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La controverse du capital bancaire[Notice]

  • Natalya Klimenko et
  • Jean-Charles Rochet

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  • Natalya Klimenko
    Département Banque et Finance, Université de Zurich

  • Jean-Charles Rochet
    Département Banque et Finance, Université de Zurich
    Swiss Finance Institute, TSE-IDEI

Cet article est basé sur la conférence invitée François-Albert-Angers donnée par Jean-Charles Rochet au congrès de la Société canadienne de sciences économiques à Montréal en mai 2015.

La crise financière globale de 2007-2009 a mis à rude épreuve notre confiance dans la théorie économique, en particulier dans le domaine bancaire. Après plus de 30 ans d’intense recherche en économie bancaire, il faut bien reconnaître que nous connaissons encore très peu de choses sur les mécanismes des crises bancaires et leur impact sur l’économie réelle. Il est révélateur à cet égard que beaucoup de modèles d’économie bancaire continuent d’utiliser des hypothèses inadaptées à l’étude des banques comme celle des marchés financiers efficients, qui conduit à la redondance des banques et à l’indépendance entre la valeur des entreprises et la façon dont elles se financent, le fameux « théorème de Modigliani et Miller ». On aurait pu espérer que la crise financière globale allait forcer les économistes académiques à rechercher un consensus et à élaborer de nouveaux paradigmes plus fiables que leurs modèles traditionnels, et susceptibles de répondre aux besoins des décideurs publics. Malheureusement c’est le contraire qui s’est produit, avec une polarisation du débat entre deux groupes qui refusent un véritable dialogue. D’un côté, le groupe impulsé par Anat Admati et Martin Hellwig, (voir notamment leur livre The Bankers’ New Clothes : What’s Wrong with Banking and What to do About it) recommande d’imposer aux banques un ratio de capital minimum d’au moins 25 ou 30 % sans toutefois donner d’arguments quantitatifs pour ces niveaux. Bien que de nombreux économistes (dont nous sommes) partagent leur analyse selon laquelle beaucoup de grandes banques étaient insuffisamment capitalisées au moment où la crise financière globale s’est déclenchée, il est assez décevant de noter que le livre d’Admati et Hellwig ne comporte aucun argument quantitatif s’appuyant sur un quelconque modèle qui puisse être calibré sur des données réelles. Malgré cela, ce livre a reçu le soutien inconditionnel de personnalités influentes et prestigieuses telles que Roger Myerson (prix Nobel d’économie en 2007), Mervyn King (ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre) et Martin Wolf (journaliste bien connu du Financial Times). De l’autre côté, un groupe d’économistes basés pour la plupart dans des écoles de commerce américaines, parmi lesquels Gary Gorton, Harry DeAngelo et René Stulz, défendent le point de vue selon lequel les banques ont besoin d’un levier financier important pour fournir à l’économie les placements liquides dont elle a besoin. Leur raisonnement est que, si l’on force les banques à se financer par plus de fonds propres, ce sera au détriment de leur collecte de dépôts, alors que celle-ci fournit un service de liquidité aux ménages et aux investisseurs. Toutefois, ce raisonnement néglige le fait que les banques bien capitalisées peuvent à la fois attirer plus de dépôts (parce qu’elles sont plus sûres) et accorder plus de crédits (parce qu’elles sont mieux financées). Dépôts et fonds propres ne sont donc pas toujours substituables mais peuvent être complémentaires quand le risque de défaut des banques devient non négligeable. Ceci illustre bien là encore que des discussions informelles ne suffisent pas et qu’un modèle structurel est nécessaire pour éclaircir les liens entre les deux fonctions naturelles des banques : la collecte de dépôts et l’octroi de prêts. En l’absence de ce type de modèle structurel, les économistes bancaires ont dû se contenter d’une analyse statistique des données historiques sur la capitalisation des banques, le volume global de crédit et la croissance du PIB. Un argument souvent mis en avant par les tenants de la première école de pensée est que les ratios de capital bancaire ont historiquement été souvent beaucoup plus élevés que dans les années précédant la crise financière globale de 2007-2009. Par exemple, le graphique ci-dessous, tirée de Hanson, Kashyap et …

Parties annexes