysent l’utilisation faite d’Internet lors de campagnes électorales. Ainsi dans le premier article, les auteurs montrent comment YouTube a été utilisé tout au long de la course à la présidence américaine en 2008 et plus spécialement les stratégies de communication adoptées par chacun des deux candidats d’alors : Obama et McCain. L’article qui suit fait état de l’influence qu’a eue Internet en Finlande lors des élections nationales, d’une part, et lors des élections européennes, d’autre part, au cours de la dernière décennie. Les résultats indiquent que les candidats ont avantage à être présents sur la toile, surtout s’ils sont méconnus du grand public. Les auteurs du troisième article montrent qu’avec l’arrivée des nouvelles technologies, les campagnes électorales tenues au cours de la dernière décennie dans trois pays germanophones (l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse) ont connu une importante professionnalisation. Les campagnes ont tendance à se standardiser et à adopter le modèle « à l’américaine » axé sur une présentation négative de leurs adversaires plutôt que de débattre de leurs programmes politiques.

Les quatre articles de la dernière section décrivent comment la participation citoyenne influence la gouvernance. Cette partie est sans doute la plus intéressante puisque chaque article se présente comme une véritable étude de cas. Le premier texte se concentre sur l’utilisation des médias d’information – traditionnels et numériques – par l’administration Obama depuis son arrivée à la Maison-Blanche, notamment lors du débat entourant la réforme de la santé. L’auteur montre de quelle manière l’équipe présidentielle a occupé l’espace des médias classiques (apparitions du président dans des émissions de fin de soirée) et numériques (envois de centaines de gazouillis à des millions de personnes connectés à Twitter). L’auteur du second article traite de l’utilisation de Facebook et de Twitter par les politiciens américains. Il avance l’hypothèse que ces deux réseaux sociaux ne sont que des outils additionnels pour transmettre le même message politique véhiculé par les médias d’information classiques que sont par exemple la télévision et la radio. Il conclut que les médias sociaux ne sont ni plus ni moins efficaces pour transmettre un message politique que les médias classiques et encore moins efficaces lorsqu’il s’agit de proposer de nouvelles approches politiques.

L’auteur du troisième article de cette section revient en profondeur sur la réforme de la santé proposée par l’administration Obama en 2009 et la communauté numérique. Il analyse comment une partie des partisans de cette réforme ont occupé les réseaux sociaux et comment ils ont cherché à influencer les membres du Congrès de leur État afin qu’ils votent en faveur de cette réforme. Ce mouvement numérique ne semble pas avoir eu l’effet escompté, mais il a attiré l’attention des médias classiques et par conséquent la réforme a ainsi pu profiter d’une publicité complémentaire entre médias classiques et numériques. Selon l’auteur, les médias sociaux accroissent de manière significative la pression exercée sur les politiciens en raison de l’instantanéité du monde numérique, ce que les outils traditionnels comme les pétitions, le lobbying ou les appels téléphoniques ne peuvent faire. Cependant, il souligne que les médias sociaux ne remplacent pas les outils traditionnels. Le dernier texte est probablement celui qui s’inscrit le plus dans l’actualité puisque les auteurs ont étudié l’interaction entre la pénétration d’Internet en Égypte, en Jordanie et au Koweït et les changements de gouvernance survenus dans ces pays entre 2004 et 2009. Les auteurs cherchent à savoir si l’accès à un niveau sans précédent d’information a permis de créer une nouvelle dynamique entre les gouvernements et les citoyens. En d’autres mots, Internet a-t-il permis une plus grande participation citoyenne dans ces trois pays ? Les propos véhiculés sur les réseaux sociaux ont-ils incité les gouvernements de ces pays à modifier leur gouvernance ? Les auteurs soulignent que les gouvernements de ces pays – qualifiés de répressifs et de peu respectueux des libertés civiles – n’ont pas assoupli leur gouvernance, bien au contraire. Ils ont tous investi considérablement pour équiper leurs services policiers et de renseignements afin de traquer ceux qui critiquent le gouvernement sur la toile. D’une certaine manière, Internet, qui était considéré comme un outil d’information, s’est transformé en un outil de répression dans les mains de ces gouvernements. Il est intéressant que le collectif se termine sur cet article, car il permet de faire le lien avec les événements du « printemps arabe » et de ses répercussions sur cette partie du monde.

Bien que ce collectif n’ait pas de conclusion, il se distingue par une grande unité entre les différentes sections. Les dix-sept articles forment un ensemble et se suivent sans heurt, les thèmes traités se complétant les uns les autres. En somme, il s’agit d’un ouvrage équilibré qui a le mérite de ne pas succomber à la tentation de présenter les nouvelles technologies comme une panacée au désengagement des citoyens envers leurs institutions politiques ou un outil permettant à la démocratie de supplanter d’autres régimes politiques.