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La pandémie dans le monde

Comme l'a déclaré le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, la propagation du coronavirus a atteint le niveau d'une pandémie, c'est-à-dire d'une maladie infectieuse répandue sur au moins deux continents et plus de 100 pays. C’est l'épidémie la plus importante qui ait frappé les pays industrialisés depuis la pandémie de grippe espagnole en 1918[1]. En effet, tous les continents et plus de 140 pays ont été touchés par la COVID-19. Actuellement, l'OMS parle de plus de 39 millions de personnes infectées et 1.100.000 de décès (au 15 octobre 2020). Les mesures prises par les gouvernements, assez hétérogènes au début de la pandémie, se sont progressivement standardisées en reposant sur des principes de confinement. Elles reposaient sur les mêmes modalités que les pandémies des siècles passés[2], et ont remis en question les comportements individuels ordinaires, bouleversant les habitudes de vie les plus courantes : du café aux bars, du bavardage chez le coiffeur, au shopping, en passant par la vie nocturne des jeunes. Dans ce contexte où chacun a pu se sentir limité dans ses libertés, qu'est-il arrivé aux personnes en situation de handicap? Nous parlons de plus d'un milliard de personnes dans le monde[3] et près de 100 millions dans l'Union européenne[4].

La pandémie et l'insuffisance des systèmes de protection sociale pour les personnes en situation de handicap

Selon nous, cette pandémie peut être comparée à une situation de gestion de crise humanitaire. En effet, elle a affecté la population mondiale à la façon de certaines catastrophes naturelles. Suite aux dernières pandémies, notamment après l’épidémie de SRAS en 2002, l'OMS avait demandé aux États de se doter de plans anti-pandémiques, d'intervenir pour protéger les populations à risque de contagion. En fait, l'impact de la COVID-19 a été plus dévastateur qu'un tremblement de terre ou une inondation, avec un grand nombre de décès et des effets délétères à la fois sur l'économie, le système de santé et la vie des gens. Quel effet concret a-t-il eu sur les personnes handicapées et leurs familles? Dans l'article, nous essaierons d'analyser les causes et les effets de la COVID-19 sur les personnes ayant des incapacités.

Dans une période d'urgence prolongée comme celle de la pandémie de COVID-19, les personnes ayant des incapacités se sont révélées invisibles. Elles étaient davantage visibles avant la ratification italienne de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), comme si la ratification de cette Convention n’avait pas eu d’effet sur la défense des droits humains! Un fardeau disproportionné de problèmes a été infligé aux personnes en situation de handicap et à leurs familles, qui ont considérablement interrompu les processus d'inclusion qui ont été laborieusement réalisés au cours des dernières décennies. Le principal accusé est le système de protection sociale destiné à ce segment de la population. A-t-il été en mesure de protéger ces citoyens? A-t-il répondu en garantissant leurs droits? L'article tentera de démontrer que le système de protection sociale actuel n'a, non seulement, pas protégé les personnes en situation de handicap et leurs familles, mais il a participé à les rendre invisibles. Le système de protection a failli, en ne garantissant pas l'accès aux services de santé, éducatifs et sociaux, ou en ne parvenant pas à s’adapter pour réorganiser le fonctionnement des services afin de répondre aux nouveaux droits/ besoins créés par la pandémie.

Urgences humanitaires, inclusion et implication des personnes en situation de handicap

La question des personnes en situation de handicap dans les interventions d'urgence et humanitaires n'a fait l'objet de réflexion que depuis la guerre en ex-Yougoslavie, au cours de laquelle le monde entier a vu pour la première fois la situation dramatique dans les camps de personnes déplacées au Kosovo, où le traitement des personnes en situation de handicap violait souvent leurs droits humains. En Haïti, suite au tremblement de terre de 2010, 4 000 personnes ont été amputées simplement parce qu'il n'y avait pas suffisamment de formations sanitaires, mettant en évidence que ces personnes ne disposaient pas d'un soutien suffisant en termes de prothèses et orthèses, mais aussi en termes de soutiens psychosociaux adéquats pour reconstruire une vie soudainement bouleversée[5].

Avec la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH, 2006)[6], la question du handicap a été abordée, pour la première fois, sous l'angle des droits de l'homme. Ratifiée par 182 pays (94,6 % des pays membres des Nations Unies), elle représente aujourd'hui une norme internationale à respecter, non seulement en termes juridiques, mais aussi en termes culturels et techniques. Elle souligne que les personnes en situation de handicap sont empêchées par une société qui crée des barrières et des obstacles à leur participation, des conditions de discrimination et un manque d'égalité des chances. Elles sont donc handicapées et vulnérabilisées par des violations patentes des droits de l'homme.

« Le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (Préambule, alinéa e).

Cette définition révolutionne la vision traditionnelle, basée sur un modèle médical du handicap, en attribuant la responsabilité d'une situation de handicap aux États et à la société, à travers un modèle social du handicap basé sur le respect des droits de l'homme. C'est l'ensemble des organisations et services de la société qui crée des barrières, des obstacles et de la discrimination, et il est de la responsabilité de la société elle-même et des États de réduire ou de mettre fin aux situations de handicap.

Ceci est amplifié dans le domaine des interventions humanitaires et d'urgence. En fait, l'article 11 (Situations de risque et situations d’urgence humanitaire) stipule : « Les États Parties prennent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes en situation de handicap dans les situations de risque, y compris les conflits armés, les crises humanitaires et les catastrophes naturelles ».

La CIDPH reconnaît donc que les personnes en situation de handicap doivent jouir de tous les droits de l'homme dans des conditions d'égalité avec les autres citoyens. La condition des personnes ayant des caractéristiques spécifiques dépend de facteurs bio-psychosociaux, de nature dynamique, qui peuvent être modifiés à la fois dans les sphères sociale et individuelle. La suppression ou la réduction de la situation de handicap relève de la responsabilité des États et de la société, en intervenant sur les facteurs sanitaires, sociaux et humains. La situation de handicap est alors une situation ordinaire pour tous les humains au cours d’une vie, elle concerne ainsi toutes les politiques. Prêter attention aux facteurs environnementaux qui la constituent représente un avantage pour l'ensemble de la société. Ces éléments, appliqués aux situations d'urgence, invitent à une redéfinition des politiques, mais également des interventions techniques et opérationnelles, y compris dans le domaine de l'aide humanitaire.

Concernant la protection et la sécurité des personnes en situation de handicap, le débat international de ces dernières années a essentiellement porté sur l'égalité des chances et la non-discrimination. Il est nécessaire de repenser les systèmes de protection sociale destinés aux personnes en situation de handicap, en construisant des systèmes inclusifs et participatifs basés sur la CIDPH[7].

La Charte de Vérone (2007)[8] était le premier document à définir les principes généraux sur lesquels baser les interventions d'urgence pour ces personnes. Elle a été suivie d'articles et de manuels dans le contexte international par des organisations non gouvernementales et des organisations de personnes en situation de handicap[9]. En 2015, la Coopération italienne au développement a publié un Vademecum sugli aiuti umanitari e la disabilità[10], le premier document organique d'un gouvernement sur le sujet.

Les Nations Unies ont également publié une série de documents sur le thème de l'aide humanitaire et des interventions d’urgence : le Sendai framework for disaster risk reduction[11] (2015) et la Charter of Istanbul for inclusion of persons with disabilities in humanitarian action[12] (2016). Selon ce dernier, en juillet 2019 un task team du IASC (Interagency standard committee)[13] produit les Guidelines for inclusion of persons with disabilities in humanitarian activities, après un travail de deux ans impliquant des experts de premier plan dans le domaine[14].

Le fil rouge de tous ces documents est la nécessité de veiller à ce que l'aide humanitaire et d'urgence soit respectueuse des droits humains. L'approche humanitaire a toujours été basée sur une intervention rapide sur les modèles des organisations militaires ou caritatives : le premier modèle repose sur la limitation des pertes, le second sur l'idée que les bénéficiaires des interventions sont frappés d'incapacité et n'ont besoin que d'assistance.

De plus, l'approche humanitaire repose sur une intervention en deux temps : dans la première intervention, les éléments essentiels du sauvetage et de l'accueil initial (nourriture, santé et lieu d'hébergement) doivent être garantis, alors que ce n'est que dans un second temps qu'il est possible de chercher à garantir d'autres besoins jugés « spéciaux ». Ces méthodes ne prennent donc pas en compte les personnes en situation de handicap considérées comme « spéciales ».

La prévention et la réduction des risques liés aux catastrophes doivent au contraire reposer sur des approches multirisques et multisectorielles, inclusives et accessibles en termes d'efficience et d'efficacité. Les gouvernements devraient impliquer les communautés et leurs acteurs les plus importants, y compris les femmes, les enfants et les jeunes, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les volontaires, dans la conception des politiques, des plans et des normes, en un mot dans la capacité de résilience.

En outre, l'ensemble de la société doit agir en tant que partenaire engagé, avec une participation basée sur l'autonomisation et l'inclusion, l'accessibilité et la non-discrimination, en accordant une attention particulière aux personnes touchées de manière disproportionnée par les catastrophes, en particulier les parties les plus pauvres du monde. Dans toutes les phases d'urgence, le sexe, l'âge, le handicap et les cultures locales doivent être pris en compte. La participation des femmes et des jeunes doit être encouragée afin de renforcer les associations de citoyens volontaires.

L'Union européenne et le Conseil de l'Europe sont également intervenus sur la question de l'urgence inclusive des personnes en situation de handicap : le Conseil de l'Europe, après une série de consultations avec les acteurs du secteur, a défini en 2016 un manuel spécifique comme contribution au programme EUROPA[15]; l’Union Européene a publié le Consensus européen sur l'aide humanitaire[16] (2007), les Conclusions du Conseil européen « On disability-inclusive disaster management »[17] (2015), le guide opérationnel The Inclusion of Persons with Disabilities in EU-funded Humanitarian Aid Operations[18] (2019), et a mis en place une stratégie européenne pour les personnes en situation de handicap[19] (2010-2020), actuellement à l'étude, qui traite également des activités humanitaires et de l’aide d'urgence.

Malheureusement, ce qui est apparu dans la pandémie COVID-19, c'est l'absence presque totale de prise en compte des personnes en situation de handicap dans la planification et la gestion des interventions d'urgence mises en oeuvre dans les différents pays. Le plan italien de lutte contre les pandémies de grippe (2006)[20] n'incluait aucune attention à ces personnes. La non-perméabilité des systèmes de protection sociale avec les systèmes d'intervention en cas d'urgence a rendu les personnes en situation de handicap invisibles. Les interventions mises en oeuvre à l’intention de ces personnes ont été tardives et souvent considérées comme des interventions résiduelles et partiellement compensatoires.

La pandémie de COVID-19 et les droits des personnes en situation de handicap

La pandémie de COVID-19 a dramatiquement mis en évidence la difficulté de protéger et d'assurer l'égalité des chances et la non-discrimination pour les personnes en situation de handicap dans les situations d'urgence. L’Italie est un des pays les plus touchés par le coronavirus en Europe (38 2000 personnes infectées et plus de 36 300 morts, au 15 octobre 2020).

Quinze jours après la déclaration gouvernementale de la présence d'une épidémie de coronavirus, la Société italienne d'anesthésie, d'analgésie, de réanimation et de soins intensifs (SIAARTI) a émis des recommandations sur la manière d'intervenir dans une situation d'urgence pandémique en présence de ressources instrumentales et logistiques limitées[21], provoquant un débat parmi les médecins et en particulier entre les anesthésistes et les responsables des unités de soins intensifs. Si les ressources en lits et en machines sont limitées, si vous deviez choisir qui aider en premier, qui devriez-vous « écarter » lors du triage? Les jeunes ou les vieux? Des personnes « normales » ou des personnes ayant de graves limitations fonctionnelles? Cette évaluation de ceux qui, dans une situation d'urgence et en cas de manque de ressources instrumentales, logistiques et en personnel, devraient être sélectionnés dans les interventions de soins intensifs conformément aux recommandations SIAARTI, s’apparente à un triage. Les personnes qui devaient être sélectionnées et exclues des interventions thérapeutiques auraient été les personnes âgées (probabilité de survie, espérance de vie) et les personnes en situation de handicap (comorbidités sévères, état fonctionnel, handicap).

Le Comité de bioéthique de Saint-Marin (CSB), qui a consacré une attention particulière et constante aux questions du handicap en l'incluant dans tous les documents qu'il approuve, à la demande du Commissaire extraordinaire à l'urgence de la COVID-19 de la République de Saint-Marin (prendre en compte les recommandations du SIAARTI), a publié le 13 mars un document approuvé à l'unanimité (Opinion on use of invasive assisted ventilation on patients with disabilities[22]), dans lequel il a précisé que seul le tableau clinique devrait être utilisé pour évaluer les conditions des patients et l'accès aux soins. S'appuyant sur la CIDPH et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme de l'UNESCO, l'avis du CSB a rappelé que les principes de base à appliquer étaient ceux de la non-discrimination et de l'égalité des chances. Il a ensuite indiqué précisément que s’agissant des « situations de risque et d'urgence humanitaire », la Convention des Nations Unies consacre un article spécifique (article 11) qui oblige les États parties à adopter « toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque », à exiger « que les spécialistes de la santé fournissent aux personnes handicapées des soins de la même qualité que ceux fournis aux autres » (art. 25). Toute autre approche violerait les principes de la bioéthique et du respect des droits de l’homme.

Le débat a immédiatement rebondi sur la scène internationale à la fois par l'attention des organisations internationales de personnes en situation de handicap et par la large diffusion de l'opinion du CSB. Le Forum Européen des personnes handicapées, une organisation qui représente presque 100 millions de citoyens européens en situation de handicap dans les institutions de l'Union européenne, a immédiatement défini une série d'initiatives sur le sujet[23]. En quelques jours, les organisations internationales les plus importantes se sont exprimées avec force, dont l'UNESCO[24], l’European group on Ethics and Science and new Technologies[25], le DH-BIO[26] et de nombreux comités nationaux de bioéthique[27].

Toutes ces positions réaffirment que la seule approche entendable du triage médical ne peut être basée que sur l'état de santé clinique (les conditions de santé de l'individu au regard des traitements spécifiques à donner). Toute approche par catégorie (personnes âgées, personnes en situation de handicap) constituerait une violation des droits de l'homme, sur le respect desquels la bioéthique est fondée.

Malheureusement, l'approche discriminatoire a été pratiquée dans certains pays européens[28] et dans certains États américains[29] (ces derniers n'ont pas ratifié la CIDPH). La province de Québec au Canada a également émis des indications similaires[30].

En Italie, la rencontre entre l'éthique médicale et l'approche SIAARTI a produit des tensions[31]: la Fédération nationale des médecins a en effet ouvert une vive polémique contre les recommandations du SIAARTI, car elles violeraient le code de déontologie professionnelle.

La protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées

La propagation de la pandémie en Italie en mars et début avril 2020 a atteint des sommets. Le nombre de patients hospitalisés infectés, le recours aux soins intensifs, le nombre de décès ont atteint des niveaux dramatiques. Une progression critique de la pandémie a mis en évidence le manque de préparation - vérifié par la suite dans d'autres pays européens touchés par l'infection - du système de santé et la difficulté de faire face à l'urgence. Dans la seconde quinzaine de mars, les résidences accueillant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, d'abord en Lombardie, puis dans diverses régions d'Italie, ont été frappées de manière terrible. L'Institut Supérieur de la Santé (ISS) sollicité par le Garant pour les personnes privées de liberté, a lancé une enquête par sondage sur les résidences de santé assistées (RSA). Elles hébergent principalement des personnes âgées non autonomes, et ont montré[32] la réalité du nombre élevé de décès de résidents. Le rapport final du 5 mai 2020 a constaté que sur 3 292 structures interrogées (96 % du total des structures sanitaires et sociales résidentielles, publiques et/ou affiliées contractuellement, qui accueillent majoritairement des personnes atteintes de démence),1 356 structures (41 % du total)[33] avaient répondu au questionnaire. Dans ces structures, il y a eu 3 772 décès dus à la COVID-19 et à des symptômes similaires (41,2 % des résidents)[34]. Le total est très probablement attribuable presque entièrement au coronavirus, car les autopsies et les prélèvements n'ont pas été effectués sur les résidents. Sur les 5 292 personnes hébergées dans des RSA au cours de la période sous revue, 2 986 étaient suspectées de COVID-19 et présentaient des symptômes similaires, soit 56,4 % du total. L'analyse de l’évolution du nombre de décès montre qu'au début de l’épidémie aucune disposition de protection n'avait été mise en place et que les décès ne tendent à baisser que du 1er au 15 avril tout en restant à 16 %. En fait, compte tenu de la période d'incubation du coronavirus estimée à environ 15 jours, le calcul est vite fait. Combinant les critiques qui ont émergé (manque d'équipement de protection individuelle pour 77,2 % des structures, difficulté à contenir les cas positifs pour 52,1 %, absence de personnel pour 33,8 %, manque de formation spécifique, difficulté à mettre en place les salles pour personnes en quarantaine, manque de distance physique entre patients et opérateurs, absence de système de suivi des symptômes, etc.) et le nombre moyen de personnes hospitalisées dans les structures enquêtées (74 lits, avec un spectre allant de six à 667 lits) ces structures n'ont pas protégé ces personnes les plus vulnérables en cas de contagion, au contraire elles les ont supprimées des systèmes de protection. Si l'on pense que dans certaines régions, notamment en Lombardie, des personnes âgées présentant des symptômes de coronavirus résidaient en RSA, il est clair que ces pratiques ont également mis en évidence des violations de l'art. 15 de la CIDPH[35].

À cette situation s'ajoutent les conséquences du confinement des structures, évoquées par le Garant national des droits des personnes détenues ou privées de liberté personnelle[36]. Compte tenu du fait que « l'accès des parents et des visiteurs aux établissements d'accueil et de soins de longue durée, aux RSA, aux hospices, aux centres de réadaptation et aux établissements d'hébergement pour personnes âgées autonomes et non autonomes, se limite aux seuls cas indiqués par la direction sanitaire de la structure qui est tenue de prendre les mesures nécessaires et de prévenir une éventuelle transmission de l'infection (...) tout en considérant les restrictions appropriées afin de prévenir la propagation de la pandémie », le Garant se déclare préoccupé par « les répercussions que ces limitations peuvent avoir dans les établissements pour personnes en situation de handicap et personnes âgées, si elles ne sont pas correctement surveillées et contrôlées. En fait, la situation expose les clients et les opérateurs à un stress élevé. Cela implique une augmentation du risque de comportements conflictuels, de mauvais traitements ou d'abus des outils de contention ».

Le Forum italien du handicap, membre italien du Forum Européen des Personnes Handicapées, poursuivant son travail méritoire de rapports alternatifs aux conventions des Nations Unies ratifiées par l'Italie, a présenté au comité des Nations Unies chargé du suivi de la CAT[37] un rapport alternatif au rapport officiel dénonçant les traitements cruels, inhumains et dégradants auxquels les personnes en situation de handicap ont été soumises pendant la crise de la COVID-19 en Italie[38].

La pandémie a ensuite fait remonter à la surface d'autres problèmes qui ont gravement touché les personnes en situation de handicap[39] et leurs familles, en raison du manque d'attention porté à leurs droits dans le domaine de la réadaptation et des services sociaux. L’accès aux soins et aux différents services s’est brusquement interrompu par des quarantaines, des fermetures d’entreprises publiques et privées. L'accès à des permis équivalant à des admissions à l'hôpital pour les personnes immunodéprimées a rencontré divers obstacles bureaucratiques. Dans l’école, l’enseignement à distance a lourdement pénalisé les 284 000 élèves handicapés, leur refusant une éducation avec des chances égales et sans discrimination. En général, les 20 systèmes de protection sociale régionaux italiens, basés sur un modèle de protection, ont démontré leur inefficacité totale à protéger, à dépasser les difficultés exposées précédemment. Ils ont montré leur incapacité à se convertir en interventions à domicile et personnalisées. Ce n'est pas un hasard si, dans le dossier final du Comité économique et social nommé par le président du Conseil des ministres Giuseppe Conte, coordonné par Vittorio Colao, l'une des propositions d'action pour surmonter les problèmes critiques qui ont émergé dans la pandémie était de passer de la protection sociale à un support social d'inclusion et de proximité territoriale[40].

Quelques recommandations spécifiques aux lieux d’accueil

Parmi les recommandations pour intervenir en période de pandémie dans le cadre de structures d'accueil à temps plein et de populations jugées fragiles, on note une publication sur les résidences de l’Institut Supérieur de Santé en mars 2020[41] et un autre développé par l'Institut national pour la promotion de la santé des populations migrantes et pour la lutte contre les maladies de la pauvreté (INMP) sur l'accueil des migrants en août 2020[42].

Les deux documents définissent les indications sur la manière d'intervenir dans les résidences ou dans les structures d'accueil des migrants en régime pandémique. Ce sont des documents techniques qui font cependant émerger une culture de la rétention, illustrée par les limitations des libertés individuelles des personnes hébergées. En fait, ils ont limité à la fois les contacts entre les personnes hébergées et les visites externes et la possibilité de sortir pour des périodes limitées. Le thème est toujours d'actualité, car dans de nombreuses résidences, pour la plupart privées, l'interprétation des précautions en termes de sécurité en présence d'une résurgence de la pandémie, limite fortement la liberté des patients et des proches, qui ne peuvent souvent se réunir que 30 minutes à la fois par mois.

Les recherches sur les effets de la pandémie sur les personnes en situation de handicap dans le monde

Nous n’avons toujours pas d’analyse approfondie du nombre de recherches pour évaluer l’impact de la pandémie sur les personnes en situation de handicap et leurs familles dans le monde. Cependant, il suffit de mentionner la déclaration du Dr Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l'OMS pour l'Europe[43] qui a souligné qu'en Europe « la moitié des décès dus au coronavirus sont survenus dans des résidences ». L'Alliance internationale des personnes handicapées (IDA), le réseau mondial qui rassemble les plus importantes organisations internationales et régionales de personnes en situation de handicap, a mené des recherches sur les cinq continents pour collecter des informations et surveiller comment la COVID-19 a affecté ces personnes dans leurs droits[44]. Divers problèmes ont émergé de l'enquête: le manque d'accès à l'information et aux communications relatives à la COVID-19 pour toutes les personnes en situation de handicap; les obstacles à l'accès aux mesures de protection sociale et à la protection de l'emploi (formel et informel, répandu dans les pays en quête de développement); les pertes d'emplois et obstacles à la possibilité de bénéficier du travail à distance; l’absence d'inclusion du sujet du handicap dans les réponses à la COVID-19 à tous les niveaux de gouvernance nationale et locale, avec des déconnexions importantes entre les actions nationales et territoriales. Le rapport montre que la plupart des personnes en situation de handicap dans le monde ont été affectées négativement par la pandémie d'une manière ou d'une autre à travers des obstacles anciens ou nouveaux, même en phase de déconfinement. Les pays continuent de gérer la COVID-19 comme thème des politiques de santé publique, tandis que dans la période suivante, des mesures devraient être prises en supprimant les barrières existantes et en reconstruisant l'entreprise d'une meilleure manière. À partir des critiques qui ont émergé, nous proposons de mettre en oeuvre des objectifs de développement durable dans le futur, où les personnes en situation de handicap seraient considérées comme faisant partie des bénéficiaires du développement, en particulier dans l'accès à l'éducation, à l'emploi, dans la lutte contre les inégalités, dans l'accessibilité des villes et dans la collecte de données appropriées et désagrégées, afin d’appliquer la CIDPH. L'IDA elle-même a témoigné avec des histoires de vie de personnes en situation de handicap recueillies dans le monde entier montrant comment la pandémie a affecté ces personnes[45].

Un certain nombre de recommandations ont émergé de cette enquête :

  • Collaborer et construire avec l'International Disability Alliance et l'International Disability and Development Consortium une campagne d’actions de plaidoyer pour inclure les personnes en situation de handicap dans les politiques de lutte contre la COVID-19;

  • Mener des actions de plaidoyer sur l'accessibilité pour toutes les personnes en situation de handicap sur toutes les questions liées à la COVID-19 et sensibiliser à la situation du handicap, en diffusant largement les témoignages de ces mêmes personnes;

  • Développer un guide sur l'inclusion des personnes en situation de handicap basé sur les leçons apprises pendant la pandémie, adressé aux gouvernements et aux autorités locales.

Parallèlement, d'autres recherches ont été menées dans diverses zones géographiques et avec des objectifs différents, portant sur les mineurs, le genre, diverses questions et services politiques. Les Nations Unies ont rassemblé les principales enquêtes[46] menées dans les pays arabes, en Asie et Pacifique, en Amérique latine, à travers le travail des différentes agences onusiennes. La collecte de ressources documentaires sur le site Internet d'EDF est utile dans ce sens. Le très grand nombre et souvent l'hétérogénéité des enquêtes et des points de vue non étayés par une analyse précise, est une excellente piste pour de futures recherches sur le sujet.

Conclusion

En conclusion, quelques considérations générales. Dans les moments de crise, des stigmates ataviques surgissent, des évaluations sur la valeur des personnes qui ont des caractéristiques socialement indésirables, des traitements différents qui affectent les personnes en situation de handicap dans leurs droits. Tant que ces personnes seront des citoyens invisibles, considérés comme spéciaux, tant qu'elles ne feront pas vraiment partie de la société et que les politiques d'intégration ne concerneront pas les personnes en situation de handicap, elles seront toujours soumises à des risques plus importants de limitation de leurs droits et de traitements différents sans justification, qui violent souvent les droits de l'homme. La visibilité et la promotion des réclamations et propositions doivent être un moment essentiel dans le travail des associations et fédérations, mais aussi la capacité à proposer une réflexion critique sur les politiques qui leur sont adressées. L'application de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées nécessite de dépasser ce système de protection sociale, qui traite différemment les personnes en situation de handicap souvent sans justification, les considérant fragiles et vulnérables et incapables d'autodétermination. C’est un système qui promet de protéger les personnes considérées comme vulnérables (en fait rendues vulnérables par la société même qui les démet de leur pleine citoyenneté en créant des barrières, des obstacles et des discriminations). La cible devient alors un système de support social basé non seulement sur la protection mais surtout sur l’inclusion[47], où ces personnes sont des citoyens à part entière et peuvent jouir du droit à l'autodétermination et à la vie dans leur communauté, bénéficiant de toutes les politiques générales, liées au développement et au bien-être. Vie indépendante, pleine participation, empowerment et habilitation, ne sont pas compatibles avec ces établissements de ségrégation. Il est nécessaire de les éliminer parce qu’ils ne permettent pas le développement individuel et social des personnes en situation de handicap afin d'être pleinement reconnues comme faisant partie de la société et bénéficiaires du développement comme les autres citoyens, dans leurs lieux de vie et dans leurs communautés. Voilà le nouveau système d’inclusion basé sur la personnalisation du projet de vie décidé par la personne bénéficiaire elle-même, incluant ses désirs et aspirations. Ainsi les personnes en situation de handicap seront capables de se protéger elles-mêmes et être protégées par la communauté.

La question de la ségrégation des structures et des solutions alternatives qui violent les droits de l'homme est une question bioéthique importante, à tel point que le Garant national des droits des personnes détenues ou privées de liberté personnelle a recommandé un renforcement des contrôles, montrant une fois de plus que les ségrégations dans des lieux spéciaux séparés de la société sont des solutions qui peuvent conduire à des violations des droits de l'homme, à des traitements inhumains et dégradants, et que la société doit prendre des mesures pour trouver des solutions alternatives, respectueuses de la qualité de vie et adéquates pour maintenir le contact avec les communautés d’appartenance. Les stigmates sociaux qui affectent les personnes en situation de handicap, et ces dernières années également les personnes âgées, sont inacceptables. Ces visions négatives traversent toutes les professions, un thème qui découle de l'inertie des préjugés fortement présents dans les populations du monde entier. Encore plus terrible s'il guide les médecins et les politiques de santé.

Les personnes en situation de handicap, que certains philosophes moraux et bioéthiciens considèrent comme sous-humains et à exclure au nom du bien de la majorité de la population[48], doivent bénéficier comme les autres citoyens du développement, des biens et services pour tous, des politiques générales avec le soutien approprié, même dans les situations d'urgence.

Un élément positif de cette période a été l'attitude du Premier ministre Giuseppe Conte qui, après avoir maintenu la responsabilité politique du thème handicap dans le gouvernement, a rencontré les fédérations FISH et FAND à plusieurs reprises pendant la pandémie, même pendant les états généraux[49]. Dans ses communications au parlement, il a mentionné que ce segment de la population a contribué également à l’élaboration de législations portant sur des mesures de protection adressées aux personnes en situation de handicap (malheureusement adoptées? appliquées? parfois avec retard) et qu’il était partie prenante du Comité économique et social désigné par lui pour élaborer des propositions dans la phase deux du COVID-19 et coordonné par Vittorio Colao, un expert sur les questions de handicap[50].

Les indications méthodologiques incluses dans le dossier Colao[51], concernant les personnes en situation de handicap, identifient trois principes à appliquer dans tous les domaines de l'action post coronavirus : la prise en compte des droits des personnes en situation de handicap, l'accessibilité universelle, la lutte contre les inégalités et les discriminations : « Dans chaque action proposée, il faut inclure les personnes en situation de handicap qui doivent bénéficier des droits à la santé, à l'éducation, au travail, à la mobilité, au tourisme, aux loisirs, au soutien à la participation. Dans ce sens, le système de protection sociale italien doit se transformer en un système d’inclusion, capable de garantir un soutien approprié à la citoyenneté, à la qualité de vie et à la participation.

Chaque intervention doit garantir l'accessibilité et la convivialité pour tous afin de permettre aux personnes en situation de handicap de vivre de manière indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, sur un pied d'égalité avec les autres, comme l'exige la législation européenne et italienne en surmontant les obstacles et les barrières dans le domaine de l'accès à l'environnement physique, des transports, de l'information et de la communication, y compris les systèmes et technologies d'information et de communication, et d'autres équipements et services ouverts ou fournis au public, dans les zones urbaines et rurales.

Les inégalités et les discriminations doivent être surmontées. Elles sont souvent créées par la société et handicapent les personnes dont les caractéristiques sont considérées comme indésirables, créant pour elles des vulnérabilités et des limitations. L'approche non discriminatoire, protégée par les lois italiennes et internationales, est à la base de toutes les propositions, pour garantir l'équité, l'égalité des chances et la pleine citoyenneté ».