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Le Diccionario histórico de la traducción en España est le résultat d’un travail de recherche universitaire de longue haleine. Coordonné par Francisco Lafarga et Luis Pegenaute, des universités de Barcelone et Pompeu Fabra respectivement, ce volume à caractère encyclopédique constitue également la suite d’un travail précédemment dirigé et publié par les mêmes auteurs en 2004, Historia de la traducción en España, panorama historique de la traduction dans la péninsule Ibérique. Il s’agit donc de deux oeuvres complémentaires, incontournables pour tout chercheur ou toute personne qui s’intéresse à l’histoire de la traduction espagnole, et, par ricochet, à l’influence considérable que celle-ci a exercée dans le vaste monde des pays hispanophones. Ce dictionnaire représente donc, pour la traductologie, une source de références inégalée dans le domaine national espagnol et hispanophone.

Dans l’article « Sobre la historia de la traducción en España : contextos, métodos, realizaciones » (2005)[1], Lafarga annonçait la préparation de ce dictionnaire historique. Il y signalait, à propos de l’importance de ce type de publications, le contraste existant en Espagne entre la profusion de travaux de recherche en histoire de la traduction, caractérisée par une grande variété et même parfois par la dispersion des efforts historicistes d’une part, et l’enseignement universitaire de cette histoire, souvent considéré comme non nécessaire, d’autre part. La revendication de la place de la traduction espagnole était et reste un important souci pour les auteurs, une revendication expliquée par la part limitée de celle-ci dans la bibliographie internationale.

Structuré selon une logique alphabétique, ce dictionnaire présente des articles fondamentalement de trois types différents, consacrés soit aux traducteurs, aux auteurs étrangers ou aux littératures étrangères traduites. Les auteurs étrangers sont inclus en fonction de leurs présence et impact dans le contexte récepteur. Sont également proposés des articles sur la traduction du catalan, du galicien et de l’euskera vers le castillan, et inversement du castillan et de toutes les autres langues vers les trois langues régionales officielles d’Espagne.

La frugalité de l’indexation de cet ouvrage est à déplorer. Bien que le dictionnaire contienne une introduction (qui reprend plusieurs éléments de l’article cité ci-dessus), une liste d’abréviations, une liste des éditeurs et des auteurs des entrées ainsi qu’un bref index thématique composé de l’environnement de départ, de l’environnement d’arrivée, de la traduction dans les environnements non littéraires et de l’interprétation (sans toutefois que soit indiqué le numéro des pages qui correspondent aux entrées), on ne peut que regretter l’absence d’index plus pointus ou même de base. Par exemple, un index général des noms propres ou un index séparant les traducteurs des auteurs aurait été souhaitable pour faciliter la tâche au lecteur.

Étant donné le nombre et la variété des environnements et des auteurs de départ sélectionnés par les directeurs du dictionnaire, on obtient un panorama général du volume des traductions faites en Espagne, et on peut savoir à partir de quelles langues et cultures, surtout voisines et européennes, elles ont été faites. On peut également distinguer l’impact de certaines de ces littératures sur la langue et la culture espagnoles, et par extension, dans le monde hispanophone. Par exemple, il apparaît clairement que c’est la langue et la culture françaises qui détiennent le palmarès de la traduction en Espagne, avec 125 entrées. Les littératures de langue allemande suivent de près avec 112 entrées et viennent ensuite les littératures de langue anglaise avec 68 entrées. Le fait que les entrées relatives aux littératures de langue anglaise soient divisées par pays (sauf celles de l’Afrique) et que les littératures francophones le soient par continent (sauf celle de la France) semble être le reflet d’un statu quo terminologique[2], ou d’une approche quantitative[3]. Quelle que soit l’origine de ce choix, son résultat est néanmoins critiquable de par son obsolescence.

Deux cultures sémitiques d’importance considérable pour la péninsule Ibérique, la culture arabe et la culture hébraïque, comptent seulement 17 entrées à elles deux. En revanche, les langues classiques, à savoir le grec et le latin, et les langues latines occidentales, comme c’est le cas du portugais et de l’italien, sont proportionnellement bien représentées, avec 24, 27, 28 et 35 entrées respectivement.

Pour le lecteur nord-américain (canadien ou états-unien), l’ouvrage ici recensé est intéressant de plusieurs points de vue. D’abord, pour le premier, par une présentation compréhensive de la « courte » histoire de la littérature anglo-canadienne traduite en Espagne. Celle-ci commence en 1944 avec Mazo de la Roche et atteint son apogée actuel avec les nombreuses traductions et éditions de presque tous les titres de Margaret Atwood. Plus traduite que son homologue franco-canadienne, la littérature anglo-canadienne profite aussi des succès internationaux de bestsellers, comme Le patient anglais de Michael Ondaatje ou Génération X de Douglas Coupland. Néanmoins, on perçoit dans ce dictionnaire l’intérêt, bien que tardif, des traducteurs et des éditeurs pour la littérature du Québec, particulièrement dans les deux dernières décennies du XXe siècle et ce jusqu’à nos jours. Il est à noter que l’attention espagnole pour la littérature québécoise est surtout catalane, et ce pour des raisons historiques bien connues. L’auteure de l’article, « Literatura Francófona de América » (pp. 424-427), Lluna Llecha Llops de l’Université de Barcelone, montre que presque chaque titre qu’elle cite et analyse est traduit non seulement en castillan mais aussi en catalan. Il arrive même que certaines oeuvres québécoises aient été traduites en catalan, mais pas encore en castillan. Des auteurs comme Nicole Brossard, Gaétan Soucy ou Anne Hébert jouissent d’une attention accrue autant du point de vue de la traduction que de l’édition.

Pour le lecteur états-unien, la situation est différente, puisque 26 des 62 auteurs de littératures de langue anglaise répertoriés sont américains. De nombreux auteurs et une bonne partie des genres littéraires en provenance des États-Unis ont été traduits en Espagne. Deux facteurs sont à l’origine de cette réception, à savoir, d’une part, les liens professionnels ou personnels noués par des traducteurs avec les États-Unis et, d’autre part, la médiation par l’intermédiaire de traductions françaises de la littérature américaine. La régularité qui a caractérisé ces traductions espagnoles s’est vue seulement limitée par la censure durant l’ère franquiste. Parmi les cas intéressants à relever figure celui d’un écrivain américain, Nathaniel Hawthorne, qui fut traduit et connu en Espagne très tôt, avant même sa consécration dans sa terre natale. En 1850, par exemple, on a traduit et publié en Espagne la nouvelle de Hawthorne, The White Old Maid (1835). Intitulée en espagnol La Vieja doncella de Boston. Leyenda americana (Lafarga et Pegenaute, 2004, p. 423), il s’agit, jusqu’à preuve du contraire, de la première traduction en langue étrangère de ce texte.

Les repères bibliographiques présentés à la fin de chaque article constituent par ailleurs un des atouts de ce dictionnaire. Ils visent à fournir au lecteur qui souhaite en savoir plus, les sources indispensables à consulter sur un sujet en particulier. Il est néanmoins regrettable de constater que celles-ci ne tiennent pas toujours compte des oeuvres des collaborateurs du même dictionnaire. De plus, il est permis de se demander s’il n’y aurait pas lieu d’inclure, lorsque le sujet le justifie, les sources disponibles sur le Web. De fait, une version électronique du dictionnaire en tant que tel, en format DVD-R ou sur Internet, servirait adéquatement les buts de cet ouvrage, qui, comme l’indiquent les coordonnateurs ou coordinateurs du projet, vise à devenir une source de référence dans l’enseignement universitaire.

Le Diccionario histórico de la traducciónen España deviendra, à n’en pas douter, un ouvrage incontournable pour tous ceux qui s’intéressent aux contextes d’émission et de réception des textes traduits en Espagne. Il deviendra également un outil très performant pour les historiens de la traduction en quête d’information autant pour la recherche que pour l’enseignement. Il contribuera sans doute aussi à contextualiser le travail de la traduction en Espagne par rapport au reste de l’Europe aussi bien qu’au niveau international. Souhaitons-lui alors de nouvelles éditions, des contributions additionnelles et des mises à jour régulières, de contenu autant que de forme.