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Introduction

Les prix payés par les opérateurs de télévision pour acquérir le droit de retransmettre certaines compétitions sportives sont extrêmement élevés (Cf. tableau 1).

Tableau 1

Montants des droits de retransmission sportive de neuf spectacles sportifs

Montants des droits de retransmission sportive de neuf spectacles sportifs
1

Dans le milieu du cinéma, un blockbuster est une super production dont le budget avoisine (et dépasse même parfois) aujourd’hui fréquemment les 200 millions d’euros.

Source : Bourg et Gouguet (2007). Sur ce point voir également Hoehn et Lancefield (2003).

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Les événements planétaires, même si leur durée est plus limitée dans le temps, sont plus chers que les compétitions régulières, à la fois du fait de leur zone de diffusion, la planète dans son ensemble, mais aussi du fait de leur « rareté »[1]. Des spectacles a priori comparables sont vendus à des tarifs très différents. Le rapport entre les prix des championnats de football français et anglais est de 3,74. Aux États-Unis, le championnat de football américain génère des droits de retransmission 40 fois plus élevés que ceux du championnat de hockey sur glace. En revanche, si l’on compare le prix des spectacles sportifs avec celui des superproductions cinématographiques, ceux-ci peuvent sembler assez bon marché. Lorsque leur prix est plus élevé, ils ne coûtent en effet « que » 2 à 13 fois plus cher, tout en présentant beaucoup moins de risques et en bénéficiant d’une audience continentale voir même mondiale.

Pour expliquer l’importance de ces montants, les spécialistes de la question[2] avancent un principe cher aux économistes : la « loi » de l’offre et de la demande. Lorsque la demande de retransmission de spectacles sportifs s’accroît plus vite que l’offre correspondante, les prix augmentent. Pour expliquer cette hausse, deux catégories d’arguments sont avancées. Les premiers concernent le comportement des offreurs et des demandeurs, les seconds l’évolution de la structure des marchés correspondants (Bolotny et Bourg, 2006). Du coté des offreurs (fédérations, ligues professionnelles, CIO, FIFA…), un contrôle stratégique des produits offerts conduit à une augmentation de l’offre limitée. Du côté des demandeurs, la multiplication des opérateurs (nouvelles chaînes) et leur intérêt accru pour le sport sont à l’origine d’une explosion de la demande.

À n’en pas douter ces constats permettent d’expliquer les montants et l’évolution du prix des spectacles sportifs télévisés. Toutefois, en ce qui concerne la valeur des compétions sportives, plusieurs questions restent en suspends. Quelle est la valeur économique d’une compétition sportive, d’un événement international? Comment procéder à des comparaisons dans le temps et dans l’espace? Quels éléments prendre en compte pour apprécier le véritable « niveau » d’une compétition sportive? Quels sont les termes de l’équation conduisant à une estimation optimale?

Le sujet est difficile. Pour essayer de dépasser cette difficulté, les économistes du sport mettent en général en avant les concepts d’équilibre compétitif et d’intensité compétitive. Cependant, aussi intéressants soient-ils, ces concepts ne sont pas selon nous suffisants pour répondre aux questions posées. C’est pourquoi, après avoir brièvement présenté certaines des limites de ces deux concepts (sections 1 et 2), nous proposerons une nouvelle piste de réflexion pour estimer la valeur des compétitions sportives et quatre applications illustratives (sections 3 et 4).

1. Les limites du concept d’équilibre compétitif comme source de la valeur des compétitions sportives

La philosophie sous-jacente au concept d’équilibre compétitif[3] est simple : l’intérêt d’une rencontre sportive, et donc indirectement sa valeur, est proportionnelle à l’incertitude qui la caractérise. Schématiquement, cette idée peut-être résumée comme suit.

Schéma 1

Équilibre compétitif et valeur des compétitions sportives

Équilibre compétitif et valeur des compétitions sportives

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À partir de ce schéma, il est facile de comprendre pourquoi la majorité des parties prenantes aux compétitions sportives ont a priori tout intérêt à voir se maintenir l’incertitude à trois niveaux (matches, championnats, saisons successives) et sont donc souvent favorables à l’instauration de moyens de régulation en amont des compétitions (clause de réserve, repêchage, quotas de nationalité, indemnités de transferts, salary cap…) et même dans certains cas en aval (répartition des recettes guichet, des droits TV, système de promotion/relégation, contrôle de gestion…).

Le concept d’équilibre compétitif est l’un des plus étudié en microéconomie du sport. Depuis son introduction dans la littérature (Rottenberg, 1956) il a incontestablement conduit à de nombreux progrès. Certaines de ses limites apparaissent cependant aujourd’hui clairement. L’équilibre compétitif est un équilibre théorique dont l’obtention dans la réalité n’est ni envisageable ni souhaitable. Comme l’a montré Szymanski (2001), si chaque résultat pouvait être prédit avec une probabilité égale à un, faible serait alors le nombre de personnes conservant un intérêt pour les compétitions sportives. À un autre niveau, son « origine culturelle » se révèle aussi problématique. Plus qu’une analyse générale, n’est-ce pas un concept particulièrement bien adapté pour étudier le fonctionnement d’une ligue fermée mais beaucoup moins utile pour étudier les ligues ouvertes? Plusieurs auteurs sont aujourd’hui assez enclins à le penser. Trois arguments sont avancés.

Du fait des modalités de financement spécifiques du sport européen, la question de la santé financière des clubs semble aujourd’hui plus déterminante que celle de la nature de l’équilibre compétitif (Andreff, 2009). En Europe, le modèle promotion/relégation est dominant. Par conséquent, l’équilibre compétitif dépend également du degré d’ouverture à de nouveaux entrants. Un important « turn-over » des équipes conduit au maintien de l’incertitude relative à l’identité des clubs promus et relégués et inversement (Noll, 2002). Par ailleurs, toujours du fait du mode d’accès à l’élite, des clubs issus d’agglomérations de taille très différentes peuvent cohabiter au sein d’une même compétition. Dès lors, leur différence de « potentiel local » (Helleu et Durand, 2005) constitue quasi systématiquement une importante source de déséquilibre compétitif.

Outre ces critiques externes, une autre critique souvent adressée à ce concept est l’absence de véritable validation empirique (Andreff, Ibid.). Ainsi, par exemple, selon Borland et Macdonald (2003), même dans les ligues fermées américaines, l’incertitude est, uniquement dans 57 % des cas (8 cas sur 14), un déterminant de l’affluence. Est-ce surprenant? Non. Lorsqu’il est avancé pour expliquer la valeur des compétitions sportives, le concept d’équilibre compétitif sous-entend que celui-ci est lié à un facteur unique. À l’évidence cela ne correspond pas à la réalité. La valeur des compétitions sportives ne dépend-elle pas également de la qualité des productions proposées? De la « popularité » du sport dans la zone de diffusion? De la valeur et de la notoriété des équipes (joueurs) en présence? De l’évolution du score? Des enjeux de la compétition? Pour les « fans de sport » la réponse à ces questions ne fait aucun doute. Depuis peu, les économistes du sport s’intéressent également aux deux derniers éléments mentionnés ci-dessus.

2. L’intensité compétitive : intérêt et nouvelles limites

C’est à Kringstad et Gerrard (2004) que l’on doit l’introduction de l’enjeu comme facteur déterminant de la valeur des compétitions sportives[4] dans le débat. Plusieurs constats sont à l’origine de leur raisonnement. Dans une ligue ouverte, même s’il est de piètre qualité ou a priori déséquilibré, un match entre deux équipes menacées de relégation ou entre une équipe (joueur) et une équipe cherchant à se qualifier pour une compétition prestigieuse peut susciter un intérêt important. Ainsi, à leurs yeux, au-delà de l’incertitude du résultat, l’intensité compétitive doit nécessairement être prise en compte.

Plus récemment, Scelles et Durand (2009 et 2010), ont proposé un modèle intégrant l’évolution du score, via les « rebondissements ». Selon ces auteurs, deux types d’intensité compétitives peuvent être distinguées : l’intensité compétitive intrachampionnats et l’intensité compétitive intramatchs. Celle-ci dépend à la fois du pourcentage de temps de jeu dans lequel le score peut évoluer et des conséquences de l’évolution de l’état du score (victoire, nul, défaite). Partant, outre l’incertitude du résultat, deux autres facteurs sont introduits dans le raisonnement et permettent de proposer le schéma 2.

Schéma 2

Équilibre compétitif, intensité compétitive et valeur des compétitions sportives

Équilibre compétitif, intensité compétitive et valeur des compétitions sportives

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Le concept d’intensité compétitive permet de dépasser certaines des limites du concept d’équilibre compétitif. Il permet également de mettre en évidence trois facteurs pouvant avoir une influence sur son niveau et donc indirectement sur la valeur des compétitions sportives : le design des compétitions, le nombre de places stratégiques distinctives et le calendrier des compétitions.

L’intensité compétitive constitue une piste de recherche, sans nul doute, appelée à se développer. Suffit-elle pour répondre à notre interrogation? À nos yeux, la réponse est encore négative pour quatre raisons principales.

  • Dans les sports individuels, le format des compétitions[5] permet le plus souvent d’éviter des confrontations sans réel enjeu tout en autorisant de nombreux rebondissements. Dans certains cas extrêmes, l’intérêt de la compétition réside même avant tout dans la répétition des victoires obtenues par un même joueur (T. Woods, R. Federer, M. Schumacher, L. Amstrong…), la question étant alors de savoir si le champion est capable de « rentrer dans l’histoire ».

  • En dépit du plus grand nombre de facteurs pris en compte, d’autres facteurs, déterminants pour la valorisation des compétitions sportives, ne sont pas pris en considération.

  • Les « rebondissements » ne peuvent pas être programmés ex ante, et encore moins anticipés, précisément du fait de leur caractère aléatoire. En revanche, ils sont étroitement liés à une autre variable, le « scoring », plus facile à intégrer dans le raisonnement.

  • Enfin, à aucun moment, le caractère spécifique de la production des compétitions sportives qui, comme toute production (Schmitt, 1984), voit sa valeur simultanément déterminée par une série d’actions se déroulant dans le temps continu (la durée de la rencontre) et un résultat instantané (le résultat du match ou de la compétition) n’est pris en compte.

Ce dernier point nous semble essentiel. Pour proposer une nouvelle piste de réflexion pour estimer la valeur des compétitions sportives, nous avons donc choisi de fonder notre raisonnement sur les deux constats que nous présentons à la prochaine section.

3. Nouvelle piste de réflexion pour une estimation de la valeur des compétitions sportives

Constat n°1

• La valeur des compétitions sportives disparaît dès l’instant où celles-ci se terminent.

Constat n°2

• Les compétitions sportives présentent quatre caractéristiques remarquables.

  • Leur durée est le plus souvent limitée dans le temps, environ 90 minutes pour un match de football par exemple.

  • Elles sont parfaitement codifiées, les producteurs doivent respecter des règles précises.

  • La majorité des conditions particulières[6] de production sont connues.

  • Les éléments conférant sa valeur à la production sont partiellement identifiés[7].

Ce dernier point, assimilable au niveau de compétence des joueurs, est souvent mis en avant. Plus précisément, les quanta d’action qui sont pour une grande part à l’origine de la valeur d’une compétition sportive correspondent donc aux « gestes techniques » qui concourent à la qualité du spectacle. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que ces derniers sont appréciés en fonction du cadre général dans lequel ils prennent place, leur raison d’être étant, bien entendue, l’obtention du résultat final uniquement connu à l’instant précis de la fin de la rencontre.

En première approximation, la valeur anticipée d’une compétition sportive qui va jusqu’à son terme peut donc s’exprimer comme suit :

Une fois cette égalité « posée », il ne « reste plus » qu’à déterminer précisément les éléments constitutifs de V1 et V2 et à exprimer mathématiquement VA en tenant compte du caractère instantané du résultat qui confère à cette production son caractère particulier. Si l’on s’en réfère conjointement aux sportifs eux-mêmes et aux praticiens travaillant dans ce domaine :

  • V1 dépend principalement du nombre de points inscrits et du niveau de compétence annoncé des joueurs en présence, et

  • V2 du niveau de l’équilibre compétitif, de l’implantation du sport considéré dans la zone où se déroule la rencontre, de la notoriété des équipes en présence, du lieu où se déroule la compétition et des enjeux associés à la rencontre ou à la compétition.

Dès lors, un nouveau schéma peut être proposé.

Schéma 3

Sept sources de la valeur des compétitions sportives

Sept sources de la valeur des compétitions sportives

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Deux éléments concourent à la fixation de V1. Le premier, souvent appelé « scoring », auquel le public nord-américain est très attaché, donne des indications sur le nombre de fois où les acteurs parviennent à atteindre l’objectif commandé par l’activité. Celui-ci ne peut pas être connu avant la fin du match. La seule solution consiste donc à l’estimer en recherchant ou en calculant la moyenne du nombre de points (paniers, buts, jeux disputés, records…) inscrits dans les mêmes compétitions par le passé divisé par le nombre théorique maximum de points (Pthmax) pouvant être marqué dans le sport considéré du fait des contraintes matérielles et physiques[8] inhérentes à celui-ci[9]. Dans certains sports le calcul de celui-ci est très simple : il est donné par les règles de l’activité. Pour d’autres sports, il peut être calculé en relevant les scores obtenus les plus élevés dans la compétition considérée et en les divisant par le temps de jeu effectif. Pour les sports où cela n’est pas possible, la seule solution est alors d’interroger les techniciens concernés. Par conséquent :

n est le nombre de rencontres prises en compte et p le nombre de points inscrits dans ces rencontres. Le niveau de compétence des joueurs le jour de la rencontre résulte de dispositions précises : forme du moment, état psychologique, condition physique… Seuls les techniciens peuvent réellement les apprécier. Aussi, pour connaitre le niveau de compétence supposé des joueurs, les spécialistes de l’économie du sport utilisent quatre types d’indicateurs : une estimation économétrique des performances réalisées par les joueurs (Scully, 1974), le montant de leurs salaires[10] (Szymanski et Kuypers, 1999), un indice composite combinant différentes caractéristiques des joueurs (Dawson, Dobson et Gerrard, 2000) ou l’une des ces caractéristiques particulières[11] (Baimbridge, Cameron et Dawson, 1996). Même si elle est assortie de certaines limites[12], nous avons choisi de retenir la variable nombre de sélections internationales comme indicateur du niveau de compétence des joueurs. Trois raisons motivent ce choix. Il s’agit d’une variable commode à repérer et pouvant donc facilement être utilisée dans notre calcul. Si l’on en croit les résultats des travaux de Gerrard (2001), cet indicateur donne des résultats peu différents de ceux obtenus en retenant des indicateurs plus sophistiqués et n’introduit donc pas de biais significatif dans le raisonnement. Enfin, le nombre de sélections internationales obtenues par un joueur pratiquant un sport collectif peut assez facilement être comparé aux « titres » gagnés par les joueurs pratiquant un sport individuel, ce qui permet d’élargir le champ de l’analyse. Dès lors, il devient possible d’écrire :

s est le nombre de sélections internationales des joueurs ayant participé à la compétition considérée l’année précédente (où le nombre de titres précédemment remportés par les joueurs pratiquant un sport individuel) et nec le nombre d’équipes (de joueurs) ayant participé à la compétition. En conséquence :

Cinq éléments concourent à la fixation de V2. Le premier est l’équilibre compétitif. En suivant la méthode proposée par Quirk et Fort (1995), il est possible de le calculer en procédant en quatre temps. Néanmoins, comme le nombre de points, Ec peut être connu uniquement ex post, dans la mesure où il est très rare que celui-ci évolue très sensiblement d’une année à l’autre[13], pour la majorité des championnats, Ect-1 constitue une approximation tout à fait acceptable de Ect[14]. Traditionnellement, un championnat est considéré comme d’autant moins incertain que la valeur de Ec est élevée et réciproquement. Même s’il fait l’objet de nombreuses critiques[15], lorsque cela est possible, il nous a donc semblé nécessaire d’introduire cet indicateur dans l’une de nos équations[16], un championnat « joué d’avance » perdant beaucoup de son intérêt.

Le taux de notoriété des équipes ou des joueurs présents sur le terrain est quant à lui un concept familier des spécialistes du marketing. En France, depuis la saison 2004/2005, même si le terme utilisé n’est pas celui de notoriété mais d’image, le système de redistribution des droits choisi par la ligue professionnelle de football inclut explicitement cette notion (Cavagnac et Gouguet, 2008). De notre avis, pour chaque participant, cet indicateur (In) peut facilement être approximé en multipliant le nombre d’années de présence dans la compétition considérée (nbp) lors des 10 dernières saisons sportives[17] de (des) l’équipe(s) (joueurs) par ((+ 1) – R)[18]N est le nombre de joueurs ou d’équipes dans le classement de référence et R le classement moyen obtenu dans la compétition lors des 10 dernières saisons[19] par l’équipe (ou les joueurs) considéré(es). Par conséquent :

Pour des raisons principalement historiques et culturelles, l’implantation des sports est différente d’un pays à l’autre. Cette différence se traduit par un intérêt différencié pour les disciplines sportives et aujourd’hui par des audiences télévisées elles aussi contrastées. Dans la mesure où les audiences obtenues par les évènements sportifs sont, de nos jours, un bon indice de leur popularité, il nous paraît nécessaire de l’introduire dans notre calcul. Pour prendre en compte ces différences, il est alors important d’introduire un indice de proximité Ipro, dont la valeur est égale à 10-6 · AmaxAmax est l’audience télévisée maximum obtenue lors d’une retransmission sportive d’une rencontre sportive similaire la saison précédente dans le pays considéré. Ainsi :

L’influence du rôle joué par le lieu où se déroule la compétition résulte d’un constat élémentaire : plus forte est la proximité entre le lieu où se déroule la rencontre et les spectateurs et les téléspectateurs, plus ces derniers se sentent habituellement concernés. En fonction de la distance géographique qui sépare le lieu de la rencontre de son lieu de retransmission, Ipg, l’indice de proximité géographique, peut donc être exprimé par K, obtenu en prenant l’inverse du coefficient Cx retenu dans le tableau 3. Ainsi par exemple, pour un match de tennis disputé par un joueur français lors du tournoi de tennis de Flushing Meadows (US Open de tennis) se déroulant à New York, K = 1/6.

De façon générale, l’enjeu d’une rencontre sportive est directement proportionnel aux conséquences sportives et économiques qui en découlent. Dans une ligue ouverte, l’enjeu augmente en fin de compétition lorsque les résultats obtenus peuvent se révéler déterminants quand à la relégation ou à l’accès aux compétitions européennes. Indirectement, il dépend donc des résultats, les « séquences » de victoires, match nuls et défaites, obtenus précédemment. Certains auteurs (Jennett, 1984; Borland, 1987; Cairns, 1987) ont par le passé tenté de définir des indicateurs d’enjeu. Le plus souvent ces indicateurs associaient l’enjeu à la notion de suspens. Dans cette perspective, plus le nombre d’équipes ou de joueurs susceptibles de remporter une compétition[20] est élevé lorsque son terme approche, plus l’enjeu est important. Du fait de leur complexité (Andreff, ibid.) et plus encore de leur difficulté d’application, ces indicateurs n’ont par la suite pas été développés. Pour proposer un indicateur opérationnel, nous avons pour notre part choisi de comprendre l’enjeu en essayant de prendre en compte simultanément sa proximité avec le dénouement, le stade de la compétition et son « importance » aux yeux du public du fait de son caractère plus ou moins international. Pour cela, nous avons construit la « table » suivante.

Tableau 2

« Table » des coefficients pouvant être associés aux compétitions sportives en fonction de leur stade et de leur niveau

« Table » des coefficients pouvant être associés aux compétitions sportives en fonction de leur stade et de leur niveau

Note : 1. Et tours précédents.

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Pour les compétitions à élimination directe, le coefficient E exprimant l’enjeu associé à la compétition, se lit dans la partie du tableau située à droite et en dessous du double trait. Pour les autres types de compétition, il correspond à l’un des coefficients Cx choisi en fonction du stade de la compétition ou de son caractère plus ou moins international.

Nous disposons à présent de tous les éléments nécessaires pour exprimer V2 en fonction des différents cas de figure envisageables : championnat, événement ponctuel, sport collectif et sport individuel. Les différentes valeurs pouvant être prises par V2 sont regroupées dans le tableau 3. Pour un événement ponctuel, nec est le nombre d’équipes ou de joueurs participant à la compétition.

Les formules présentées dans le tableau 3, et surtout la démarche permettant d’y parvenir, appellent plusieurs commentaires. Les valeurs obtenues ne sont pas exprimées dans une unité quelconque. Leur intérêt principal est de permettre de faire des comparaisons dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, la démarche choisie conduit à accorder une importance relative plus élevée à certaines variables. En l’occurrence, notre formule :

  • donne la primauté aux conditions de production (V2) relativement à la qualité supposée du spectacle (V1);

  • valorise assez fortement V2 dans le cas d’un événement ponctuel et ne permet donc pas de comparer directement la valeur anticipée d’un tel événement avec celle d’une compétition régulière;

  • du fait de la prise en compte de l’équilibre compétitif dans le seul cas d’un championnat où évoluent plusieurs équipes, contribue à augmenter V2chc relativement aux autres valeurs calculées de V2;

  • ne prend pas en compte le caractère exceptionnel de certaines rencontres (histoire, conditions politiques, situation singulière d’un joueur charismatique…) dont la valeur dépend alors bien souvent d’enjeux symboliques.

Tableau 3

Modalités de calcul de V2 dans les différents cas de figures envisageables

Modalités de calcul de V2 dans les différents cas de figures envisageables
1

Ce cas de figure est assez rare. Il correspond cependant au championnat du monde de Formule 1.

2

La différence entre V2-2 et V2-4 résulte du mode de calcul de Inr

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Néanmoins, une fois ces limites théoriques précisées, du fait de la nature particulière des événements sportifs, la valeur anticipée d’une compétition sportive (« match » ou « championnat ») peut être approximée en additionnant V1, la composante de la valeur dépendante de la qualité supposée du spectacle proposé, et V2, la composante de la valeur dépendante des conditions particulières de production. Ainsi, à partir de la formulation indiquée dans le tableau 2, le tableau 4 peut être proposé.

Tableau 4

Estimation de VA pour quatre compétitions sportives

Estimation de VA pour quatre compétitions sportives
1

Pour le public français, saison 2008/2009.

2

Ratio Noll-Scully.

3

Pour le public américain, match de 8e de finale du Sony Ericsson Open ATP disputé à Miami la semaine du 26 mars au 6 avril 2008 et opposant Julien Bennetau à Jo Wilfried Tsonga.

4

Pour le public américain, match opposant les Lakers de Los Angeles aux Hornets de La Nouvelle-Orléans, le 20 avril 2011, lors du premier tour des éliminatoires de la NBA, saison 2010/2011.

5

Pour le public français, année 2011.

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4. Applications et limites méthodologiques

Les chiffres portés dans la dernière colonne du tableau 4 ne sont pas des prix mais de simples estimations de la valeur de quatre compétitions sportives. Ces compétitions n’ont pas été choisies au hasard. Elles permettent de fournir un exemple de calcul, pour un public américain ou français, dans les différents cas de figure distingués : un événement ponctuel d’un sport collectif, un championnat d’un sport collectif, un championnat d’un sport individuel et un match particulier d’un sport collectif. La réalisation de ces calculs permet en outre de souligner quelques limites pratiques inhérentes aux formulations proposées. Notre méthode se voulant générale, tous les indices ne peuvent pas systématiquement être pris en compte dans les calculs. Il en va par exemple ainsi de EC, In et nec dans le cas d’un championnat du monde de boxe, le principe d’un classement n’étant pas utilisé dans cette discipline. Puisqu’ils ne sont pas à élimination directe mais ne peuvent pas non plus être intégrés à la saison régulière, les matchs se disputant lors d’éliminatoires nécessitent un traitement particulier. Les sports où l’objectif commandé par l’activité est de réaliser le « moins de coups possible », comme le golf, doivent également être considérés de façon spécifique. Pour certains championnats, la présence de joueurs totalisant un grand nombre de sélections internationales peut conduire à une surestimation de V1. C’est par exemple le cas en football dans les championnats des « petits » pays.

Empiriquement, la principale difficulté tient à l’inégal accès aux statistiques. Dans les sports majeurs américains, celles-ci sont multiples et faciles à obtenir. Dans les sports plus confidentiels, elles sont moins nombreuses, lorsqu’elles existent… Dans certains cas, l’objectif commandé par l’activité peut lui aussi prêter à discussion. S’agit-il de gagner le plus grand nombre de sets, de points, de records, de victoires? De nombreux calculs d’équilibres compétitifs sont disponibles dans la littérature spécialisée. Néanmoins, l’étude des sports majeurs est souvent privilégiée par les auteurs. Pour les autres sports, les investigations peuvent là encore être difficiles. Il en va de même pour les audiences télévisées, notamment lorsqu’on s’intéresse à un événement particulier. Le calcul de l’indice proposé est donc plus facile à réaliser pour certains sports que pour d’autres. En s’armant de courage, les résultats présentés dans le tableau 5 en sont le meilleur exemple, ces calculs peuvent néanmoins être effectués. Ce travail est une première tentative. La démarche proposée pourra sans aucun doute être améliorée dans les années à venir. En mobilisant l’outil informatique, une étude comparative plus précise de la valeur des compétitions sportives devrait même pouvoir en constituer un prolongement logique.

Conclusion

La question de la valeur est une question centrale de l’économie politique. L’examen de cette question renvoie généralement aux conditions et aux modalités de la production étudiée. Le plus souvent la valeur d’une production diffère également selon ses destinataires. Ainsi, pour apprécier la valeur d’une compétition sportive, plusieurs variables doivent selon nous nécessairement être prises en compte : les quanta d’action qui contribuent à la qualité de la compétition et les variables qui influent sur les conditions de sa production.

Deux des principaux concepts fréquemment mis en avant par les économistes du sport, l’équilibre compétitif et l’intensité compétitive, constituent un point de départ intéressant pour répondre à la question posée : que valent les compétitions sportives? Dans la mesure où ces concepts se focalisent sur des dimensions particulières du problème étudié, ils doivent cependant à nos yeux être complétés. Il est alors nécessaire de prendre en compte de façon plus explicite certaines variables et d’en ajouter d’autres. Les « nouvelles » variables introduites pour estimer l’indice proposé sont le « scoring », le niveau de compétences supposé des joueurs, leur notoriété, la proximité du lieu de la rencontre (match), les personnes intéressées et la popularité du sport considéré. Certaines de ces grandeurs peuvent difficilement être appréciées directement. Une mesure indirecte pour la popularité, l’audience télévisée maximum précédemment obtenue pour une compétition sportive similaire, a alors été retenue. De même, pour essayer d’apprécier l’enjeu associé aux rencontres, une « table » des coefficients pouvant être associée aux compétitions en fonction de leur stade et de leur niveau a été élaborée.

Au-delà des limites méthodologiques qu’elles permettent de mettre en évidence, les quatre applications présentées à titre d’exemples dans la dernière partie de ce travail tendent à montrer que V2, la part de la valeur dépendant des conditions de production, influe de façon significative sur le résultat final de l’indice calculé, notamment pour les compétitions régulières. Plus que jamais, les « producteurs sportifs » doivent donc d’après nous être attentifs aux conditions de production des compétitions.

Au terme de cette réflexion, deux souhaits méritent à notre avis d’être exprimés sous forme d’interrogations. Après discussion et amélioration des indices proposés, peut-être sera-t-il prochainement possible d’apprécier précisément la valeur d’un grand nombre de compétitions sportives? Si tel est le cas, ces calculs pourront peut-être alors constituer une base de réflexion, et/ou un outil d’aide à la décision, pour les personnes chargées de fixer les prix à payer pour acquérir le droit de retransmettre certaines compétitions sportives.