L’économique en perspective

La réciprocité sur le marché du travail : les limites du laboratoire[Notice]

  • Marc Ohana

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L’économie expérimentale, outil innovant apparu dans les années soixante et démocratisé dans les années quatre-vingt-dix, consiste à produire in vitro une situation dont les variables sont contrôlées par l’expérimentateur. Elle se différencie des autres techniques de laboratoire, en particulier des expériences de psychologie en trois points (Hertwig et Ortmann, 2001; Ohana, 2004). Tout d’abord, les expérimentalistes économistes n’utilisent pas la tromperie dans le déroulement de leurs expériences. Aussi, les sujets sont placés dans une situation « réelle », dans la mesure où les décisions prises engendrent des gains monétaires réels. Enfin, de manière générale, les expériences en psychologie proposent aux sujets des contrefactuels : les sujets doivent faire comme s’ils se trouvaient dans la situation proposée. Dans les expériences d’économie, la situation proposée aux sujets est abstraite et générique et ne fait pas référence à des situations familières aux sujets. Cet outil rencontre un véritable succès comme en témoigne le nombre croissant de publications dans ce domaine et l’attribution d’un prix Nobel en 2002 à l’un de ses pionniers Vernon Smith. Pour autant, cet enthousiasme pour le laboratoire ne doit pas faire oublier les critiques émises à son encontre (une des critiques les plus abouties étant sans aucun doute celle de List et Levitt, 2007). Dans un article récent, Etchart-Vincent (2007) recense les critiques méthodologiques usuelles faites à l’encontre de l’économie expérimentale. Elle les conteste ou du moins atténue la portée de chacune d’entre elles. Toutefois, une de ces critiques discutée dans son article et qui aborde la non-contextualisation des expériences semble être plus problématique et a le potentiel pour remettre en cause l’utilité même de cet outil. En effet, les expérimentalistes peuvent être accusés de produire des résultats qui ne sont pas transférables au monde extérieur (par exemple Nelson, 1998; Binmore, 1999; Loewenstein, 1999; Levitt et List, 2007). Les critiques soutiennent que la différence entre la situation présente dans le laboratoire et celle du phénomène sous investigation ne permet pas d’obtenir des résultats valides. L’expérience, qualifiée de ce fait d’irréaliste et d’artificielle, aurait un déficit en représentativité. Cette problématique autour de la « transposabilité » des résultats du laboratoire au monde sauvage, connue sous le nom de parallélisme ou encore de validité externe, reste le talon d’Achille de l’économie expérimentale (Loewenstein, 1999). Et malgré l’importance pour les expérimentalistes de défendre leur discipline au travers de ce concept, ils restent pour la plupart silencieux (Guala , 2002 : 261). Le but de cet article est de discuter dans quelle mesure l’utilité de l’économie expérimentale peut être remise en cause compte tenu de la non-contextualisation des expériences. Pour cela, nous nous appuierons sur les expériences explorant le problème d’incomplétude des contrats. Le problème des contrats incomplets a été exploré expérimentalement à travers le jeu d’échange de dons représentant une relation principal-agent. La réciprocité s’y présente comme une source de coopération volontaire : les employés sensibles à la réciprocité et qui obtiennent de forts salaires répondent par des niveaux d’efforts élevés; les firmes qui anticipent ces comportements n’hésitent pas à offrir des salaires élevés. La situation résultante peut donc être efficiente grâce à la réciprocité. Ce thème est retenu pour trois raisons. Tout d’abord, le jeu d’échange de dons est un des jeux les plus traités expérimentalement qu’il s’agisse d’expériences de laboratoire ou de terrain. Ceci nous permettra d’avoir suffisamment de matériaux pour traiter de notre problématique. Ensuite, la réplication des expériences a permis de considérer qu’il s’agit d’un des grands succès de l’économie expérimentale compte tenu de son intégration dans de nombreuses théories (Fehr et Schmidt, 1999; Bolton et Ockenfels, 2000; Dufwenberg et Kirchsteiger, 2004). Enfin, les relations de travail sont …

Parties annexes