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Introduction

Dans un contexte de migrations transnationales qui ont tendance à augmenter (International Organization for Migration [IOM], 2020 ; voir aussi UNHCR, 2019), les universités canadiennes et québécoises attirent une population étudiante plus diversifiée avec un plus grand nombre d'étudiants internationaux (ÉI). Dans son rapport annuel, le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI, 2019) confirme la présence de 571 215 ÉI au Canada en 2018 (tous cycles confondus), soit 16 % de plus que l’année précédente. Ce chiffre est le signe de l’importance des efforts réalisés par les universités pour attirer de plus en plus d’ÉI. Dans ce contexte, le gouvernement québécois vient d’indiquer clairement aux universités qu’elles vont avoir à augmenter le nombre d’ÉI, notamment de ceux qui ne proviennent pas de Belgique ou de France (pays ayant des ententes particulières avec le Québec) (Cloutier, 2020). Cette tendance est aussi énoncée dans la vision internationale du gouvernement québécois, où il est question de l’augmentation de ces étudiants (Ministère des Relations internationales et de la Francophonie [MRIF], 2019a), inclus d’ailleurs dans l’objectif 2.1 d’intensification de la « diplomatie économique » dans son plan stratégique 2013-2019 (MRIF, 2019b). Cette tendance à concevoir l’(im)migration en termes de ressources soit économiques soit démographiques n’est pas nouvelle : elle date de la création du Canada (Frozzini, 2019 ; Frozzini et Law, 2017).

Dans ce contexte et dans le cadre d’un projet interuniversitaire québécois de recherche intitulé « Les étudiants internationaux dans le réseau des universités du Québec : pour une meilleure connaissance des interactions en contexte culturel » (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018), nous présentons les données obtenues dans l’une des universités partenaires du projet : l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Une problématique commune guide les chercheurs des universités participantes à cette analyse préliminaire et exploratoire : comprendre l’impact de la mobilité étudiante dans les universités québécoises, autant pour les étudiants que pour les institutions, les villes et les régions qui accueillent ces étudiants.

Le contexte particulier de l’UQAC, située dans la région administrative du Saguenay–Lac-Saint-Jean (région québécoise éloignée de la grande métropole de Montréal), fait en sorte que l’expérience vécue par ces étudiants est teintée par divers facteurs, dont la taille de l’institution et la provenance des ÉI. Dans un premier temps, nous proposons un bref portrait des ÉI à l’UQAC, puis nous présentons le cadre théorique suivi de la méthodologie et de l’analyse des données collectées. Nous serons ainsi en mesure de dresser un portrait plus complet de la situation des ÉI dans cette institution du nord-est du Québec et des enjeux révélés par ces étudiants.

L’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et les étudiants internationaux

Selon les données compilées par le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), le nombre d’ÉI dans les universités québécoises est passé de 32 778 (en 2013) à 45 086 (en 2018), soit une augmentation de plus de 25 % en cinq ans. Dans une proportion de plus de 75 %, les ÉI choisissent les universités montréalaises (McGill, Concordia, UdeM/HEC/Poly, UQAM, ETS) (BCI, 2018).

L’UQAC est située dans l’arrondissement de Chicoutimi de la ville de Saguenay[1], qui compte 146 797 habitants (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2019). Elle est située dans la région ressource du Saguenay–Lac-Saint-Jean (Girard, 2018), dont la population totale est de 277 406 habitants, ce qui représente 3,3 % de la population du Québec (ISQ, 2019), et où la population immigrée est de 2 965 habitants, soit 1,1 % de la population de la région et 0,3 % de la population immigrée du Québec (Ministère de l’Immigration, Diversité et Inclusion [MIDI], 2018). À cette faible proportion s’ajoute un solde migratoire négatif (– 819 habitants en 2016-2017).

Membre du réseau des Universités du Québec (UQ), l’UQAC présente un effectif étudiant, à l’automne 2017, de 6 901 étudiants, soit 5 370 au 1er cycle et 1 531 aux cycles supérieurs. Au trimestre de l’hiver 2018, l’UQAC a dispensé un enseignement à 1 371 ÉI : une augmentation de 35 % depuis deux ans. Les ÉI suivent deux parcours différents : parcours en échange ou parcours avec diplomation.

Les ÉI de l’UQAC proviennent de presque 50 pays dans le monde. Majoritairement, ils sont originaires de France (environ 50 %) et d’Afrique[2] (environ 17 %). Si l’UQAC compte une grande quantité et une relative diversité de provenances des ÉI, ces derniers doivent composer avec diverses structures et divers dispositifs destinés à leur sélection. Ainsi, dès la réception des documents d’admission à l’UQAC (qui constitue une première sélection), l’ÉI doit commencer des démarches afin d’obtenir les autorisations requises pour séjourner temporairement au Québec : le Certificat d’acceptation du Québec (CAQ) et par la suite un permis d’études. L’ensemble de ces dispositifs de contrôle[3] se poursuit dans le temps : les étudiants doivent par exemple s’assurer de renouveler leurs permis et leurs visas. Ils doivent donc maintenir à jour l’ensemble des documents requis tout en se conformant aux restrictions qui s’appliquent tout au long de leur séjour.

Nous savons déjà que les restrictions ont des répercussions sur la qualité du séjour des ÉI. Toutefois, la qualité des interactions humaines et la situation socioéconomique des ÉI n’ont pas été explorées de façon systématique et synchronique pour plusieurs constituantes de l’UQ. Ce texte constitue une première analyse (recherche exploratoire) qui permet de dresser le portrait de l’état des interactions entre les ÉI, les enseignants et le personnel de l’université ainsi que les enjeux soulevés par les ÉI et les enseignants à l’UQAC.

Cadre théorique

La situation des ÉI a souvent été explorée de façon ponctuelle, autour d’une université (Gagnon, 2017 ; Vultur et Germain, 2018), des lois d’immigration ou de considérations générales sur leur situation (Belkhodja, 2011, 2012 ; Cuyjet, Linder, Howard-Hamilton et Cooper, 2016 ; Latrèche, 2001). Il n’existe pas de recherches synchroniques qui permettent l’apport de données comparables entre elles (utilisant une méthodologie semblable dans plusieurs universités qui se ressemblent), dans des contextes particuliers (régions) et portant sur les interactions et le vécu des ÉI et les acteurs du milieu. Notre cadre théorique au sein de la grande recherche (Frozzini et Gélinas-Proulx, 2018) tient compte des processus de la rencontre de personnes issues d’horizons culturels différents (Gadamer, 1996 ; Panikkar, 1979) pendant la resocialisation[4] des ÉI. Étant donné que nous sommes en présence de personnes de différents horizons culturels (Gadamer, 1996 ; Gratton, 2009 ; Panikkar, 1979 ; Vachon, 1995), une perspective interculturelle est nécessaire. En effet, nous avons tous un ancrage culturel, mais nous sommes habituellement aveugles lorsqu’il est question de son influence dans les structures, les paradigmes, les codes, etc., que nous retrouvons au sein des institutions. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de diversité au sein de la population, mais que cette diversité est difficilement prise en compte au sein des structures. Pour cette raison, une orientation pluraliste de la diversité, c’est-à-dire « reconnaître les spécificités des différents groupes et communautés » (White, 2017, p. 35 ; voir aussi White, Gratton et Rocher, 2015) est nécessaire. La reconnaissance étant le premier acte du rapport à l’autre (l’autre existe, il est différent, il est porteur de complexité et il est source d’enrichissement), elle ouvre la porte à une multitude de facteurs pouvant aider à comprendre les différences tout en favorisant l’égalité entre individus.

Outre le fait que nous sommes des êtres culturels et que la reconnaissance de la diversité est primordiale, il est nécessaire de tenir compte de l’importance des personnes en contact avec les ÉI, car elles vont jouer un rôle crucial dans leur resocialisation. D’ailleurs, « lors de ce processus, les nouveaux arrivants vont aussi contribuer avec des éléments qui leur sont propres et qui rentreront en compte lors de la socialisation de tous les membres de la société (Frozzini et Tremblay, 2018) » (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018, p. 40).

Dans cette relation, les interactions, les expériences et les représentations sont importantes. Concept fondamental de la sociologie, les interactions sont des relations sociales entre deux ou plusieurs participants qui entrent dans leurs champs de perception respectifs et qui entament une action (activité) entre eux, l’interaction prenant fin lorsqu’on quitte la situation sociale (Lehn, 2016). Outre l’action réciproque, les individus ou les groupes sont en relation dans un environnement comportant plusieurs niveaux. Dans une optique systémique, nous proposons d’envisager les interactions au sein de trois niveaux organisationnels intimement reliés (individuel, groupal et institutionnel) qui reflètent de plus près l’expérience des ÉI et des acteurs en présence. Cette cartographie permet de comprendre l’importance du contexte sur la qualité des relations et le fait que des acteurs marquent leur influence et sont influencés lors de la rencontre avec les ÉI.

Nous savons aussi que ces interactions vont permettre la formation d’expériences (le vécu) qui peuvent faciliter ou non la qualité des relations[5]. Les expériences sont importantes parce qu’elles offrent un contexte aux conceptions préalables et vont participer à la reformulation de ces perceptions, qu’elles soient adéquates ou non. C’est ainsi que l’expérience va influencer l’approche de l’autre et l’image à retenir d’une nouvelle société. Il faut comprendre que les perceptions forment l’un des matériaux constitutifs des représentations (et vice versa), ces cadres de référence qui permettent de nous engager et de comprendre le monde que nous habitons, agissant ainsi comme des filtres ou des lunette en lien intime avec l’identité de la personne, ce qui oriente les conduites, les attentes, les normes et les règles qui définissent l’univers social (Frozzini, 2017).

Les besoins ressentis lors du processus de resocialisation sont aussi en lien avec le parcours migratoire des ÉI, leurs intentions de départ ou l’absence d’idée claire à propos de leurs attentes. Ceci étant dit, tant les intentions que les attentes peuvent varier selon les expériences et les besoins ressentis. Pour éviter de mauvaises expériences, on prépare la population d'accueil, et l'un des éléments de cette préparation est la compétence interculturelle. Nous pouvons brièvement dire qu’elle est « une capacité (habilités, prédispositions et attitudes) à manier un savoir culturel (habilités et connaissances) afin de produire les conditions nécessaires à la réduction des écarts culturels et finalement la pleine participation dans la société » (Frozzini et Tremblay, 2018, p. 5 ; voir aussi White et al., 2015). Cette dernière semble importante pour favoriser la réussite universitaire[6] des ÉI lors de leurs interactions avec les divers acteurs rencontrés tout au long de leurs parcours universitaires.

Méthodologie

Ce projet s’inscrit dans une recherche plus large qui inclut plusieurs constituantes du réseau de l’UQ. Une méthodologie commune, fruit d’une coconstruction lors de rencontres et d’échanges en équipe, a été mise en place, avec une demande de certification éthique (CER-18-250-07.01). Nous présentons ici les éléments spécifiques au contexte de l’UQAC. Nous tenons à soulever que, dans cette recherche, trois éléments nous intéressent particulièrement : l’état des interactions, l’expérience vécue par les ÉI et les enjeux liés à la réussite universitaire et à la resocialisation de ces derniers. Partant de cet intérêt, deux questions de recherche se sont dégagées de notre démarche collective : que disent les ÉI et les différents acteurs de leur environnement (interne et externe) à propos des interactions ? Quels sont les enjeux identifiés par les participants comme influençant la réussite universitaire et la resocialisation des ÉI ?

Pour tenter de répondre à ces questions, étant donné la complexité du sujet et les différences de contexte, nous avons opté pour une étude exploratoire de la situation socioéconomique des ÉI et des attentes et des enjeux soulevés par les personnes en contact avec cette population. Pour ce faire, à l’UQAC, lors du recrutement des ÉI, des étudiants locaux et des enseignants, nous avons procédé de la même façon que dans les autres constituantes participantes (production d’affiches, annonces sur les écrans de l’université, envoi de courriels, distribution de prospectus dans les couloirs et visite des classes de cours) [7]. Toutefois, peu de personnes ont répondu au début de la recherche, à l’exception des enseignants (deux groupes de discussion ont été formés : un de 5 et un de 6 personnes). C’est le recrutement des ÉI qui a posé des problèmes particuliers, ainsi que celui des étudiants locaux[8]. Pour contrer ce problème, nous avons essayé d’autres démarches pour les attirer, notamment l’engagement d’une de leurs pairs (une ÉI) qui a pu parler du projet dans son réseau et inciter les étudiants à participer. Nous avons aussi tenu un kiosque, qui nous a permis de rendre le projet un peu plus visible. Nous avons pu former un groupe de 10 ÉI. Ce long processus entamé à la fin de l’automne 2018 nous a permis d’organiser des groupes de discussion en mars et avril 2019. En ce qui concerne les entretiens semi-dirigés, nous n'avons pu en réaliser que deux avec des ÉI : en septembre 2019 et en janvier 2020[9]. Plusieurs personnes ne répondaient plus au moment de la prise de rendez-vous. Toutefois, comme il s’agit d’une étude exploratoire, nous avons jugé que ce nombre serait suffisant pour compléter ou confirmer certaines informations obtenues lors des groupes de discussion.

Les 10 ÉI de cette étude exploratoire se répartissaient entre 7 Français, 1 Brésilienne, 1 Haïtien et 1 Guinéen. Nous avions en tout 5 femmes et 5 hommes, ayant entre 18 et 39 ans. Leur revenu annuel moyen relevait de la catégorie « moins de 10 000 $ à 30 000 $ », la majorité ayant toutefois un revenu inférieur à 10 000 $. La plupart étaient étudiants en sciences sociales et humaines, avec quelques personnes en ingénierie et administration; 3 personnes étaient au baccalauréat et 8 aux études supérieures (maîtrise et doctorat). En ce qui concerne les enseignants, il y avait 7 Canadiens, 2 Français, 1 Italienne et 1 Allemand. Nous avions en tout 4 femmes et 7 hommes. Ils avaient entre 30 et 69 ans et leur revenu annuel se situait entre 30 001 $ et 100 001 $ et plus, avec 6 d’entre eux sur 11 dans la tranche supérieure. La majorité étaient enseignants en sciences humaines et sociales, avec des membres en ingénierie, linguistique, sciences environnementales, marketing et administration.

Nous avons choisi d’avoir recours aux groupes de discussion afin de faire ressortir les expériences communes pour certaines thématiques. L’expérience et la perception en tant que groupe nous intéressaient. L’entretien semi-dirigé nous a permis quant à lui d’avoir accès au vécu et aux perceptions sur ces mêmes thématiques, mais au niveau de l’expérience individuelle, afin de confirmer certaines données que nous ne pouvons pas aborder lors des groupes de discussion, car trop délicates (de l’ordre individuel) pour les traiter collectivement. Ainsi, les entretiens nous ont permis de laisser la porte ouverte à nos interlocuteurs pour choisir d’autres thèmes concernant leur vécu en tant qu’ÉI (Bonneville, Grosjean et Lagacé, 2007) dans un milieu particulier (Kumar, 2016). Le but était d’approfondir la connaissance de la situation des ÉI et l’état des interactions dans un milieu (UQAC) n’ayant pas été analysé à ce jour et présentant des caractéristiques spécifiques. Cette étape préliminaire (recherche exploratoire) nous permettra de mieux cibler et de mieux explorer certaines dynamiques et certains enjeux lors de la prochaine étape de la recherche. Afin de pouvoir effectuer des comparaisons, nous avons utilisé des grilles d’entretien uniformes pour les groupes de discussion et pour les entretiens (appliquées en même temps par les autres équipes de recherche dans les autres universités participantes). Notons que l’anonymat des participants est garanti par l’absence de données nominatives.

Les données recueillies au cours des rencontres ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu (Enriquez, Houle, Rhéaume et Sévigny, 1993 ; Huberman et Miles, 1991), à partir d’une comparaison des propos recueillis au cours de chaque rencontre. Plus spécifiquement, l’analyse a associé explication et compréhension du lien pour les ÉI entre la réussite universitaire, la collaboration avec les acteurs locaux et institutionnels, les situations de rencontre interculturelle, les difficultés lors de la resocialisation et les ressources disponibles, ainsi que leur vécu pendant le processus migratoire. Pour les enseignants, nous avons exploré les relations/interactions avec les ÉI, les situations de rencontre interculturelle et leur vécu avec les ÉI. Nous nous sommes inspirés de l’herméneutique critique (Gadamer, 1996 ; Thompson, 1990) afin de comprendre les dynamiques sociales propres aux rapports interculturels et plus particulièrement les perceptions et représentations, le vécu et les interactions et enfin les expériences individuelles. Cette approche est intéressante du fait qu’elle explique que l’être humain interprète tout à partir de ses préconceptions et que la véritable compréhension nécessite l’identification de ses propres préconceptions afin de les évaluer en rapport avec la situation rencontrée (contexte).

L’analyse des groupes de discussion et des entrevues semi-dirigées a été réalisée à l’aide d’une grille de notation thématique, la réécoute des enregistrements (un retour constant vers les enregistrements pour écouter certaines parties) et les notes que nous avons prises à deux moments : lors des entretiens et lors de la réécoute. Les personnes ont été rencontrées dans les locaux de l’UQAC. Les entrevues (d’une durée de 90 min) et les groupes de discussion (d’une durée de 120 min) ont permis d’approfondir le vécu et la compréhension des participants concernant les interactions, les représentations et les enjeux lors de la resocialisation (Frozzini, Gonin et Lorrain, 2019), principalement parce qu’ils sont devenus collaborateurs, se sont investis cognitivement et affectivement afin de comprendre leur réalité et nous la faire comprendre. Ces entretiens se jumellent à une observation effectuée depuis plusieurs années d’enseignement et de travail au sein de l’UQAC ainsi qu’à l’étude d’ensemble, afin de saisir les subtilités liées aux interactions dans un contexte régional. Nous avons dégagé trois catégories pour faciliter la compréhension de cette analyse exploratoire : (1) les éléments particuliers aux ÉI, (2) les éléments particuliers aux enseignants et (3) les éléments communs aux deux groupes. Nous avons différencié les ÉI des enseignants avec des codes alphanumériques dans la suite du texte afin de permettre un meilleur suivi de l’analyse des propos respectifs de chacun.

Analyse

Éléments spécifiques aux étudiants internationaux

En traitant l’ensemble des cinq thèmes lors du groupe de discussion et des entrevues, quatre grandes catégories émergent : l’expérience universitaire (avec les structures et lors des interactions), le manque de ressources et d’information, les carences en dehors de l’université et l’entraide parmi les ÉI (réseau). Ainsi, un des premiers éléments que nous remarquons, lorsqu’il est question de l’expérience universitaire, est le sentiment de satisfaction, qui semble varier selon les programmes d’études. Plusieurs facteurs sont mentionnés, dont la disponibilité des professeurs ou chargés de cours, la qualité de l’enseignement (façon de donner le cours, niveau de difficulté, etc.) et le fait que les cours ne sont pas des lieux aptes à créer des liens. Les ÉI notent une différence entre les chargés de cours (moins disponibles) et les professeurs (plus disponibles), qu’ils estiment liée aux ressources dont chacun dispose ainsi qu'à son statut, les chargés de cours ayant un emploi plus précaire. En règle générale, on retrouve un degré acceptable de satisfaction, cette satisfacton étant toutefois clairement différente selon les individus (étudiants et enseignants) en ce qui concerne les méthodes d’enseignement et l’intérêt à transmettre la matière (par exemple, entre le fait de simplement lire des présentations PPT et celui d’engager les étudiants dans le contenu des cours).

Les ÉI sont d’accord pour dire qu’ils apprécient la valorisation des étudiants qui est effectuée par les enseignants à l’UQAC : valorisation de leurs opinions, de leur participation, de leur autonomie, etc. Lorsqu’il est question de la relation avec les directeurs de thèse ou de mémoire, la majorité des participants déclarent qu’ils ont de bonnes relations. Toutefois, lors de l’une des entrevues, une étudiante mentionne avoir eu des problèmes avec sa directrice de thèse (peu de suivi et utilisation des données sans permission) : «  nous avons eu des discussions plus fermes, ben là [à ce moment] elle n’allait pas bien. Mais c’était ça sa justification » (D-02). Si cette situation semble extraordinaire, nous savons qu’elle reflète une expérience qui est à proscrire et que les universités en sont bien conscientes. Si des mesures administratives pour y remédier sont en place, c’est dans l’application que nous constatons des problèmes, lorsque des intérêts personnels (des professeurs) et institutionnels sont en jeu (Ahmed, 2019).

Si les interactions avec les enseignants peuvent varier selon les domaines et les individus, une constante apparaît, tant dans le groupe de discussion que dans les entrevues : les relations avec le personnel de l’UQAC (bibliothèque, etc.) sont bonnes. Ce dernier est considéré comme très dévoué. En effet, les ÉI ont une très haute estime du personnel et en particulier des employés des services des bibliothèques. Une exception s'observe aux services du registraire, avec lesquels quelques ÉI ont eu des accrochages. Toutefois, l’impression reste positive. Ces éléments nous permettent de conclure que, malgré les imperfections, les interactions sont positives au sein de la structure universitaire.

La deuxième catégorie qui se dégage de l'analyse concerne le manque de ressources et d’information. Ainsi, un des éléments mis de l’avant par les ÉI est le manque de services en anglais à l’UQAC et au Saguenay en général, s’ajoutant à un manque de ressources adaptées. Lors des échanges, les ÉI font état de la contradiction évidente entre faire venir des personnes qui ne parlent pas le français et l’absence de ressources dans une autre langue (en l’occurrence l’anglais) qui leur permettrait de passer à travers les premières étapes lors de leur installation et de leur inscription. Cette incohérence se poursuit avec l’absence de cours de français gratuits pour les étudiants au sein de l’université. Si certains organismes communautaires offrent cette ressource, les ÉI n’y avaient pas accès jusqu’à très récemment. Ce n’est en effet que depuis juillet 2019 que le gouvernement provincial permet l’accès à des cours de francisation aux ÉI et à leur famille[10]. Toutefois, la question des horaires risque de devenir problématique en matière de conciliation entre les divers établissements, car ces cours ne sont pas donnés au sein des universités.

Les ÉI ont relevé aussi le manque d’information concernant le système d’immigration, qui est d’ailleurs très complexe, et concernant celui de la santé (comment avoir accès, types d’établissements pour divers besoins, où aller chercher des médicaments, etc.). Ils suggèrent la mise en place de séances d’information à l’UQAC afin de répondre aux questions concernant l’immigration et la santé. Nous constatons qu’il y a clairement un problème d’accès aux données (promotion de l’information par l’institution), car les ÉI n’étaient pas tous au courant de certains services et ressources offerts par l’UQAC. Par ailleurs, selon les ÉI, les activités de l’UQAC sont intéressantes, et ils veulent qu’elles se poursuivent. Toutefois, ils insistent sur un suivi à faire auprès des ÉI au cours de l’année, comme en témoigne un étudiant :

[…] les informations ne sont données qu’au début de la rentrée. Ça me choque, parce que je me dis, mais les ÉI, on arrive [souvent] en milieu d’année. S’ils pouvaient ne pas mettre ça qu’en début de session […] [mais] faire des choses en cours de route. Parce que même si on a assisté aux réunions d’information, on a toujours des informations qui nous manquent au cours de l’année. […] Tout ce que j’ai ressenti, j’ai l’impression d’avoir énormément raté. Tout ce que j’ai fait, je l’ai appris de moi-même, en fait. Je n’ai pas assisté aux réunions d’information donc. […] Faire même d’autres réunions d’information en cours de route, dire : comment ça va ? Où vous en êtes ? Vous avez besoin d’autres informations ? Enfin, juste un petit suivi, ça ne s’est pas fait. C’est au début, mais en cours de route, vous ne savez pas ce que les gens deviennent.

groupe de discussion, C-01

Outre ce qui est à améliorer au sein de l’UQAC, les ÉI mentionnent d’autres éléments regroupables sous une troisième catégorie : les carences en dehors de l’université. Ainsi, les ÉI notent que les activités culturelles sont plus limitées en région et mentionnent la difficulté à assister à des évènements dans les grands centres comme Montréal ou Québec à cause de la distance. Toutefois, ces caractéristiques font en sorte que les ÉI en région se déplacent plus (tourisme) dans la province. En effet, ils remarquent que leurs pairs dans les grands centres ont tendance à y rester, tandis qu’eux se sont déplacés et ont visité plusieurs endroits. D’ailleurs, ils ajoutent qu’ils apprécient clairement en règle générale la nature et donc les activités qui lui sont liées (randonnées, camping, etc.). Toutefois, il semble que la région demeure un lieu de passage pour les ÉI. En effet, même si certains veulent demeurer au Saguenay–Lac-Saint-Jean ou retourner dans leur pays, plusieurs veulent vivre ailleurs dans la province. Parmi les facteurs pouvant expliquer la volonté de rester, on trouve le sentiment de se sentir en sécurité dans la région (ils peuvent sortir sans peur de se faire attaquer). De plus, l’ensemble des ÉI trouve que la vie à Chicoutimi est moins stressante et que c'est une occasion de refaire sa vie. Ils mentionnent qu’on a plus de temps pour vivre, qu’au Québec, on prend le temps de vivre. Malgré ce sentiment positif de bien-être, certains participants ressentent la présence d’un certain racisme si on est Noir et parlent d’un manque de courtoisie qui les affecte, en particulier les salutations (les gens ne répondent pas lorsqu’on les salue ou ils ne saluent pas lorsqu’ils arrivent quelque part).

En ce qui concerne la salutation, lors d’une des entrevues, une étudiante relativise le phénomène en insistant sur le fait que cela va dépendre de la relation interpersonnelle. En effet, elle explique que si le fait de ne pas saluer donne un choc au début, à travers le temps, en connaissant les gens et en parlant de cette situation, elle en a compris les raisons, comme le fait que les gens ne veulent pas déranger, etc. : «  c’est une façon différente de vivre » (entrevue, D-02). Lors de la discussion sur les problèmes externes à l’UQAC, a été mentionné celui des équivalences des diplômes et des acquis, où certains ÉI expliquent les problématiques liées aux ordres, comme celui des ingénieurs. Ils ont aussi déclaré être en présence d’un marché de l’emploi fermé ou très réticent à embaucher des ÉI ou de nouveaux diplômés venus d’ailleurs. Ils déplorent que les murs qui, comme ceux-là, se dressent devant eux ne soient pas clairement abordés avant d’arriver au Canada. En fait, ils sont obligés d’effectuer cet apprentissage sur les lieux, c’est-à-dire lorsqu’ils sont directement confrontés au problème. Ainsi, ils pensent qu’ils auraient dûs être mieux préparés, et qu’ils auraient peut-être changé d’option.

Un élément négatif sur lequel les ÉI sont unanimes est le caractère déficient du transport en commun dans la ville. Il est très problématique pour les ÉI, en raison des trajets, des horaires inadaptés, du nombre faible d’autobus et des horaires réduits en soirée et en fin de semaine, ainsi que des horaires non respectés (surtout l’hiver) et d’un service très réduit durant l’été, etc. Si, récemment, à l'automne 2019, plusieurs trajets ont été ajoutés en lien avec une nouvelle station construite sur le campus universitaire, les horaires et la diminution des fréquences en fin de semaine rendent toujours les déplacements difficiles. Les ÉI doivent souvent se déplacer à pied pour aller faire leurs courses et les infrastructures piétonnes ainsi que la signalisation sont déficientes. Certaines ÉI les trouvent même dangereuses.

Finalement, pour contrer les aspects négatifs et pour distribuer l’information, les ÉI font preuve d’entraide entre eux. Cette caractéristique est visible dans le transfert d’information qui s’effectue de façon informelle afin de pallier le manque de structures plus efficaces. Ainsi, on nous mentionne la conception d’une page Facebook qui fonctionne bien pour les étudiants français. Cependant, ce n’est pas le cas pour tous les étudiants : à titre d'exemple, d’autres pages comme celle des étudiants internationaux semblent plutôt inactives. On mentionne aussi des initiatives individuelles de transfert d’information de la part des ÉI, comme l’accueil chez soi ou l’organisation de soirées amicales. D’autres types d’aide prennent la forme de groupes d’entraide pour réussir les études et pallier le manque d’encadrement de la part des directrices et directeurs de thèse ou de mémoire : «  c’était un collègue au doctorat, du même département, avec la même directrice […] [et] quand le directeur a plusieurs étudiants […] [comme] dans notre cas […], j’ai aidé comme moi j’ai été aidée au départ ou même plus, pour essayer juste de l’aider à aller mieux » (entrevue, D-02). Si l’entraide est présente et que la colocation semble bien fonctionner pour l’ensemble, certains éprouvent des difficultés avec leurs colocataires. Toutefois, ils arrivent à relativiser et à se dire que c’est une question d’adaptation, qu’il y a une familiarité qui s’installe à la longue. Il est important de souligner ici que les interactions caractérisées par l’entraide sont le signe d’un maniement des savoirs culturels utilisés afin de réduire les écarts culturels et de favoriser l’adaptation à l’environnement.

Éléments spécifiques aux enseignants

Lors de l’analyse des groupes de discussion avec les enseignants, deux grands thèmes se sont dégagés de l’ensemble des propos : (1) des observations sur la structure, le système et la région et (2) des observations sur les relations avec les ÉI. Ainsi, en ce qui concerne le premier thème, les enseignants mentionnent que le nombre d’ÉI varie selon la discipline. Dans certaines disciplines au premier cycle, la majorité des classes sont constituées d’ÉI, comme en ingénierie, en sciences fondamentales, en foresterie. Il existe aussi des disciplines où les ÉI constituent au moins la moitié des étudiants, comme en administration ou en sciences politiques. Finalement, il existe d’autres programmes où nous ne retrouvons que peu d’ÉI, comme en sociologie, en histoire, en enseignement, en linguistique ou en travail social. Leur présence en deuxième et troisième cycles varie aussi d’une discipline à l’autre. Selon les enseignants, indépendamment du nombre d’ÉI dans chaque discipline, ces derniers comprennent le poids économique qu’ils ont collectivement pour l’UQAC et la dépendance que cela crée. En effet, plusieurs programmes survivent grâce à l’inscription des ÉI et l’économie locale bénéficie grandement de leur présence (loyers, commerces, transports, etc.) :

[…] Je ne sais pas ce qu’ils représentent dans vos concentrations comme effectifs, mais pour moi ils sont importants si je veux que le programme reste en vie.

groupe de discussion, B-05

La diversité dans la composition des ÉI, tant en nombre qu’en provenance, semble créer des tensions qui varient en fonction des disciplines. Ainsi, des enseignants rapportent que les étudiants maghrébins et les étudiants chinois ne se mêlent pas aux autres. D’autres mentionnent que les étudiants africains semblent avoir des difficultés dans les cours, car il semble y avoir un écart entre leur niveau et les attentes formulées dans les cours. À ces éléments s’ajoute le fait que les méthodes pédagogiques varient aussi selon les disciplines (des calculs, des exercices de compréhension de textes, etc.) et selon les enseignants. Un constat effectué par l’ensemble des enseignants présents est le manque de ressources (psychosociales, pédagogiques, etc.) et l’absence de lieux pour partager les expériences ou chercher de l’aide. Quelques initiatives sont mises de l’avant, mais le manque de ressources est bien réel, ainsi que le sentiment d’être chacun dans son coin pour faire face à ces besoins :

ce qui n’est pas, vraiment pas, l’idéal, c’est de rester seul avec les problèmes et seul pour trouver des solutions. Je trouve ça assez triste. Il me semble que les départements et les programmes ont des responsabilités collectives. Je vous entends parler comme chargés de cours et j’ai l’impression que vous cherchez vos solutions à vous. C’est absolument remarquable, mais en même temps il me semble que je vous sens dans l’isolement là-dedans.

groupe de discussion, B-06

Pour les enseignants, il est évident que plusieurs ÉI subissent un choc lors de leur arrivée et que le premier trimestre est plus difficile pour eux. Certains de ces enseignants sont conscients des défis que les ÉI doivent relever lors de leur arrivée sur le sol canadien, mais aussi des carences que plusieurs de ces ÉI semblent avoir en ce qui concerne les méthodes de travail ou la présentation des travaux : absence de références dans les travaux, cas de plagiat, etc. À ce titre, quelques enseignants mentionnent que ces problèmes se retrouvent aussi chez les étudiants locaux et que cela relève simplement, pour certains ÉI, de façons de faire différentes.

Malgré les difficultés et les divers problèmes soulevés, certains enseignants pensent qu’on peut concevoir les cours comme des lieux d’interactions entre ÉI et étudiants locaux. En ce sens, les interactions ne se produisent pas comme ils le voudraient (voir plus loin). Les enseignants soulignent l’importance de l’UQAC dans la région, car elle contribue à la formation à la différence au sein de la population. Ainsi, le Saguenay–Lac-Saint-Jean change et devient plus ouvert, mais avec un danger qui demeure : celui de l’essentialisme ou de la « folklorisation » des appartenances en l’absence d’une éducation critique, c’est-à-dire le fait de reproduire des stéréotypes qui ne traduisent pas la réalité des individus ou des groupes.

En ce qui concerne le deuxième thème, c’est-à-dire celui des observations sur les relations avec les ÉI, les enseignants mentionnent qu’eux ou leurs collègues subissent des chocs culturels et qu’il y a un besoin d’accompagnement de ces derniers. En effet, nous pouvons penser aux enseignants qui proviennent d’autres cultures et qui commencent leur carrière à l’UQAC, ou d’autres qui trouvent difficile l’enseignement auprès d’étudiants provenant d’horizons culturels divers. Sur ce dernier point, les enseignants font des distinctions en fonction de la provenance des ÉI (Africains, Français, Maghrébins, Chinois) en ce qui concerne la distance créée avec l’enseignant (respect de la hiérarchie plus marqué chez les Français, les Africains et les Chinois), le fait de « jouer avec les limites permises » (pour les Maghrébins), l’apparence de tensions entre groupes (Chinois et Maghrébins), les tensions autour du port du voile (regards, mots déplaisants, maintien d’une distance physique) et les problèmes pédagogiques (voir plus haut).

Sur ce dernier point, les enseignants mentionnent qu’en général ils devraient exercer, comme collectivité, un rôle plus actif, car ils constituent des agents de changement à travers l’enseignement et l’orientation qu’ils peuvent procurer aux ÉI. Cependant, certaines modifications doivent être apportées, comme l’adaptation pédagogique, qui semble nécessaire afin de favoriser la réussite des ÉI : prendre le temps de bien expliquer les modalités et les attentes des cours, les modes d’évaluation, les travaux de session, les prérequis, l’engagement actif dans les cours, l’explication du système universitaire québécois, etc. Les éléments mentionnés par les enseignants rencontrés démontrent qu’ils disposent des compétences interculturelles leur permettant de réduire les écarts culturels, mais cela ne semble pas être le cas pour l’ensemble du corps enseignant.

Éléments communs aux deux groupes

Dans l’ensemble des groupes de discussion et des entrevues, cinq grands points communs aux ÉI et aux enseignants ressortent. Le premier tient au fait que les enseignants à l’UQAC sont plus présents que ceux dans les pays d’origine des ÉI. Ils sont plus susceptibles de les recevoir dans leurs bureaux, de prendre le temps d’expliquer certains points, etc. Cependant, il semble y avoir une certaine rigidité en ce qui concerne les attentes par rapport aux cours ou aux besoins des ÉI. Si les enseignants, en règle générale, font preuve de respect envers les ÉI, leur sensibilité envers la situation ou le parcours des ÉI est variable. Les enseignants issus de l’immigration ou ceux qui ont eu des expériences à l’étranger semblent être plus sensibles à ces situations. D’ailleurs, plusieurs vont partager les mêmes codes culturels, ce qui facilite la compréhension des réactions et des possibles mécompréhensions. De plus, comme nous l’avons mentionné, la relation à la hiérarchie ou à l’autorité en ce qui concerne la façon de s’adresser ou d’interagir change en arrivant en contexte québécois pour plusieurs des ÉI, qui sont habitués à une relation plus formelle et moins « friendly »[11], à savoir qu’ils peuvent à l’UQAC appeler l’enseignant par son prénom et interagir de façon à remettre en question ses points de vue. Ainsi, il y a encore du chemin à parcourir, avec un peu plus d’ouverture nécessaire des deux côtés. Non seulement des adaptations sont nécessaires, mais elles sont urgentes, afin de diminuer certaines tensions par rapport à diverses attentes incomprises de part et d’autre.

Le deuxième élément soulevé conjointement par les deux groupes tient aux relations entre les ÉI et les étudiants locaux, qui semblent assez difficiles. En effet, en classe et ailleurs, on retrouve peu de mélanges. Lors des travaux en équipe, il est difficile d’inclure quelqu’un d’ailleurs. Toutefois, nous constatons des différences marquantes entre disciplines, car dans celles où l'on retrouve peu d’ÉI, ces derniers tendent à socialiser dans les cours rapidement (à se faire des amis). Ainsi, ils sont plus facilement inclus. Cependant, dès qu’ils se retrouvent avec des personnes provenant du même pays ou de divers pays, les ÉI ont tendance à former des sous-groupes, où rarement on retrouve un étudiant local. Ces regroupements, qui permettent de « gérer le choc culturel », comme l’a si bien expliqué l’un des enseignants, est aussi dû au fait de partager une condition commune, c’est-à-dire celle d’être étrangers. Les participants relèvent que les étudiants locaux qui ont des expériences à l’étranger semblent plus ouverts (il est plus facile d'entamer des échanges avec eux et de développer une amitié).

Le troisième élément soulevé par les participants tient aux difficultés liées aux différences culturelles (les codes culturels) et au choc culturel. Parmi les différences notables, on retrouve la langue : pour ceux qui ne la maîtrisent pas en arrivant, elle est une barrière. Pour les francophones, les différences liées aux accents et aux expressions peuvent aussi être source d’incompréhension. Les codes reliés aux interactions en classe entre les ÉI et les enseignants ont aussi été mentionnées comme source de mécompréhension. Toutefois, ces différences tendent à diminuer avec le temps, lorsque les ÉI arrivent à s’adapter et à comprendre les nouveaux codes. Les participants relèvent aussi des similitudes (d’attitudes) entre régions ici et ailleurs. Ainsi, plusieurs observent que des attitudes dans certaines régions en France ou dans des pays nordiques ressemblent aux façons de faire au Saguenay. Les comparaisons effectuées leur permettent de relativiser leurs réactions et celles d’autres personnes autour d’eux.

Un point qui revient très souvent est l’absence de services d’accueil et d’information ou la courte durée de ces services. Malgré la présence de services d’accueil pour les étudiants, plusieurs ÉI ne semblent pas pouvoir assister aux réunions ou ne pas obtenir toute l’aide nécessaire. Parmi les carences, a été mentionnée l’absence d’information concernant le fonctionnement universitaire (comment fonctionnent les contrats, les évaluations, etc.), les structures sociales, les types de services à proximité, le fonctionnement du système de santé, les divers services offerts par les divers paliers de gouvernement, le fonctionnement du système d’immigration au Canada, les statuts de séjour, etc. Si des ateliers sont donnés avec beaucoup d’informations, ils le sont seulement au début de la session d’automne, alors que plusieurs ÉI arrivent un peu plus tard en région. Il manque donc un suivi et une adaptation aux disponibilités des ÉI, car ces derniers, pour des raisons d’horaires de cours ou de travail, ne peuvent pas toujours se déplacer pour assister à ces séances d’information. Il est proposé de donner des ateliers tout au long des sessions afin de favoriser l’accès à l’information. Outre des ateliers, un suivi en cours de route afin de vérifier l’état de la situation semble une option qui plaît aux participants. L’ensemble des participants est d’accord pour dire que les infrastructures piétonnes, l’aménagement urbain et le transport en commun sont déficitaires au Saguenay.

Les participants mentionnent aussi le manque de ressources à l’UQAC. Parmi les ressources mentionnées comme nécessaires, il y a celle d’une infirmière ou d’un service de santé. Plusieurs ÉI ont des difficultés d’accès aux services de santé, entre autres par manque d’information. A été également mentionné le manque de rencontres préparatoires pour le travail intellectuel, qui permettrait de clarifier certaines différences et guider les ÉI vers diverses ressources disponibles, dont le Cube (Centre de référence et d’aide pour les étudiants). Dans le but d’accompagner les ÉI sur le court, moyen et long terme, l’idée d’un jumelage ou d’un parrainage entre étudiants est donc suggérée, afin de permettre de combler le manque d’information et de faciliter le transfert d’information. Il est ainsi question d’une meilleure prise en charge des ÉI (avec l’ensemble des informations dont ils ont besoin). L’ensemble des changements proposés et les initiatives mentionnées orientent les discussions vers un constat : il manque à l’UQAC une culture d’accueil capable d’insuffler la création d’un véritable milieu de vie.

Conclusion

Cet article porte sur le vécu et l’état des interactions entre les ÉI, les enseignants et le personnel de l’UQAC, une université située dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean au Québec (Canada). Il a permis de décrire le contexte particulier de l’expérience vécue par les ÉI de l’UQAC, où un certain nombre de facteurs teintent leur parcours académique et personnel. Ces expériences vont affecter le processus de resocialisation avec des perceptions particulières. L’ensemble de ces éléments peuvent avoir des conséquences à court, moyen et long terme sur les interactions et, ultimement, sur le processus de la rencontre.

Parmi les éléments à retenir, nous avons constaté que les expériences varient selon les programmes et les groupes d’appartenance. Il existe une entraide informelle entre les ÉI, principalement pour pallier le manque de ressources et d’information. Toutefois, cette entraide demeure inégale selon le groupe d’appartenance de l’ÉI. Pour cette raison, les séances d’information à propos de la vie au Saguenay et à l’université devraient revenir à plusieurs moments pendant le trimestre. De plus, une attention particulière envers les ÉI est requise lors du premier trimestre, car ce trimestre semble déterminant. Majoritairement, les ÉI semblent préférer les contacts directs et un suivi afin de s’assurer de la bonne poursuite de leur séjour et de leurs études. En ce qui concerne l’environnement physique, la conception des infrastructures de la ville (aménagement urbain, transport en commun, etc.) doit prendre en compte la réalité des ÉI. En ce sens, les ÉI saisissent le poids économique qu’ils détiennent ainsi que la dépendance du milieu universitaire et local à leur égard. En ce qui concerne les enseignants, la majorité a besoin d’un accompagnement pour répondre à leurs besoins et ceux des ÉI. Cela devient d’autant plus important lorsqu’on considère le rôle d’agent de changement qu’ils peuvent jouer. Certains étudiants ont mentionné avoir vécu des problèmes de harcèlement ainsi qu’une certaine inaction de la part de certains professeurs. Depuis, nous constatons que des mesures ont été mises en place, à la suite de l’adoption d’une loi contre tout type de harcèlement à caractère sexuel en milieu académique[12]. C’est le temps qui permettra de dire si les formations (obligatoires) mises à la disposition du personnel et auprès des étudiants ainsi que la mise en place d’un cadre comportemental porteront leurs fruits. Il est important de souligner ici que la majorité des participants à cette étude semblaient posséder le savoir culturel nécessaire pour créer des conditions favorables à la réduction des écarts culturels. Ces compétences interculturelles était observables, mais leur degré de développement demande à être analysé, ainsi que l’étendue du type de compétences présentes au sein de la population universitaire dans son ensemble. Ceci est d’autant plus important dans un contexte où les interactions entre ÉI et étudiants locaux semblent ténues.

Nous voudrions relever ici quelques points qui ont attiré notre attention lors du processus de recherche. Un des premiers points est celui du contexte, que nous avions observé lors de l’analyse d’une initiative prise en milieu municipal (Frozzini, 2019) et qui ressemble à celui que nous observons ici : la volonté d’aider avec une ouverture d’esprit qui se conjugue avec un contexte institutionnel et territorial où les ÉI sont conçus comme des ressources (économiques et démographiques). Cette situation illustre un équilibre fragile lors des situations de crise. En effet, lors de l’écriture de ces lignes, nous sommes plongés dans la crise mondiale liée à la pandémie du COVID-19, qui a forcé la fermeture des universités et un transfert rapide vers l’enseignement à distance. Des réactions de peur envers « l’étranger » sont observables un peu partout, mais nous sommes soulagés par le constat que les ÉI à l’UQAC semblent continuer à recevoir une certaine aide de la part de l’institution, ce qui leur a permis de demeurer dans les résidences, avec la mise en place d’un fonds d’aide pour ceux dans le besoin[13]. La reprise des activités lors d’un nouveau trimestre s’est faite encore sous le signe de l’enseignement à distance, avec la présence de difficultés supplémentaire pour les ÉI (difficultés supplémentaires à suivre les cours, travaux en équipe plus laborieux, etc.). Dans ce contexte, l’ouverture des enseignants et du personnel est encore plus sollicitée. Des mesures correctives sont nécessaires afin d’éviter l’isolement de la population étudiante dans sa recherche de solutions. Ce besoin était déjà évident lors des discussions, car nous avons observé, à deux occasions, la mise en place d’échanges qui se sont rapidement transformés en sessions de partage d’information et de ressources pour pallier les problèmes concrets. Les besoins des ÉI et des enseignants sont grands : nous constatons l’absence de groupes et de lieux où aller chercher de l’aide (ou du support) pour répondre à des défis liés à la resocialisation et à la rencontre de la différence. Il serait donc important de créer ce type d’espace convivial pour faciliter le transfert des savoirs-faire. L’étude nous a aussi permis de confirmer l’absence à la fois d’un modèle (de communication et d’analyse) simple pour résoudre des situations qui peuvent sembler complexes et d’une structure qui permette le développement de compétences (compétences interculturelles de communication tant individuelles qu’organisationnelles). La mise en place de ces éléments faciliterait la préparation des acteurs en présence dans l’université. Il est recommandé aussi de mettre en place un suivi des ÉI et des enseignants à long terme. Cette mesure permettrait de s’assurer de la cohérence des interventions et d’effectuer des ajustements en cas de besoin. Notre article ayant une porte limitée, il sera intéressant de connaître l’état de la situation à l’extérieur de l’université et de poursuivre l’analyse des interactions au sein de l’institution.