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Le numéro portant sur les destinations excentrées et le développement touristique dans les régions hors des centres, qu’ils soient politiques ou économiques, représente une occasion exceptionnelle de réfléchir à ces positions « périphériques » avec Mitchell Dion, directeur de l’association touristique de Charlevoix. Avant d’être en poste en Charlevoix, Mitchell Dion a aussi été directeur général de Tourisme Baie-James. Son parcours et ses expériences illustrent les défis des régions « périphériques ».

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Mitchell Dion

Mitchell Dion
Source : RCL Photos

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Q : Quel a été votre parcours professionnel ?

R : J’ai un parcours plutôt atypique. La passion pour le voyage m’habite depuis l’enfance, ma mère m’ayant initié au voyage dès mon jeune âge. Une autre passion m’occupait également, celle de la politique et du développement international. Mes études touristiques ont débuté avec un diplôme d’études professionnelles en vente de voyages. Travaillant pour des agences de voyages et des voyagistes, j’ai pu voyager à travers le monde. Au cours de ces séjours, je tentais de comprendre comment le tourisme pouvait contribuer au développement des communautés et comment le tourisme pouvait être un outil pour contrer la pauvreté. Quand on voyage dans des pays comme l’Égypte, il est certain que la question du tourisme et de la pauvreté se pose. J’ai repris mes études en m’inscrivant à un baccalauréat en histoire et développement international à l’Université d’Ottawa, en poursuivant l’objectif de lier le développement international et le tourisme. J’ai par la suite entrepris la maîtrise en développement touristique à l’Université du Québec à Montréal, avec un sujet portant sur cette relation entre le tourisme et la pauvreté. J’ai réalisé un stage de recherche de trois mois au Cameroun. L’objectif de ce stage consistait à développer une stratégie de développement touristique et de lutte contre la pauvreté. Je suis d’ailleurs encore conseiller volontaire pour le Service d’assistance canadienne aux organismes (SACO). Je pars environ une fois l’an, soit au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Bénin, accompagner des entreprises, des organisations ou des gouvernements dans leur développement touristique.

Durant mes études de cycles supérieurs, j’ai travaillé entre autres à la Chaire de tourisme Transat et expérimenté l’enseignement auprès de professionnels ainsi que d’étudiants des niveaux collégial et universitaire. Après une brève incursion dans les études doctorales, j’ai choisi de retourner sur le marché du travail pour mettre à contribution mes connaissances et réflexions. J’ai obtenu un poste temporaire de 18 mois chez Tourisme Baie-James et l’Association crie de pourvoirie et de tourisme, où je devais initialement développer une stratégie pour les produits touristiques nordiques. J’y suis finalement resté cinq ans, dont quatre au poste de directeur général.

Q : Pourquoi avoir choisi de travailler à la Baie-James par opposition à un centre urbain ?

R : Je voyais le travail à la Baie-James comme une poursuite de mes activités et de mes engagements antérieurs. On pense parfois que le travail humanitaire se fait nécessairement à l’extérieur, mais il peut également se faire chez soi. Certaines communautés autochtones du Québec vivent des situations difficiles, et je considérais important de contribuer à la mise en valeur de leur région et de leur culture. Il existe une grande méconnaissance à l’égard des autochtones. Le tourisme peut contribuer à mieux connaître leur culture et faire tomber des préjugés, comme il peut aider à générer des retombées économiques et à créer de la richesse.

Q : Travailler en région éloignée pose également des défis personnels ?

R : En effet, ma condition familiale était propice à un déplacement, ce qui a grandement facilité mon installation. Travailler à la Baie-James était pour moi une occasion de contribuer à un projet significatif. Il ne s’agissait pas simplement d’avoir un emploi, un salaire, ou même un niveau de performance quantitatif, mais bien d’apporter une contribution réelle à l’amélioration des conditions de vie. C’est ce que me permettait cet emploi.

Q : La Baie-James est un lieu excentré. Quels sont les défis et les avantages pour la région ?

R : L’accessibilité est un défi majeur pour les touristes. Il faut du temps pour s’y rendre, et ce temps de déplacement est parfois considéré comme une perte de temps. En effet, tous ne peuvent consacrer trois semaines à un tel voyage. Il existe des vols d’avion, mais les coûts sont exorbitants. Il faut également prendre en compte que la destination est non seulement lointaine, mais qu’une fois sur place, il faut encore se déplacer sur de très longues distances, et parfois sur des routes en gravier. Par exemple, Chibougamau est à sept heures et demie de route de Montréal, mais pour aller voir les grands barrages du projet hydroélectrique de la Baie-James, il faut encore compter douze heures de route ! L’état des routes, la faible couverture du réseau cellulaire, les services quasi inexistants sur une bonne partie du territoire peuvent susciter des craintes auprès des visiteurs.

Q : Est-ce que l’inaccessibilité nordique peut aussi être attractive pour une région ?

R : Certaines destinations nordiques, telles que l’Islande, ont attiré ce que l’on pourrait nommer un tourisme de masse. Dans le cas du Nord du Québec, les infrastructures sont insuffisantes pour accueillir un grand volume de touristes. Il existe encore peu d’opérateurs touristiques et très peu d’hébergement est disponible. La région s’adresse donc à une clientèle de « niche », aux aventuriers qui ne craignent pas de faire 300 ou 400 kilomètres sans service.

Q : Existe-t-il aussi une excentricité politique ?

R : Dans cette région ressource, le tourisme n’est pas la principale industrie. Il faut convaincre les élus et les acteurs régionaux d’investir en tourisme. Toutefois, plusieurs programmes ont été déployés ces dernières années pour soutenir l’industrie touristique. Le Plan Nord du gouvernement du Québec s’inscrit dans ces démarches structurantes. Le tourisme autochtone suscite également beaucoup d’intérêt et des programmes particuliers sont destinés aux communautés autochtones pour soutenir le tourisme.

Q : L’éloignement géographique est-il favorable au rapprochement politique ?

R : Les régions nordiques se sont concertées pour exprimer, ensemble, leurs besoins très particuliers. La région des îles de la Madeleine, même si elle n’est pas directement associée à la nordicité, partage avec le Nord de nombreux enjeux : la distance, de faibles revenus provenant de la taxe touristique, peu de membres, des projets de plus petite envergure. Des défis sont aussi parfois inattendus, par exemple la langue. L’anglais est la langue d’usage au Nunavik et en Eeyou Istchee. Même s’il y a une ouverture de la part du gouvernement du Québec pour traduire les documents, ceux-ci sont le plus souvent unilingues français. La collaboration avec le réseau touristique et le partage des outils ne se font pas de façon aussi spontanée. Ces régions doivent donc travailler doublement pour s’intégrer.

Q : Est-ce que Charlevoix est un lieu excentré ?

R : Sans comparer les deux régions, on peut dire que Charlevoix est aussi une région excentrée, mais pour de tout autres raisons. En quittant la Baie-James, je pensais que certains problèmes seraient plus simples au sud, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Pensons à la pénurie de main-d’œuvre. Tout le Québec a souffert de cette rareté, et encore plus cruellement le Nord. Charlevoix souffre aussi de ce manque de main-d’œuvre, mais notamment à cause de la proximité et de l’attractivité du marché de l’emploi de la ville de Québec. Être près d’une grande ville produit un « effet de gravitation ». Elle attire vers elle les ressources environnantes, dépouillant les zones périphériques. Le rayonnement de la grande ville peut aussi porter ombrage à certains attraits ou événements régionaux, qui semblent encore plus modestes à côté de ceux flamboyants de la grande ville.

De même, faire partie d’une région administrative avec un pôle central fort, comme la Capitale nationale, donne à Charlevoix une position périphérique, et déséquilibrée. Les ressources du pôle central sont très différentes de celles des « périphéries », et les statistiques moyennes cachent ces écarts pourtant importants.

Néanmoins, il existe des avantages indéniables à être situé près d’une grande ville. Les visiteurs peuvent avoir accès à des paysages et à des expériences tout à fait uniques, sans se déplacer tellement plus loin.

Merci Mitchell Dion, directeur général de Tourisme Charlevoix.