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Le continent africain, riche en ressources naturelles et humaines, est le théâtre de conflits de tous genres. Les communautés chrétiennes confrontées au quotidien à cette violence multiforme et déshumanisante aspirent, au plus profond d’elles-mêmes, à une justice et à une réconciliation durables.

Les premières victimes de ces violences sont les populations civiles fragilisées et marginalisées, et particulièrement les femmes. En effet, malgré leur ingéniosité, qui permet de faire face à la crise en vue de la survie de la famille, les femmes sont victimes des violences au quotidien, surtout dans les situations des conflits aux agendas économiques cachés, dont le pillage des ressources naturelles du continent : or, diamant, coltan, uranium, pétrole (etc.)[1]. C’est dans ce contexte qu’il nous faut situer notre propos sur un thème combien important, la réconciliation.

Quel est l’engagement de la communauté internationale, des États, des communautés savantes, des communautés de la base, bref des chrétiennes et des chrétiens pour la justice et pour la réconciliation des victimes de ces systèmes, et particulièrement des femmes ? Comment dépasser le « dire » des doctrines, conventions, résolutions et déclarations diverses dans l’Église et dans la société, pour un engagement dans des actes et des gestes concrets de justice et de réconciliation à l’égard des peuples dominés, et des femmes ? Ce questionnement ne provoque-t-il pas une réflexion sur le rôle de la femme dans l’Église et dans la société pour une justice, une réconciliation et une paix durables en Afrique ?

Notre propos comprendra trois moments. Nous parlerons de la responsabilité de la femme tour à tour dans la société africaine, précoloniale, dans une Afrique mondialisée et dans l’Église africaine, en nous inspirant souvent du cas concret de la République Démocratique du Congo, que nous connaissons mieux. La conclusion nous ramènera à la mission universelle de réconciliation, qui est celle de tous, femmes et hommes des divers continents.

1. La femme dans la société africaine

Dans la société africaine précoloniale, quel est le rôle de la femme dans la famille, l’économie, les affaires publiques ? Telles sont les questions auxquelles nous voudrons répondre, en évoquant finalement l’importance de l’éducation dans la société moderne.

1.1 Femmes et hommes dans la microsociété : la famille

Sans nous attarder sur une description purement sociologique de la place de la femme, il nous faut rappeler son destin dans la société africaine. La femme est celle qui transmet la vie. Le prestige d’une épouse se mesure au nombre d’enfants, et particulièrement au nombre de fils, qu’elle donne au lignage et cela, surtout dans le système patrilinéaire. La fonction de la maternité est celle qui lui est la plus appréciée et sur laquelle aucune tentative de dévalorisation n’est encore menée jusqu’à présent.

Dans la microsociété qu’est la famille (au sens large du terme), l’éducation se fait d’après le sexe et le groupe d’âge. Les parents ont chacun un rôle spécifique. Mais dès l’enfance, le rôle de la mère est essentiel. Elle s’occupe de l’enfant au moment de la naissance. Première éducatrice, elle marque de son empreinte le processus de développement de la personnalité de l’enfant d’autant plus que, dans la plupart des cas, l’enfant, jusqu’à l’âge de la scolarité, reste près de sa mère qui lui ouvre les yeux aux prodiges de la vie.

L’homme, lui, est considéré comme père et chef de famille. Il a le droit au respect et à la considération de sa femme, de ses enfants et de toute personne qui est sous son autorité. Certes, comme éducatrice, épouse et gardienne de certains aspects de la tradition, la femme a également droit au respect et à la considération de son mari et de ses enfants. Mais elle doit obéissance à son mari qui détient toute autorité sur elle. Certains relèvent que la femme mariée a une influence considérable sur les décisions importantes de son mari. Il s’agit en fait d’un pouvoir silencieux, plus illusoire que réel, car il s’exerce dans l’espace privé de la famille. C’est bien là un mythe auquel il faudrait s’attaquer avec sérieux (Petsalis 1990 ; Tshibilondi Ngoyi 2003).

1.2 La femme dans l’économie

Les tâches de la femme et de l’homme se rapportent aux rôles différents qu’ils jouent pour de la subsistance de la famille. En plus de son rôle de mère et d’épouse, la femme joue un rôle important dans la production agricole. D’ailleurs, les études sur le rôle de la femme dans l’agriculture tirent toutes les mêmes conclusions : l’Africaine contribue beaucoup plus à l’économie dans la production alimentaire, agricole et dans bien d’autres domaines qu’on ne l’admet généralement (Mushita 2014)[2].

Dans les sociétés vivant à un niveau de subsistance, il revient généralement à la femme de trouver, de cueillir et de préparer des aliments pour sa famille, d’aller chercher du combustible ainsi que de l’eau et de vendre ou d’échanger par le troc les produits excédentaires au marché local. Ce sont les tâches dites domestiques qui peuvent généralement être exercées non loin de la maison.

Pourvoyeuses de nourriture dans leur ménage, les femmes assurent le même service dans les lieux de passage et de concentration de la population humaine. Nourrir les siens suppose, pour beaucoup de femmes, nourrir les autres, même si elles attendent du père de leurs enfants une contribution substantielle. L’homme va plutôt chasser et pêcher, souvent loin de chez lui. Il aide à défricher les terres vierges dans le cadre de cultures sur brûlis, se livre au commerce sur de plus longues distances et est responsable de la sécurité de la collectivité. En somme, la place de la femme est tout autant aux champs, au grenier, à l’étable qu’au foyer.

1.3 La femme dans la sphère publique

Il ne faut pas exagérer outre mesure le pouvoir silencieux des femmes, car contrairement à l’opinion commune, la femme dans la société précoloniale n’était pas tenue à l’écart de la vie publique. Elle pouvait même y jouer un rôle important. Nous avons déjà souligné son influence considérable au sein de la famille concernant les décisions importantes prises par l’homme en public. Rappelons seulement le rôle joué par des reines indépendantes dans de grands royaumes ; par exemple, dans le double gouvernement du royaume Lunda (Katanga/Congo), le roi Mwata Yanvo avait une cosouveraine, la « Loukokesha » qui avait son mot à dire, au même titre que les autres conseillers, lors du choix de l’héritier parmi les fils du roi. Le royaume Kongo du Nord (région du Bas-Congo) était aussi gouverné par une reine indépendante. Dans le royaume Kuba (en République Démocratique du Congo), la reine-mère joue encore actuellement un rôle très important.

Le rôle des femmes dans l’organisation politique peut être défini par leur participation, directe ou indirecte, à l’activité du gouvernement et, dans les sociétés non étatiques, ce sont les femmes des groupes ou sous-groupes qui déterminent l’autorité. C’est ainsi qu’elles étaient souvent groupées dans des associations secrètes interdites aux hommes qui pouvaient exercer de l’influence sur la vie du groupe. Le rôle religieux des femmes prêtresses dans les religions traditionnelles africaines, comme le vaudou, mérite d’être souligné.

Le fonctionnement de ces institutions a été brusquement faussé par l’implantation du système colonial appuyé par la mission civilisatrice et évangélisatrice des Églises chrétiennes ; ce fut d’autant plus le cas que les femmes furent systématiquement exclues de la formation hâtive que les puissances dominatrices donnaient aux nouveaux cadres. Maintenues totalement à l’écart, elles ont vu s’effondrer les bases matérielles et spirituelles sur lesquelles reposait leur autorité. Ainsi, les femmes qui avaient une position sociale claire avant la période coloniale, où la division des tâches était très nette, ont perdu leurs droits et leurs privilèges sociaux, religieux et politiques.

1.4 L’importance de l’éducation

Néanmoins, la triple responsabilité de la femme africaine dans la société montre bien que sa nature ne l’exclut d’office d’aucun rôle. Au contraire, son rôle est capital dans la structuration et la restructuration de la société ainsi que dans la réconciliation des divers acteurs de la communauté, à condition bien entendu de sortir des freins que constituent certains schèmes traditionnels intégrés aussi bien par les hommes que par les femmes.

L’éducation nous semble la voie royale pour sortir de ces schèmes, car l’éducation est un chemin d’épanouissement pour toute personne. Elle est le premier facteur du développement économique et humain. Elle est plus large que l’instruction. Ainsi, une entreprise, une communauté et un pays progressent et se développent proportionnellement à l’effort durable qu’ils consentent en faveur de l’éducation et de la recherche. Les pays qui négligent ces priorités ratent leur développement et hypothèquent leur devenir. Cela est particulièrement vrai pour l’éducation des filles. En effet, les pays qui ont fait d’importants investissements dans l’enseignement féminin en ont tiré profit sous forme d’une productivité économique accrue (Tshibilondi Ngoyi 2005). Ainsi, la femme africaine, grâce à la formation qu’elle reçoit, est parvenue à retrouver sa dignité, à améliorer ses conditions d’existence, à contribuer plus efficacement à la construction du pays. L’école demeure pour de nombreuses femmes le chemin de l’épanouissement. Elle leur a inspiré une nouvelle confiance dans leurs capacités, leur a permis de donner un sens nouveau à leur existence et d’en contrôler le déroulement. L’éducation les prépare à être actrices à part entière de la construction du continent.

Depuis l’accession à l’indépendance des pays africains et notamment de la République Démocratique du Congo, des nombreux efforts ont été réalisés pour l’éducation des filles, mais celles-ci se heurtent encore à de nombreuses difficultés. Elles sont encore victimes d’une discrimination négative. C’est, pour elles, un véritable parcours de combattantes pour réussir à percer jusqu’au second cycle des études secondaires puis jusqu’à l’université. Malgré des efforts indéniables de scolarisation des filles, leur réussite scolaire reste un exploit, pour nombre d’entre elles, à cause du poids de la tradition qui a des répercussions sur leur éducation.

Il faut y ajouter le problème d’abandon scolaire pour des raisons diverses, dont le mariage précoce des filles (surtout dans les milieux ruraux), le harcèlement sexuel, l’éloignement des écoles et les difficultés financières. Lorsque leur situation financière est critique, les parents privilégient l’éducation des garçons au détriment de celle des filles destinées, selon eux, au mariage et à la vie au foyer. Il faut beaucoup de détermination pour briser les tabous et les pratiques qui freinent la scolarisation des filles. La scolarisation et la formation ne suffisent donc pas, à elles seules, pour changer la situation de la femme et de la jeune fille. L’éducation est certes une condition nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. L’éducation des femmes doit conduire à une véritable transformation des mentalités et des structures socio-culturelles (Sita Muila-Akele 2003). Elle doit leur permettre d’assumer leurs responsabilités dans la réconciliation du continent et de faire face à la mondialisation.

2. La femme africaine face à la mondialisation

2.1 La mondialisation : un nouveau défi ?

À peine sortie de la colonisation, l’Afrique se trouve confrontée au néo-colonialisme et notamment à la mondialisation[3]. La mondialisation est souvent présentée comme un village planétaire qui réconcilie les peuples, mais elle est aussi, hélas, un lieu de déstructuration et de discrimination, particulièrement des peuples et des personnes vulnérables[4].

Il n’est pas facile de s’accorder sur une définition de ce phénomène de la mondialisation. Dans sa forme moderne, elle est une nouvelle manière de gérer l’économie, le commerce, l’information, la culture, les relations internationales, bref, la vie humaine dans certaines de ses composantes fondamentales. L’essor des nouvelles technologies de l’information et de communication a changé nos manières de communiquer, de travailler et de vivre. Ce changement a accéléré, pour le meilleur et pour le pire, le processus de cet avatar de la modernité que l’on appelle mondialisation et que les anglo-saxons appellent globalisation. Ce contexte est marqué par un éclatement des frontières sur les plans économique, politique, socio-culturel et religieux. En même temps, de nouveaux murs s’élèvent par différentes formes d’exclusion et de domination, notamment pour les peuples du Sud. Il convient de relever les limites d’une telle idéologie.

La mondialisation peut être la meilleure et la pire des choses, mais pas pour les mêmes personnes. On n’a pas besoin d’être économiste ou sociologue pour constater l’enlisement économique de la plupart des pays et particulièrement ceux du Sud, notamment de l’Afrique subsaharienne ; la situation s’explique par le modèle de développement de l’ajustement structurel et de l’économie libérale du profit. Mais ces facteurs externes n’expliquent pas tout. Il revient aux pays africains d’assumer la responsabilité des choix de leur politique économique ; ces choix ont privilégié massivement les crédits et la technologie extérieurs. Ces choix ont mené à l’endettement et à des conséquences néfastes dans tous les secteurs de la vie sociale[5].

Contrairement à une vision euphorique du futur qui était prônée par une certaine tendance, nous déplorons les effets pervers du libéralisme sauvage qui préside aujourd’hui à la globalisation. On constate l’affaiblissement du lien politique et le relâchement du tissu social en raison des crises, des conflits sur tous les plans, de la subordination de l’économie au secteur financier et du règne incontrôlé de la spéculation. Les ravages du néo-libéralisme peuvent également se mesurer par l’ampleur de ses effets pervers, notamment du fossé toujours grandissant entre les pays développés et le reste du monde, entre les campagnes et les villes, et, à l’intérieur de chaque pays, entre les riches et les pauvres, entre une minorité privilégiée et une majorité aussi marginalisée que paupérisée comme c’est particulièrement le cas des femmes.

2.2 Les femmes happées par les villes

En Afrique, face à la mondialisation, de nombreuses femmes se laissent happées par les villes, où elles s’investissent dans l’économie populaire dite informelle et s’organisent pour résister aux effets pervers de la mondialisation en attendant d’investir pleinement l’espace politique.

La mondialisation est marquée par l’introduction du mode de production capitaliste et la modernisation technologique. L’Afrique, dépecée lors de la Conférence de Berlin en 1885, a été soumise au pacte colonial qui réduisait les pays africains à ne produire que des denrées brutes, que des matières premières indispensables à l’industrie des pays du Nord. Le colonialisme est considéré, par l’historien Joseph Ki-Zerbo, comme un hold up de l’histoire africaine, comme le dépouillement de tout un continent. Celui-ci développe les différentes phases de la mondialisation du point de vue historique, depuis l’Antiquité égyptienne jusqu’au xve siècle, en montrant l’évolution de grands empires avec les grandes villes (i.e. Tombouctou), la décadence, la traite, l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme. Joseph Ki-Zerbo conclut judicieusement : « Si on ignore ce qui s’est passé au travers de la traite des Noirs, on ne comprend rien de l’Afrique. » (Ki-Zerbo 2003)

La société traditionnelle est arrachée, souvent de force, à son quasi-isolément. Elle est contrainte d’entrer dans un système global qui dépasse les frontières du clan, du village, de la région, du continent. Ce fait a des implications sur les plans économique aussi bien que socio-culturel. Ce choc mondial entraîne la dégradation du statut de la femme et sa marginalisation sur le plan technologique.

La mondialisation est caractérisée, entre autres, par les nouvelles technologies dans tous les secteurs de la vie. Or la modernisation technologique devrait constituer une chance pour tous, particulièrement dans le domaine agricole, lequel est investi majoritairement par les femmes. Malheureusement, la technologie ne réduit pas les inégalités entre les femmes et les hommes. Avec la mécanisation agricole, l’aggravation de la charge de travail des paysannes s’accompagne de la dégradation de leur statut socio-économique. Elles perdent le peu d’indépendance économique dont elles jouissaient pour devenir des aides domestiques ou familiales non payées. Elles sont par ailleurs victimes des valeurs socio-culturelles qui leur sont défavorables et sont souvent surchargées de travail. Elles contribuent considérablement à la production économique, mais c’est à l’aide des moyens encore très archaïques.

À cause de l’analphabétisme et de la pauvreté, la majorité des femmes n’accèdent pas suffisamment aux nouvelles technologies de l’information et de communication. L’impact des mass média dans l’évolution de leur statut n’est pas moins indéniable. Le contact avec le village planétaire fait éclater l’image de la femme et son rôle dans la société. Les valeurs en sont modifiées. Les moyens de communication, les films, les médias et les images que ces technologies véhiculent bouleversent les valeurs et les structures de la famille dont la femme est un pilier.

C’est particulièrement dans les villes que la mondialisation aujourd’hui montre son impact sur les différents rôles des femmes dans les sociétés africaines. En effet, les villes sont prises dans l’engrenage économique, social et culturel de la mondialisation plus rapidement que les campagnes. Les médias qui donnent accès au village planétaire y sont plus développés. Bref, la ville est le véritable relais de la globalisation. L’exode rural des femmes est en partie le résultat de l’attrait vers cette mondialisation qu’incarne la ville[6].

Plus vaste que le carcan économique, social et culturel que constituent le village, la ville est, pour les Africaines, le lieu des grands espaces, du grand air libérateur. Elles espèrent y trouver des conditions de vie meilleure. Elles peuvent se marier selon leur choix ou pour éviter l’union prévue par leurs parents avec un vieux polygame. La ville est le lieu où ces femmes espèrent profiter des atouts de la mondialisation tels que les présentent les médias les plus divers. Mais la ville et sa globalisation sont exigeantes. Il faut se prendre en charge par diverses activités économiques, principalement dans le secteur dit informel et dans les divers réseaux des organisations de solidarité.

2.3 L’informel féminin ou « l’économie populaire »

Le commerce non directement assimilable à l’économie de marché, appelé pour cette raison « informel », est aujourd’hui une activité courante des femmes en ville. Il convient de préciser qu’en Afrique centrale, il s’agit du secteur d’ « économie populaire » qui n’est pas nécessairement inséré dans les « réseaux informels d’accumulation » et ne participe pas à sa logique clientéliste de redistribution (Peemans 1997). La majorité des femmes oeuvrent dans le secteur de petite production marchande. Toutefois, les citadines d’Afrique de l’Ouest exercent depuis très longtemps des activités commerciales et cette caractéristique constitue sans doute une différence majeure, aussi bien sociale qu’idéologique, avec les femmes du reste du continent, particulièrement celles de l’Afrique Centrale.

Il convient de noter que les activités dites informelles ne sont pas un phénomène lié à la crise. Du temps de la colonisation, l’activité de la femme mariée restait en général en relation avec celles de son mari. Dans les villes, l’inflation galopante rend indispensable la participation des femmes à la subsistance des familles. Elles n’ont pas le choix, par manque de formation et de capitaux ; elles s’engouffrent ainsi dans le commerce. En milieu urbain, cette activité marchande des femmes se révèle indispensable à l’alimentation quotidienne et à la survie de la famille. Peu à peu les femmes se sont glissées dans tous les interstices de l’économie.

Dans les grandes métropoles comme Kinshasa, Brazzaville, Yaoundé, Douala, Lagos, Lomé (etc.), l’alimentation, l’habillement (par les teinturières) et toute une série de services de base sont désormais assurés en grande partie, sinon en majorité, par les femmes. C’est aussi le cas dans les villes de moindre importance qui n’ont jamais offert d’emplois administratifs nombreux ni d’activité manufacturière ou même minière et qui sont aujourd’hui en perte de vitesse. Ce sont les femmes, à proprement parler, qui font vivre les habitants.

La très forte concurrence dans le commerce et le fait qu’elles ne comptabilisent pas la rémunération de leur temps de travail les incitent à se contenter de marges bénéficiaires minuscules. Leurs services restent donc compétitifs face à la cherté des biens du secteur officiel ou d’importation : les plats cuisinés sur le trottoir ou dans une gargote de fortune sont meilleur marché que ceux d’une cantine. Les produits locaux proposés à la sauvette sont plus économiques que ceux du supermarché local.

Le rôle des femmes dans la distribution des produits d’alimentation, d’habillement et des services de base est ainsi devenu décisif. Seuls leur échappent la quincaillerie et l’audiovisuel, bref tout ce qui nécessite un stock coûteux ou du crédit hors de portée de leurs réserves financières. On peut se poser la question de l’insertion possible des femmes dans la mondialisation.

2.4 Associations féminines, lieux de restructuration pour la paix

Une autre parade que les femmes africaines ont trouvée à la globalisation, c’est la solidarité à travers les réseaux des organisations féminines, qui sont bien plus nombreuses que les organisations masculines. Dans ces associations de solidarité, les femmes peuvent ainsi mieux résister à la déstructuration de la société.

Cette résistance permet à ces femmes de retrouver toutes les potentialités d’un espace intérieur capable d’éclairer les solutions alternatives qu’elles inventent continuellement. Elles développent de nouvelles façons de vivre basées sur l’une des valeurs cardinales des traditions, à savoir la solidarité africaine. Beaucoup de mouvements de la base témoignent de la détermination des peuples africains à survivre aux effets pervers du système néo-libéral véhiculé par la mondialisation.

Diverses associations suppléent à la faillite de l’organisation socio-politique suite à la mauvaise gestion et à l’endettement de l’Afrique, qui a besoin de bonne gouvernance, de démocratie et de l’implication de la société civile dans la gestion des affaires publiques. Les associations féminines ou non ont été souvent un lieu d’émergence d’initiatives nouvelles de la société civile. Celle-ci constitue un réseau d’associations identifiables, disséminées à travers les pays et le continent, qui encouragent les citoyennes et les citoyens à participer énergiquement, sur les plans local, national et international, à un développement durable. Ainsi, distincts de la classe politique, les acteurs et les actrices de la société civile entendent prendre conscience de leurs responsabilités dans la construction du continent.

À partir des années 1990, avec le processus de la démocratisation et les Conférences nationales souveraines, un nouveau dynamisme a été donné à la société civile en Afrique. Celle-ci revient en force et devient un vecteur dans l’exercice des libertés, un instrument de stabilité, un lieu de réconciliation et de paix.

Cette société civile revêt les caractéristiques les plus diverses. Elle ne se limite pas aux associations d’entraide et de convivialité. Elle s’étend aux acteurs économiques, qui se regroupent pour relever les défis économiques du continent. On y retrouve également des associations de divers corps de métiers : juristes, défenseurs de droits humains et des droits des femmes, médecins, enseignants, commerçants, artistes et artisans, etc. Ces nouveaux acteurs veulent apporter leur contribution à la reconstruction de leurs pays et du continent.

Certaines associations prennent la forme d’organisations non gouvernementales de développement (ONGd). Elles entendent susciter une prise de responsabilité dans le développement du quartier, du village, de la ville ou de la province. C’est dans ce contexte qu’émergent les organisations de femmes qui se mettent également en réseaux pour défendre elles-mêmes leurs droits et promouvoir la condition féminine. Gerti Hesseling et Thérèse Locoh le notent à juste titre :

Ce qui est remarquable c’est que les initiatives associatives cessent de cantonner les femmes aux activités de type « social » qui les enfermaient dans leur domaine réservé de bonnes épouses et bonnes mères. Elles sont désormais plus présentes dans la lutte pour le respect des droits civiques, de l’égalité de l’accès à l’éducation et commencent à se mobiliser sur le front des violences faites aux femmes

Hesseeling et Locoh 1997

Ainsi, avec leurs associations, les femmes africaines, notamment congolaises, investissent dans la résolution pacifique des conflits, et ce, depuis Sun City (en Afrique du Sud) lors du dialogue inter-congolais jusqu’aux élections de 2006. Les femmes jouent un rôle capital dans le processus de paix dans les pays en conflits ou post-conflits, au Libéria et en République Démocratique du Congo par exemple. L’implication des femmes et des hommes dans le processus de paix et de sécurité en République Démocratique du Congo est un aspect déterminant pour l’avenir de la République, tant sur le plan national que sur le plan régional. Le Cadre de concertation des femmes congolaises (CAFCO) investit dans la mise en oeuvre du Plan d’action national de la Résolution 1325 de Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité[7]. Il y a une synergie des actions concertées pour la paix par les femmes dans la région de Grands Lacs (Rwanda, Burundi et République Démocratique du Congo). Les femmes de la diaspora africaine, notamment les femmes congolaises de Belgique, prolongent ce plaidoyer dans les institutions nationales, européennes et internationales[8].

2.5 Les femmes dans l’espace politique

Pour transformer la société, il faut également investir l’espace politique où se prennent les décisions et où les femmes sont encore peu nombreuses. En République Démocratique du Congo, à l’indépendance, les femmes étaient absentes. Elles n’étaient déjà pas à la grande négociation lors de la Table ronde de Bruxelles. Comme le note à juste titre Marie-Madeleine Kalala :

À la proclamation de l’indépendance en 1960, l’homme et la femme sont partout ensemble sur ces images. Mais quel rôle jouait-elle exactement à côté de l’homme ? Car elle n’était pas partout, en définitive ! La femme n’est pas dans la grande salle du Parlement où se déroule la passation des pouvoirs. Seuls les héros de l’indépendance et les évolués ont le droit d’y être et pourtant, c’est ici que la page de l’histoire est en train d’être tournée, que le nouveau destin du Congo se dessine. Pourquoi la femme n’y assiste-t-elle pas ?

Kalala 2010

Jusqu’en 1966, il n’y avait pas de femmes en politique à cause de leur scolarisation insuffisante et des lourdeurs culturelles. Aujourd’hui, on constate une présence des femmes au sein de toutes les institutions politiques (plus ou moins 10 % au niveau des élues), même si leur représentativité reste faible, comme partout dans le monde. Leur engagement en tant que chefs des partis politiques est encore balbutiant, à cause des contraintes financières, familiales et culturelles ainsi que des règles qui ne sont pas toujours très claires dans ce domaine. Sur cent partis politiques en République Démocratique du Congo, seulement 5 à 6 % des partis sont dirigés par les femmes. L’encadrement politique des femmes ainsi que du soutien leur permettraient de s’investir dans la création de leurs propres partis politiques.

Le défi majeur reste celui de respecter les engagements pris en matière de représentativité des femmes, en respectant les instruments juridiques relatifs à l’intégration de la femme dans les institutions publiques (i.e. l’art. 14 de la Constitution congolaise ainsi que l’application des lois en matière de la parité). L’article 14 de la Constitution congolaise stipule :

Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits. Ils prennent, dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation. Ils prennent des mesures pour lutter contre toute forme de violences faites à la femme dans la vie publique et dans la vie privée. La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. L’État garantit la mise en oeuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions. La loi fixe les modalités d’application de ces droits[9].

Les femmes congolaises et leurs organisations devraient se mobiliser pour participer aux prochaines élections, que ce soit à titre de candidates et comme électrices. Sur le plan continental, les femmes ont obtenu une représentation paritaire à l’Union africaine. À cet égard, comment ne pas mentionner trois icônes de la lutte pour la réconciliation et la paix sur le continent ? Ainsi, la première femme africaine Prix Nobel de la paix 2004, la kenyane Wangari Maathai, était non seulement une militante très engagée dans la protection de l’environnement mais aussi dans la promotion de la femme, l’éducation et la santé. Elle a payé cher son combat pour la paix et la démocratie. En 2011, le prix Nobel de la paix a été décerné conjointement à Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Liberia, Leymah Gbowee, militante libérienne responsable de l’organisation du mouvement pacifiste Women of Liberia Mass Action for Peace, et Tawakkul Karman, activiste yéménite. Les deux libériennes ont, chacune selon son charisme, ses compétences et ses méthodes, contribué à faire revenir la paix au Libéria et à la consolider. Le rôle capital des femmes libériennes dans le processus de paix demeure une bonne pratique inspirante et un modèle pour l’ensemble des femmes du continent.

3. La chrétienne africaine au service de la réconciliation

Un proverbe africain dit : la femme est la valeur d’un pays, la valeur d’un peuple. L’Église en Afrique confirme-t-elle ce proverbe ? Comment les femmes, si nombreuses dans les communautés chrétiennes et au coeur même du deuxième synode africain, peuvent-elles se former à la réconciliation pour susciter des pratiques de réconciliation ?

3.1 Ces femmes qui remplissent les Églises

En Afrique comme ailleurs, les femmes sont les plus nombreuses dans les Églises. Très engagées et souvent bien organisées, elles rendent de nombreux services. Pourtant, même avec cette présence, les femmes sont absentes des lieux de décision[10]. On comprend que les nigérianes Mercy Amba Oduyoye, Teresa Okure et Margaret Umeagudosu insistent sur le partenariat homme/femme. Elles mettent au défi l’Église de rendre effectif ce partenariat en ce qui concerne les ministères (Umeagudosu 1993). Elles prennent la parole et s’investissent dans la pratique théologique (Mbuy Beya 2007). Elles contribuent ainsi à évangéliser notre langage sur Dieu et sur l’Église (Ngalula 2010), dans la perspective d’une étroite et réelle collaboration entre hommes et femmes. Elles poussent l’Église à être attentive à la place de la femme dans la Bible, dans la théologie et dans la société.

En effet, dans la Bible, la femme n’est pas que mère et épouse. Elle est associée à l’histoire du salut dès l’époque patriarcale. L’alliance avec Dieu passe autant par les patriarches (Abraham, Isaac, Jacob et Joseph) que par les matriarches, leurs épouses (Sarah, Rebecca, Léa et Rachel). L’histoire du salut s’écrit et au masculin et au féminin (Poucouta 2011 ; Tambourci 2003).

L’homme et la femme sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,27) ; tous les deux sont des êtres humains dotés, à un degré égal, de la même dignité. Dans la lecture de la Parole de Dieu et la contemplation du dessein d’amour de Dieu sur la femme tel que Jésus l’a révélé, nous découvrons que la femme est créée comme l’homme à l’image de Dieu. Elle manifeste, comme l’homme, le mystère de Dieu et est appelée comme l’homme à la suite du Christ et au service du Royaume.

La femme est considérée dans sa dignité propre comme l’égal de l’homme tout en sauvegardant son originalité féminine. Paul, si souvent accusé de misogynie, affirme l’égalité fondamentale entre l’homme et la femme qui dépendent tous les deux de Dieu : « Aussi bien, dans le Seigneur, la femme n’est pas autre que l’homme, et l’homme n’est pas autre que la femme ; car, de même que la femme a été tirée de l’homme, ainsi l’homme naît par la femme, et tout vient de Dieu. » (1 Co 11,11-12)

Ce passage affirme l’égale dignité humaine, qui précède l’ordre social ou la société des droits. La question qui demeure, toutefois, concerne le principe de l’égalité des droits de la femme et de l’homme dans la société de même qu’au sein de l’Église. Une précision mérite d’être faite à propos du concept de l’égalité. Être égal ne signifie pas être identique. La notion d’égalité est une notion éthique ; c’est une exigence morale qui naît du fait de l’existence des différences. En d’autres mots, c’est la différence qui fonde la notion même d’égalité. Tahar Ben Jeloum, écrivain, docteur honoris causa à l’Université Catholique de Louvain l’a bien exprimé : Dieu a créé des différences, les hommes en ont fait des inégalités. Il s’agit de récuser toutes les formes de subordination de la femme au nom des différences liées au sexe.

Dans l’Église catholique d’Afrique, la collaboration femme/homme se situe dans les limites des fonctions classiques. Les femmes s’adonnent à la catéchèse, à l’enseignement, à l’animation liturgique, à l’encadrement des jeunes et au secrétariat. Elles s’occupent par ailleurs des oeuvres sociales et caritatives ; elles peuvent être assistantes paroissiales et responsables des communautés ecclésiales vivantes ou de base (CEVB), tandis que les postes qui confèrent un pouvoir effectif dans le gouvernement de l’Église reviennent exclusivement aux hommes et spécialement aux ecclésiastiques. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que l’Église catholique d’Afrique (comme sa matrice occidentale) est machiste et cléricale. En redécouvrant le message évangélique, les structures de l’Église ne devraient-elles pas se libérer des contraintes de la domination et du monopole des hommes ?

De plus, on se fonde souvent sur la tradition africaine pour justifier la marginalisation de la femme dans l’Église. Or, les femmes jouent un rôle important dans les religions traditionnelles africaines et dans les communautés afro-chrétiennes ou dans les Églises dites de réveil. Certaines femmes sont fondatrices d’Églises et ont des rôles importants dans les communautés. Signalons également le cas des femmes bergères des groupes charismatiques qui sont admises là où le prêtre n’a pas accès.

Ces expériences devraient ouvrir l’Église au ministère des femmes, celles-ci pouvant assumer les mêmes responsabilités que les hommes. Il convient de prendre en compte les potentialités des femmes en leur confiant des responsabilités dans l’évangélisation et dans la réconciliation. De plus, les femmes sont très présentes dans le quotidien des familles, des quartiers et des communautés. Elles doivent être davantage associées aux décisions en vue du témoignage prophétique de l’annonce de la bonne nouvelle de la réconciliation.

3.2 Au deuxième synode africain, quel rôle pour les femmes ?

Le premier synode africain fut tenu à Rome en avril 1994, en plein drame rwandais. L’exhortation post-synodale Ecclesia in Africa a été publiée en 1995 à Yaoundé au Cameroun par le pape Jean-Paul II. Le synode essentiellement missionnaire s’était penché sur cinq thèmes : l’évangélisation, l’inculturation, le dialogue avec les autres religions, les moyens de communication sociale, la justice et la paix. Ce synode avait rappelé la mission des femmes dans cette évangélisation.

Dans Ecclesia in Africa, le pape Jean-Paul II rappelle la doctrine chrétienne de la dignité humaine et donc de la dignité de la femme et de l’homme depuis la création : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1,27). Il affirme l’égalité fondamentale et la complémentarité enrichissante existant entre l’homme et la femme. Le Synode a appliqué ces principes à la condition des femmes en Afrique. Les droits et les devoirs des femmes africaines pour l’édification de la famille et leur pleine participation au développement de l’Église et de la société ont été fortement soulignés. Le Pape précise que « pour ce qui est de l’Église, il est opportun que les femmes, ayant une formation adéquate, prennent part, aux niveaux appropriés, à l’activité apostolique de l’Église. » (Jean-Paul II 1995, no 121)

Deux remarques méritent d’être faites à ce propos. La femme africaine joue un rôle incontestable au sein de la famille africaine. Ce qui devrait être remis en question, ce sont les mécanismes de subordination, dans un système patriarcal, qui freinent sa pleine participation dans l’Église comme dans la société. Par ailleurs, en observant le mode de fonctionnement actuel de l’Église, on peut se demander dans quelle mesure cela permet aux femmes ayant une formation adéquate d’accéder aux postes de décision. Ne faudrait-il pas un changement de mentalités ou mieux une conversion pour reconnaitre cette injustice afin de redéfinir la relation homme-femme de manière nouvelle ?

Face aux violences endémiques et aux haines qui déchirent le continent, le pape Jean-Paul II avait annoncé, le 13 novembre 2004, la tenue d’un nouveau synode des évêques pour l’Afrique. Lors de son audience générale du mercredi 22 juin 2005, Benoît XVI a confirmé l’annonce faite par son prédécesseur. Ce synode s’est tenu à Rome en octobre 2009.

Ce second synode, dont l’exhortation qui y correspond fut publiée à Cotonou (au Bénin) par le pape Benoît XVI (2010), revient sur le thème de la justice en insistant sur sa mise en pratique concrète et effective. Il interpelle avec force la responsabilité des chrétiens et des chrétiennes dans l’avènement de la réconciliation, de la justice et de la paix en Afrique, en s’inspirant des conseils très pragmatiques de Jésus dans le sermon sur la montagne, d’où le titre : « L’Église au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. “Vous êtes le sel de la terre […] Vous êtes la lumière du monde” (Mt 5,13.14) ». En s’appuyant sur la double métaphore du sel et de la lumière, l’Église invite les croyants à s’engager fermement à être des bâtisseurs de la réconciliation, ce qui va de pair avec la justice et la paix. En effet, la réconciliation englobe une manière de vivre (spiritualité) et une mission :

Pour mettre en oeuvre la spiritualité de la réconciliation, de la justice et de la paix, l’Église a besoin de témoins profondément enracinés dans le Christ, nourris de sa Parole et des sacrements. Ainsi, tendus vers la sainteté, grâce à une conversion permanente et à une vie de prière intense, ils s’investiront dans l’oeuvre de réconciliation, de justice et de paix dans le monde, au besoin jusqu’au martyre, suivant l’exemple du Christ. Par leur courage dans la vérité, leur abnégation et leur joie, ils donneront un témoignage prophétique d’une conduite de vie en cohérence avec leur foi. Marie, Mère de l’Église-Famille de Dieu, qui a su accueillir la Parole de Dieu, être à l’écoute des besoins des hommes et se faire médiatrice, dans sa compassion, sera leur modèle.

Synode des Évêques 2009[11]

Mais le contexte et le thème de ce synode concernent les femmes de manière toute particulière. En effet, la réconciliation doit se vivre en premier lieu dans la cellule familiale, où la femme a une place de tout premier ordre. Dans une Afrique éclatée, souvent marquée par la violence, la famille doit redevenir le premier lieu d’évangélisation, de prière et d’apprentissage des valeurs dont celle de la réconciliation.

De plus, nous l’avons évoqué plus haut, dans les conflits armés, les femmes sont souvent les principales victimes de la violence. C’est le cas également dans les foyers, où les femmes subissent des violences conjugales ou encore, après le décès de leur époux, les veuves sont victimes des sévices inhumains justifiés par des coutumes. Parfois, les femmes elles-mêmes sont actrices de la violence sur d’autres femmes, surtout sur les veuves (Bapu Bidibundu 2000 ; Mbuyi Banza 2003). Il faut réaffirmer plus fermement et défendre la dignité et les droits des femmes. Le mouvement des mamans catholiques est reconnu pour ses actions de défense des droits des femmes, notamment des veuves. Mais les femmes doivent être également les principales actrices de réconciliation par leur collaboration étroite aux prises de décision dans l’Église et dans la société.

Aujourd’hui, les jeunes et les enfants ont perdu le statut privilégié qu’ils avaient dans la tradition africaine. Les enfants et les jeunes sont souvent instrumentalisés dans les conflits. Ils subissent de nombreux sévices sous l’accusation de sorcellerie. Les Pères synodaux ont demandé de soigner la formation des jeunes pour que, sans discrimination aucune, ils s’insèrent dans la société. Ils pourront alors se mettre au service de la réconciliation. Une fois de plus, la femme reste au coeur de ce dispositif familial de la réconciliation.

3.3 Former à la réconciliation

La réconciliation en famille a des répercussions sur le plan social. Elle contribue à la paix. Après un conflit, elle restaure l’union des coeurs et la vie en communion. Grâce à la réconciliation, des nations longtemps en guerre ont retrouvé la paix (le cas de l’Europe), des citoyens ruinés par la guerre civile ont reconstruit l’unité (Afrique du Sud, Libéria…), des individus ou des communautés cherchant ou accordant le pardon ont guéri leurs mémoires (l’expérience de nos communautés de base), des familles divisées vivent à nouveau en harmonie. La réconciliation permet de surmonter les crises, de restaurer la dignité aux gens et d’ouvrir à l’épanouissement personnel, au développement et à la paix durable entre les individus et entre les peuples (Synode des Évêques 2009, no 5).

Mais être actrices et acteurs de réconciliation ne s’improvise pas. Cela suppose la formation. La communauté chrétienne, aidée par exemple par des Commissions Justice et Paix, sera le lieu d’apprentissage et d’incitation à une prise de responsabilité effective dans tous les domaines de la vie ecclésiale, politique, sociale, économique, culturelle, etc. Les Pères synodaux reconnaissent l’apport des Africaines et leur grande contribution à la famille, à la société et à l’Église avec leurs nombreux talents et ressources. Toutefois, non seulement leur dignité et leurs contributions ne sont pas pleinement reconnues et appréciées, mais encore leurs droits sont bafoués. Ainsi, les Africaines armées d’une solide formation humaine et théologique concrète pourront conscientiser les autres et les aider à sortir de leur situation vécue parfois avec résignation. Dans les propositions post-synodales, les Pères synodaux insistent sur cette formation :

Malgré le progrès réalisé dans l’éducation et le développement des femmes dans certains pays en Afrique, le développement des filles et des femmes est souvent disproportionné par rapport à celui des garçons et des hommes ; les filles et les femmes sont généralement traitées de manière injuste. Ils proposent :

  • la formation humaine intégrale des filles et des femmes (intellectuelle, professionnelle, morale, spirituelle, théologique, etc.) ;

  • la collaboration étroite entre les Conférences épiscopales pour mettre fin à la traite des femmes ;

  • une plus grande intégration des femmes dans les structures de l’Église et dans les processus de prise de décision ;

  • la mise en place de commissions aux niveaux diocésain et national pour prendre en charge les problèmes des femmes pour les aider à mieux accomplir leur mission dans l’Église et la société ; et

  • la mise en place d’une commission d’étude sur les femmes dans l’Église à l’intérieur du Conseil Pontifical pour la Famille. (Synode des Évêques 2009, no 47)

Le défi qui reste à relever est celui de rendre effectif, dans toutes les instances ecclésiales, le partenariat femmes/hommes. Signalons l’interpellation de Felicia Harry aux Pères du Synode :

Le proverbe selon lequel la charité commence à la maison n’est pas déplacé dans ce contexte. Si notre Église en Afrique espère la réconciliation, la paix et la justice sur notre continent, nous devons commencer à l’intérieur. Je propose, poursuit-elle, quelques suggestions pour faciliter ce processus : aucun groupe ne devrait s’estimer supérieur au point de dominer. Il devrait y avoir un changement de mentalité face aux femmes et spécialement aux religieuses dans notre Église d’Afrique. Il devrait y avoir une conversion du coeur chez tous. […] Voici un petit exercice pour les Pères du synode : avant que vos excellences ne rejoignent leur lit le soir, qu’elles prennent deux minutes de réflexion sur ce que serait une Église sans femmes.

Harry 2013, 161[12]

3.4 Palabre et réconciliation

En Afrique, la palabre africaine est une force potentielle de réconciliation dans les moments de conflits[13]. Elle aide à relire de manière autre l’histoire du salut. Celle-ci, à son tour, donne à l’expérience traditionnelle de la palabre réconciliatrice une dimension plus féconde et plus opératoire pour les familles, les communautés religieuses et la société.

En effet, la palabre favorise le dialogue et la tolérance. Néanmoins, elle doit se laisser interpeller par la tradition biblique et le vécu africain actuel. Elle doit impliquer à la fois les hommes et les femmes longtemps exclues de l’espace de la palabre[14]. La palabre africaine n’est réconciliatrice que si les membres de la communauté, femmes et hommes, et principalement ses responsables, sont animés du souci du bien commun et de l’harmonie sociale.

La tradition biblique insiste sur le lien entre réconciliation et conversion concrète à Dieu et aux autres. Le sens africain de la conciliation ne doit pas être prétexte à l’impunité, ni dans l’Église ni dans la société. L’Église doit être elle-même une communauté où se vit la réconciliation. De même, la réconciliation doit se traduire par des pratiques de justice et de paix. D’ailleurs, dans la palabre traditionnelle, la réconciliation n’encourage pas l’irresponsabilité. Au contraire, devant la communauté, chacun doit prendre ses responsabilités et les assumer de manière effective, pour le bien du groupe. Pour rendre visible la réparation, des amendes devaient être éventuellement payées.

On voit alors l’importance d’encourager et de promouvoir des initiatives qui encouragent la réconciliation, notamment les cérémonies traditionnelles africaines de réconciliation comme la palabre (où une équipe de sages fait un arbitrage public des litiges) et l’arbitrage des conflits par une équipe des médiateurs. Les femmes pourraient y collaborer et y jouer un rôle important, dans une collaboration égalitaire entre hommes et femmes.

Conclusion

Dans l’esprit du deuxième synode africain portant sur la réconciliation, la justice et la paix, l’Église en Afrique fait de l’avènement de la réconciliation, de la justice et de la paix un des principaux défis pour le continent aujourd’hui : « Car c’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. Nous sommes donc en ambassade pour le Christ » (2 Cor 5,19-20).

Il s’agit d’un défi colossal qui demande la collaboration de tous et de toutes, hommes et femmes d’Afrique, engagés dans une même oeuvre à accomplir. Le synode interpelle aussi toutes les institutions et toutes les personnes de bonne volonté : la société civile, les religions, toutes les instances panafricaines, les institutions internationales, les universités, les Églises d’Europe, d’Asie, d’Amérique.

Ainsi, en Afrique comme ailleurs, la lutte pour la réconciliation, la justice et la paix pose le problème éthique de l’engagement responsable et historique pour une société juste et égalitaire. La crédibilité de notre engagement est liée à notre capacité de nous impliquer, concrètement et non seulement théoriquement, dans ce processus. Tout combat pour la réconciliation exige un travail simultané dans les secteurs public et privé de même que domestique pour changer réellement les lois et les normes, souvent inégalitaires, quant aux rapports entre humains et aux relations entre les femmes et les hommes.

Les femmes ne sont pas seulement nécessaires dans le domaine privé de la famille et dans le secteur de service au sein des communautés ecclésiales. Elles veulent devenir partenaires égaux dans la vigne du Seigneur pour prendre part à la responsabilité de l’Église d’assurer la réconciliation, la paix et la justice sur le continent. Le défi majeur reste donc celui de la place des femmes et de leur prise de décision dans l’Église et dans la société.