Le théâtre grec contemporain sous les feux de la rampe[Notice]

  • Yves Jubinville

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  • Yves Jubinville
    Directeur

L’actualité récente a placé la Grèce sous les projecteurs. Pour qui ne connaît ce pays que par le biais de ces clichés qui décrivent des scènes maritimes enchanteresses ou par ceux (souvent les mêmes) qui racontent l’épopée d’une civilisation disparue, berceau de nos cultures, l’étonnement est à peu près assuré. La vision répandue, et peut-être maintenue par les Grecs eux-mêmes qui diffusent allégrement cette image pour fin de consommation touristique, tend en effet à faire de la Grèce un univers figé dans un temps immémorial que ne saurait troubler l’actualité intempestive de notre monde agité. Et voilà que cette actualité nous révèle au contraire un lieu traversé par tous les soubresauts et l’agitation de la planète. Mais au-delà de la fameuse dette grecque qui fait trembler les places boursières et qui donne des munitions aux prédateurs de la haute finance mondialisée, on pense également aux effets de cette crise sur une population, sur un tissu social, une culture, sur des hommes et des femmes qui la vivent au quotidien. Par un concours de circonstances, le dossier que nous présentons ici sur le théâtre grec contemporain, en préparation depuis déjà quelque temps, arrive à un moment que l’on pourrait dire propice à la redécouverte de la Grèce sur la scène internationale. Comprendre ce qui se passe maintenant dans cette société à travers la lunette ou alors le miroir que nous tend le théâtre n’est peut-être pas, tout bien considéré, une façon inappropriée de procéder. Parions en effet que celui-ci arrive à dire les choses autrement que ce que les médias internationaux colportent au sujet de la Grèce actuelle et de ses « difficultés ». D’abord, parce qu’il présente la réalité à travers un filtre qui, par définition, la transforme et l’interprète. Ensuite parce qu’il apporte une dimension historique que ne fournit pas la couverture médiatique. Le dossier rassemblé par notre collègue Georges P. Pefanis, de l’Université d’Athènes, a justement le mérite de replacer l’évolution du théâtre grec dans une perspective historique essentielle aux lecteurs étrangers que nous sommes. Plusieurs articles, sans chercher à refaire la chronique des événements, rappellent l’importance du tournant politique qui s’est opéré en 1975 et qui a vu l’instauration d’une démocratie après des années de dictature militaire. Ce tournant reste significatif tant pour l’évolution de la dramaturgie grecque moderne que pour le développement de l’institution théâtrale. Cette période d’effervescence, s’il l’on en croit l’ensemble des études de ce dossier, n’est pas dissociable des circonstances qui ont présidé à cette transformation politique, et l’on comprend que les auteurs y reviennent sans cesse comme ils vont puiser également à la source antique et à la mythologie théâtrale qui continue, pourrait-on dire, à faire de l’ombre sur ce qui se passe aujourd’hui. En complément de cette série d’articles sur le théâtre grec contemporain, nous publions dans ce numéro une étude de Maria Stasinopoulou sur les mises en scène grecques de Molière, qui montre bien que l’activité théâtrale, en ce pays, se développe dans un va-et-vient constant avec la production européenne et s’inscrit, plus largement, dans un mouvement qui dépasse les frontières nationales. Un mot en terminant pour signifier le souhait de la direction de L’Annuaire théâtral de rendre hommage, près d’un an après sa disparition, à notre collègue et ami André G. Bourassa. Nous lui dédions ce numéro qu’il aurait certes apprécié, lui qui, en tant qu’historien de la modernité, avait toujours à coeur de comprendre les opérations complexes par lesquelles le théâtre se construit et se réinvente dans et par son rapport dynamique avec le passé. Nos lecteurs savent combien Monsieur Bourassa a été l’un des piliers de cette …