Résumés
Résumé
L’intérêt des chercheurs et décideurs politiques au sujet de la corruption a généré une production d’articles sans cesse grandissante depuis la fin de la guerre froide. Cet article propose une revue de la littérature sur l’économie de la corruption, avec une emphase sur les solutions pour réduire la corruption. Malgré la quantité d’information disponible, les chercheurs se sont surtout concentrés sur les effets de la corruption et peu sur les moyens d’y remédier. Je recense les solutions anticorruption qui ont été proposées dans diverses disciplines. En chemin, je souligne des pistes de recherche proposées pour réduire la corruption.
Abstract
The interest for corruption by academics and policy makers has generated a growing body of literature since the end of the Cold War. This paper presents a literature review on the economics of corruption with an emphasis on solutions to fight corruption. Even though an important mass of information on the subject exists, researchers have focused more on identifying the effects of corruption and less on potential anticorruption solutions. I focus on approaches devised to combat corruption, suggested in economics and other disciplines, and point to some directions for future research on anticorruption solutions.
Corps de l’article
Introduction
La mauvaise gouvernance et la corruption limitent la croissance économique (Mauro, 1995; Ugur, 2014). Or, l’intérêt pour le sujet au sein de la littérature économique n’a connu une véritable expansion qu’aux cours des deux dernières décennies[1]. Si les États-Unis furent des précurseurs en matière de réglementation de leurs firmes multinationales en mettant en place le Foreign Corrupt Practices Act dès 1977, produit dérivé du scandale Watergate (Wei, 2000), ce n’est qu’avec la chute du bloc soviétique que la communauté internationale lèvera définitivement le voile sur la corruption, les principales puissances n’ayant plus à ménager certains dirigeants corrompus de peur qu’ils ne passent de l’autre côté du rideau de fer (Tanzi, 1998)[2].
La levée des tabous au cours des années quatre-vingt-dix permettra des avancées tant au niveau de la collecte des données que dans les outils d’analyse, générant une production importante d’articles sur le sujet et une convergence des opinions quant à l’effet négatif de la corruption[3]. Comme le soulignent Olken et Pande (2012), 40 pays ont ratifié la convention anticorruption de l’OCDE depuis 1997. La convention anticorruption de l’ONU est ratifiée par 140 pays et en application depuis 2005. En 2007, la Banque mondiale a également renforcé sa stratégie sur la gouvernance et contre la corruption. Il semble donc y avoir un consensus au sein des milieux internationaux : la mauvaise gouvernance et la corruption sont coûteuses et doivent être enrayées.
Toutefois, le problème reste endémique et ce, autant dans les pays en développement que dans les pays développés[4]. Or, très peu d’études portent sur les solutions anticorruption même si déjà à l’aube des années 2000, Rose-Ackerman (1999) incitait les chercheurs à trouver des solutions : « Les travaux empiriques multipays ont confirmé l’impact négatif de la corruption sur la croissance et la productivité, mais ces travaux sont d’une aide négligeable pour développer des stratégies anticorruption. » Cet appel ne semble pas avoir trouvé d’oreilles attentives puisqu’une décennie plus tard Yang (2008) écrit : « Il existe peu de résultats empiriques sur l’efficacité d’approches spécifiques pour améliorer l’efficience bureaucratique ou combattre la corruption. » Et plus récemment, Olken et Pande (2012) renchérissent : « [...] si le dirigeant d’une agence anticorruption devait nous demander quelle ligne de conduite propose la littérature économique afin de combattre la corruption, il semble que, au-delà de quelques principes économiques fondamentaux, nous aurions plus de questions à poser que de réponses concrètes à proposer. »
L’objectif principal de cet article consiste donc à effectuer une revue de la littérature sur la corruption en mettant l’accent sur les méthodes d’identification du phénomène et les solutions pour le combattre. Cette emphase se justifie par la rareté des études économiques, tant théoriques qu’empiriques, examinant l’impact d’instruments et de réformes anticorruption. En effet, si la littérature économique s’est penchée sur les mécanismes standards de contrôle de la corruption (salaire, pénalité, détection et procédures administratives), peu d’études portent sur les impacts d’autres types de réformes[5].
Plusieurs revues de littérature sur la corruption ont été effectuées au fil des années[6]. Étant donné l’existence de ces revues, quelle est la valeur ajoutée de celle-ci? Tout d’abord, le corpus de la littérature sur la corruption étant en constante expansion, il est nécessaire de refaire le point fréquemment. Deuxièmement, l’apport principal de cette revue de littérature est d’intégrer dans un cadre cohérent les résultats d’études récentes en mettant l’accent sur des suggestions de solutions pour lutter contre la corruption. En effet, il n’existe pas à ma connaissance d’étude réflétant l’état actuel de l’art et les limites du savoir sur les instruments et mécanismes de lutte contre la corruption. Finalement, étant donné que Jacquemet (2006) concentre sa revue sur la théorie microéconomique des incitatifs qui s’inscrit dans la tradition de la littérature sur les crimes initiée par Becker (1968), je m’attarde dans cet article sur d’autres pistes de solutions moins conventionnelles.
Il ressort d’une revue de la littérature plusieurs tendances. Premièrement, tel que mentionné ci-dessus, les chercheurs en économie se sont surtout attardés à décrire et quantifier les effets de la corruption. En particulier, l’appel à identifier et évaluer des programmes de lutte contre la corruption a été plusieurs fois lancé mais la réponse des chercheurs demeure plutôt timide. Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Les erreurs de mesure des études basées sur des indices de perception, ou sur des données microéconomiques, représentent un obstacle majeur pour suggérer des politiques économiques. Certaines études se contredisent, laissant supposer qu’il existe des problèmes de variables omises, de causalité inverse et de multicolinéarité qui demeurent irrésolus.
Deuxièmement, il existe peu d’études économiques qui s’intéressent à d’autres mécanismes de contrôle de la corruption que les instruments standards proposés par Becker (1968). La littérature est muette quant à l’analyse d’impact d’actions citoyennes, d’interventions mutlidisciplinaires et de changements technologiques favorisant la transparence. Aussi, il semble y avoir un potentiel important à fouiller plus à fond les origines et les causes de la corruption afin d’identifier des distorsions spécifiques et développer des solutions anticorruption sur mesure. D’ailleurs, des percées récentes quant aux moyens directs et indirects de mesurer la corruption, notamment grâce à des techniques de l’économie judiciaire, à des expériences en laboratoire ou à la construction de scénarios contrefactuels, suggèrent qu’il est possible d’analyser les effets de différentes solutions anticorruption.
Troisièmement, une question transversale à cette revue de littérature demeure sans réponse : pourquoi les membres de l’élite d’une économie corrompue seraient-ils intéressés à mettre en place des schèmes d’incitatifs et des stratégies de gouvernance qui leur seraient défavorables (Ostrom, 1998)? Dans cette question se résume l’impuissance actuelle des chercheurs et des décideurs de politiques à formuler des solutions anticorruption efficaces et durables. Il semble que le succès de la lutte contre la corruption passe avant tout par une volonté politique et ensuite par l’utilisation de mécanismes anticorruption, et que le succès des recherches à venir passera par une meilleure compréhension de l’interaction entre les normes informelles de corruption et la volonté de voir émerger un leadership éthique au sein des institutions formelles (North, 2006).
La structure de l’article va comme suit. Je présente, dans la première section, les solutions standards qui affectent la structure des incitatifs, notamment les approches légaliste et administrative. Étant donné que les réformes qui se limitent à contrôler la corruption grâce à ces outils n’ont eu qu’un succès limité parce qu’elles ne prennent pas en compte l’endogénéité de la qualité institutionnelle et les effets d’économie politique qui en résultent, la deuxième section examine la notion de qualité institutionnelle. La troisème section présente quatre solutions d’envergure qui ont été proposées pour améliorer la qualité des institutions, notamment la décentralisation, la compétition, les politiques d’aide au développement, et certains outils favorisant la transparence. Au fil des sections 1 à 3, je présente les nouvelles tendances et de nouvelles avenues de recherche pour évaluer et développer des stratégies anticorruption. La dernière section conclut.
1. Structure des incitatifs
Pour établir un système d’intégrité nationale, la corruption doit être perçue comme une activité de hauts risques à faibles rendements. À ce sujet, les mécanismes d’incitatifs du système bureaucratique ont un effet important sur le comportement de ses employés. Je passe tout d’abord en revue la littérature économique la plus standard sur les mécanismes de contrôle de la corruption proposés dans le cadre de l’approche légaliste de Becker (1968). J’examine ensuite des solutions associées à des procédures administratives. Dans les deux cas, étant donné que les revues de littératures précédentes se sont attardées largement sur ces sujets, je me concentre sur les contributions les plus récentes, tout en mentionnant les articles fondateurs.
1.1 Approche légaliste
Les solutions, qui découlent d’une approche légaliste à la Becker (1968), portent sur trois instruments : la rémunération, la pénalité et la détection. Tout d’abord, la rémunération des employés publics est un mécanisme de contrôle de la corruption mais aussi une source potentielle de distorsions. Étant donné que les agents économiques ont tendance à choisir l’emploi qui leur offre des retours croissants sur leur habileté, un gouvernement doit prendre en compte les distorsions qu’il crée lorsqu’il augmente les salaires de la fonction publique et détourne ainsi des agents talentueux qui auraient pu oeuvrer dans le secteur productif (Murphy et al., 1991). En effet, l’intervention gouvernementale est onéreuse, car elle retire des individus du secteur privé pour les employer dans des activités de supervision, tout en demeurant essentielle afin d’optimiser la répartition des ressources au sein des agents du secteur productif (Acemoglu et Verdier, 2000).
Besley et McLaren (1993) démontrent que le salaire efficient, offert aux employés de l’État, doit être plus élevé que leur salaire de réserve afin d’augmenter le coût d’opportunité d’être corrompu. Or, il a été démontré que l’augmentation du salaire efficient peut avoir des effets ambigus sur le niveau de corruption, et même avoir l’effet inverse à celui escompté (Sosa, 2004). En effet, le coût d’opportunité de perdre un emploi augmente avec le niveau du salaire qui lui est associé, ce qui a pour effet de diminuer le nombre d’actes de corruption au sein d’une administration. Cependant, il est possible qu’en parallèle, la taille des pots-de-vin, demandés par les agents irrémédiablement corrompus, augmente proportionnellement à l’augmentation de leur coût d’opportunité. Ainsi, le montant agrégé des pots-de-vin n’est pas nécessairement plus faible lorsque le niveau des salaires est plus élevé. Armantier et Boly (2011) confirment ces résultats théoriques grâce à des expériences en laboratoire[7].
Il existe un certain nombre d’études empiriques qui identifient un effet négatif des salaires publics sur la corruption. Toutefois, van Rijckeghem et Weder (2001) démontrent qu’une augmentation substantielle du salaire public est nécessaire lorsqu’il s’agit du seul outil utilisé pour combattre la corruption. Le salaire doit être utilisé conjointement avec d’autres instruments pour être efficace. Par exemple, Di Tella et Schargrodsky (2003), observent qu’une augmentation simultanée du salaire et des audits a un effet négatif non négligeable sur la corruption.
Une limite inhérente aux analyses empiriques sur le salaire public provient du fait que la variation salariale à travers les pays ou les secteurs d’une économie est toujours accompagnée de variations importantes d’autres facteurs institutionnels ou culturels. Pour contourner cet obstacle méthodologique, diverses approches sont en cours de développement[8]. Par exemple, Gorodnichenko et Sabirianova (2007) observent que les employés publics et privés en Ukraine ont un même niveau de consommation alors que les salaires publics sont de 24 % à 32 % plus faibles que la rémunération du secteur privé. Sur la base du modèle développé par ces auteurs, les employés publics combleraient cet écart grâce à des revenus illicites.
Abbink et Serra (2012) affirment qu’une approche expérimentale permet de varier le salaire relatif entre agents publics et autres membres de la société, dans un environnement contrôlé[9]. Si ces études expérimentales corroborent certains résultats empiriques, plusieurs questions restent en suspens. En particulier, par quel mécanisme une augmentation du salaire affecte-t-il la décision d’un bureaucrate d’être plus ou moins corrompu? D’une part, les tenants d’une approche punition-récompense supposent que c’est essentiellement le changement du coût d’opportunité qui influence le comportement de l’agent. D’autre part, Chand, Sheetal et Moene (1999) affirment que, lorsque les agents d’une économie sont persuadés que les salaires payés constituent une rémunération juste de leur travail, ils ont peu d’empathie pour un employé public qui tente d’augmenter son salaire avec des pots-de-vin. Donc, se pourrait-il, dans ce cas, que ce ne soit pas tant le salaire relatif, mais plutôt la perception de l’entourage quant à la justesse de ce salaire, qui influence la décision d’être corrompu? Ainsi, un bureaucrate prendrait-il en compte, en plus de son salaire, les normes informelles d’équité sociale lorsqu’il déciderait d’être corrompu?
Tel que mentionné ci-dessus, le salaire n’est qu’un des trois outils suggérés par Becker (1968). En effet, la probabilité qu’un individu commette un délit est aussi influencée par le risque d’être détecté et la pénalité encourue suite à la détection. Divers auteurs ont démontré qu’une augmentation de la pénalité semble une option moins onéreuse que celle de la détection, en limitant les coûts associés à la supervision. Cependant, ces résultats sont mitigés une fois que l’on prend en compte la possibilité d’erreur de la part de l’agence de surveillance, l’hétérogénéité dans le type des bureaucrates, etc.[10]. De plus, comme pour le salaire, une augmentation de la pénalité ou de la probabilité de détection génère un effet ambigu, dû à l’augmentation du coût d’opportunité des officiels irrémédiablement corruptibles. Au niveau empirique, plusieurs articles documentent l’effet négatif du niveau des pénalités sur la corruption[11]. Toutefois, peu d’études empiriques existent sur l’effet direct des audits, hormis Di Tella et Schargrodsky (2003) cités plus haut et les exceptions suivantes. Olken (2007) démontre qu’une augmentation de la probabilité d’audit de 4 % à 100 % réduit de 8 % les dépenses manquantes lors de projets de construction en Indonésie. Ferraz et Finan (2011) démontrent que la publication de résultats d’audits aléatoires a un effet important sur la (non)-réélection de plusieurs maires brésiliens et que les maires des municipalités brésiliennes soumis à la divulgation publique des audits s’approprient 27 % moins de ressources publiques que les maires qui ne sont pas soumis à ce type d’incitatif électoral.
Pour les trois outils de l’approche légaliste, l’analyse repose sur l’hypothèse qu’un employé public décide d’être corrompu en effectuant un calcul coût-bénéfice plutôt qu’en se questionnant sur les notions de bien ou de mal (Abbink et Serra, 2012). L’approche expérimentale apparaît comme une avenue intéressante pour identifier d’autres canaux par lesquels ces outils et leurs interactions affectent les décisions de corruption. Par exemple, Serra (2012) examine une approche de détection combinée, où un audit est déclenché par un client confronté à une demande de pot-de-vin. L’auteur démontre que cette approche combinée a un effet négatif plus important sur la corruption qu’une approche standard où la probabilité d’audit est simplement exogène. Ce résultat est particulièrement intéressant parce que la probabilité d’être détecté diminue dans l’approche combinée. Toutefois, le design de l’expérience ne permet pas d’expliquer ce résultat contre-intuitif et d’autres recherches sont nécessaires[12]. Berninghaus et al. (2013) démontrent que l’aversion au risque n’affecte pas la propension d’un individu à devenir corrompu, que les croyances sont un facteur beaucoup plus important que les attitudes liées au risque et que l’ambiguité quant au cadre réglementaire réduit la corruption. Ryvkin et Serra (2012) corroborent ces intuitions en démontrant qu’un agent, incertain à propos de la corruptibilité d’un partenaire, aura moins tendance à s’engager dans des actes de corruption. Or, quelles sont les stratégies anticorruption qui découlent de ce type de résultats? Abbink et Serra (2012) proposent, par exemple, de manipuler les croyances des employés publics, en exposant ces employés à des programmes de sensibilisation et en punissant de manière exemplaire les agents corrompus qui ont été détectés.
Encore une fois, plusieurs questions demeurent en suspens. Par exemple, pouvons-nous vraiment faire l’hypothèse que le lien entre le niveau de corruption et les efforts de détection est linéaire (Jain, 2001)? Quelles sont les différences entre les individus qui demeurent corrompus après une hausse de salaire et/ou de la punition anticipée, et les individus qui ont une réaction conforme aux prévisions de la théorie légaliste?
Si les incitatifs punition-récompense fournis pour un certain poste affectent les décisions de corruption des agents, diverses structures administratives peuvent aussi générer plus de transparence. De plus, l’approche traditionnelle salaire-pénalité-détection est utile en présence d’aléa moral, mais il existe des contextes administratifs où il est possible d’évaluer et influencer directement le comportement et la performance d’un agent. J’examine dans ce qui suit différentes solutions administratives pour lutter contre la corruption.
1.2 Approche administrative
La confusion découlant d’interprétations multiples ou d’un manque de transparence dans les lois et les procédures administratives peut mener à des pertes d’efficience importantes. En effet, l’inadéquation entre un objectif officiel du gouvernement et la manière dont cet objectif est mis en pratique génère des opportunités de corruption (Olken et Pande, 2006). Par exemple, Goyette (2013) estime, à l’aide d’un modèle structurel et de simulations, que l’inadéquation entre la stratégie de taxation légale de l’autorité fiscale ougandaise et son application effective génère une perte d’efficience annuelle allant jusqu’à 16 % de la productivité par travailleur[13]. De plus, l’ordonnancement des projets en termes de leur valeur sociale peut différer d’un ordonnancement basé sur les revenus de la corruption (Jain, 2001). Par exemple, Olken (2006) démontre qu’un programme indonésien de redistribution du riz n’est plus efficace après avoir pris en compte les effets de la corruption.
Une solution à cette confusion et aux abus qui en découlent consiste à réduire le nombre de lois, simplifier les procédures et la réglementation, et réduire les délais administratifs[14]. En effet, Djankov et al. (2002) démontrent qu’une fastidieuse réglementation pour le démarrage d’une entreprise est associée à un niveau de corruption élevé et un secteur informel plus important. Par exemple, de nombreux entrepreneurs limitent la taille de leur firme pour passer sous le radar des bureaucrates et des collecteurs d’impôt et se protéger contre une réglementation excessive (de Soto, 1989; Goyette, 2014). Or, ces décisions de production sous-optimales et individuelles génèrent un écart de productivité significatif entre les firmes des secteurs formel et informel (La Porta et Shleifer, 2011) et un manque à gagner important pour l’ensemble d’une économie (Goyette, 2013; Goyette et Gallipoli, 2015).
Lorsque la simplification des procédures et de la réglementation n’est pas possible, il existe des solutions alternatives. Abbink, Irlenbusch et Renner (2002) démontrent que plus la relation entre un agent et un corrupteur est courte et moins la mise en oeuvre d’un pacte de réciprocité est probable. La rotation du personnel apparait donc comme une solution pragmatique pour éviter le développement de relations corrompues de long terme. Une autre solution consiste à soumettre chaque décision administrative à plus d’un officiel à la fois (four-eyes principle). Schikora (2011b) démontre, en laboratoire, que ce type d’approche réduit la taille du pot-de-vin individuel. Toutefois, l’auteur note que le pot-de-vin agrégé est plus élevé qu’avec un seul employé. L’étude laisse la question suivante en suspens : pourquoi l’effet de groupe mène-t-il à un choix corrompu plutôt qu’à un choix honnête?
Un autre schème d’incitatifs est basé sur les clauses de clémence et les délateurs. Schikora (2011a) examine l’effet pervers des clauses de clémence qui, augmentant la probabilité de dénonciation et donc le coût d’opportunité des agents corrompus, peuvent en fait renforcer une collaboration illégale. Toutefois, cet effet indésirable peut être éliminé en utilisant des politiques de clémence asymétriques : la clémence devrait être accordée aux employés publics qui ont accepté un pot-de-vin sans livrer le service et qui ont ensuite dénoncé le client corrompu, ou aux clients qui ont reçu le service après avoir payé un pot-de-vin et qui ont ensuite dénoncé l’employé public corrompu. Toutefois, les recherches sur l’effet de la clémence et la dénonciation sont encore à un stade préliminaire (Abbink et Serra, 2012). En particulier, est-ce que la menace d’une dénonciation effectuée par des citoyens, comme dans le cas de Serra (2012), est efficace pour limiter les actes de corruption d’employés publics? Qu’en est-il lorsque le rapport de dénonciation est coûteux à produire pour le dénonciateur? Aussi, tel que mentionné précédemment, des recherches plus spécifiques sont nécessaires pour comprendre comment utiliser l’incertitude et manipuler l’information afin de réduire la corruption. Peut-être s’agit-il de comprendre comment les corrompus manipulent eux-mêmes l’information lorsqu’ils dissimulent leurs manigances? Par exemple, il semblerait que les fonctionnaires malhonnêtes dissimulent la corruption en gonflant les prix lors de l’évasion tarifaire (Javorcik et Narciso, 2008) ou en gonflant les quantités lors de dépenses publiques (Olken, 2007)[15]. Le contexte affecte donc le type d’information qui est manipulé pour détourner des fonds.
À ce sujet, une approche pour identifier les mécanismes de détournement de fonds publics, et les solutions qui en découlent, consiste à comparer des données officielles à des estimations indépendantes (Zitzewitz, 2012). Par exemple, Olken (2007) évalue les détournements de fonds lors de la construction de routes en Indonésie. L’auteur compare les factures officielles fournies par les représentants municipaux à des estimations effectuées par des ingénieurs indépendants, qui ont prélevé des échantillons de routes pour évaluer la quantité de matériel réellement utilisée. Au minimum, 20 % des dépenses auraient été falsifiées. Certaines solutions pour réduire les détournements de fonds ont été considérées dans le cadre de recherches sur l’absentéisme[16]. Un taux moyen d’absence de 19 % pour les enseignants et de 35 % pour les fournisseurs de soins médicaux est observé au Bangladesh, en Équateur, en Inde, en Indonésie, au Pérou et en Ouganda (Chaudhury et al., 2006). Pour remédier à ces absences, Duflo et al. (2012) démontrent qu’une surveillance par caméra et des incitatifs financiers peuvent être très efficaces. Chaudhury et al., (2006) proposent de faire usage des médias pour reporter le nom des prestataires de service qui sont absents.
Les articles cités jusqu’à maintenant suggèrent que la corruption ne survient qu’au sein d’échelons isolés dans une hiérarchie. Or, un des problèmes majeurs lors de l’élaboration de stratégies anticorruption est celui de la contamination hiérarchique due à une faible qualité institutionnelle. Sans une hiérarchie, convaincue jusqu’au faîte de sa structure, de l’utilité des réformes anticorruption, il n’y a guère à espérer de changements administratifs ou dans la structure des incitatifs. D’ailleurs, ces changements peuvent même renforcer le pouvoir discrétionnaire des individus tirant profit du système en place. La prochaine section examine ces questions.
2. Qualité des institutions
L’amélioration des institutions est tributaire de leur qualité, une tautologie à la source de l’inefficacité de plusieurs réformes. Par exemple, Cadot (1987) remarque que la probabilité d’être découvert et rapporté par un supérieur ou un collègue diminue avec une hausse du niveau de corruption dans une administration. En effet, si un agent est corruptible, pourquoi son superviseur ne le serait-il pas? De plus, Kahana et Qijun (2010) ajoutent que la corruption devient endémique lorsque les dirigeants d’une bureaucratie sont corruptibles à propos des procédures et critères d’avancement dans la hiérarchie. Ceci implique que la corruption hiérarchique comporte de multiples formes de corruption, notamment les corruptions bureaucratique et politique (Osipian, 2009)[17].
Les différentes solutions pour réduire la corruption hiérarchique, proposées dans la littérature, sont pour la plupart basées sur les instruments standards de contrôle de la corruption (salaire, pénalité, détection). Je réfère donc le lecteur intéressé à Mishra (2006) qui effectue une revue de cette littérature. Et, hormis les recherches sur la théorie de l’agence[18], les pistes de solutions concrètes pour contrer la corruption hiérarchique ne semblent pas avoir beaucoup évoluées depuis les années quatre-vingt-dix. Toutefois, de récents articles utilisant une approche expérimentale semblent prometteurs et j’y reviens en abordant des solutions liées à la décentralisation et à la compétition (voir plus bas).
Or, l’assainissement d’une hiérarchie corrompue passe par des réformes nettement plus dramatiques que celles énumérées par Mishra (2006). Deux éléments sont essentiels pour contribuer au succès de telles réformes. Premièrement, des moyens extraordinaires doivent être mis à la disposition d’un réformateur potentiel. Deuxièmement, celui-ci doit démontrer un leadership éthique et une volonté hors du commun. Je reviens sur les moyens extraordinaires plus loin lors de la discussion sur l’aide au développement et je discute de leadership éthique dans ce qui suit.
Selon Klitgaard (1998), tant qu’un pays ne s’est pas prévalu d’une vision de bonne gouvernance et d’un leadership éthique, les réformes anticorruption sont inutiles et ne peuvent pas être remplacées par des expédients politiques, tels que des commissions d’enquête, des agences d’éthique et l’élaboration de nouvelles lois et de nouveaux codes de conduite, qui ne servent qu’à réagir aux pressions du public. Or, la qualité des élus est tributaire de l’engagement des autres élus en plus de la structure des incitatifs. En effet, selon Caselli et Morelli (2004), les individus moins talentueux et malhonnêtes ont un avantage comparatif pour la politique car leur coût d’opportunité à devenir politicien est plus faible. Évidemment, les électeurs préfèrent des politiciens honnêtes et compétents. Toutefois, lorsque ces politiciens talentueux et honnêtes présentent leur candidature, motivés par le prestige de la profession, leur intérêt est mitigé par la présence de politiciens de mauvaise qualité qui affectent à la baisse la réputation de tous les politiciens. Certains pays se retrouvent alors dans une trappe de mauvaise gouvernance où seuls des individus de mauvaise qualité souhaitent entrer en politique, diminuant ainsi les chances de développer une culture d’intégrité nationale.
Il est certes possible d’imposer aux personnes en position d’influence des incitatifs semblables à ceux proposés dans les sections précédentes. De plus, la rédaction de rapports décrivant les revenus, les biens et les dettes des élus forcera ces derniers à une certaine cohérence dans la rédaction de rapports subséquents (Bertot et al., 2010). À ces pressions peuvent s’en ajouter d’autres d’ordre international. Par exemple, Jain (2001) propose d’isoler et pénaliser les pays qui protègent les revenus de la corruption et de l’évasion fiscale.
Cependant, un leadership éthique ne peut pas être imposé de manière exogène, et les outils pour combattre la corruption bureaucratique tels que le salaire, la détection et les pénalités, ne sont pas aussi efficaces pour combattre la corruption politique[19]. Toutefois, peu d’études en économie portent sur l’origine et l’impact du leadership[20]. Or, est-il possible de former des leaders honnêtes au sein d’une économie où les normes en place incitent à la corruption[21]? Différentes études suggèrent que l’exemple des élus affecte le comportement de leurs subalternes et des électeurs (Tanzi, 1998), sans toutefois proposer de mécanismes pour analyser cette relation, ni celle qui va en sens inverse : de quelle manière les perceptions et les normes de corruption acquises affectent-elles les comportements des élus? De plus, nos connaissances sont limitées au sujet des mécanismes par lesquels les normes se transmettent de génération en génération. En effet, il est essentiel à ce stade de comprendre le processus de légitimisation de la corruption pour pouvoir enrayer le phénomène.
Et donc, si les élus et les employés de l’État sont affectés par les normes déjà en place avant leur arrivée en poste, il importe aussi de s’interroger sur les différents types d’institutions et idéologies qui peuvent faciliter ou réduire la corruption. Plusieurs auteurs arguent que des institutions démocratiques favorisent l’émergence de mécanismes de transparence et de comptabilité, qui diminuent la viabilité des réseaux de corruption à long terme (Shleifer et Vishny, 1993; Bardhan, 1997). Toutefois, l’effet du régime idéologique sur la corruption n’est pas aussi tranché que certains ne le prétendent. Kaufmann (1998) démontre que la corrélation entre l’idéologie d’un régime et le niveau de corruption est nulle. De La Croix et Delavallade (2011) ajoutent que ce n’est pas tant le type d’institutions qui compte mais leur qualité. Par exemple, l’Inde est la plus grande démocratie en termes démographiques mais figure régulièrement parmi les pays les plus corrompus de la planète. Or, au-delà des guerres idéologiques quant à la perfomance relative de certains systèmes, est-il possible d’identifier ce qui détermine la qualité d’une institution?
Tout d’abord, les institutions démocratiques ne sont pas garantes de probité. Si la qualité individuelle des politiciens affecte celle du gouvernement, la qualité du système électoral est aussi très importante[22], car l’alternance politique mène à une importante contradiction interne des démocraties. Certes, l’alternance politique responsabilise les politiciens en poste qui veulent être réélus, mais les politiciens d’une démocratie ne se soucient pas suffisament de l’efficience économique et du bien-être social, parce qu’ils sont potentiellement captifs de groupes d’intérêt pouvant les aider à se faire réélire (Aidt, 2003). Peut-on identifier les mécanismes qui réduisent ces comportements stratégiques? En particulier, comment peut-on réduire le financement illégal de partis politiques par des firmes, qui cherchent à obtenir des avantages grâce à leurs contacts politiques et administratifs? À ce sujet, une littérature en expansion examine les liens entre les politiciens et les firmes. Par exemple, sur la base de plus de 20 000 firmes dans 47 pays, Faccio (2006) démontre que, dans les pays avec un niveau de corruption au-dessus de la médiane, la valeur d’une action d’une firme augmente d’environ 4 % lorsqu’un actionnaire important devient politicien[23].
Or, bien que les institutions démocratiques sont perçues comme un idéal à atteindre, notons que certains États autocratiques sont parvenus à enrayer la corruption au sein de leurs institutions. Singapour est souvent cité en exemple[24]. À notre époque, la Chine constitue un laboratoire idéal pour étudier le lien entre la corruption et les institutions politiques puisque de nombreuses transformations surviennent dans ce pays, allant de mesures anticorruption à des opérations de décentralisation importantes en passant par des mesures de contrôle de l’information (Hasan et al., 2009). Peut-être y a-t-il dans ces exemples provenant des pays non démocratiques quelques leçons à tirer pour façonner des institutions qui générent et pérénnisent la prospérité?
Tout comme les institutions politiques, les institutions juridiques d’un État ont aussi une influence décisive sur les comportements de corruption des agents privés et des bureaucrates. Plusieurs études démontrent que l’origine du système légal a une forte influence sur la qualité des institutions[25]. Toutefois, ces études n’examinent pas les déterminants spécifiques de la qualité des différents systèmes juridiques au-delà de leur origine coloniale.
À ce stade, plusieurs questions s’imposent. De quelles manières réforme-t-on un système politique et/ou juridique enclin à la corruption? Et avant de procéder à des changements institutionnels, est-on persuadé que l’environnement culturel permettra que de tels changements réduisent la corruption? Par exemple, Persson et al. (2003) notent que le passage d’un système électoral proportionnel vers un système à majorité stricte a un effet faiblement négatif sur la corruption. Se pourrait-il que ce passage vers un système à majorité stricte ne réduise pas immédiatement la corruption dans un environnement où les normes ont été établies en fonction d’un système à représentation proportionnelle? Quelques études démontrent qu’il existe une interdépendance de longue durée entre la corruption et l’inefficience des institutions juridiques (Herzfeld et Weiss, 2003) et politiques (Goyette, 2010). Selon ces auteurs, toute réforme anticorruption des institutions doit prendre en compte le fait que les principaux acteurs, chargés de mettre en oeuvre ce changement, les subissent en même temps, provoquant inévitablement des réticences à implanter cette réforme.
Sur l’ensemble du spectre idéologique, tant en politique que sur plan juridique, le dénominateur commun d’un État est ce que le philosophe Thomas Hobbes a décrit comme le monopole de la violence. Or, très peu d’études économiques se sont intéressées à la relation entre les forces de l’ordre et la corruption[26] et ce, même si de nombreux scandales et réformes, qui ont eu lieu au sein des corps de police et de gendarmerie de divers pays (dont certains pays développés), sont des sources potentielles de données inexploitées (Punch, 2003).
À l’instar des institutions politiques et juridiques, un lien de causalité inversée est présent lors de l’analyse de la relation entre la corruption et les forces de l’ordre. D’une part, les forces de l’ordre sont sujettes à la corruption comme n’importe quel autre organe bureaucratique servant le public. D’autre part, le démantèlement de certains réseaux de corruption (ex. le financement de partis, le clientélisme et la collusion d’entreprises privées) se fait à l’aide de ressources policières, semblables à celles utilisées contre le crime organisé[27].
Or, les comportements malhonnêtes de la part de policiers ou gendarmes réduisent la légitimité des forces de l’ordre et par la bande, celle de l’État (Punch, 2003). De plus, les actes de corruption perpétrés par les forces policières constituent une menace d’un ordre plus inquiétant pour le public que les actes corrompus des bureaucrates. Hunt (2007) observe que, plus des individus sont vulnérables et désespérés, et plus ils ont recours à la corruption, notamment auprès des policiers. L’auteur explique que le pouvoir coercitif des policiers leur permet d’extorquer ces victimes qui n’ont aucun autre recours. Olken et Barron (2007), cités ci-haut, présentent des preuves d’extorsion en Indonésie où les camionneurs sont forcés de payer des amendes même s’ils n’ont pas enfreint la loi[28].
Newburn et Webb (1999) et Punch (2003) proposent différentes mesures et pratiques qui ont contribué au succès des réformes dans la police aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. L’approche expérimentale apparaît comme une avenue intéressante pour examiner l’effet de ces pratiques sur les comportements d’extorsion qui peuvent découler du pouvoir discrétionnaire des policiers ou d’autres employés publics.
En bref, il ressort d’une revue de la littérature que les politiques visant l’amélioration de la qualité des institutions sont tributaires de la qualité de ces mêmes institutions. J’examine dans la prochaine section diverses solutions institutionnelles d’envergure qui ont été mises en application pour améliorer la qualité des institutions et réduire la corruption.
3. Solutions institutionnelles
Trois solutions sont souvent proposées pour rompre le lien de double causalité entre la corruption et des institutions réformatrices : la décentralisation, la compétition et l’implantation de mécanismes favorisant la transparence. De plus, la mise en place de ces solutions est souvent utilisée comme une condition préalable à l’octroi de sommes d’aide internationale. Je discute donc aussi de cette quatrième solution, beaucoup plus générale, qui est souvent en lien avec l’une ou l’ensemble des trois autres solutions institutionelles.
3.1 Décentralisation et compétition
Tel que présenté à la section précédente, nous avons vu que la corruption réduit l’efficacité du gouvernement dans ses rôles fondamentaux de maintien des libertés politiques et juridiques, et de maintien de l’ordre. Selon Mauro (1995), les conflits entre groupes sociaux (ethniques, religieux, politiques, etc.) génèrent cette instabilité politique et institutionnelle, favorable à la corruption. D’ailleurs, de nombreuses études ont démontrées que les sociétés plus hétérogènes ont tendance à exhiber un niveau de corruption plus élevé[29]. Selon Shleifer et Vishny (1993), ceci expliquerait la relation en U-inversé entre la décentralisation et la corruption. Tout d’abord, l’incidence réelle de la corruption augmente avec une augmentation de la décentralisation parce que l’État perd le contrôle sur ses employés ou parce que l’implication du gouvernement dans le processus de libéralisation génère des opportunités de corruption. Ensuite, la corruption a tendance à diminuer grâce à la compétition entre les agents décentralisés qui délivrent un même bien/service (Drugov, 2010).
Au niveau empirique, les preuves quant aux effets de la décentralisation sont mitigées[30]. Par exemple, Olken et Barron (2007) démontrent que les politiques de décentralisation et de réduction des barrages policiers de l’île de Sumatra ont eu un effet inverse à celui escompté. Les postes de contrôle restants après la mise en oeuvre de ces politiques fixaient leurs prix à la hausse comme des monopoles isolés. Besley, Pande, et Rao (2012) démontrent que les élus locaux dans le Sud de l’Inde ont plus de chance, relativement aux autres citoyens, d’être bénéficiaires d’un programme de transferts et que le village du chef des élus est plus susceptible d’avoir accès à des biens et services publics que les autres villages.
Ces résultats empiriques indiquent que le succès d’une initiative de réduction de la corruption par le biais d’une décentralisation est étroitement lié au contexte sous étude (décentralisation budgétaire, fiscale, des dépenses, etc.). De plus, le type de tâches administratives qu’on cherche à décentraliser détermine la direction du changement et peut-être même l’ampleur des comportements de corruption qui en découlent.
Il semble donc important, lors de l’élaboration de politiques anticorruption, de considérer non seulement les interactions verticales entre un principal et un agent mais aussi les interactions stratégiques horizontales, entre agents de même type et plus particulièrement entre bureaucrates ou entre firmes[31]. L’exacerbation de la compétition entre agents de même type est une solution souvent proposée pour limiter la corruption. Or, Bliss et Tella (1997) suggèrent la présence d’un effet potentiellement pervers lors d’une exacerbation de la compétition entre firmes. Dans ce cas, les bureaucrates peuvent forcer les firmes les plus inefficientes à quitter le marché–exacerbant ainsi le degré de compétition–, en extrayant une rente des firmes sous leur contrôle. Ceci rehausse la profitabilité des firmes demeurant sur le marché et permet aux bureaucrates d’augmenter la taille des pots-de-vin demandés–exacerbant ainsi le niveau de corruption. D’ailleurs, Haber et Perotti (2007) soulignent que ce type de barrières à l’entrée tend à protéger les intérêts d’une élite corrompue qui souhaite garder mainmise sur un secteur lucratif en évitant l’entrée de compétiteurs innovants.
En ce qui a trait à la compétition entre les employés d’État, les études qui en font cas sont rares. Drugov (2010) trouve que les effets des pénalités et de la détection sont exacerbés par la compétition entre bureaucrates, car les bénéfices des transactions corrompues sont alors plus petits et plus faciles à éliminer. Il semble donc pertinent de chercher à identifier les structures institutionnelles qui réduisent l’effet agrégé des actes de corruption perpétrés par des employés d’État. Existe-t-il des structures où les bénéfices d’une compétition entre bureaucrates pour fournir un même service sont plus élevés que les coûts associés à la multiplication des salaires? Selon Shleifer et Vishny (1993) et Aidt (2003), tout dépend de la séquence des décisions et de la complémentarité entre les bureaucrates[32].
Au niveau empirique, plusieurs études démontrent que l’ouverture commerciale réduit la corruption en exacerbant la compétition[33]. Toutefois, Knack et Azfar (2003) indiquent que les études qui trouvent un lien positif entre l’ouverture commerciale et une bonne gouvernance, souffrent d’un biais de sélection. En effet, les indices de corruption, qui datent d’avant 2003, portent sur les pays où les investisseurs internationaux avaient des intérêts, c.est-à-dire les nations développées et bien gouvernées. Toutefois, Pieroni et d’Agostino (2013) arguent qu’une fois le degré de développement d’un pays pris en compte, la compétition semble toujours avoir un effet négatif sur la corruption. Caselli et Michaels (2013) démontrent que les découvertes de nouvelles rentes provenant de ressources naturelles au Brésil provoquent une diminution de la compétition et une augmentation de la corruption. En particulier, les rentes provenant d’abondantes ressources pétrolières sont dissipées au cours des investissements publics effectués par les instances administratives locales.
Je n’ai pas recensé d’études démontrant qu’une hausse de la compétition entre firmes favorisait la corruption au sens de Bliss et Tella (1997). Toutefois, il est fort possible qu’à l’instar des effets de la rémunération et des pénalités sur le coût d’opportunité, la compétition génère des effets qui se contrebalancent au niveau macroéconomique et donc, difficiles à identifier de manière empirique.
En bref, aucun mécanisme, pouvant expliquer le lien entre la compétition, la décentralisation et la corruption, ne ressort clairement des études existantes ce qui réduit la possibilité d’émettre des énoncés de politiques fiables et précis. Encore une fois, l’approche expérimentale semble intéressante pour identifier certaines solutions plus précisément. Par exemple, Drugov, Hamman et Serra (2011) examinent le rôle des intermédiaires pour faciliter des transactions de corruption. Les auteurs démontrent qu’un intermédiaire réduit non seulement l’incertitude liée à ces transactions, mais aussi le coût psychologique/moral du corrupteur et du corrompu. Ces résultats remettent en question, par exemple, l’utilisation d’intermédiaires lors de la fourniture de biens et services publics. Les résultats de Drugov, Hamman et Serra (2011) permettent aussi de démontrer que l’utilisation d’intermédiaires affecte à la baisse le degré de transparence des transactions effectuées par des employés d’État. Or, la transparence est probablement une des composantes les plus importantes d’un système d’intégrité nationale.
3.2 Outils de transparence
La transparence et l’accès à l’information n’impliquent pas nécessairement l’utilisation immédiate des informations sur les transactions, les gestes posés et les décisions prises par les employés de l’État, mais forcent à plus de cohérence, puisque ces informations sont archivées et peuvent être vérifiées subséquemment[34]. Selon Bertot, Jaeger et Grimes (2010), la transparence gouvernementale est mise en place grâce à quatre moyens : 1) une dissémination active par le gouvernement; 2) une divulgation des informations imposée au gouvernement; 3) des rencontres publiques; et 4) des fuites d’information grâce à des délateurs. J’examine dans ce qui suit différents mécanismes qui servent un ou plusieurs des quatre moyens mentionnés par Bertot, Jaeger et Grimes (2010) : les agences de surveillance, l’accès à l’information et la liberté de presse, l’éducation, les initiatives citoyennes et les technologies.
Tout d’abord, les institutions d’audit indépendantes agissent comme chiens de garde face aux responsables politiques, financiers et comptables des administrations publiques, et elles assurent la crédibilité des informations véhiculées par les rapports d’État. Même si de nombreuses agences et commissions anticorruption ont vu le jour dans divers pays à différentes époques, il n’existe pas d’études économiques qui examinent systématiquement leur impact. Deux exemples de succès sont régulièrement cités dans la littérature : les réformes de la police de Hong Kong en 1970 et celles de l’administration douanière à Singapour durant les années soixante. Svensson (2005) indique que ces administrations portaient en elles les conditions gagnantes à leur réussite : augmentation substantielle des salaires publics, rotation des officiels, un leadership éthique, etc. De plus, les agences indépendantes semblent avoir un effet positif seulement dans les pays où la gouvernance est bonne. Sinon, les agences sont peu crédibles et peuvent même servir à la capture de rentes (Meagher, 2005). Par exemple, selon Lawson (2009), une comparaison des commissions anticorruption du Kenya et du Nigéria permet de démontrer que la commission du Nigéria a eu plus d’impact grâce au pouvoir indépendant de ses dirigeants.
Aussi, une certaine vigilance semble nécessaire afin de faire perdurer les effets positifs d’une commission anticorruption. Par exemple, la nécessité d’une commission anticorruption semble survenir à peu près à tous les quarts de siècle au Québec[35]. Au cours des années cinquante, la commission Salvas dévoilait des scandales liés au secteur de la construction et au financement des partis. Vingt-cinq ans plus tard, la commission Cliche fut mise en place sur la base d’allégations de corruption et d’intimidation dans le secteur de la construction. Or, depuis 2011, le Québec est de nouveau secoué par de nombreux scandales de corruption, encore une fois liés au secteur de la construction et au financement des partis politiques. Ces scandales sont dévoilés cette fois-ci dans le cadre de la commission Charbonneau.
Cette récurrence laisse supposer que les acteurs des réseaux de corruption parviennent à s’ajuster aux changements mis en place suite à une commission et des réformes anticorruption. Comment, et en combien de temps? Quelle est la durée des effets d’une commission et des réformes anticorruption? D’ailleurs, la plupart des recherches examinent les effets de court terme des politiques anticorruption. Or, on peut s’attendre, à long terme, à une substitution entre les types de corruption. Par exemple, Olken (2007) démontre qu’une augmentation des audits en Indonésie a diminué les dépenses de construction manquantes mais en contrepartie, il y a eu une augmentation des embauches des membres des familles de bureaucrates travaillant sur les projets de construction.
Aussi, il est à noter que sans le travail acharné de journalistes d’investigation, certaines commissions d’enquête, telles que la commission Charbonneau au Québec, n’auraient jamais été déclenchées. Des mécanismes favorisant l’accès à l’information et la liberté de presse doivent assurer l’indépendance des médias face au pouvoir en place.
Plusieurs articles démontrent que les pays, où l’information est plus facile d’accès et la liberté de presse est plus importante, sont moins corrompus[36]. Par exemple, Peisakhin et Pinto (2010) démontrent qu’une loi sur la liberté d’accès à l’information en Inde est quasiment aussi efficace que la corruption pour permettre aux pauvres d’accéder aux services publics[37].
Pour lutter efficacement contre la corruption, l’accès à l’information et la liberté de presse ne sont cependant pas suffisants et l’éducation est un complément essentiel pour développer une stratégie anticorruption efficace. En effet, l’éducation a un effet négatif sur la corruption dans un contexte de transparence. Dans ce cas, des citoyens plus éduqués sont plus aptes à détecter les élus corrompus et plus enclins à ne pas les réélire. Cependant, si les autres mécanismes de transparence ne sont pas en place, l’effet de l’éducation sur la corruption peut être ambigu. Par exemple, Eicher, Garca-Peñalosa et van Ypersele (2009) développent un modèle où, tout en augmentant la probabilité d’identifier les dirigeants corrompus, l’augmentation du niveau d’éducation augmente la productivité des citoyens, générant du coup une augmentation des rentes potentielles pour les dirigeants corrompus.
Au niveau empirique, Svensson (2005) démontre que la corrélation entre corruption et éducation est négative. Or, le lien de causalité entre ces deux variables est difficile à identifier puisque ces deux variables sont étroitement liées à la qualité des institutions d’un pays, contaminant nécessairement toute stratégie d’identification basée sur les institutions. Ainsi, il n’existe pas, à ma connaissance, d’études empiriques macroéconomiques qui documentent l’effet causal de l’éducation sur la corruption ou vice-versa. Néanmoins, au niveau microéconomique, Glaeser et Saks (2006) instrumentent l’éducation à l’aide du nombre d’églises congrégationalistes par État américain pour identifier le lien de causalité entre l’éducation et la corruption[38]. Selon leurs résultats, la corrélation entre le développement et la bonne gouvernance survient parce que l’éducation améliore les institutions politiques. Or, Ferraz, Finan et Moreira (2012) rétorquent que le lien de causalité inverse existe aussi et démontrent que les étudiants des municipalités brésiliennes, où les administrateurs publics détournent les fonds destinés à l’éducation, performent moins bien lors de tests standardisés.
Aussi, l’accès à l’information et l’éducation permettent d’organiser des changements anticorruption par le canal des actions citoyennes. D’ailleurs, au cours des dernières années, d’importants mouvements sociaux ont été facilités par à un accès accru à l’information, notamment grâce aux réseaux sociaux et à des initiatives indépendantes sur le web.
En effet, les changements sociaux et les mouvements citoyens sont perçus comme des moyens de réformer les institutions et de cultiver l’idée d’une société basée sur la loi (Bertot, Jaeger et Grimes, 2010). Bardhan et Mookherjee (2006) suggèrent qu’une gouvernance locale et décentralisée contribue à diminuer la corruption en brisant le monopole du gouvernement central et en permettant aux citoyens de participer aux décisions publiques. Néanmoins, il existe des tensions inévitables entre l’efficience informationnelle de petites institutions locales, qui réconcilient équité et efficience, et la capture de ces acteurs locaux par des groupes d’intérêt (Bardhan, 1990). Or, peu d’études économiques documentent l’impact d’initiatives civiles et leur interaction avec les groupes d’intérêt alors qu’il ne manque pas d’initiatives sur le terrain.
Plusieurs projets citoyens ont été mis en branle au cours des dernières années. Par exemple, l’organisme Better than Cash aide les gouvernements qui veulent utiliser des paiements électroniques pour diminuer la corruption. Open Bank, Open Government et Open Budget proposent plus de transparence au sein des institutions financières et gouvernementales en mettant en ligne les transactions de ces instances. Le pacte d’intégrité de Transparency International engage à la transparence les administrations publiques et les candidats aux appels d’offre de contrats publics. L’analyse et la quantification de l’impact de ces initiatives constituent de potentielles contributions à la littérature économique.
Notons que la plupart de ces initiatives découlent de la disponibilité et tirent profit des innovations technologiques. En effet, des études indiquent que l’innovation technologique au sein des médias de masse affecte positivement le comportement d’un gouvernement. Par exemple, Strömberg (2004) examine l’impact de l’introduction de la radio dans les États américains entre 1920 et 1940 et observe un effet positif sur la livraison de redevances d’assurance chômage. Andersen et al. (2011) démontrent que l’introduction d’Internet a permis de réduire la corruption dans les États américains et à travers le monde.
Selon Bertot, Jaeger et Grimes (2010), la fiscalité et l’octroi de contrats publics sont des dimensions gouvernementales où les outils électroniques et le partage d’information peuvent être particulièrement efficaces. Par exemple, des études, portant sur l’évasion fiscale et douanière, démontrent l’utilité de partager l’information disponible et suggèrent que l’utilisation de systèmes informatisés pourrait être bénéfique. Par exemple, Gauthier et Goyette (2014) construisent une mesure d’obligations fiscales à partir du code fiscal ougandais et de caractéristiques des firmes ougandaises, qu’ils comparent aux montants de taxes que ces firmes ont déclarés lors d’une enquête effectuée par la Banque mondiale. Ces auteurs démontrent qu’une augmentation de 1 % du pot-de-vin moyen payé par les entrepreneurs permet de réduire les taxes payées de 7 %. Ainsi, une diminution des contacts entre les entrepreneurs et les inspecteurs d’impôt, grâce à un système informatisé pour collecter les taxes, peut réduire la corruption et l’évasion fiscale. D’ailleurs, l’administration fiscale de certains pays (en Ouganda et au Pakistan, notamment) a été revue en ce sens et avec succès[39].
Au sujet des contrats gouvernementaux, Bertot, Jaeger et Grimes (2010) rapportent plusieurs exemples d’initiatives récentes. En Inde, la mise en ligne des archives de propriétés rurales a permis de réduire le temps d’attente pour accéder et modifier ces registres. Les charges, qui consistaient en un pot-de-vin moyen de 100 rupees avant la mise en place du registre foncier életronique Bhoomi, sont de 2 rupees depuis. Aux Philippines, au Chili et en Corée du Sud, des systèmes électroniques ont été mis en place afin de rendre publiques les enchères pour des contrats gouvernementaux. Le gouvernement américain a développé plusieurs sites pour favoriser la transparence au sujet des dépenses gouvernementales[40]. D’ailleurs, certains de ces sites permettent de suivre le cheminement d’une requête, d’une ressource ou d’un service. Tous ces exemples constituent des sources de données facilement accessibles et fort utiles pour accroître notre compréhension de l’interaction entre la technologie, l’accès à l’information, la gestion de cette information et les comportements de corruption.
Or, les technologies de l’information peuvent aussi desservir le citoyen[41]. Un problème est celui du surplus d’information disponible, et la crédibilité des sources et des analyses. Aussi, Bertot, Jaeger et Grimes (2010) notent que les technologies de l’information peuvent favoriser les employés d’État qui savent s’en servir. Finalement, les efforts pour introduire les technologies de l’information peuvent être atténués par la résistance au changement des employés de l’État : Heeks (2005) cite l’exemple du Cameroun à ce sujet. Ces effets indésirables laissent supposer que la relation entre l’innovation technologique et la corruption n’est pas nécessairement linéaire. Or, quels sont les déterminants de cette relation? Et de manière plus large, comment les outils de transparence peuvent-ils être utilisés pour proposer des stratégies anticorruption?
3.3 Aide au développement
Les conditions d’octroi d’aide internationale sont souvent fondées sur des politiques visant l’amélioration de la qualité institutionnelle. Or, Rajan et Subramanian (2008) notent que l’aide internationale ne semble pas réduire la corruption. Au contraire, un niveau d’aide élevé semble associé à une diminution des efforts pour prélever des taxes (Bräutigam et Knack, 2004) et une érosion de la qualité de la gouvernance à long terme (Djankov et al., 2008). À l’inverse, Tavares (2003), et Doucouliagos et Paldam (2008) affirment que l’aide internationale diminue la corruption, améliore la qualité des institutions et favorise la croissance économique.
Les avis sont donc partagés quant à la stratégie à adopter lors de l’utilisation de fonds internationaux pour effectuer des réformes anticorruption. Deux approches sont proposées pour utiliser l’aide internationale, l’une incrémentale et l’autre de type Big Push. Si ces deux approches procèdent de manière opposée, elles ne sont pourtant pas incompatibles et pourraient être utilisées de manière complémentaire.
D’une part, Grindle (2013) argue en faveur d’une « analyse de la prochaine étape » plutôt qu’une approche Big Push trop ambitieuse. À ce sujet, Philip (2008) affirme qu’au cours de l’élaboration de réformes anticorruption, une définition de la corruption devrait être adaptée au contexte local, et Klitgaard (1991) suggère d’intégrer dans un plan de développement une stratégie anticorruption à chaque niveau d’intervention. Olken et Pande (2012) ajoutent des considérations d’ordre économique, notamment la prise en compte de la structure du marché des pots-de-vin, pour effectuer le design de politiques anticorruption. Or, il existe peu d’études pour vérifier la validité de ces suggestions. Seul Marquette (2011) semble faire exception. Cet auteur examine la stratégie décentralisée de certains donateurs en Afghanistan qui, à travers le Performance Based Governors’ Fund, encouragent les seigneurs de guerre à mener leurs affaires administratives avec intégrité, utilisant une approche de long terme, réaliste et indirecte plutôt qu’une réforme anticorruption directe.
Dans cette même logique de l’approche incrémentale, Banerjee, Mullainathan et Hanna (2012) proposent de concentrer désormais l’attention des chercheurs et des décideurs politiques sur la tâche qui mène à un acte de corruption plutôt que sur l’acte. Selon ces auteurs, la réponse optimale pour enrayer certains actes de corruption consiste à changer la nature de la tâche du bureaucrate. Si cela ne réduit pas nécessairement la corruption, arguent ces auteurs, au moins peut-être cela génère-t-il une meilleure répartition des ressources? Aussi, réorienter le focus sur la tâche devant être accomplie plutôt que sur le montant du pot-de-vin transigé permet de quantifier plus facilement la corruption. Par exemple, il est plus facile de constater l’engorgement de patients en attente pour les lits d’un hôpital que d’identifier les revenus illicites qu’empoche un bureaucrate, en fixant le nombre de lits disponibles dans cet hôpital[42].
D’autre part, certains économistes, notamment Collier (2006), affirment qu’une transformation radicale et complète des institutions corrompues est nécessaire pour éliminer la corruption, un choc si important qu’on pourrait le comparer au fameux BigPush, préconisé par Rosenstein-Rodan (1943). Les effets d’un Big Push sont certes difficiles à cerner[43], mais Rothstein (2011) argue qu’une telle approche a permis d’éradiquer la corruption en Suède au dix-neuvième siècle. L’un des arguments avancés par les tenants du Big Push est que de telles interventions génèrent des dividendes multiples. En effet, le but de ces interventions est généralement d’atteindre plusieurs objectifs à la fois grâce aux complémentarités entre les différentes dimensions du développement. Or, l’analyse d’une approche à dividendes multiples pour réduire indirectement la corruption semble délaissée dans la littérature[44]. Notons que les propositions de politique à dividendes multiples reposent sur la base de corrélations entre la corruption et un autre enjeu (informalité, évasion fiscale, inégalités, etc.). Toutefois, en transformant les règles pour s’en prendre à un de ces enjeux, d’autres opportunités de corruption peuvent être générées. Les liens complexes entre les différentes dimensions socioéconomiques qui sont affectées par une intervention de grande échelle méritent d’être approfondis. En particulier, l’analyse des effets d’un Big Push est inévitablement limitée par la compréhension et l’inclusion des effets d’équilibre général et d’économie politique qui surviennent lors d’une intervention de grande envergure. Ceci limite donc l’utilisation d’outils économétriques standards pour examiner ce type de solutions. Une approche par simulations semble appropriée dans ce cas, permettant l’analyse de divers scénarios contrefactuels.
Conclusion
Une limite inhérente aux solutions proposées dans cette revue de littérature, est la possibilité que les dirigeants d’un pays n’aient aucun intérêt à changer des pratiques qui leurs sont favorables. D’ailleurs, ces solutions ne peuvent jouer un rôle décisif dans la diminution de la corruption si la volonté, les normes et la culture d’une société ne sont pas propices à un tel changement.
Et donc, l’enjeu actuel en recherche sur la corruption est d’identifier les mécanismes qui entrainent une économie vers un équilibre où la corruption devient la norme. Selon Banerjee, Mullainathan et Hanna (2012), il faut caractériser le processus de légitimisation culturelle de la corruption. À ce sujet, Tirole (1996) démontre qu’une culture de corruption peut s’installer en une seule génération au sein d’une population alors qu’il faut un effort soutenu sur plusieurs générations pour se débarrasser de normes malhonnêtes. De plus, la persistance des normes informelles de corruption s’explique paradoxalement par la destruction du capital social d’une économie et des relations de confiance inhérentes à des institutions de qualité (Rothstein et Eek, 2009) et parce que le bénéfice d’être corrompu est directement relié à la proportion d’individus corrompus au sein d’une économie (Andvig et Moene, 1990).
L’existence d’équilibres multiples est donc un aspect incontournable lors de l’analyse de solutions anticorruption. Acemoglu (1995) précise que l’émergence d’un équilibre sociétal vertueux ou vicieux dépend de la détermination simultanée de la structure des incitatifs et de la répartition du talent au sein d’une économie. Ainsi, dans une économie où la capture de rentes fait partie des moeurs, il semble préférable pour un individu talentueux de se conformer à ce type de comportement pour maximiser ses revenus. Les individus talentueux prennent alors contrôle de la structure des incitatifs, ce qui génère un cercle vicieux. Au contraire, lorsque la structure des incitatifs est telle que la corruption est une activité de hauts risques à faibles rendements, les individus talentueux sont plutôt incités à effectuer des tâches productives (Murphy et al., 1991). Or, peu d’études empiriques portent sur l’interaction entre la corruption et la répartition du talent, et encore moins sur les solutions qui pourraient émerger des théories sur les équilibres multiples.
En termes de recherches futures, il s’agit donc de répondre à l’appel d’Acemoglu (2009) et d’identifier les mécanismes qui assurent la pérennité d’institutions de qualité et génératrices de prospérité. Le problème en est un d’économie politique, car une société ne peut pas espérer demeurer dans un état de prospérité à long terme tant qu’une élite use de moyens de corruption, de népotisme ou de lobbying illégal pour asseoir et renforcer son pouvoir. Il semble que l’approche incrémentale ou celle basée sur l’action collective soient appropriées et complémentaires pour développer des stratégies anticorruption et afin d’éviter la capture des pouvoirs par une élite corrompue.
En effet, l’approche incrémentale sert à identifier et enrayer les mécanismes spécifiques qui permettent aux individus talentueux de consolider leur position à la tête d’une économie, tout en gardant à l’esprit que la théorie de l’agence fait l’hypothèse que le principal n’est pas corruptible (Rothstein, 2011). De plus, il s’agit de reconnaître que l’élaboration de la structure des incitatifs est en soi un problème d’action collective qu’une société dominée par des agents corrompus n’est pas à même de résoudre (Persson et al., 2013). Ainsi, les theories d’économie politique sont généralement incomplètes pour servir de guide dans le choix des règles à suivre lors de réformes anticorruption. Entre autres, il n’est pas certain qu’un gouvernement saisisse les conséquences de ses choix de politiques ou même, qu’il soit en mesure d’évaluer les options de politiques à sa disposition (Banerjee, 2012). Un travail théorique et empirique est encore nécessaire afin d’identifier la taille et la direction des effets de différentes formes organisationnelles sur le choix des politiques anticorruption et les conséquences subséquentes sur les comportements de corruption dans les institutions publiques.
Parties annexes
Notes
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[1]
Il existe des exceptions avant-gardistes, voir l’annexe en ligne pour des exemples.
-
[2]
Par exemple, Roosevelt disait à propos du dictateur Somoza au Nicaragua : « He may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch. » (citation tirée de Pinker, 2011 : 308).
-
[3]
Pour une revue historique de la littérature sur la corruption, voir l’annexe en ligne.
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[4]
Les exemples de scandales de corruption dans les pays développés abondent dans les médias. Voir l’annexe en ligne pour des exemples.
-
[5]
Selon Jacquemet (2006), les travaux empiriques mettent l’accent sur les conséquences et non sur les causes et les déterminants de la corruption parce qu’il n’est possible d’étudier la corruption qu’à travers le contrat entre l’employé public et le gouvernement, les contrats entre le gouvernement et le corrupteur n’existant pas et les contrats entre corrupteur et corrompu n’étant pas disponibles.
-
[6]
Voir Bardhan (1997), Tanzi (1998), Jain (2001), Aidt (2003), Svensson (2005), Zitzewitz (2012), Banerjee, Mullainathan et Hanna (2012), et Olken et Pande (2012).
-
[7]
Paradoxalement, cet effet négatif peut être mis à profit. En effet, le bénéfice d’un effort marginal, par exemple l’analyse d’un rapport d’impôt supplémentaire, est toujours plus élevé pour le bureaucrate malhonnête lorsque celui-ci peut en extraire une rente. Pour une discussion, voir Gauthier et Goyette (2014).
-
[8]
À ce sujet, voir Zitzewitz (2012).
-
[9]
Voir Abbink et Serra (2012) pour une recension des études sur le sujet.
-
[10]
Voir l’annexe en ligne pour une discussion au sujet des variations sur ce thème.
-
[11]
Voir Glaeser et Saks (2006) pour une recension des contributions.
-
[12]
Abbink et Serra (2012) énumèrent plusieurs explications possibles. Par exemple, l’officiel a peut-être l’impression que le client a plus de pouvoir sous l’approche combinée.
-
[13]
Cette distorsion de l’objectif officiel est provoquée par les comportements de prédation des inspecteurs d’impôt qui extorquent des montants de taxes et de pots-de-vin proportionnels « à la capacité de payer » des firmes selon Goyette (2014).
-
[14]
Toutefois, certaines réglementations, contrairement aux attentes, diminuent la corruption, surtout lorsque ces règles augmentent les coûts de transaction d’activités illégales comme le blanchiment d’argent.
-
[15]
Pour d’autres exemples de manipulation de l’information, voir l’annexe en ligne.
-
[16]
L’absentéisme est considéré comme une forme de corruption puisque les employés publics détournent indirectement des fonds publics en volant du temps, c’est-à-dire en obtenant un salaire malgré leur absence (Olken et Pande, 2012).
-
[17]
Pour une revue des différentes définitions de la corruption, voir l’annexe en ligne sur mon site web.
-
[18]
Voir par exemple Laffont et Tirole (1993).
-
[19]
Pande (2007) effectue une revue de la littérature sur la corruption politique.
-
[20]
À ce sujet, voir Besley et al. (2011) qui démontrent que la qualité d’un leader peut affecter de manière importante la croissance d’une économie
-
[21]
Voir Klitgaard (1991) et Klitgaard (1998) pour diverses suggestions à ce sujet.
-
[22]
À ce sujet voir Persson, Tabellini et Trebbi (2003), et Brown, Touchton et Whitford (2011).
-
[23]
Il existe de nombreuses contributions sur les connexions politiques des firmes : voir Zitzewitz (2012).
-
[24]
Voir Klitgaard (1991), Tanzi (1998), et Svensson (2005).
-
[25]
Par exemple, La Porta et al. (1999).
-
[26]
Voir annexe en ligne pour des contributions sur le sujet.
-
[27]
Voir Klitgaard (1998) à ce sujet.
-
[28]
L’extorsion policière ressemble à celle effectuée par les douaniers, qui usent de leur pouvoir pour bloquer des marchandises en transit international (Sequeira et Djankov, 2008) et à celle des inspecteurs d’impôt, qui menacent de fermer une entreprise si elle ne paie pas un cadeau spécial (Gauthier et Goyette, 2014). Toutefois, le pouvoir coercitif des policiers recèle probablement une force persuasive plus importante que dans ces autres contextes. Dans ce cas, le coût psychologique associé à un acte de corruption est probablement contrebalancé par un réflexe de survie : la peur d’être emprisonné, d’être battu ou même tué.
-
[29]
Voir à ce sujet Alesina et al. (2003).
-
[30]
Voir l’annexe en ligne pour une discussion des contributions initiales sur le sujet.
-
[31]
Au sujet des interactions verticales, voir la discussion ci-dessus sur la corruption hiérarchique.
-
[32]
Voir Shleifer et Vishny (1993) et Aidt (2003) pour différents exemples de structures à deux fonctionnaires.
-
[33]
Voir Knack et Azfar (2003) pour un survol des contributions initiales sur ce sujet.
-
[34]
Certains auteurs suggèrent qu’il existe des effets potentiellement négatifs à la transparence, par exemple, une identification plus aisée des opportunités de corruption et des innovations de corruption pour un corrupteur ou une atteinte à la vie privée des politiciens, ce qui réduirait la qualité des candidats potentiels (Olken et Pende, 2012).
- [35]
-
[36]
Pour une liste de contributions initiales sur le sujet, voir Adsera, Boix et Payne (2003).
-
[37]
Évidemment, les médias peuvent être détournés à mauvais escient : voir l’annexe en ligne.
-
[38]
Selon les auteurs, le congrégationalisme encourageait l’éducation mais n’était pas assez répandu pour affecter les institutions du pays.
-
[39]
Voir l’annexe pour d’autres contributions sur le sujet.
-
[40]
Entre autres, voir les sites Recovery Accountability and Transparency Board (www.recovery.gov), General Funds (www.usaspending.gov), Information Technology Funds (www.IT.usaspending.gov) et Open Secrets (www.opensecrets.org).
-
[41]
Pour plus de détails, voir Bertot, Jaeger et Grimes (2010).
-
[42]
De plus, selon Banerjee, Mullainathan et Hanna (2012), l’approche par tâches permet de prendre en compte l’hétérogénéité entre les bureaucrates. En effet, Gauthier et Goyette (2015) démontrent que, dans un contexte où les bureaucrates diffèrent en termes de leur capacité à imposer des coûts bureaucratiques, un niveau de détection extrêmement élevé et très couteux est nécessaire pour enrayer complètement la corruption.
-
[43]
Voir Goyette (2015) pour une discussion de ce sujet.
-
[44]
Voir l’annexe en ligne pour quelques contributions sur le sujet.
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