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Introduction

Entre 2003 et 2007, les capitaux étrangers ont retrouvé la direction des pays émergents asiatiques. Une des explications avancées à ces entrées de capitaux, outre la meilleure santé de ces pays, est l’abondance de liquidités mondiales et les niveaux élevés de positions de carry trade, notamment sur le yen (Galati et al., 2007; Artus, 2007a et b; Gyntelberg et Remolona, 2007). En raison du faible niveau des taux d’intérêt au Japon, le yen est une monnaie de financement dans laquelle les investisseurs empruntent pour placer dans des économies où les taux d’intérêt sont plus élevés, dans un environnement où la volatilité implicite sur le taux de change est faible, ce qui est le cas des pays du Sud-Est asiatique depuis 2004. Il en résulte une augmentation de la liquidité dans ces économies, potentiellement dangereuse, car la valorisation des actifs devient auto-entretenue. L’ampleur de ces positions de carry trade est très difficile à estimer (Galati et al., 2007), les données bancaires, de balance des paiements ou de change ne permettant pas de les tracer précisément. Néanmoins, elles semblent jouer un rôle dans la détermination des flux de capitaux vers les économies émergentes d’Asie, les écarts de taux avec le Japon sur la période 2004-2007 étant conséquents (Artus, 2007a et b).

Les déterminants des entrées de capitaux sont en général de deux sortes : nationaux/internes et étrangers/extérieurs. Le rôle des facteurs extérieurs a tout d’abord été introduit dans l’article fondateur de Calvo et al. (1993) afin d’expliquer le retour des capitaux privés, approximés par le montant des réserves officielles de change, dans les pays émergents quelques années seulement après la crise de la dette de 1982. Ces auteurs émettent l’idée que le retour des capitaux dans les pays émergents serait avant tout lié à de faibles opportunités d’investissement dans les pays développés (faibles rendements et ralentissement de l’activité économique). Deux facteurs extérieurs ont généralement été retenus dans les études empiriques qui ont suivi : les conditions monétaires et économiques des pays prêteurs industrialisés, via le niveau des taux d’intérêt et la variation du PIB.

Le débat sur le rôle des facteurs externes comme déterminants des mouvements de capitaux n’est pas tranché, d’une part en ce qui concerne le rôle relatif des facteurs internes et externes et, d’autre part, en ce qui concerne le rôle même des facteurs externes en raison des interactions complexes entre variables économiques qui peuvent rendre les effets ambigus. Ainsi, un cycle économique croissant dans les pays industrialisés peut inciter à investir dans ces pays, au détriment des pays émergents. Mais une forte croissance peut aussi signifier une plus grande capacité d’investissement et s’accompagner d’une prise de risque accrue, bénéficiant également aux pays émergents. De plus, cela peut améliorer la situation économique des entreprises exportatrices des pays émergents et donc les fondamentaux des pays et attirer les capitaux. L’impact sur les mouvements de capitaux est ainsi ambigu.

De même, la forte croissance dans les pays prêteurs qui peut révéler une capacité d’investissement importante, notamment dans les pays émergents, crée souvent des pressions à la hausse des taux d’intérêt réels. Les flux de capitaux vers les pays émergents sont alors procycliques et sont concomitants à une hausse des taux d’intérêt dans les pays prêteurs. Néanmoins, une baisse des taux d’intérêt dans les pays industrialisés peut également affecter positivement les flux de capitaux vers les pays émergents pour trois raisons : une faiblesse des rendements dans les pays industrialisés pousse les investisseurs à rechercher des opportunités, notamment à court terme, plus rentables dans les pays émergents où les perspectives de croissance et de rémunération dépassent celles des pays industrialisés; cela représente aussi une baisse du coût de la ressource pour les pays emprunteurs, ce qui améliore leur solvabilité et donc leur crédibilité auprès des investisseurs; enfin, cela permet aux pays émergents d’emprunter à taux bas à l’extérieur, en devises, pour financer les investissements nationaux. L’impact de l’évolution des taux d’intérêt dans les pays industrialisés sur les flux de capitaux est donc, là encore, ambigu.

Les conditions monétaires peuvent également être mesurées par d’autres variables, notamment par les variations de la masse monétaire : une liquidité croissante permet une hausse des investissements dans les pays, notamment les émergents où les perspectives de croissance sont supérieures. L’ampleur de la liquidité mondiale pourrait expliquer les investissements dans les pays émergents même lorsque les taux d’intérêt dans les pays industrialisés remontent.

Depuis l’article de Fernandez-Arias (1996), les déterminants des entrées de capitaux[1] dans les économies émergentes sont classés en deux catégories : les facteurs push ou extérieurs au pays émergent, soit des conditions peu favorables aux investissements dans les pays industrialisés, qui « poussent » les capitaux dans le pays émergent; et les facteurs pull ou intérieurs au pays émergent, soit des conditions favorables, qui « attirent » les capitaux dans le pays émergent. À la suite de Calvo et al. (1993), les études empiriques évaluent le rôle respectif de chaque catégorie de facteurs et apportent des résultats nuancés en fonction des régions émergentes. Fernandez-Arias (1996) montre ainsi que le retour des capitaux en Amérique latine au début des années quatre-vingt-dix est fortement provoqué par la baisse des rendements dans les pays industrialisés, et ce plutôt que par les fondamentaux des pays (approximés par la capacité de remboursement). Chuhan et al. (1998) concluent sur l’importance de chaque catégorie de facteurs même si les facteurs globaux push (baisse des taux d’intérêt et ralentissement économique aux États-Unis) expliqueraient fortement les flux de capitaux vers l’Amérique latine tandis que les facteurs pull spécifiques au pays d’accueil (rendements sur les marchés financiers, rating souverain) expliqueraient fortement les flux vers l’Asie. Plus récemment, Jeanneau et Micu (2002) confirment ce résultat par région en démontrant le rôle significatif de facteurs pull en Asie comme les indices boursiers, la croissance économique, l’appréciation de la monnaie, les relations commerciales, les déséquilibres extérieurs ou la dette extérieure, et de facteurs push en Amérique latine comme l’impact positif de la croissance du pays prêteur, ce qui marque une différence avec la littérature précédente, ou la liquidité excessive dans ce pays (taux d’intérêt réel à court terme croissant, croissance de M2 ou du crédit bancaire). L’article de Jeanneau et Micu (2002) ayant été écrit après la crise asiatique, ces auteurs introduisent pour la première fois un indicateur d’aversion pour le risque des investisseurs étrangers mesuré par le high yield spread[2], qui s’avère significatif sur l’ensemble de l’échantillon.

Finalement, les articles ont démontré que les facteurs extérieurs expliquent peu les flux de capitaux à destination des pays émergents d’Asie et, si l’on excepte l’article de Jeanneau et Micu (2002), aucune étude n’a testé systématiquement le comportement des investisseurs étrangers comme déterminants des flux de capitaux, que ce soit par l’intermédiaire des stratégies de carry trade ou de l’aversion pour le risque. Notre article a pour objectif d’étudier le rôle des facteurs extérieurs comme déterminants des entrées de capitaux en Asie, à travers le comportement des investisseurs étrangers, leurs stratégies de court terme et leur aversion pour le risque. Même si l’écart de taux d’intérêt à la base des stratégies de carry trade est une variable bilatérale, entre un pays émergent et un pays industrialisé, nous la considérons comme un facteur potentiellement push des capitaux vers des économies émergentes, car nous nous plaçons du côté des investisseurs étrangers.

Quelle est la responsabilité de ces écarts de taux dans le retour des flux de capitaux dans les pays émergents, notamment asiatiques? Plus globalement, quels sont les déterminants des entrées de capitaux en Asie depuis 2002-2003? Observe-t-on des déterminants différents de ceux qui ont expliqué les entrées de capitaux avant la crise asiatique de 1997? Les entrées de capitaux sont-elles expliquées par les écarts de taux qui sous-tendent des recherches de rendement parfois spéculatives, par l’amélioration des fondamentaux des économies émergentes dont les ratings ont été relevés globalement dès 2003, ou simplement par la liquidité abondante sur les marchés mondiaux? Après avoir mis en valeur les facteurs de liquidité en Asie sur la période 1990-2007, nous répondrons à ces questions, d’un point de vue économétrique, en étudiant les déterminants des entrées de capitaux, d’abord sur la Thaïlande, puis sur un groupe de quatre pays asiatiques.

1. Faits stylisés : liquidité abondante en Asie et conditions de financement attractives au Japon

Les taux à 3 mois au Japon sont depuis 2001 à un niveau historiquement bas, autour de 0,05 %. Ils remontent en 2006 très légèrement et plafonnent sous les 1 % fin 2007. Dans un environnement où la volatilité implicite sur le taux de change est particulièrement faible, les investisseurs internationaux peuvent être tentés d’emprunter en yen pour profiter du différentiel d’intérêt avec le reste du monde, et notamment avec les pays émergents dont les fondamentaux se sont améliorés. On constate effectivement que les créances extérieures des banques japonaises, à court terme et libellées en yen, sont croissantes depuis 2004, et ne semblent pas être expliquées par les engagements extérieurs en yen de ces banques qui déclinent sur la même période (graphique 1). On constate également que les créances en yen à long terme des banques japonaises sont plutôt stables (très faible hausse sur la fin de la période) ce qui confirmerait un rôle plutôt spéculatif des prêts internationaux en yen, ceux-ci étant très majoritairement à court terme.

Graphique 1

Actifs et passifs extérieurs des banques japonaises, libellés en millions de yens

Actifs et passifs extérieurs des banques japonaises, libellés en millions de yens
Source : Datastream

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Dans quelle mesure ces stratégies de court terme ont-elles pu bénéficier aux économies asiatiques? Les écarts de taux avec le Japon sur la période 2004-2007 sont par exemple de l’ordre de 5 % pour la Thaïlande et de 9 % pour l’Indonésie. Bien que nettement plus faibles qu’avant la crise de 1997 (ils étaient de 8,5 % en moyenne pour la Thaïlande entre 1991 et 1997), ces écarts de taux avec le Japon, croissants depuis 2004, restent nettement positifs et attractifs pour les opérations financières (graphique 2).

Graphique 2

Écart des taux interbancaires à trois mois entre la Thaïlande et le Japon (%)

Écart des taux interbancaires à trois mois entre la Thaïlande et le Japon (%)
Source : Datastream et calcul des auteurs

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Les entrées de capitaux en Asie ont été importantes, à partir de 2003, comme le montre la tendance croissante dans les graphiques 3a et 3b, et marquées par une forte amplitude de mouvements.

Graphique 3

A

Investissements de portefeuille en Thaïlande (nets de remboursements), milliards de bahts

Investissements de portefeuille en Thaïlande (nets de remboursements), milliards de bahts
Source : Datastream

B

Investissements de portefeuille en Asie (nets de remboursements), milliards de dollars

Investissements de portefeuille en Asie (nets de remboursements), milliards de dollars
Source : Calculs des auteurs à partir des données trimestrielles de Datastream pour la Corée, la Thaïlande, les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie

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Ces entrées de capitaux étrangers expliqueraient en partie la hausse des indices boursiers dans les pays émergents ainsi que celle du crédit domestique depuis 2002 ou encore l’appréciation des monnaies nationales depuis 2004, comme le montre le graphique 4 pour la Thaïlande.

Graphique 4

Indicateurs de liquidité et appréciation des actifs en Thaïlande

Indicateurs de liquidité et appréciation des actifs en Thaïlande
Source : Datastream

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Ces entrées de capitaux, plus importantes depuis 2003, peuvent-elles s’expliquer par une amélioration des fondamentaux des pays d’Asie ou sont-elles avant tout le fruit d’une liquidité mondiale excessive et des stratégies de carry trade? L’étude empirique présentée dans la section suivante tente de fournir des éléments de réponse.

2. Les déterminants des entrées de capitaux en Asie : approche empirique

Notre estimation empirique s’appuie sur l’équation suivante :

Pour expliquer les entrées de capitaux par des facteurs push, nous nous plaçons du côté des investisseurs étrangers.

Afin d’appréhender le rôle d’éventuelles stratégies de carry trade, nous introduisons les écarts de taux interbancaires à trois mois avec le Japon (variable Spread). Nous testons également la possibilité de stratégies de carry trade alternatives : d’une part avec d’autres monnaies de financement que le yen (le franc suisse et le dollar américain, monnaies à faible rendement), d’autre part avec d’autres monnaies cibles que les monnaies asiatiques (livre sterling, dollar australien et dollar néo-zélandais, monnaies à rendement élevé) (Cf. Gyntelberg et Remolona, 2007, pour le choix de ces monnaies). Les entrées de capitaux en Asie devraient donc positivement dépendre de l’écart de taux avec le Japon (ou d’autres monnaies de financement) et négativement des stratégies de carry trade alternatives (entre d’autres monnaies cibles et le yen ou d’autres monnaies de financement). L’impact des variations du taux de change est également appréhendé du point de vue des investisseurs étrangers. Les variations du taux de change au certain (TDC) pour les monnaies japonaise et américaine ont donc un signe attendu négatif[3].

Le comportement des investisseurs internationaux est également évalué à travers des variables d’appétit pour le risque[4]. Pour González-Hermosillo (2008), quatre facteurs de risque vont refléter le degré d’appétit pour le risque des investisseurs : le risque de financement, le risque de défaut, le risque de liquidité et la volatilité (graphique 5). Le risque de financement est lié aux conditions monétaires internationales. Nous l’appréhendons par le taux de croissance de la masse monétaire au sens large dans les pays de l’OCDE (M3OCDE, signe attendu positif), et par le niveau du taux d’intérêt des fonds fédéraux américains (FED). Le signe attendu de cette dernière variable est ambigu : les entrées de capitaux dans les pays émergents peuvent résulter d’une faiblesse des rendements dans les pays industrialisés ou s’accompagner d’une hausse des taux d’intérêt dans les pays industrialisés suite à un cycle économique croissant. Le risque de défaut peut être mesuré par trois indices : le TED spread, le swap spread et le high-yield spread[5]. Le TED est mesuré comme la différence entre le taux de l’eurodollar à 3 mois et le taux des bons du Trésor américains à 3 mois. Le swap spread représente la différence entre le taux swap et le taux sans risque des obligations d’État américaines pour une même maturité (10 ans), tandis que le spread High-yield (HY) mesure l’écart entre le taux des obligations d’entreprises américaines notées BBB ou moins et le taux sans risque des bons du Trésor de même maturité. Quand le sentiment du marché se modifie, se traduisant par une plus grande aversion pour le risque et par une fuite vers la liquidité, ces trois variables augmentent, ce qui devrait impacter négativement les flux de capitaux à destination des économies émergentes : les signes attendus sont donc négatifs. Le risque de liquidité est mesuré par l’écart de taux entre le taux des obligations souveraines américaines et le taux des bons du Trésor à trois mois, deux titres sans risque de défaut (variable PrimeLiquidité, dont le signe attendu est négatif). Enfin, le dernier facteur de risque, la volatilité, est évalué par l’indice de volatilité implicite du Standard & Poor’s 500, le VIX. Le VIX reflète le consensus des investisseurs sur la volatilité future anticipée du marché boursier américain. Pendant les périodes de stress financier, il a tendance à augmenter, ce qui devrait se traduire par une baisse des investissements dans les pays émergents (signe attendu négatif).

Graphique 5

Indicateurs de liquidité mondiale et d’appétit pour le risque

Indicateurs de liquidité mondiale et d’appétit pour le risque
Source : Datastream

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Nous avons enfin tenu compte de la situation économique dans les pays de l’OCDE comme facteur push à travers le taux de croissance de la production industrielle dans les pays de l’OCDE (YOCDE) et la variation de l’indice Standard & Poor’s 500 : ∆(SP). Le signe attendu est ambigu. Une amélioration de la situation économique dans les pays prêteurs doit réduire les investissements à l’étranger. Elle peut cependant également refléter une plus grande capacité à investir et à prendre des risques, ce qui favoriserait le financement des pays émergents[6]. Enfin, une forte croissance dans les pays de l’OCDE tire les exportations et la croissance dans les pays émergents, notamment d’Asie, ce qui peut être un facteur d’attrait des capitaux.

Nous choisissons enfin d’évaluer les facteurs pull, qui représentent les fondamentaux du pays émergent, par l’intermédiaire du rating pays (variable Rating). Nous le construisons en utilisant les valeurs numériques des indices de Standard & Poor’s et de Moody’s[7] et en en faisant la moyenne. Une augmentation de l’indicateur de rating correspond à une dégradation de la note du pays (signe attendu négatif). Nous justifions ce choix tout d’abord par le fait que les investisseurs internationaux suivent de près les notations des pays dans leurs comportements d’investissement (Cf. par exemple Emirian et Laurent, 2003; et graphique 6). De nombreuses études montrent par ailleurs que cette variable est un bon indicateur synthétique des fondamentaux d’un pays (Cantor et Parker, 1996; Kamin et von Kleist, 1999; FMI, 1999; Reisen et von Maltzan, 1999; Eichengreen et Mody, 2000; Brana et Lahet, 2005) et qu’elle est un bon déterminant des entrées de capitaux dans les pays émergents (BRI, 2004; Kim et Wu, 2008; Özatay et al., 2009). Enfin, l’utilisation du rating permet d’éviter d’introduire dans l’estimation un trop grand nombre de variables explicatives et de réduire les problèmes d’endogénéité et de multicolinéarité.

Graphique 6

Entrées nettes de capitaux en Thaïlande et évolution du rating (inverse)

Entrées nettes de capitaux en Thaïlande et évolution du rating (inverse)
Source : Calculs des auteurs à partir des données de Datastream, Standard & Poor’s et Moody’s

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L’équation (1) devient :

L’analyse empirique procède en deux étapes.

La première étape étudie le cas de la Thaïlande sur la période 1992-2007[8] en utilisant l’économétrie des séries temporelles. La seconde étape élargit les tests à d’autres pays asiatiques, sur la base d’une étude en données de panel. À chaque fois, les tests sont effectués sur l’ensemble de la période, puis sur deux sous-périodes : une avant la crise de 1997, l’autre correspondant aux années 2000 et à l’éventuelle période de carry trade. Toutes les variables viennent de Datastream, sauf le high-yield spread qui vient de Lehman Brother et les ratings issus de Standard & Poor’s et de Moody’s. Dans les tableaux, seules les variables significatives sont présentées.

2.1 La Thaïlande

La Thaïlande est le seul pays pour lequel les données sur les entrées nettes totales de capitaux sont disponibles, en données mensuelles, ce qui autorise une analyse en série temporelle et une division en deux sous-périodes, tout en conservant un nombre suffisant de données. Toutes les variables n’étant pas I(0), une relation de coïntégration ne peut pas être testée. La variable « entrées nettes de capitaux », le rating, le swap spread, la prime de liquidité, les taux américains et le VIX sont les seules variables I(0). Les autres variables sont I(1) et ont été différenciées. Le test Breusch-Pagan révélant de l’hétérosédasticité (chi2(1) = 18,40), nous utilisons la méthode de White pour calculer des variances robustes. Le test de Breusch-Godfrey n’indique pas de corrélation sérielle (chi2 = 0,080). Nous avons également vérifié qu’il n’y avait pas de multicolinéarité entre les variables (variance inflation factor de 1,65), tandis que le test de Ramsey ne permet pas de rejeter l’hypothèse d’absence de variables omises (F(3,173) = 0,72). Enfin, une variable muette est introduite pour la crise financière de 1997, avec la valeur 1 pour le mois de juillet (0 sinon), mais elle n’est pas apparue significative dans les estimations.

Tableau 1

Déterminants des entrées de capitaux en Thaïlande, données mensuelles

Déterminants des entrées de capitaux en Thaïlande, données mensuelles

Note : Avec Rating Thaïlande le rating moyen pour la Thaïlande, Spread l’écart de taux interbancaires à 3 mois entre la Thaïlande et le Japon, TDC$ le taux de change au certain entre le dollar US et le baht thaïlandais (en log), VIX l’indice de volatilité du Chicago Board of options exchange, SP l’indice Standard & Poor’s 500 et M3OCDE, l’agrégat monétaire M3 pour l’ensemble des pays de l’OCDE. ∆ signifie que la série a été différenciée.

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Les résultats sur l’ensemble de la période (tableau 1) montrent le rôle fort des fondamentaux, à travers le rating, comme déterminants des entrées de capitaux en Thaïlande. Les facteurs push jouent aussi un rôle considérable sur cette période : la variation du Spread de taux avec le Japon et l’appréciation du baht face au dollar sont des facteurs fortement explicatifs. L’aversion pour le risque des investisseurs, mesurée à travers le VIX, est également significative, comme la situation économique et financière dans les pays de l’OCDE. L’abondance de la liquidité globale (M3OCDE) apparaît favorable aux entrées de capitaux en Thaïlande, tandis que la variation du SP500, qui peut être considérée comme un indicateur de l’amélioration de la situation économique aux États-Unis, apparaît défavorable. Enfin, les stratégies alternatives de carry trade ne sont jamais significatives.

La même estimation est ensuite effectuée sur deux sous-périodes. La première période, de précrise, s’étale de mars 1992 à juin 1997; la seconde période, supposée de carry trade, s’étale de janvier 2002 à juin 2007. Les résultats révèlent des déterminants différents des entrées nettes de capitaux en Thaïlande, selon les sous-périodes (tableau 2).

Tableau 2

Estimations par sous-périodes pour la Thaïlande

Estimations par sous-périodes pour la Thaïlande

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Durant la période de précrise, le rating apparaît comme un facteur pull significatif, comme l’ont conclu Jeanneau et Micu (2002) à propos du rôle majeur des facteurs pull en Asie, sur la décennie quatre-vingt-dix. Le rating thaïlandais a le signe attendu et est fortement significatif. Alors qu’il est significatif sur l’ensemble de la période, le Spread avec le Japon[9] ne l’est plus, pas plus que les variations du taux de change. Le VIX et la variation du SP500 sont significatifs. On retrouve les déterminants traditionnels des mouvements de capitaux dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix : fondamentaux du pays d’accueil comme facteurs pull, situation économique dans les pays prêteurs comme facteur push.

Durant la période d’après-crise (2002-2007), le retour des capitaux en Thaïlande semble correspondre à une logique plus spéculative. Il paraît en effet expliqué par la recherche de profit de la part des investisseurs étrangers et non par l’amélioration des fondamentaux du pays. L’écart de taux d’intérêt avec le Japon est fortement significatif, avec le signe attendu, alors que le rating n’est plus significatif.

2.2 L’Asie du Sud-Est

Dans une seconde étape, nos estimations portent sur un groupe de quatre pays asiatiques comprenant la Thaïlande, les Philippines, l’Indonésie et la Malaisie sur la période 1990-2007, en données trimestrielles[10]. La variable dépendante est constituée des investissements de portefeuille entrants (en dollars), nets des remboursements. Notre estimation empirique procède également en deux étapes. Nous déterminons tout d’abord les déterminants des investissements de portefeuille sur l’ensemble de la période (1990 I - 2007 IV), puis nous considérons les deux sous-périodes d’entrées de capitaux (avant et après la crise asiatique de 1997). Nous utilisons un modèle à effets fixes.

Comme pour la Thaïlande, les tests montrent que toutes les variables ne sont pas stationnaires, ce qui ne permet pas de tester une relation de coïntégration. La variable « investissements de portefeuille », les ratings, le swap spread, la prime de liquidité, les taux américains ainsi que le VIX sont I(0). Les autres variables sont I(1) et ont été différenciées. Le test de stationnarité pour des données du panel utilisé est le test CADF proposé par Pesaran (2003). Nous avons vérifié qu’il n’y avait ni hétéroscédasticité (test de Wald χ2(4) = 8,35), ni de corrélation sérielle (test de Breusch-Pagan χ2(6) = 10,659), ni d’autocorrélation (test de Wooldridge F(1,3) = 0,163). Nous avons également vérifié que les variables n’étaient pas colinéaires (variance inflation factor = 1,29).

Les résultats de l’économétrie sur données de panel sont proches de ceux de la Thaïlande.

Les résultats sur l’ensemble de la période (tableau 3) indiquent tout d’abord l’importance des fondamentaux, par l’intermédiaire du rating, comme déterminant des entrées de capitaux. Les facteurs push jouent également un rôle non négligeable sur l’ensemble de la période. La variation de l’écart de rendement entre les quatre pays et le Japon (variable Spread) ainsi que l’appréciation des monnaies nationales face au dollar sont des facteurs clairement explicatifs des entrées de capitaux. Comme pour la Thaïlande, les autres écarts de taux ne jouent pas, le yen est donc bien la monnaie de financement qui sous-tend les opérations de carry trade en Asie. De plus, les stratégies sur d’autres monnaies potentiellement cible n’ont pas d’impact sur les entrées de capitaux dans les pays émergents d’Asie. Cela démontrerait l’existence de stratégies financières ciblées sur la zone Asie émergente et confirme le poids de cette zone dans la composition des portefeuilles des investisseurs étrangers. L’aversion pour le risque des investisseurs internationaux, mesurée par le VIX, ainsi que la situation économique aux États-Unis, montrée par la variation du SP500, sont également significatives. Enfin, la forte liquidité mondiale, appréhendée par la croissance de l’agrégat M3 pour l’ensemble des pays de l’OCDE, a également pu favoriser les entrées de capitaux en Asie.

Tableau 3

Les déterminants des entrées nettes de capitaux en Asie, données trimestrielles

Les déterminants des entrées nettes de capitaux en Asie, données trimestrielles

Note : Avec Rating le rating moyen de chaque pays, Spread l’écart de taux interbancaires à 3 mois entre le pays d’Asie i et le Japon, TDC$ le taux de change au certain entre le dollar US et la monnaie du pays i (en log), VIX l’indice de volatilité du Chicago Board of options exchange, SP l’indice Standard & Poor’s 500 et M3OCDE, l’agrégat monétaire M3 pour l’ensemble des pays de l’OCDE. ∆ signifie que la série a été différenciée.

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Si l’on décompose l’estimation en deux sous-périodes, l’une correspondant à la période précrise de 1997 (1990:I-1997:II), l’autre à la période supposée de carry trade (2002:I-2007:IV), on observe des déterminants sensiblement différents des investissements de portefeuille en Asie (tableau 4).

Tableau 4

Décomposition de l’estimation en deux sous-périodes

Décomposition de l’estimation en deux sous-périodes

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Comme pour la Thaïlande, au cours de la période de précrise, les fondamentaux, à travers le rating, s’avèrent déterminants comme facteur pull, ce qui rejoint encore les conclusions de Jeanneau et Micu (2002) sur le rôle fort des facteurs pull dans la décennie quatre-vingt-dix en Asie. En revanche, l’écart de taux avec le Japon, pourtant important sur la période, pas plus que les variations du taux de change, ne sont significatifs. Le VIX reste significatif.

Sur la période récente (2002-2007), les mouvements de capitaux semblent davantage déterminés par la recherche de rendements élevés de la part des investisseurs internationaux que par l’amélioration de la situation économique dans les pays asiatiques. L’écart de taux avec le Japon est un déterminant fortement significatif des entrées de capitaux tandis que la notation pays ne semble plus intervenir significativement, dans un contexte de surliquidité mondiale et de croissance économique mondiale soutenue (taux de croissance de la masse monétaire dans les pays de l’OCDE et variation positive du SP500).

Conclusion

Les entrées de capitaux en Asie répondent sur l’ensemble de la période 1990-2007 à la fois à des facteurs pull (les ratings pays) et à des facteurs push. Les écarts de taux avec le Japon, considérés comme un facteur push, sont notamment significatifs et ont le signe attendu. Le retour des capitaux en Asie, sur les cinq dernières années 2003-2007, semble bien être lié à des stratégies de carry trade. La situation s’explique par une abondance de liquidités à investir et par un écart de rendement élevé entre les pays émergents d’Asie et le Japon. Les autres stratégies de carry trade, avec d’autres monnaies de financement, ou d’autres monnaies cible de la zone Asie-Pacifique, ne sont pas significatives. Par ailleurs, un autre facteur important, difficile à inclure dans notre analyse macroéconomique, concerne les stratégies de diversification des portefeuilles des investisseurs : ce facteur microéconomique a pu expliquer le maintien des flux de capitaux vers les pays émergents. Ces apports importants de capitaux ont causé en partie la croissance de la liquidité, du crédit, des cours boursiers en Asie, ainsi que l’appréciation des monnaies nationales sur la période étudiée. La situation est cependant sensiblement différente d’avant la crise de 1997 : la situation macroéconomique dans les pays de notre échantillon semble plus saine, les réserves de change sont abondantes et la croissance économique reste supérieure à celle des pays industrialisés, ce qui rendrait moins problématique d’éventuelles sorties de capitaux en cas d’appréciation anticipée du yen ou de choc économique comme la crise de 2008.