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Introduction

Le Canada encadre fortement sa politique d’immigration internationale par des mesures qui définissent clairement une politique volontariste : l’immigration est souhaitée mais très sélective. La plupart des immigrants ont ainsi été sélectionnés sur la base de leurs qualifications et sont de plus en plus scolarisés[1]. Les entrants qualifiés ainsi sélectionnés sont susceptibles de s’intégrer plus facilement sur le marché du travail. Or, malgré le caractère de plus en plus économique qu’a revêtu l’immigration des années quatre-vingt-dix, ces nouveaux immigrants connaissent plus de difficultés à s’insérer et à se maintenir sur le marché du travail, et leurs gains ont diminué en comparaison avec ceux de leurs homologues nés au Canada et des immigrants précédents (Picot et Sweetman, 2005). Les raisons en sont complexes et sont à mettre en relation avec la récession économique de la première moitié des années quatre-vingt-dix, la difficulté à obtenir la reconnaissance des titres de compétence et de formation étrangers, et enfin la discrimination. L’affaiblissement du secteur intensif en travail et l’augmentation des taux de chômage au début des années quatre-vingt-dix se sont répercutés en partie sur les nouveaux arrivants qui ont supporté une part plus importante de cet ajustement du marché du travail. On assiste dès lors à un phénomène de segmentation de l’emploi qui voit certaines catégories de travailleurs – en l’espèce, les migrants – défavorisés et surreprésentés dans la catégorie des pauvres. Cette situation pose la question de l’équité sociale.

Un des principes fondamentaux de la notion d’équité est « l’égalité des chances, soit l’idée selon laquelle ce qu’une personne accomplit durant son existence doit être fonction de ses capacités et de ses efforts plutôt que d’un contexte préétabli : race, sexe, milieu familial et social, pays d’origine, etc. » (The World Bank, 2005). L’équité, concept normatif, est généralement non mesurable, et traditionnellement étudiée à travers la distribution du revenu, ou les inégalités de revenu et la pauvreté tant au niveau agrégé que local. Mais, s’il existe une abondante littérature sur la performance économique des immigrants, les études analysant les interactions entre le phénomène migratoire et la distribution des revenus sont relativement rares; la plupart visent à expliquer les différences de revenu moyen entre immigrants et citoyens de souche en considérant les immigrants comme un groupe homogène. Elles ne traitent pas explicitement de la distribution des revenus chez les immigrants et ne mettent pas en lumière la situation des immigrants à faible revenu. En effet, depuis 20 ans on constate au Canada une détérioration de la performance économique des immigrants alors que le niveau de vie n’a cessé d’augmenter.

L’objectif de cet article est précisément d’analyser la dynamique et les causes de l’inégalité de revenu et de la pauvreté chez les immigrants, en portant une attention particulière aux immigrants non occidentaux. Les immigrants dont le système éducatif, la culture et le système légal du pays d’origine sont relativement similaires à ceux du pays de destination, comme c’est le cas par exemple pour un Américain migrant au Canada, ont plus de facilités à faire reconnaitre les diplômes et expériences acquises dans leur pays d’origine, et à connaître le marché de l’emploi local dont la langue parlée et les réseaux professionnels (Chiswick et al., 2005). Or ces dernières années, la grande majorité des nouveaux immigrants au Canada proviennent d’une dizaine de pays, pour la plupart asiatiques (Inde, Pakistan, Chine, Corée, Japon, Iraq, Iran, Afghanistan). Le centre géographique de l’immigration canadienne est ainsi passé de l’Europe du Nord et du Sud à l’Asie de l’Est et du Sud. Il se peut donc que les immigrants originaires de ces régions supportent un coût d’ajustement et d’acquisition du capital humain spécifique au Canada (langue, culture, qualifications) plus important, et connaissent de plus grandes difficultés d’assimilation. Les questions que nous soulevons sont alors les suivantes : l’augmentation du revenu moyen est-elle « pro-poor » ou « pro-rich »? Comment la distribution du revenu agit-elle sur la pauvreté? Quels sont les facteurs de la croissance différentielle du revenu et du creusement des inégalités chez les immigrants des pays du Sud? Nous tenterons aussi de combler certaines limites des études antérieures en appliquant de nouvelles méthodes dont l’efficacité a été prouvée par de nombreuses applications aux pays en développement.

Cet article s’organise de la façon suivante. La première section revient brièvement sur la littérature concernant l’inégalité, la pauvreté et l’insertion économique des immigrants. La deuxième section présente les méthodes d’analyse utilisées. La troisième section expose et commente les résultats. La dernière section conclut.

1. L’inégalité, la pauvreté et l’intégration des immigrants

Au Canada, les analyses des disparités de revenu entre immigrants et natifs ont une longue histoire et sont abondantes, remontant aux années soixante quand Porter (1965) publia The Vertical Mosaic. Depuis, il est communément admis qu’il existe des disparités de revenu entre la population immigrante, particulièrement les immigrants originaires de pays autres que les bassins d’immigration traditionnels (que sont les États-Unis et l’Europe), et la population native (voir par exemple Baker et Benjamin, 1997; Pendakur et Pendakur, 1998; Hum et Simpson, 2000; Swidinsky et Swidinsky, 2002; Frenette et Morissette, 2003; Aydemir et Skuterud; 2005).

Toutefois, les études des relations entre immigration, inégalité et pauvreté sont rares (Basavarajappa, 2000; Kazemipur et Halli, 2000a). Pourtant, des travaux portant surtout sur les États-Unis montrent que l’immigration est un des plus importants facteurs d’inégalité et de pauvreté (McCall, 2000; 2001; Barrett et al., 2002; Galloway et Aaberge, 2005; Johannsson et Weiler, 2005). Dans le cas canadien, selon Moore et Pacey (2003), l’inégalité de revenu s’est élargie entre 1980-1995 en raison de l’entrée massive d’immigrants et de la récession économique et, selon Breau (2007) étudiant la période de 1981 à 1999, en raison de la croissance du commerce international, du progrès technologique, d’une nouvelle hétérogénéité des niveaux d’éducation, de la désindustrialisation, de la réduction des transferts gouvernementaux et moindrement du ratio de nouveaux immigrants. Une analyse comparative (Aydemir et Borjas, 2007) montre quant à elle que l’entrée d’immigrants plus qualifiés que les natifs réduit l’inégalité de salaire au Canada.

D’autres travaux concernent précisément la pauvreté des immigrants. Selon Mills et Zandvakill (2004), la croissance des inégalités de revenu entre 1991 et 1997 tient plus à des inégalités internes à des sous-groupes (immigrants ou natifs) qu’à des inégalités entre ces sous-groupes. Selon Basavarajappa (2000) analysant la distribution des revenus chez les immigrants âgés de 55 ans et plus, les immigrants venus des pays du Sud disposaient de revenus moyens inférieurs à ceux des natifs et étaient victimes d’une distribution interne du revenu inéquitable. Kazemipur et Halli (2000a; 2000b; 2001a; 2001b) ont vérifié la validité des théories classiques à propos de « la nouvelle pauvreté » de l’immigration et mis en évidence la variation importante de la pauvreté au sein de la population immigrante et l’effet de divers facteurs (capital humain, origine ethnique, période d’immigration, âge à l’arrivée). D’autres études confirment cette augmentation significative de la pauvreté chez les nouveaux immigrants des pays du Sud (Ley et Smith, 1997; Picot et Hou, 2003). Enfin, Pendakur et Pendakur (2007) ont examiné « les plafonds invisibles » connus de natifs membres de minorités ethniques et montré que certains n’avaient pas accès à de bons emplois.

Longtemps, le principal cadre théorique utilisé pour expliquer les différences de revenu observées entre les immigrants et les natifs était influencé par la théorie de l’assimilation en vertu de laquelle les immigrants connaissaient à leur arrivée au Canada une situation économique inférieure à celle des natifs, en partie attribuable à l’effet perturbateur de la migration elle-même, mais aussi à la distance culturelle et linguistique de l’immigrant par rapport à la société d’accueil et à l’absence de réseau (Kazemipur et Halli, 2000a). Cependant, à mesure qu’ils apprennent à connaître le marché du travail, qu’ils acquièrent des compétences adaptées et une expérience professionnelle au Canada, leurs gains se mettent à croître et la différence de performance économique entre natifs et immigrants se résorbe. La validité de cette proposition est toutefois questionnée par plusieurs travaux (Gans, 1992; Sanchez, 1997; Zhou, 1997) :

  1. Nombre de nouveaux immigrants venus des pays du Sud disposent d’un faible niveau de scolarité et de compétence professionnelle et il est possible que leur niveau de revenu moyen ne puisse jamais atteindre celui des natifs (Kazemipur et Halli, 2000a).

  2. Les effets négatifs de l’inégalité des chances et de la pauvreté pourraient perdurer d’une génération à l’autre (Kazemipur et Halli, 2001a). Ce sont les « trappes à inégalité » (The World Bank, 2005) empêchant les individus de sortir de la pauvreté.

  3. La distribution des revenus peut être plus inégale chez les immigrants que chez les natifs. Aussi, même si l’écart de revenu moyen entre immigrants et natifs se réduit, l’inégalité au sein de la population des immigrants demeurerait le principal facteur de l’inégalité qu’ils connaissent (McCall, 2000; Mills et Zandvakill, 2004).

  4. En raison de l’inégalité des chances créée par la segmentation du marché du travail, des discriminations et d’autres facteurs institutionnels, une partie des immigrants semble ne pas pouvoir profiter de la hausse du revenu et partager la prospérité économique. Des trappes à inégalités liées à l’immigration persistent. Autrement dit, les différences entre immigrants et natifs ne peuvent pas être résorbées par l’effet positif de l’inégalité sur la croissance. Des mécanismes de redistribution sont donc nécessaires.

La présente étude cherche davantage à analyser les facteurs de la persistance de « trappes à inégalités » chez les immigrants plutôt qu’à tester les approches traditionnelles d’assimilation. Nous examinerons les exemples concrets qui attestent de l’inégalité des chances tant au sein de la population immigrante qu’entre immigrants et natifs, et nous analyserons certaines tentatives de quantification de l’inégalité des chances en utilisant les données des recensements de 1991 à 2006.

L’hypothèse principale est que le changement de la composition ethnique et sociale des immigrants combiné à une segmentation du marché du travail et à un nouvel environnement économique depuis les années quatre-vingt conduit à une nouvelle inégalité des chances sur le marché du travail et à des disparités de performance économique des immigrants de sorte qu’une partie d’entre eux ne peuvent s’extraire de la pauvreté. La présente étude vise à analyser ces différentes formes d’inégalité et à en préciser les sources.

2. Méthodologie

Notre analyse se compose de trois parties complémentaires. Dans un premier temps nous expliquons l’évolution des inégalités de revenus chez les immigrants et chez les natifs et nous identifions les segments de la population ayant bénéficié le plus de la hausse du niveau de revenu. Dans un second temps nous analysons l’impact du changement de la distribution du revenu sur la pauvreté des immigrants. Enfin, nous analysons les facteurs de la croissance différentielle de revenu entre les différents segments de la population.

2.1 La courbe d’incidence de la croissance (CIC)

Il faut placer l’évolution des revenus dans le contexte du cycle économique. Durant la période à l’étude, l’économie canadienne a traversé deux cycles économiques : une récession (1991-1996) et une expansion (2001-2006). La courbe CIC (Growth Incidence Curve, GIC) développée par Ravallion et Chen (2001) analyse l’impact de la croissance économique agrégée sur les différents percentiles de la distribution de revenu de la population en utilisant le taux de croissance du revenu au pe percentile et non jusqu’au pe percentile, le long de la distribution des revenus entre deux points t0 et t1. Le taux de croissance du revenu de la pe quantile est donné par :

avec g(p) le taux de croissance du revenu du pe percentile entre t0 et t1. Lorsque p varie de 0 à 1, g(p) trace la courbe CIC. La courbe représente les percentiles de la population ordonnés par le revenu sur l’axe des abscisses et le taux de croissance du revenu par habitant du percentile correspondant en ordonnée. Par exemple, au 50e percentile, le graphique donne le taux de croissance du revenu médian.

Si la courbe CIC se trouve au-dessus (dessous) de l’axe zéro, g(p) ≥ 0 (g(p) < 0), les quantiles correspondants connaissent une augmentation (respectivement diminution) de revenu. La pente de la courbe d’incidence de la croissance permet également d’estimer si la croissance est propauvre ou proriche en termes relatifs. Si g(p) est une fonction décroissante (croissante) à travers le temps pour tout p, alors les inégalités diminuent (respectivement augmentent) à travers le temps. En comparant les courbes CIC entre divers groupes à différentes périodes, nous analysons les différences entre immigrants et natifs et pouvons saisir leur évolution à court et long terme. Ces analyses permettent de préciser quels groupes ont le plus bénéficié de la hausse de revenu et d’évaluer la place de chacun dans la variation de l’inégalité pendant les périodes étudiées.

2.2 Le triangle de Pauvreté-Croissance-Inégalité

Il s’agit ensuite de se demander si une amélioration générale du niveau de vie conduit dans l’ensemble à une réduction de la pauvreté et si cette réduction est érodée par la détérioration de la distribution des revenus. Bourguignon (2003) propose ainsi une méthode permettant de décomposer la distribution des revenus en deux types d’effet : une variation proportionnelle de tous les revenus, qui ne modifie pas la distribution du revenu relatif (effet de croissance); une variation de la distribution des revenus relatifs qui, par définition, est indépendante du revenu moyen (effet de redistribution). Cette décomposition exprime l’évolution de la pauvreté sous forme d’une fonction de la croissance du revenu moyen et des variations de la distribution du revenu relatif[2]. Cette méthode est illustrée par le graphique 1.

Graphique 1

Décomposition du changement de la distribution du revenu

Décomposition du changement de la distribution du revenu
Source : Bourguignon (2005)

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L’incidence de la pauvreté est mesurée par la surface sous la courbe de densité à gauche de la ligne de pauvreté. L’effet de la croissance se traduit par le déplacement horizontal de la courbe de la distribution initiale (I) vers la courbe (II), alors que l’effet de redistribution se traduit par la transformation de la courbe (II) à la nouvelle distribution (III). La réduction de la pauvreté est la somme de ces deux effets respectivement capturés par la différence entre (II) et (I) et entre (III) et (II). Ces analyses permettent de déterminer le point central – la croissance, la pauvreté et/ou l’inégalité – sur lequel devraient se centrer les stratégies visant l’insertion égalitaire des immigrants.

2.3 Caractéristiques individuelles, inégalités de revenu et pauvreté

Nous analysons ici les effets des caractéristiques individuelles des immigrants sur l’inégalité de revenu et la pauvreté. L’hypothèse est qu’un changement des caractéristiques individuelles (scolarité, connaissance linguistique, secteur d’activité, année d’immigration, lieu de résidence) et du rendement de ces attributs contribue aux disparités de performance économique des immigrants, ainsi qu’au changement de la distribution du revenu. Nous utilisons un développement de la décomposition de Blinde-Oaxaca (Blinder, 1973; Oaxaca, 1973; Smith and Welch, 1989; The World Bank, 2007) pour examiner le rôle des caractéristiques individuelles dans le changement de revenu entre deux points du temps t0 et t1. Nous quantifions l’influence des divers attributs sur la variation du revenu en décomposant leurs effets en un « effet principal » dû au changement des caractéristiques des immigrants et un « effet temporel » résultant du changement de rendement de ces attributs. Formellement, nous supposons qu’il y a deux équations de revenu, celles de 1996 et de 2001 :

Après avoir estimé (1) et (2), nous obtenons :

En calculant la moyenne pour chaque point du temps, nous avons :

t1 et t0 sont les moyennes géométriques du revenu prédit aux deux points du temps, t0 et t1; ∆log y représente la variation de revenu pendant cette période. L’effet principal, equation: 1842033n.jpg, capture l’impact du changement des attributs des immigrants : changement de capital humain, transfert des travailleurs de secteurs à productivité faible vers des secteurs à productivité élevée, de métiers marginaux vers des métiers qualifiés, etc. L’effet temporel, equation: 1842034n.jpg, capture l’impact de la variation du « prix » ou rendement des divers attributs : rendement de l’éducation, premiums spécifiques sectoriels, disparités régionales, etc. Cette analyse permet d’étudier les facteurs de croissance différentielle de revenu entre différents groupes de la population.

De plus, avec les résultats d’estimation, nous pouvons analyser la contribution de chaque variable indépendante à la croissance de revenu entre deux points du temps, t0 et t1. Soit equation: 1841936n.jpg le vecteur des variables explicatives, et equation: 1841937n.jpg le vecteur des coefficients estimés. Le changement de revenu entre t0 et t1 (5) peut s’écrire sous la forme :

3. Résultats et discussion

La présente étude s’appuie sur les fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006. Ces 4 bases de données reprennent respectivement des données fondées sur un échantillon de 3,0 %, 2,8 %, 2,7 % et 2,7 % de la population recensée. Nous utilisons les fichiers des particuliers. Les revenus rapportés concernent l’année précédant celle du recensement. À l’instar de nombreuses études antérieures (Morissette et Bérubé, 1996; Frenette, 2002; Bonikowska et al., 2011, etc.), nous limitons l’échantillon aux personnes dont l’âge est supérieur à 25 ans et inférieur à 54 ans[3].

Nous analysons d’abord l’évolution de la distribution de revenu pendant la période 1991-2006; avant d’examiner les relations entre la croissance de revenu, l’inégalité et la pauvreté; enfin, nous présentons les résultats de l’estimation de l’équation de revenu et étudions la contribution de chaque variable indépendante à la croissance de revenu.

3.1 L’évolution de la distribution de revenu entre 1991 et 2006

Le tableau 1 présente l’évolution de la distribution du revenu pendant la période 1991-2006. Nous utilisons les indices des prix à la consommation par province (1992=100) pour calculer les revenus réels. La comparaison entre immigrants de pays d’immigration « traditionnels » (États-Unis et Europe) et ceux qui constituent les nouvelles sources d’immigration au Canada paraît intéressante compte tenu des particularités de ces deux grands groupes d’immigrants. En particulier, il se peut que le capital humain des immigrants originaires de ces régions soit initialement moins transférable à cause de problèmes possibles liés à la langue, aux différences culturelles, à la qualité de l’éducation et à la discrimination. Nous divisons donc la population en trois sous-groupes : natifs, immigrants originaires des États-Unis et d’Europe (qualifiés de « traditionnels »), autres immigrants (qualifiés de « nouveaux » ou « d’immigrants du Sud »).

Le revenu moyen réel a diminué entre 1991 et 1996, avant de commencer à augmenter en 2001. Les trois sous-groupes ont connu la même tendance pendant cette période. Cependant, les immigrants traditionnels ont toujours le plus faible niveau de revenu. Malgré une augmentation continue durant la période 1996-2006, le taux de croissance du revenu moyen des nouveaux immigrants est significativement inferieur à celui des natifs et des immigrants du Nord.

Tableau 1

Évolution de la distribution du revenu réel

Évolution de la distribution du revenu réel
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Les chiffres présentés au tableau 1 montrent que l’inégalité du revenu, mesurée à l’aide du coefficient de Gini (qui croît avec le degré d’inégalité), a continûment augmenté depuis 1991 pour chaque sous-groupe. L’inégalité est plus importante au sein des groupes d’immigrants. Il semble donc exister une relation importante entre immigration et inégalité. L’hétérogénéité importante au sein des immigrants contribue à augmenter la variance de leur revenu, conduisant à un indice de Gini élevé.

Afin d’analyser l’évolution de la pauvreté, la démarche consiste d’abord à définir un seuil de pauvreté permettant de séparer les pauvres des non-pauvres. Les méthodes d’analyses utilisées dans la présente étude nécessitent un unique seuil de pauvreté, qui sert de critère ou de référence pour comparer la pauvreté entre diverses périodes et analyser l’évolution de la distribution de revenu. Le seuil de faible revenu (SFR) de Statistique Canada (2006), qui varie selon la taille du secteur de résidence et de la famille et se compose de 35 catégories, ne convient pas aux méthodes retenues. Afin d’établir un unique seuil, nous convertissons d’abord pour les diverses périodes, à l’aide des indices de prix à la consommation par province, le revenu nominal en valeur réelle en 1991, à savoir le revenu réel qui mesure le pouvoir d’achat effectif du revenu nominal. Ensuite, nous prenons comme ligne de pauvreté la moyenne du revenu réel des répondants appartenant à un ménage dont le revenu total est inférieur au SFR de Statistique Canada en 1991, soit 9245 dollars canadiens. Ce seuil de pauvreté s’applique alors à toutes les périodes[4].

Le tableau 1 montre que les trois groupes on connu la même tendance : la pauvreté a augmenté entre 1991 et 1996, puis a diminué entre 1996 et 2006. Les nouveaux immigrants ont toujours le niveau de pauvreté le plus élevé. En dépit d’une diminution significative de la pauvreté au cours de la première moitié des années deux mille, celle-ci n’est pas retombée au niveau de 1991.

Une variation de la distribution du revenu pourrait résulter du changement de revenu de certains groupes spécifiques, par exemple la baisse du revenu des ménages riches, la hausse du revenu des ménages pauvres, un changement général du revenu à tous les niveaux de revenu, etc. Afin d’analyser les causes du changement de la distribution de revenu et identifier les segments de la population les plus touchés par ces fluctuations, nous traçons les courbes CIC pour les trois sous-groupes pendant la période 1991-2006.

Sur l’ensemble de la période 1991-2006, les courbes des non-immigrants et des immigrants traditionnels se trouvent au-dessus de l’axe zéro (graphique 2). Ceci signifie que tous les segments de la population de ces deux groupes ont connu une augmentation de revenu réel. Quant à la courbe des immigrants du Sud, elle reste en dessous de l’axe zéro du 5e percentile jusqu’au 50e, ce qui implique une baisse de revenu réel des catégories pauvres et moyennes de ce groupe[5]. Même chez les immigrants du Sud appartenant à la classe supérieure, l’augmentation de revenu réel est beaucoup plus faible que celle connue par les non-immigrants et les immigrants des États-Unis et d’Europe. Par ailleurs, la courbe CIC est significativement croissante chez les immigrants du Sud, ce qui implique une accentuation des inégalités de revenu réel entre 1991 et 2006.

Graphique 2

Courbes CIC, 1991-2006

Courbes CIC, 1991-2006
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Nous décomposons ensuite notre échantillon en trois sous-périodes : 1991-1996, 1996-2001 et 2001-2006. Au cours de la première, les taux de croissance du revenu réel sont tous négatifs pour tous les percentiles et tous les groupes (graphique 3). Autrement dit, tous les répondants ont connu une diminution du revenu réel. Celle-ci a toutefois été plus importante pour les nouveaux immigrants, et les plus pauvres (ce qui explique l’augmentation de l’indice de Gini pendant cette sous-période – voir tableau 1).

Graphique 3

Courbes CIC, 1991-1996

Courbes CIC, 1991-1996
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991 et 1996, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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La situation de la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix est plus complexe (graphique 4). Pendant cette période, les natifs et les immigrants en provenance des États-Unis et d’Europe ont connu pour la plupart une augmentation du revenu réel, en particulier les segments pauvres et les plus riches de cette population. Concernant les immigrants du Sud, les catégories moyennes et riches de ce groupe ont connu également une amélioration du revenu réel, dont le taux de croissance était similaire à celle des deux autres groupes. Pourtant, les catégories les plus pauvres, à savoir le premier quart de la distribution, ont vu leur revenu réel se détériorer.

Graphique 4

Courbes CIC, 1996-2001

Courbes CIC, 1996-2001
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2001, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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En ce qui concerne la troisième sous-période 2001-2006 (graphique 5), elle est caractérisée par une augmentation générale du revenu réel tant chez les natifs que chez les immigrants. Toutefois, la croissance n’a pas été uniformément répartie. Nous constatons une courbe en forme de U pour tous les groupes. C’est-à-dire que les personnes situées aux deux extrémités de la distribution – les plus pauvres et les plus riches – ont connu une croissance du revenu plus importante. Dans l’ensemble, la hausse du revenu réel est plus faible pour les nouveaux immigrants.

Graphique 5

Courbes CIC, 2001-2006

Courbes CIC, 2001-2006
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 2001 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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En résumé, le revenu réel a connu une baisse entre 1991 et 1996, puis un redressement entre 1996 et 2006. Pendant cette période, ce sont les immigrants du Sud qui ont été confrontés à la situation la plus défavorable. La classe la plus pauvre de ce groupe a le plus subi les fluctuations économiques. En effet, si elle a connu une détérioration pendant la période de récession, puis une hausse de son revenu avec le retour de la croissance économique, cette dernière s’est faite à un rythme plus lent que pour les autres groupes. Les segments de la population les plus riches ont été les moins touchés par la récession; et ont par ailleurs bénéficié de la plus forte hausse du niveau de revenu pendant la période d’expansion économique. Les inégalités se donc accentuées au cours du temps (voir indice de Gini, tableau 1).

3.2 Impact des inégalités de revenu sur la pauvreté

Nous étudions à présent pour chaque groupe de la population les relations entre l’amélioration du revenu, l’inégalité et la pauvreté (voir section 2.2). Suivant l’analyse de Bourguignon (2002), nous supposons que le revenu suit une distribution log-normale.

Les graphiques 6 et 7 présentent le cas des immigrants originaires des pays du Sud pour deux périodes : 1991-1996 et 1996-2006. La première est caractérisée par une diminution générale du revenu réel et la deuxième par une augmentation du revenu réel (voir le tableau 1). Rappelons que l’incidence de la pauvreté simulée, mesurée par le pourcentage des ménages dont le revenu par membre du ménage est inférieur au seuil de pauvreté (9 245 dollars), est capturée par la surface sous la courbe de densité à gauche de la ligne de pauvreté. Nous observons que, de 1991 en 1996, la courbe se déplace vers la gauche et sa pente se réduit. En d’autres termes, les nouveaux immigrants ont connu une baisse de leur revenu moyen, soit une augmentation de la pauvreté, ainsi qu’un accroissement des inégalités au sein de leur groupe. Dans le graphique 6, nous pouvons observer que l’augmentation de l’inégalité aggrave dans une certaine mesure l’incidence de la pauvreté.

Graphique 6

Décomposition du changement du revenu (Immigrants non européens et non américains)

Décomposition du changement du revenu (Immigrants non européens et non américains)
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991 et 1996, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Durant la période 1996-2006 (graphique 7), la courbe de densité se déplace vers la droite, ce qui signifie une amélioration du revenu moyen. Par contre, la courbe continue à devenir plus plate, signifiant une augmentation de la variance ou de l’inégalité de revenu. Nous pouvons constater que la réduction de l’incidence de la pauvreté résultant de l’amélioration du revenu moyen est légèrement compensée par l’augmentation de l’inégalité de revenu.

Graphique 7

Décomposition du changement du revenu 1996-2006 (Immigrants non européens et non américains)

Décomposition du changement du revenu 1996-2006 (Immigrants non européens et non américains)
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Le tableau 2 présente les résultats détaillés pour tous les groupes. De 1991 à 2006, la pauvreté simulée a diminué sauf pour les immigrants du Sud. Nous constatons pour tous les groupes un effet de croissance négatif et un effet de redistribution positif, à savoir une amélioration du revenu moyen accompagnée d’une détérioration de la distribution du revenu. Chez les natifs et les immigrants traditionnels, nous observons une réduction de la pauvreté du fait de la croissance du revenu moyen, cependant cette réduction a été partiellement érodée par une augmentation de l’inégalité, surtout chez les immigrants américains et européens. Pour les immigrants du Sud, la pauvreté a diminué grâce à une augmentation du revenu moyen mais cette réduction a été annulée par l’accentuation de l’inégalité, conduisant à une augmentation de la pauvreté.

Tableau 2

Décomposition du changement du revenu

Décomposition du changement du revenu
Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Entre 1991 et 1996, tous les groupes ont connu une croissance de la pauvreté et des inégalités de revenu. L’effet de redistribution est relativement stable entre les trois sous-groupes, alors que l’effet de croissance augmente avec l’amplitude de l’augmentation de la pauvreté. Autrement dit, l’effet de croissance est à l’origine de l’évolution de la pauvreté. Chez les immigrants du Sud, l’incidence de la pauvreté a connu une augmentation de 6,6 %, dont 86 % et 14 % sont respectivement attribués à la baisse du revenu moyen et à l’accroissement des inégalités. À partir de 1996, la pauvreté a reculé surtout chez les natifs. Nous constatons pour tous les groupes un effet négatif de la croissance et un effet positif de redistribution; en d’autres termes, la réduction de la pauvreté résultant de l’augmentation du revenu moyen a été partiellement annulée par l’accentuation de l’inégalité. Chez les immigrants du Sud, 60 % de l’effet de croissance a été annulé par l’effet de redistribution. Entre 2001 et 2006, on retrouve les mêmes évolutions que celles observées lors de la période précédente. L’amplitude de la réduction de la pauvreté est plus significative. Nous observons que la variation de la pauvreté est essentiellement influencée par le niveau moyen du revenu.

3.3 Estimation de l’équation de revenu

Nous concentrons cette étude sur la période 1996-2006, car des évolutions dans la classification des professions entre le recensement de 1991 et les suivants ne les rendent pas directement comparables. Par ailleurs, dans la mesure où nous cherchons à analyser la distribution des revenus des immigrants en provenance des pays du Sud, nous limitons notre échantillon à ces immigrants et aux natifs. Ces derniers servent de référence.

La variable dépendante est le logarithme du revenu réel. Nous relions le revenu réel à des caractéristiques individuelles liées au sexe, à l’âge, au capital humain (plus haut diplôme obtenu, compétence linguistique) et des variables caractérisant la profession du répondant. Ces liens ont d’autant plus d’intérêt que la plupart des immigrants au Canada sont sélectionnés sur la base de leur âge à l’immigration, leur niveau de scolarité, leur expérience professionnelle et leurs compétences linguistiques. Sont pris également en compte la source principale de revenu du ménage et le lieu de résidence. Si nous prenons en compte la région métropolitaine de recensement (RMR), c’est que l’environnement économique diffère selon les régions métropolitaines de recensement et que plusieurs études récentes ont montré que cette situation, notamment sur le marché de l’emploi, influençait la situation économique des immigrants (Grenier et Nadeau, 2010). Afin de tester la robustesse des résultats et étant donné le rôle important de l’emploi dans le revenu, nous estimons deux modèles : un modèle réduit qui ne comprend pas les caractéristiques de la profession (modèle 1) et un modèle les incluant (modèle 2).

Le tableau 3 présente les résultats de l’estimation des équations de revenu. Les variables liées aux caractéristiques sociodémographiques des immigrants, à savoir le sexe et l’âge sont significatives et jouent dans le sens attendu sur le revenu : le fait d’être un homme et d’avoir de l’expérience exerce un effet positif sur le niveau de revenu. La détention d’un diplôme fait également augmenter les gains des immigrants (par rapport à l’absence de diplôme). Toutefois, nous observons une divergence entre citoyens de souche et nouveaux immigrants : l’effet de l’éducation sur le revenu des natifs se renforce pendant la période étudiée, alors qu’il s’affaiblit sur celui des immigrants. Le rendement de l’éducation des immigrants sur le marché du travail tend donc à diminuer, alors même que les immigrants récents sont de plus en plus éduqués. L’effet de la maîtrise des langues officielles sur le revenu est également positif, plus important pour les individus se déclarant bilingues. La compétence linguistique et l’aptitude à communiquer sont en effet liées à la productivité et, par conséquent, aux salaires que reçoivent les travailleurs. Par rapport à la catégorie « Transferts gouverntablementaux ou aucun revenu », les traitements et salaires ont toujours un effet significativement positif sur le revenu. Le revenu associé à l’exercice d’une activité indépendante est positif en 1996, mais non significatif chez les natifs et il devient négatif chez les immigrants en 2006. Ceci semble témoigner d’une détérioration de niveau de revenu chez les travailleurs indépendants.

Tableau 3

Estimation des équations de revenu. Variable dépendante : logarithme du revenu réel

Estimation des équations de revenu. Variable dépendante : logarithme du revenu réel

Note : Les t de student sont indiqués entre parenthèses. *** résultat significatif au seuil 0,01; ** résultat significatif au seuil 0,05; * résultat significatif au seuil 0,10. « … » signifie que la valeur absolue est inférieure à 0,001.

Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Le fait de résider à Ottawa – Gatineau, à Toronto et à Vancouver a toujours un impact favorable sur le revenu tant chez les natifs que chez les immigrants. L’effet de Calgary – la capitale provinciale de l’Alberta – est négatif ou non significatif en 1996, mais positif en 2006. L’exploitation des combustibles fossiles a fortement stimulé le développement économique dans l’Alberta, ce qui a renforcé la demande de la main-d’oeuvre et augmenté le niveau de salaire. Cette province a ainsi attiré un grand nombre d’immigrants et de travailleurs extérieurs ces dernières années. Nous constatons des résultats similaires pour Edmonton.

Dans les bases de données de 1996 et 2006, les professions sont classées en 25 catégories. Nous prenons les personnes n’ayant pas travaillé comme référence dans nos estimations. Les caractéristiques de l’emploi occupé peuvent représenter aussi une source importante de disparités entre immigrés et natifs. Toutes les professions ont un effet significativement positif par rapport au fait de n’avoir pas d’emploi, avec toutefois des différences de productivité. Chez les immigrants, les catégories « Personnel professionnel des soins de santé, professionnels en sciences infirmières et superviseurs », « Cadres supérieurs », « Personnel professionnel en gestion des affaires et en finance » et « Personnel des sciences naturelles et appliquées et personnel assimilé » se placent parmi les premières en termes d’effet sur le revenu. Au contraire, certaines autres catégories, par exemple « Personnel de supervision, vendeurs et commis-vendeurs et caissiers des produits au détail », « Chefs et cuisiniers, personnel de supervision et autre personnel des services des aliments et boissons », « Personnel de soutien familial et de garderie », etc., défavorisent le revenu. Nous analyserons en détail la contribution des professions à la croissance du revenu dans la section suivante. Enfin, comme attendu, l’exercice d’un emploi à temps plein favorise le revenu et a un effet de plus en plus important au cours de la période étudiée.

3.4 Décomposition de la croissance de revenu

Les estimations ci-dessus permettent de décomposer la croissance du revenu réel. Les résultats sont reportés dans le tableau 4. La première partie du tableau présente la croissance totale du revenu (en logarithme) ainsi que l’effet principal total – l’impact du changement de l’ensemble des attributs – et l’effet temporel total – l’impact de la variation du rendement de l’ensemble des attributs. La deuxième partie du tableau présente, pour les principaux attributs, les effets agrégés principal et temporel. Les graphiques 8, 9 et 10 illustrent pour les trois principaux facteurs les effets principal et temporel des diverses catégories, introduites sous forme de variables muettes.

Tableau 4

Décomposition de la croissance de revenu (1996-2006)

Décomposition de la croissance de revenu (1996-2006)

Note : « … » signifie que la valeur absolue est inférieure à 0,001.

Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Nos résultats montrent que la croissance du revenu est dominée par l’effet temporel, à savoir l’évolution du rendement des caractéristiques individuelles. La partie expliquée par le changement des paramètres des équations de revenu représente 76,6 % et 86,3 % de la croissance totale du revenu réel chez les natifs et chez les immigrants (modèle 2).

En ce qui concerne la contribution des diverses variables, l’effet principal du niveau de l’éducation est positif tant pour les natifs et que pour les immigrants originaires de régions non traditionnelles telles que l’Asie et l’Afrique, traduisant une augmentation du niveau moyen de l’éducation dans ces deux groupes, surtout chez les natifs. L’effet temporel est positif pour les natifs, impliquant une augmentation du rendement de leur éducation entre 1996 et 2006. Au contraire, les immigrants ont connu une diminution importante de ce rendement pendant cette période (-20,2 %). L’impact des divers diplômes sur la croissance de revenu est illustré dans le graphique 8 ci-dessous où sont représentés l’effet principal et l’effet temporel de chaque diplôme.

Graphique 8

Contribution des divers diplômes à la croissance de revenu (Modèle 2, non-immigrants et immigrants)

Contribution des divers diplômes à la croissance de revenu (Modèle 2, non-immigrants et immigrants)

Référence : Aucun ou diplôme d'études secondaires.

Note :

1

Diplôme d’une école de métiers, collégial

2

Baccalauréat

3

Diplôme universitaire supérieur au baccalauréat

4

Diplôme en médecine

5

Maîtrise

6

Doctorat acquis

Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Pour les natifs, le rendement s’accroit pour tous les niveaux de diplôme (effet temporel positif), en particulier pour le diplôme collégial, le baccalauréat et le diplôme en médecine qu’un nombre croissant de natifs ont acquis (effet principal positif). Au contraire, le rendement des diplômes s’est détérioré pour les immigrants (effet temporel négatif) et l’effet principal des divers niveaux de diplôme est peu important. Il semblerait donc que les modifications apportées aux procédures de sélection des immigrants afin de relever leur niveau de scolarité et d’accroître la proportion d’immigrants dans la catégorie économique des travailleurs « qualifiés » sont peu efficaces vu la déqualification professionnelle des nouveaux arrivants. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs : plus faible rendement des diplômes et des expériences de travail obtenus à l’étranger et/ou formes de discrimination.

L’effet principal de la connaissance des langues officielles est négligeable, alors que son effet temporel se renforce de 1996 à 2006. Cet effet temporel positif provient essentiellement de l’augmentation du rendement de la langue anglaise tant chez les natifs et que chez les immigrants.

Les effets fixes des régions métropolitaines de recensement expliquent respectivement 8,5 % et 13,4 % de la croissance de revenu chez les natifs et chez les immigrants. Montréal, dont le revenu moyen est relativement faible, servant de référence à l’analyse, un effet principal positif signifie une diminution de la proportion des habitants montréalais (natifs ou immigrants) dans la population totale. L’effet temporel positif signifie quant à lui un élargissement de la différence de revenu entre Montréal et le reste du Canada. Le graphique 9 montre que, par rapport à Montréal, les immigrants des autres régions, sauf ceux qui résident à Toronto, ont connu une augmentation de leur revenu relatif. Les immigrants ont donc afflué vers les régions métropolitaines possédant un fort dynamisme économique telles que Toronto et Calgary.

Graphique 9

Contribution du lieu de résidence à la croissance de revenu (Modèle 2, non-immigrants et immigrants)

Contribution du lieu de résidence à la croissance de revenu (Modèle 2, non-immigrants et immigrants)

Référence : Montréal.

Note :

1

Ottawa – Gatineau

2

Toronto

3

Calgary

4

Edmonton

5

Vancouver

6

Autres régions

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Le taux d’emploi s’améliore sur la période (effet principal de la profession positif) et explique respectivement 4,4 % et 6,4 % de la croissance de revenu chez les natifs et chez les immigrants. Par rapport aux personnes n’ayant pas travaillé (se caractérisant par une rémunération relativement faible), le rendement agrégé des diverses professions a significativement augmenté pendant la période étudiée (effet temporel positif) pour les immigrants et a diminué pour les natifs. Les effets principal et temporel de chaque profession pour les immigrants sont illustrés dans le graphique 10 ci-dessous.

Graphique 10

Contribution des diverses professions à la croissance de revenu (Modèle 2, immigrants)

Contribution des diverses professions à la croissance de revenu (Modèle 2, immigrants)

Référence : Personnes n'ayant pas travaillé.

Note :

1

Cadres supérieurs

2

Autres cadres

3

Personnel professionnel en gestion des affaires et en finance

4

Personnel en finance, en secrétariat et en administration

5

Personnel de bureau et personnel de supervision du travail de bureau

6

Personnel des sciences naturelles et appliquées et personnel assimilé

7

Personnel professionnel des soins de santé, professionnels en sciences infirmières et superviseurs

8

Personnel technique et de soutien et personnel assimilé du secteur de la santé

9

Sciences sociales, administration publique et religion

10

Enseignants

11

Arts, culture, sports et loisirs

12

Personnel de la vente en gros, technique et non technique, de l’assurance et de l’immobilier, des achats en gros et au détail et des achats de grains

13

Personnel de supervision, vendeurs et commis-vendeurs et caissiers des produits au détail

14

Chefs et cuisiniers, personnel de supervision et autre personnel des services des aliments et boissons

15

Personnel des services de protection

16

Personnel de soutien familial et de garderie

17

Personnel de supervision des services, personnel de l’hébergement et des voyages, préposés dans les sports et les loisirs et personnel de la vente et des services, n.c.a.

18

Entrepreneurs et contremaîtres du personnel des métiers et des transports

19

Personnel des métiers de la construction

20

Autres métiers

21

Conducteurs de matériel de transport et d’équipement

22

Aides de soutien des métiers, manoeuvres en construction et de transport et personnel assimilé

23

Professions propres au secteur primaire

24

Surveillants conducteurs de machines et monteurs dans la fabrication

25

Manoeuvres dans la fabrication et les services d’utilité publique

Source : Fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1996 et 2006, Fichiers des particuliers, Statistique Canada, calculs et présentation des auteurs

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Nous observons que la catégorie « Personnel des sciences naturelles et appliquées et personnel assimilé » a connu une augmentation relativement importante, tant en terme d’effet principal que temporel. D’autres professions, en particulier « Autres cadres », « Personnel professionnel en gestion des affaires et en finance », « Personnel de soutien familial et de garderie », etc., ont également les deux effets positifs, mais leurs augmentations sont plus faibles. Les catégories « Cadres supérieurs », « Personnel en finance, en secrétariat et en administration », « Personnel professionnel des soins de santé, professionnels en sciences infirmières et superviseurs » et « Surveillants conducteurs de machines et monteurs dans la fabrication » ont un effet temporel positif et un effet principal négatif. C’est-à-dire que le rendement de ces professions sur le marché du travail a augmenté, mais leur proportion dans le total a diminué. Les immigrants semblent se concentrer davantage (effet principal positif) dans les emplois des « Sciences sociales, administration publique et religion », « Chefs et cuisiniers, personnel de supervision et autre personnel des services des aliments et boissons », « Personnel de supervision des services, personnel de l’hébergement et des voyages, préposés dans les sports et les loisirs et personnel de la vente et des services, n.c.a. ». Enfin si ces dernières années, les intermédiaires d’immobilier, les agences de tourisme et les commerces de gros et de détail sont des professions en expansion chez les immigrants, leur rendement a diminué.

Le plus important facteur dans l’explication du changement de revenu est l’effet temporel des semaines travaillées à temps plein ou à temps partiel, auquel la moitié de la croissance de revenu des natifs et trois quarts de celle des immigrants sont attribués. Une analyse plus détaillée de ce facteur montre que son impact positif vient essentiellement du travail à plein temps. Autrement dit, durant la période 1996-2006, le rendement d’un travail à plein temps a connu une augmentation significative, renforçant fortement la hausse de revenu et jouant donc un rôle très important dans l’amélioration du niveau de vie.

Conclusion

L’équité est un élément fondamental de poursuite de la prospérité à long terme. Des niveaux plus élevés d’inégalité et de pauvreté au sein de la population immigrante sont défavorables à l’efficacité de l’économie et à l’élévation du niveau de vie dans la société dans son ensemble. Nous avons donc cherché à étudier les relations entre l’immigration et la distribution du revenu au Canada à partir des données des recensements de 1991, 1996, 2001 et 2006.

Nos résultats montrent que le revenu réel au Canada a connu une baisse générale entre 1991 et 1996, puis un redressement entre 1996 et 2006. Au cours de ce processus, les immigrants en provenance des régions du Sud semblent avoir été les plus touchés par les fluctuations économiques, se retrouvant dans la situation la plus défavorable. Ils sont dans l’ensemble caractérisés par un niveau de revenu inférieur à celui des autres groupes constituant la population du pays. Ils ont enregistré une détérioration du niveau de revenu réel entre 1991 et 1996, plus accentuée dans la catégorie pauvre, et un rythme plus lent de la hausse du revenu réel pendant la période 2001-2006. Une explication possible est qu’en raison de la segmentation du marché du travail, les immigrants du Sud plus récemment arrivés et considérés comme un « réservoir de main-d’oeuvre » ne pourraient qu’occuper des postes subalternes (ou secondaires) pendant les périodes de forte expansion économique et faire face pendant les périodes de récession à une instabilité d’emploi et de revenu plus importante que les travailleurs natifs et les immigrants américains et européens.

La situation défavorable des immigrants du Sud sur le marché du travail conduit à une pauvreté plus importante au sein de ce groupe. Ces immigrants ont connu un aggravement significatif de la pauvreté pendant la période 1991-1996. Bien que l’incidence de la pauvreté ait diminué pendant la période 1996-2006, son niveau en 2006 était encore supérieur à celui de 1991. Dans la variation de la pauvreté, c’est l’effet de la croissance qui l’emporte; autrement dit, l’amélioration du niveau de revenu est le facteur central sur lequel devraient se greffer les stratégies d’insertion des immigrants du Sud.

Les résultats de la décomposition de la croissance de revenu suggèrent que les natifs ont connu non seulement une hausse du niveau de scolarité mais aussi une augmentation du rendement de l’éducation entre 1996 et 2006. Cependant, le rendement de l’éducation a diminué chez les immigrants. Cette situation pourrait élargir l’écart de revenu entre ce groupe et les autres groupes favorisés tels que les natifs et les immigrants américains et européens et ainsi, aggraver l’inégalité sociale. Ensuite, les résultats mettent en lumière l’impact des disparités régionales sur les flux des immigrants : les immigrants ont afflué vers les provinces possédant un fort dynamisme économique telles que l’Ontario et l’Alberta. Enfin, notre analyse souligne le rôle important de l’emploi, en particulier l’emploi à plein temps, dans l’augmentation du niveau de vie des immigrants. Afin d’améliorer le bien-être économique et social, les politiques visant l’insertion des immigrants sur le marché du travail devraient davantage tenter d’accroitre le taux d’emploi et améliorer la reconnaissance des diplômes acquis.