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Préparée de longue main par la société civile[1] — ouvriers, syndicalistes, intellectuels — et actualisée par la modernisation de l’État dans les années soixante, la Révolution tranquille a été le théâtre de réformes et de bouleversements dans plusieurs domaines de la sphère publique et privée.

Pour caractériser plus précisément la période, rappelons brièvement que la société québécoise, depuis longtemps régie par la trilogie prémoderne des valeurs « foi, famille et tradition » a été forcée, sous la pression de plusieurs facteurs tant externes — l’avènement de l’État-providence aux États-Unis, par exemple — qu’internes — le baby-boom, entre autres —, de s’ajuster aux réalités et aux valeurs nouvelles. Dans le passage du duplessisme, savant alliage de libéralisme pur et dur et de cléricalisme autoritaire[2], à l’État-providence, l’un des bouleversements les plus marquants a été la désertion de l’Église par les fidèles et le rejet de la prééminence du clergé qui s’en est ensuivi. Le point de vue du clergé devenant un point de vue parmi d’autres, le Québec entrait de plain-pied dans la modernité.

Pour Léon Dion, la question fondamentale que pose l’arrivée au pouvoir des Libéraux, qui marque le début de la Révolution tranquille, est pour les Canadiens français « la place qu’ils occupent dans leur histoire[3] », laquelle semblait s’être arrêtée avec la Conquête et repliée sur la fonction muséale de conservation des traditions.

Sur un simple mot, « Désormais », Paul Sauvé a voulu refermer le dernier tome de la saga duplessiste. Les Libéraux, qui lui succèdent rapidement au pouvoir, incarnent cette volonté de renouveau. Avec eux, c’est une nouvelle page de l’histoire du Québec qui s’écrit, à coups de changements successifs et rapides. À l’époque, le changement devient même une valeur en soi, selon Denis Monière[4], qui soutient aussi qu’au plan idéologique, on passe du « conservatisme clérico-politique » à « l’ère du progrès ».

Cependant, le changement suscite des réactions fort diverses chez les groupes sociaux en présence, allant d’une résistance prévisible de la part des clercs et du monde rural à l’adhésion franche des syndicats, en passant par une attitude de soumission plus ou moins nette au gré des conjonctures et des remises en question.

L’échantillon romanesque dont nous proposons ici l’étude témoigne des forces antagonistes en présence à cette époque : les groupes sociaux qui y sont représentés s’affrontaient alors réellement dans l’arène idéologique. Il regroupe quatre romans publiés entre 1959 et 1963, intervalle qui correspond à peu près au premier mandat du gouvernement Lesage : Les vivants, les morts et les autres de Pierre Gélinas et Les pédagogues, de Gérard Bessette, qui se déroulent tous deux en milieu syndical urbain, ainsi que Le grand roman d’un petit homme d’Yves Thériault et Le visage de l’attente de Richard Joly, qui ont pour cadre le milieu des notables ruraux.

Outre son adéquation à la réalité socio-politique d’alors, cet échantillon a ceci d’intéressant que la structure formelle des romans révèle les visions du monde qui sous-tendent l’attitude des protagonistes face au changement et, plus largement, face à l’histoire. En l’occurrence, il s’agit de deux visions opposées : les romans de l’urbanité rendent compte d’une vision du monde rationalisée et matérialiste, où le changement est appréhendé comme effet de la volonté, ce qui suppose l’intervention d’un sujet actif, et le sens de l’histoire est dégagé à partir d’une lecture et d’une méthode (le marxisme), tandis que les romans de la ruralité révèlent une vision du monde théologique, où le changement est subi comme une fatalité et le sens de l’histoire est tenu pour inconnaissable, étant une prérogative de Dieu (le thomisme).

Mosaïque idéologiquement composite, l’échantillon est travaillé par la dialectique de la persistance et du changement évoquée par Léon Dion pour saisir la dynamique de la Révolution tranquille, où les appareils institutionnels et idéologiques de la prémodernité et de la modernité cohabitent.

Le changement comme volonté

Dans Les vivants, les morts et les autres[5], un des rares romans d’apprentissage social de la littérature québécoise selon Jacques Pelletier[6], Pierre Gélinas met en scène Maurice Tremblay, jeune bourgeois de la haute-ville de Québec, qui lie pour un temps son destin à celui de la classe ouvrière, dont le désir d’émancipation rencontre le sien. Animé d’une ferveur messianique qui compense son inaptitude au combat, cet intellectuel se fait syndicaliste et entre au Parti communiste, dont il est finalement expulsé.

Le roman donne du monde une image concrète, soit une image qui, comme le dit Georg Lukács[7], fait place à la société et à l’histoire. Les personnages sont décrits par leurs positivités : leur fonction, leurs relations, leur appartenance de classe. On y trouve de nombreuses références à des événements historiques précis — la guerre de Corée, par exemple — ou à la conjoncture idéologique — la Guerre froide et le maccarthysme — et, entre autres, une description minutieuse du travail à la chaîne dans une filature.

La représentation est dynamisée par la description des luttes ouvrières — celles des travailleurs du textile et des commis vendeurs de Dupuis frères — et par la présence d’un héros actif qui engage sa liberté pour travailler à la transformation de la société. Elle l’est aussi par les mutations sociales qui sont décrites et qui font de Maurice Tremblay et de Claude Jobin, tous deux issus de la bourgeoisie, des compagnons de la classe ouvrière ; de Rachel Lussier, reine d’un foyer en décomposition, une femme d’affaires des plus efficaces ; et de Victor Tremblay, fils à papa croulant sous le poids de l’héritage, un entrepreneur moderne. Ainsi, les personnages se transforment et évoluent.

Construction polyphonique par la pluralité de ses points de vue, le récit est pris en charge par un narrateur externe (mais partial). Il évoque en alternance divers milieux, situations et personnages qui sont mis en relation et en opposition les uns avec les autres. Le moteur du récit est la contradiction, et son temps, celui de la progression dialectique comme ouverture de la contradiction sur la vérité des relations sociales.

Ainsi, la contradiction entre le milieu ouvrier des Lussier, Dufresne et compagnie et le milieu bourgeois de Margot Sauvé trouve sa résolution dans le jeu de la démocratie parlementaire, comme l’explique le personnage du sous-ministre Patry (VMA, 78). Autre exemple, Lagacé, travailleur forestier, et Maurice, jeune rentier, sont associés dans une contradiction que leur action commune masque à peine et n’abolit surtout pas, Lagacé luttant pour survivre tandis que Maurice, ayant largement de quoi vivre, se bat pour préserver son estime de soi et sa conscience. Enfin, Maurice, dans sa candeur juvénile, est opposé à Roger Picard, vieux routier du Parti communiste, comme l’avenir au passé d’une illusion.

Les personnages sont aussi représentés dans leurs contradictions personnelles. C’est le cas notamment de Maurice, dont le profil idéologique est découpé au scalpel par le narrateur, qui semble entretenir avec lui des liens plus qu’incestueux et qui nous le présente comme le produit d’une conscience illusoire.

Maurice, nous dit le narrateur, s’illusionne sur ses capacités et sur le sens de son intervention. Dans le prologue, il le révèle inapte à l’action, Maurice cherchant ses mots quand il faudrait parler et songeant à rédiger des revendications en pleine émeute. Il nous le montre ensuite dans une réunion où cet universitaire croit tenir le haut du pavé, alors qu’il est en fait manipulé par son syndicat qui l’envoie assister à un congrès pour la paix à ses frais et sans droit de parole, manipulé ensuite par Picard qui lui fait passer les trois jours du congrès à traduire des documents, berné enfin par son amoureuse, Margaret Webster, qui vit plus ou moins à ses crochets. Il en fait une figure du romantisme révolutionnaire, disant de lui que « son imagination paraît [ sic ] d’un halo romantique l’Union des Travailleurs du Textile depuis la grève orageuse de 1946 qui avait en quelque sorte marqué sa naissance… » (VMA, 39). Il le décrit enfin comme l’une de ces « âmes exaltées éprises de charité » (VMA, 39), et c’est à cette vertu chrétienne qu’il le renvoie d’ailleurs en fin de parcours, le matérialisme de Maurice étant apparemment soluble dans la métaphysique.

Ailleurs, le narrateur nous apprend au sujet du travail syndical de Maurice que ce dernier « s’était lancé avec la ferveur d’un apôtre dans un travail qui se confinait jusqu’à présent aux tâches en vérité les plus insignifiantes, et qu’il acceptait comme un noviciat » (VMA, 39). La portée de l’action de Maurice est sans cesse amoindrie par l’ironie du narrateur.

Le narrateur traite les contradictions des autres personnages avec plus de bienveillance. Lorsque Réjeanne Lussier décide d’abandonner l’action syndicale pour se marier, le narrateur évoque bien à son sujet de la résignation, mais il le fait après avoir décrit une conjoncture défavorable à la poursuite de l’action et suggéré qu’elle devrait tôt ou tard s’occuper de sa vie intime. Le narrateur présente aussi sous un jour plus favorable l’évolution de Victor Tremblay, pris dans la contradiction qui oppose le respect de l’héritage à l’exigence de renouveau, qui a pourtant pour seul mérite d’être en convergence avec l’esprit du temps.

Ces interventions du narrateur nous donnent à penser qu’il se situe à hauteur des autres personnages en dépit de son extériorité et qu’il joue dans cette fable le rôle de l’historien chargé, sans qu’il soit tenu à l’objectivité scientifique, de dégager le sens de ce rendez-vous raté avec l’histoire.

Le récit se déroule au présent, en prise directe sur les événements. Dans le prologue, le lecteur est plongé dans le feu de l’action, confronté à l’histoire vive qui est non pas contée, mais exposée dans sa brutalité. Nulle réflexion rétrospective ne vient décanter l’événement narré : les personnages en tant qu’acteurs sont sujets de l’histoire dont ils participent, celle des luttes ouvrières, mais aussi objets de l’histoire qui les a faits et qui conditionne leurs réflexes. Le prologue, construit selon la règle classique des trois unités, préfigure ce que le roman ne cessera de démontrer, à savoir que l’histoire des luttes ouvrières, lorsqu’elle se résume au corps à corps de l’affrontement sans relais politique et idéologique, est celle des perpétuels recommencements.

Dans les autres parties du récit, les personnages inscrits dans le processus dynamique de transformation homme-monde ont des liens avec le passé et se projettent dans l’avenir ; ces dimensions du temps fusionnent dans la conscience critique du présent capable de dilater l’espace-temps réel et contraignant. L’utopie et l’action révolutionnaires lient les acteurs par-delà les époques et les pays ; elles résolvent la contradiction entre les déterminismes du passé et les possibilités de l’avenir. Pour Maurice, désormais, « l’horizon nouveau s’étendait de la muraille de Chine à l’Olympe de Thessalie » (VMA, 129), tandis que Réjeanne Lussier transcende son pauvre passé et sa piètre condition de travailleuse par l’action syndicale qui lui fait envisager sereinement l’avenir et lui donne le sentiment de maîtriser sa vie (VMA, 36).

Quant à Maurice, qui nage décidément à contre-courant de l’histoire, il est décrit ainsi alors que tout s’écroule après la publication du rapport Kroutchev qui suit de près son entrée au Parti : « Maurice était transformé, il était sûr de lui et de son destin » (VMA, 286). Même s’il rate son rendez-vous avec l’histoire et s’illusionne sur lui-même, il n’en éprouve pas moins un sentiment de maîtrise des événements et de confiance en son destin. Serait-ce que Gélinas nous suggère d’accepter de bon coeur l’illusion si elle guérit du mal de l’existence ? Il laisse entendre plutôt, d’après nous, que l’action pour la promotion des valeurs d’émancipation a des retombées bénéfiques en soi et que les valeurs ont la vie plus longue que les moyens d’action. Dans le dispersement désordonné des troupes lorsque sonne l’heure de la purge idéologique au sein du Parti, Gélinas met à nu l’absurde mouvement brownien d’une histoire dépouillée des oripeaux du sens et de la raison comme de toute perspective transcendante. Dans de telles circonstances, il est normal que Maurice, dont la conscience matérialiste est encore encombrée de vestiges théologiques, retourne à la morale chrétienne dont il ne s’était jamais vraiment départi : « Au bout de la rébellion et de la colère, il apprendrait la charité. » (VMA, 314)

Sévèrement jugé par le critique Jean-Marcel Paquette qui y voit une « oeuvre de courage, […], qui eut certes son mérite en son temps, mais oeuvre molle malgré son caractère offensif et démystificateur[8] », le roman de Gérard Bessette, Les pédagogues[9], raconte sur le mode satirique l’histoire de Sarto Pellerin, professeur de français dans une école normale dont le personnel vit sous l’emprise du directeur, Cyril Arbour, lui-même soumis au clergé et au ministre de l’Instruction publique. Sarto est expulsé de l’école pour délit d’opinion, ayant osé soutenir, devant un chanoine appelé à se prononcer sur l’embauche d’un professeur, qu’il n’était pas nécessaire d’être catholique pratiquant pour enseigner les mathématiques. À la faveur d’un concours de circonstances, Sarto se réoriente vers le syndicalisme.

Publié à l’orée de la Révolution tranquille, en 1961, le roman présente une société en transition, où institutions prémodernes et modernes cohabitent. En effet, le roman oppose à la puissance du clergé la force montante de sécularisation qu’est le syndicalisme. Ses personnages fortement typés évoluent en vase clos, passant de leur bureau à leur foyer, à une salle de réunion ou au salon de la ministresse. La typologie limitée des lieux illustre métaphoriquement le champ d’action restreint des personnages et le confinement de la pensée critique dans cette société corsetée dans ses dogmes et ses idées reçues.

Les échos des transformations qui se produisent dans d’autres sphères ne nous parviennent qu’indirectement. C’est grâce à une rencontre fortuite entre Sarto et son ancien collègue Marcotte que nous découvrons l’action syndicale de l’Association des Instituteurs, à laquelle Sarto lui-même a participé, ou encore, malgré la présence d’un peintre parmi les personnages, c’est à travers le regard hostile et méprisant des invités à la soirée mondaine de la ministresse qu’il est fait référence au passage du figuratif à l’abstraction en peinture, qui a été la grande affaire des années cinquante et soixante chez le public non averti.

Le récit se déroule au fil des discussions, des conciliabules et des tractations de coulisse. Pour les intellectuels de calibre très moyen mis en scène par Bessette, écrire et parler ne vont pas sans risque, comme Sarto le constate : l’expression de sa pensée devant le chanoine déclenche une véritable révolution dans sa vie personnelle. La surcharge descriptive compense la minceur de la trame événementielle, le seul événement réel étant le congédiement de Sarto. L’intérêt du roman réside d’ailleurs dans le portrait-charge qui est brossé d’une certaine classe bureaucratique et cléricale qui pourrit lentement sur pied, plantée dans le sol mou et argileux de l’hypocrisie et de l’incompétence.

Les portraits sont soignés, Bessette s’étendant sur les tics et les travers des personnages qui composent sa galerie d’immobilistes compassés. La longue et minutieuse description qui en est faite imprime au récit le rythme lent du faisandage. Le récit emprunte à la chronique mondaine son ton désinvolte et narquois pour narrer les piètres conversations du salon de la ministresse, où le seul esprit qui semble régner est l’esprit animal, tant les descriptions qui sont faites des personnages les rabaissent au niveau de la bête. Le narrateur décrit en effet « une grande blonde à face chevaline » (LP, 134) et un quinquagénaire « squelettique au nez de corbeau » (LP, 140) ; il dit de la femme de Sarto, Georgina, qu’elle « rumine » (LP, 163) et qu’elle a des « yeux bovins » (LP, 160).

En fait, le narrateur n’épargne personne, pas même le groupe des jeunes peintres, qui illustre pourtant le désir de renouveau. Sarto est lui aussi décrit sans complaisance. Protagoniste qui appelle ardemment le changement, il se lance au combat les mains nues. Acariâtre, peu subtil, Sarto est dénué du minimum d’esprit tactique et stratégique pourtant nécessaire à la consolidation de l’esprit de solidarité. En revanche, il a pour lui son courage, ses convictions et son intégrité — valeurs nouvelles en regard de l’hypocrisie régnante — ainsi que sa qualité d’intellectuel, qui lui vaudront d’être recruté par le milieu syndical mis au courant de son congédiement par son ancien collègue Marcotte.

Le devoir d’agir, d’écrire et de parler opère la double articulation de l’histoire personnelle de Sarto à l’histoire d’un mouvement social, le syndicalisme, et à l’histoire de la nation québécoise, saisie dans un moment de son évolution. La volonté de changement et la conscience de s’inscrire dans l’histoire sont d’ailleurs illustrées par la fin du roman, qui se termine sur une note d’espoir, Sarto disant à sa femme Georgina : « Ne t’inquiète pas… La lutte vient tout juste de s’ouvrir. Ce n’est que le commencement… » (LP, 309).

Comme Pierre Gélinas, Gérard Bessette met en scène un héros actif, dans un récit pris en charge par un narrateur externe, qui témoigne de la réalité du monde objectif et donne de ce monde une image concrète. Dynamisée par la description de la lutte que Sarto mène, la vision est celle d’un monde ouvert au changement. Cependant, contrairement au temps dialectique du roman de Gélinas, le temps du roman de Bessette est le temps linéaire de la dégradation d’une classe engoncée dans ses habitudes et devenue sa propre caricature.

Ces deux romanciers rendent compte d’attitudes fondamentales qui s’incarnent dans deux types d’acteurs, le syndicaliste révolutionnaire et le syndicaliste réformiste, lesquels seront présents sur la scène politique québécoise jusque dans les années soixante-dix. Maurice Tremblay personnifie le type du petit-bourgeois marxiste et révolté qui rompt pour un temps avec sa classe d’origine pour accompagner, et surtout devancer, la classe ouvrière dans son émancipation, tandis que Sarto représente le type proudhonien de l’intellectuel qui favorise la réforme du système dans la légalité du syndicalisme. Ajoutons qu’ils soulèvent tous deux la nécessité d’une lutte pour élever l’individu jusqu’à la conscience de soi et de sa liberté.

Le changement comme fatalité

Roman de forme inédite qui met en scène un démographe et le barbier d’un village riverain de la Richelieu, Le grand roman d’un petit homme[10] pourrait être la transposition fictive d’une entrevue entre le sociologue Everett C. Hugues[11] et un représentant de la folk society. Ce roman d’Yves Thériault, publié en 1963, raconte l’histoire collective d’un village, Saint-Léonide, et l’histoire privée d’Arsène Lalonde. Dûment marié, Arsène est demeuré amoureux d’Imelda, sa première flamme, qui connaît une existence tragique auprès d’une mère acariâtre et dont la mort est précipitée par la découverte d’un collier. Cet objet fétiche, à double connotation sexuelle et surnaturelle dans le roman, déclenche chez Imelda une prise et une crise de conscience des plus amères auxquelles elle ne survivra pas. Chaque chapitre, désigné par le numéro d’une bobine d’enregistrement, se termine sur les questions et les commentaires du démographe.

Ce roman met en scène un héros passif, venu témoigner d’un événement révolu. Le récit, pris en charge par Arsène, constitué narrateur interne, s’inscrit dans le temps subjectif de la reconstruction dans la mémoire. C’est donc dire qu’un seul point de vue est donné, celui d’Arsène, et que le rapport au monde objectif se fait à travers le prisme de la subjectivité d’Arsène, de ses croyances, de ses partis pris. C’est dire aussi que le roman privilégie la durée plutôt que le temps objectif. C’est d’ailleurs ce qu’exprime précisément Arsène au début du récit lorsqu’il évoque le suicide d’Imelda :

Mais je suppose qu’après tant d’années, tout ça est devenu moins important.

[…] Je dis tant d’années, je compte sans chiffres, c’est même un décompte.

[…] Tout au plus deux ans. Mais c’est à [ sic ] ne pas lâcher la pensée un seul instant qui fait durer les heures.

GRPH, 13

La première référence directe au temps concerne le temps religieux, l’année étant d’abord l’année liturgique[12]. Arsène dit du temps : « nous y habitons, il est insaisissable, et vous n’avez pas sitôt quitté Noël que c’est Pâques » (GRPH, 13).

C’est aussi dans ce temps qu’évoluent Imelda et sa mère Virginie. Cette dernière se sert de la religion comme d’une arme de sujétion et d’anéantissement dans la relation perverse qu’elle entretient avec sa fille :

Il y avait la messe quotidienne, les invocations récitées à genoux avec sa mère dans la cuisine, deux fois dans l’avant-midi ; les longues prières au moment de l’angélus, deux autres périodes dans l’après-midi et puis, bien sûr, le chapelet à la radio, le Salut à l’église, le tout couronné de la prière du soir.

GRPH, 33

La passivité du héros l’amène à placer sa relation avec Imelda sous le signe de la fatalité, sur laquelle le temps n’a aucune prise : « Moi je dis que la marque est dans la peau. En naissant, on est désigné. Moi pour elle, elle pour moi. » (GRPH, 15) Mieux encore, il justifie sa passivité : « Mon tort, dit-il, fut peut-être, en croyant bien faire, de déjouer le destin. » (GRPH, 15)

Avant le suicide d’Imelda, Arsène a vécu dans l’attente et l’espérance : « À midi, je me disais que ce serait à six heures. À six heures, je perdais ma joie et je remettais la chose au lendemain. Demain, les choses s’arrangeraient. » (GRPH, 16) Arsène exprime en cela l’attitude passive et chrétienne de celui qui peut espérer, et prier pour que les choses changent, mais qui ne peut intervenir plus concrètement car, les deux ordres terrestre et céleste fusionnant dans le temps religieux, agir reviendrait à contester l’ordre divin.

Le temps religieux est un temps linéaire où les changements se font lentement, par touches successives. La conception du changement défendue par Arsène emprunte à la nature. Le changement doit se faire dans le temps naturel de la maturation ; il doit être « précisément mûr et arriver à son heure » (GRPH, 62). Au dixième chapitre, le changement sera amené par le feu, élément naturel et acte de Dieu qui n’implique aucunement l’intervention humaine.

Le village représenté est un monde clos et une totalité signifiante où chacun a sa place dans l’espace social — son rôle — et dans l’espace géographique de la production — le secteur tertiaire étant cantonné au village et le secondaire dans les rangs avoisinants. Ce monde prémoderne se compose de trois ordres déterminés par l’instruction — les prolétaires ruraux, les producteurs agricoles, les professionnels et les clercs, produits du cours classique —, unis dans un rapport harmonieux. C’est un monde qui se suffit à lui-même, comme l’indique Arsène :

Fermons-nous vraiment la porte aux arrivants ? Je le crois. Ils sont là, parmi nous, mais ils ne sont pas avec nous. C’est une sorte de discrimination sans en être : l’état précis de la distance qui doit être maintenue entre nous et eux.

GRPH, 59

En contrepoint à la paisible histoire de Saint-Léonide s’inscrit l’histoire tourmentée d’Imelda, histoires individuelle et collective où la fatalité (ou la Providence) emprunte les traits du feu pour châtier les rebelles et récompenser ceux qui restent passifs et soumis à la tradition. En effet, le feu, qui danse dans les yeux neufs, débarrassés de leur regard résigné (les « yeux pétillants, vivants, ardents » [GRPH, 123]) d’Imelda est l’instrument de sa déchéance. Il symbolise le désir sexuel dont elle brûle et l’enfer qu’est devenue sa vie intérieure depuis qu’elle a découvert, dans l’église, ce collier qu’elle refuse de rendre, ce qui, dans la stricte morale catholique, équivaut à du vol. À l’opposé, et dans un tout autre registre, le feu est instrument de progrès et d’enrichissement pour la première famille du village, les Desmeules. Ayant rasé l’hospice pour vieillards, il permet à cette famille d’agrandir ses installations commerciales, ce qu’elle n’avait pu faire auparavant, ayant respecté l’obligation testamentaire de préserver l’hospice.

Ainsi, Le grand roman d’un petit homme participe d’une conception surnaturelle et fataliste, donc prémoderne, du monde qui fait de la Providence — ici manifestée sous la forme du feu — un pouvoir agissant, capable de résoudre les contradictions et d’offrir en immolation des victimes. Ce récit à une voix, pris en charge par un narrateur interne, est écrit au passé. Il met en scène un héros passif en qui le monde est subjectivement recréé. Dans ce roman imprégné de philosophie thomiste[13], nul besoin de donner au monde des contours objectifs plus précis, puisqu’il ne s’agit aucunement de chercher à le transformer. Le monde n’existe que pour réaliser la volonté divine. Dans cette perspective, l’histoire humaine pèse bien peu en regard de l’éternité.

Publié en 1963, Le visage de l’attente[14], de Richard Joly, s’articule autour des différents articles d’un testament. Nous conviant à la lecture de ce mémoire d’outre-tombe, Joly nous constitue héritiers d’une vision du monde elle aussi, comme dans le roman de Thériault, fondée sur le thomisme[15].

Il nous constitue aussi légataires du Québec rural des années cinquante, qu’il décrit à travers deux personnages typiques de la société des notables de l’époque : le notaire, François Cadieux, et le prêtre, Pascal Fabre. Ces derniers voient leurs vies bouleversées par l’arrivée d’un entrepreneur étranger dont le projet d’implantation d’une usine signera pour Pascal l’échec de son intégration dans le monde laïc et sa marginalisation. Pour François, ce projet signifiera la réussite de son adaptation dans une société en transition et l’acceptation de sa condition d’homme moderne, responsable de ses choix.

Joly campe clairement ses positions philosophiques et doctrinaires. Il entend témoigner d’un parcours individuel et le relater à travers François depuis ce moment de l’histoire où tout est déjà fini, où rien ne peut plus advenir, réinscrivant la mort dans le tissu du temps. La forme qu’il a choisie réalise l’un des préceptes de la doctrine religieuse qui sert d’assise aux péripéties romanesques : la mort donnant son sens à l’existence dans le catholicisme, c’est à partir du testament de son ami Pascal que François dégagera le sens de sa vie. Dans cette optique, la mort est doublement rédemptrice : rachat des péchés et visa vers la béatitude, elle est aussi rachat du non-sens auquel est livrée toute existence humaine.

À l’austérité de la forme répond l’austérité de la narration, qui est clairement assumée par le notaire François, constitué narrateur interne. Le point de vue de ce dernier est critique, celui d’un homme conscient de se « mouvoir dans un monde que nous ne pouvons dominer… » (VA, 167). François relate sobrement, sans fard et sans indulgence mais avec respect et compassion, les échecs répétés de Pascal qui, de l’enseignement de l’histoire, passera à l’action sociale, toutes tâches pour lesquelles il est peu préparé :

Tu me pardonneras mon indiscrétion, mais l’histoire… tu en connais quelque chose, toi, de l’histoire ?

Ce que tu peux être naïf, mon pauvre François !… As-tu jamais vu ça, chez nous, un professeur qui connaît quelque chose à sa matière au moment où le préfet des études lui dit de l’enseigner ?

VA, 56

Formé à concevoir la vérité comme éternelle, universelle et incorruptible (VA, 45), Pascal ne pourra se satisfaire de la vérité partielle et relative que l’étude de l’histoire lui révèle ; il se détournera de cette histoire trop humaine, sans véritable acteur. Il se justifiera en disant que l’histoire « n’est même pas mentionnée aux résultats du bac » et qu’elle « ne conduit à aucune profession respectable » (VA, 89). Enfin, il la décrit comme ouvrant « les portes de la nostalgie » (VA, 89) et la relègue à une fonction muséale de conservation.

Sa soif de connaissance et de vérité, son désir d’agir au présent le conduisent à se tourner vers la sociologie. Après un stage de seulement trois mois aux États-Unis pour s’initier aux méthodes modernes d’action sociale, il aborde la sociologie par le biais désincarné et abstrait de la recherche statistique, compilant fiches et données en vue d’un rapport sur les besoins futurs des paroissiens et de l’Église.

Cependant, l’histoire se charge de lui rappeler qu’elle se conjugue aussi au présent et qu’elle procède d’une rationalité qui lui est propre. Elle est représentée dans le roman, de façon allégorique, par l’entrepreneur qui, par l’étude de marché qu’il a commandée, rend inutiles les recherches prévisionnelles de Pascal. Ainsi que nous l’explique le narrateur : « Ces messieurs de Linex avaient rassemblé sur le diocèse une documentation qui, à certains points de vue, réduisait à l’insignifiance les fiches de Pascal. » (VA, 167)

Déçu et humilié, Pascal rentre dans les terres stériles de la foi et du dogme. Il exercera désormais son ministère dans une petite paroisse, ayant renoncé à la connaissance et à l’action dans ce monde pour lequel il n’était pas outillé.

À l’exemple de Thériault, Joly compose son roman comme une remontée dans le temps reconstructif de la mémoire subjective de François, qui prend cependant ancrage dans la mémoire objective constituée par le testament de Pascal. Gardien et dépositaire de la mémoire, François réinscrit l’histoire individuelle de Pascal dans le contexte plus large d’une histoire collective en marche, qui s’écrit au présent, et il fait de cette histoire personnelle une source d’enseignements.

La référence à une histoire possible s’énonce donc à partir de la conscience critique que manifeste François à l’égard de lui-même et de son époque. Face à Pascal, hyperactif et avide de connaissances, François apparaît comme un sujet passif, qui n’a jamais rien eu à choisir, ni sa fonction de notaire, car il a hérité l’étude de son père (VA, 79), ni le moment de sa liberté, la mort de son père ayant opportunément mis fin à la cohabitation avec sa mère (VA, 81). Peu courageux, il quitte une femme qu’il aime par souci du qu’en-dira-t-on. Il a d’elle un fils, qu’il ne reconnaîtra jamais. Lorsqu’il aime à nouveau, il n’est pas aimé en retour. À l’aube de la vieillesse, il est comme son ami relégué dans des terres stériles, celles du non-engagement, mais avec la conviction désormais qu’il doit décider pour lui-même de ses valeurs. Relatant les paroles de son ami, il déclare au terme du roman, même si l’attente évoquée est celle de la mort :

Il m’avait dit que de nouvelles voies s’ouvriraient. […] Je ne trouve pas encore la force de les chercher activement, mais je sais que se précisera un jour le visage de mon attente.

VA, 236

François manifeste et représente la force montante de la rationalité marchande, force motrice de l’histoire économique et sociale en marche, indifférente à ceux qu’elle piétine. Sa trajectoire montre que l’histoire est faite d’événements et de conjonctures, sans véritables acteurs, car François n’est que l’instrument du changement comme en d’autres circonstances il eût été celui de la Providence, dans la même passivité. L’histoire l’entraîne dans son sillon et lui impose ses réalités et ses valeurs nouvelles. Il prend brutalement conscience du changement, qui s’impose à lui comme une révélation :

Tout à coup, comme si quelque voile s’était brusquement déchiré, je compris que je traversais un monde déjà mort, une société qui n’était pas encore consciente de son propre décès mais qui appartenait aussi clairement au passé que l’Égypte des Pharaons ou la Gaule de Clovis.

VA, 170

François incarne malgré lui les forces du changement du Québec des années cinquante et le passage d’une vision du monde — le thomisme — qui trouve en la volonté de Dieu son principe explicatif à une vision du monde fondée sur la rationalité. À la foi s’oppose la science. La seule connaissance qui rassasie, assure Pascal à la fin de son parcours, c’est la connaissance de foi (VA, 218). Mais c’est le propos d’un homme retiré en lui-même, qui a renoncé au monde et vit prostré dans l’attente de la mort, que doit meubler la trilogie théologale de la foi, de l’espérance et de la charité.

Ainsi, Thériault et Joly mettent tous deux en scène des héros passifs, dans un récit qui se déroule au passé, pris en charge par un narrateur interne. Leurs personnages vivent confinés à l’intérieur des limites géographiques de la paroisse ou du diocèse. Privilégiant le temps subjectif, ces deux auteurs nous invitent à une reconstruction rétrospective et sont tous deux avares d’indications spatio-temporelles précises. La représentation du monde qu’ils nous proposent étant de type idéaliste, ils préfèrent au monde concret celui des idées.

Si la vision du monde du héros de Thériault est une vision religieuse qui participe d’une jonction entre le monde terrestre et le monde céleste par la fusion du temps religieux et du temps naturel, celle que nous propose Joly à travers Pascal et François est une vision religieuse entamée par le processus de laïcisation qui accomplit la séparation définitive du ciel et de la terre. Dans les deux romans, les personnages sont les témoins et les adjuvants du changement plutôt que ses agents, et ils l’acceptent comme une fatalité. C’est le feu qui change la face du village dans le roman de Thériault, comme c’est l’entrepreneur étranger, véritable deus ex machina, qui transforme le diocèse dans celui de Joly.

Choisissant de décrire le monde au passé, tout ayant déjà été joué, les deux romanciers placent leur narrateur à la marge de l’histoire vivante. Le monde temporel et spirituel dont ils témoignent est un monde d’après la catastrophe de la mort, celle d’Imelda ou celle de Pascal, et d’après la catastrophe que constitue pour ces personnages prémodernes la chute dans le temps humain et le monde en mutation. Tout cela n’était donc pas un rêve, semblent se désoler ces nihilistes…

Conclusion

Pour les besoins de cette étude, nous avons posé comme hypothèse de départ que les réformes du début de la Révolution tranquille n’avaient pas été accueillies par tous les groupes sociaux avec le même enthousiasme, qu’elles avaient suscité une réaction complexe et nuancée et que le roman de la période avait sûrement rendu compte de cette réaction. Cette hypothèse était surtout intuitive car, comme l’écrit Paul-André Linteau, « [i]l faut reconnaître que l’historiographie n’a guère accordé de place à ces mouvements de protestation qui indiquent que la société québécoise des années 1960 était loin d’être unanime[16] ».

Ayant lu tous les romans inscrits sur les listes bibliographiques de Livres et auteurs canadiens entre 1960 et 1965, nous avons cherché et réuni en corpus des oeuvres où les rapports au changement vécus par leurs protagonistes sont fortement contrastés. Le corpus ainsi formé, départagé entre les romans de l’urbanité et les romans de la ruralité, met au jour l’une des contradictions qui traversent la société québécoise de l’époque, à savoir l’adhésion et la résistance au changement.

L’analyse des oeuvres nous a permis de dégager une série de traits morphologiques communs et distincts qui confirment notre hypothèse. Nous avons vu que Gélinas et Bessette proposent des héros actifs, soucieux de contribuer au changement, représentés dans un monde concret où l’histoire se conjugue au présent, personnages auxquels s’opposent les protagonistes de Thériault et Joly, qui sont tournés vers le passé, représentés dans un monde reconstruit dans la mémoire et qui sont soucieux, non pas d’agir, mais de témoigner d’un passé révolu pour en préserver la mémoire.

Les oeuvres ainsi juxtaposées montrent bien que la société québécoise de l’époque est une société en transition où les groupes dominants se remplacent sur l’échiquier politique et social. C’est ce que soutient d’ailleurs Gilles Bourque, selon qui la Révolution tranquille a permis « l’affirmation d’un nouveau bloc social qui tend à la marginalisation relative de la petite bourgeoisie traditionnelle et du clergé[17] ». Ce nouveau bloc social regroupe quant à lui le mouvement ouvrier et les fractions de la bourgeoisie favorables à l’État-providence.

Qui dit transition dit cohabitation pour un temps des pratiques, des mentalités et des valeurs anciennes et nouvelles, au sein d’un groupe ou d’un individu. Les romanciers de notre corpus l’ont bien compris, faisant du prêtre Pascal Fabre un étudiant en sciences sociales, la science et la théologie dialoguant à travers lui, et d’Arsène Lalonde un notable conservateur qui favorise directement la transformation de son village en tirant profit d’un acte de Dieu.

La complexité de ce processus de transition est on ne peut mieux exprimée par le cheminement de Maurice Tremblay, marxiste révolutionnaire que le narrateur renvoie à la vertu théologale de la charité, valeur fondamentale du thomisme, au moment où il entame sa traversée du désert après l’échec de son action. D’une part, Gélinas illustre, par ce retour aux valeurs thomistes, la persistance des valeurs de la bourgeoisie traditionnelle aux côtés des valeurs nouvelles ; il opère audacieusement la jonction entre la philosophie chrétienne et la philosophie marxiste comme morales d’action personnelle et collective. Il nous montre en effet, à travers Maurice, que la quête du chrétien comme celle du marxiste s’étaye sur leur foi commune dans le sens de l’histoire, le premier acceptant qu’il reste pour lui un mystère, étant seul connu de Dieu, le second croyant que la science lui livrera la clé de son intelligibilité.

D’autre part, Gélinas révèle le fonds de religiosité perdurant dans le militantisme doctrinaire de Maurice pour qui, comme pour bien d’autres après lui, le christianisme fut un indépassable horizon. Citons à ce propos ce courageux commentaire de Jean-Marc Piotte sur ses années de militantisme dans les années soixante et soixante-dix :

En remplaçant le christianisme par le marxisme, j’avais ignoré que je conservais de celui-là les trois vertus théologales (la charité ou le dévouement, la foi et l’espérance), et, dans mes engagements, je ne savais pas que je reproduisais la communauté vécue dans la ruelle de mon enfance […] J’allai en thérapie […] avant de me résoudre à vivre dans un monde sans foi, sans espérance et sans esprit communautaire, dans un monde désenchanté où la seule valeur partagée est celle de s’occuper de soi-même[18].

Il semble bien que les romanciers dont nous avons traité soient parvenus à saisir sur le vif l’ambivalence de leurs contemporains et l’ambiguïté de leur rapport au changement, de même qu’à rendre compte du choc des idées et des valeurs. Ensemble, ils illustrent que l’histoire de ce pays incertain où, il y a peu de temps encore, rien ne devait changer, n’est autre que le produit de ses contradictions.