Corps de l’article

S’il y a un phénomène démographique qui est d’une constance indéfectible, c’est l’espérance de vie qui croît à un rythme soutenu depuis des décennies dans les pays industrialisés. Le Québec vit le même phénomène, qui vient amplifier, d’un point de vue de vieillissement démographique, le « baby bust » particulièrement sévère qu’il a connu à partir de la fin des années soixante. Or, malgré de nombreuses adaptations au fil du temps, la conception initiale de plusieurs de nos programmes de sécurité sociale date de cette même époque. Plusieurs aspects des programmes publics et privés et des produits financiers existants sont donc réexaminés avec attention. Avec les avancées soutenues de l’espérance de vie, plusieurs types de risques ont pris de l’ampleur, dont le risque de vivre un séjour en hébergement avec soins de longue durée et le risque dit de longévité.

Ce dernier, qui correspond au risque de survivre à ses moyens financiers, pose des défis à la fois aux acteurs publics et privés, ici comme ailleurs. Car s’il connaissait à l’avance le moment exact de son décès, un individu pourrait assez aisément faire une planification financière en vue de dépenser précisément toutes ses économies lors de son vivant ou de déterminer l’héritage qu’il voudrait léguer. La gestion des régimes de retraite serait aussi grandement simplifiée. Mais bien entendu, nul ne connait le moment de son propre décès, qui dépend de très nombreux facteurs attribuables entre autres au vieillissement et à l’environnement. À première vue, le risque de vivre jusqu’à un âge avancé peut apparaître comme un « beau » risque alors que celui de mourir jeune peut sembler davantage préoccupant. Mais, vu sous un angle économique, le risque de vivre très vieux représente un risque financier contre lequel un agent économique – et la société en général – voudra se prémunir.

C’est à cet enjeu que se consacrait le symposium du 15 mai 2014. Dans le cadre de celui-ci, nous avons convié quatre groupes d’auteurs à préparer et présenter des travaux sur ce thème lors du congrès 2014 de la Société canadienne de science économique. Le fruit de ces travaux est une série de quatre articles qui tracent un portrait des enjeux et suggèrent des réponses à plusieurs questions soulevées dans la littérature, avec un regard tourné vers la situation québécoise.

Les deux premiers articles portent sur le risque de longévité du point de vue de l’individu faisant face à l’incertitude au sujet de sa durée de vie. L’article de Leroux et de ses collègues, en utilisant les outils de l’économie publique, s’intéresse aux enjeux de la redistribution engendrée par une hausse de l’espérance de vie elle-même forcément inégale. Cela permet aux auteurs, à la lumière de leur analyse, de juger de certaines des pistes de réformes évoquées ces dernières années au Québec. En particulier, l’article revient sur la rente longévité proposée par le comité d’Amours, et discute des questions de redistribution en jeu lorsqu’une « assurance autonomie » est envisagée.

L’article de Boisclair et de ses collègues propose une analyse de rentabilité économique de la rente longévité et de certaines autres propositions de réforme du « 2e pilier » québécois (à savoir le RRQ). Utilisant des techniques empiriques et de simulations, les calculs des auteurs suggèrent que l’épargne dans un CELI durant la vie active, suivie d’un achat de rente viagère individuelle aux prix observés sur le marché, peut être financièrement supérieure à d’autres réformes visant plutôt le 2e piller, surtout pour les individus ayant des revenus inférieurs à la moyenne. Ces résultats mettent en lumière les interactions complexes entre les divers piliers du système de retraite et le régime fiscal en vigueur au Québec.

Les deux derniers articles portent davantage sur la mutualisation des risques d’un point de vue d’assureur. L’article de Boyer et de ses collègues s’intéresse à l’inexistence d’un marché financier permettant d’échanger le risque de longévité, du point de vue des assureurs et des gestionnaires de régimes de retraite. La difficulté de trouver un estimateur performant pour projeter la mortalité est proposée comme raison fondamentale pour l’inexistence du marché. L’existence d’un tel marché permettrait d’améliorer grandement la couverture de risques des régimes de retraite à prestations déterminées, dont l’objet principal consiste justement à mutualiser le risque de longévité.

Côté-Sergent et ses collègues offrent une analyse de l’effet de l’incertitude quant à l’évolution de la santé de la population au Québec sur le risque de longévité d’un régime de retraite complémentaire. En utilisant un modèle de microsimulation québécois, l’article simule l’évolution de l’actif et du passif d’un régime de retraite sous divers scénarios, parfois liés à des progrès pouvant être anticipés sur le front médical, concernant l’évolution future de la santé de la population. L’article conclut que le risque de longévité auquel s’expose un tel régime tient surtout à la possibilité que la mortalité connaisse une baisse généralisée, au-delà par exemple de l’élimination d’un seul facteur de risque ou maladie, élimination dont l’effet est limité par les risques concurrents pour la santé. Cet exercice met en relief l’incertitude importante quant à l’évolution de l’espérance de vie au Québec et le fait que les régimes de retraite doivent établir des réserves significatives pour faire face à ce risque.

Plusieurs travaux québécois et canadiens futurs auront certainement trait au risque de longévité, ne serait-ce qu’en raison de son importance croissante pour les sociétés vieillissantes comme la nôtre. Ceux présentés ici proposent déjà plusieurs analyses et pistes de recherche pertinentes en économique.