Notes de lecture

JANE KOUSTAS, Robert Lepage on the Toronto Stage: Language, Identity, Nation, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2016, 224 p.[Notice]

  • Nicole Nolette

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  • Nicole Nolette
    Acadia University

Ceux qui connaissent les écrits scientifiques de Jane Koustas savent qu’il s’agit d’une des sources les plus prolifiques sur Robert Lepage. Depuis plus de vingt ans, Koustas suit l’évolution de l’artiste, cumulant les contributions à son sujet dans de nombreux périodiques et livres savants, autant en études théâtrales qu’en traductologie. Sa perspective est singulière : elle s’intéresse aux prestations de Lepage à Toronto, d’où elle analyse la réception tant des critiques torontois que des critiques québécois qui se déplacent pour voir les oeuvres en progression perpétuelle, et souvent en première dans la Ville-Reine. En ce sens, l’ouvrage Robert Lepage on the Toronto Stage: Language, Identity, Nation est la somme de la carrière de la chercheuse en théâtre et en traduction, mais aussi un parcours fascinant dans le questionnement comparatiste en études canadiennes. Dans ce livre, Koustas propose d’explorer le rapport d’altérité entre Lepage et Toronto depuis ses débuts avec le Théâtre Repère pendant les années 1980 jusqu’à la première décennie du XXIe siècle, du spectacle de Circulations à celui du Dragon bleu. Le rapport d’altérité se modifie considérablement au cours de ces années : d’abord, par un effet de synecdoque, la ville prend les allures du RoC (Rest of Canada) pour Robert Lepage qui y découvre son identité québécoise dans un chez-lui légèrement différent; ensuite, la ville devient un tremplin vers le circuit des festivals internationaux qui assurent le financement de l’artiste. Les spectateurs de Toronto, habitués au théâtre québécois monté en traduction dans la ville, admirent quant à eux les qualités bilingues ou plurilingues du théâtre de Lepage, ainsi que sa capacité à brouiller les frontières nationales entre l’original québécois et la version canadienne-anglaise. Au gré des ambitions de la ville, qui dynamise sa scène théâtrale pour se positionner à l’échelle des villes créatives dignes d’intérêt mondial, la vision internationalisante (interculturelle, transnationale) du théâtre de Robert Lepage occupe une place de choix. Inversement, l’esthétique théâtrale de Lepage présentée à Toronto transforme radicalement l’imaginaire du théâtre anglo-canadien. Dans la réciprocité des échanges entre l’artiste et la métropole, Koustas considère Lepage comme « formé par la ville de Toronto et en conversation avec elle ». Et bien que l’artiste et la ville soient triangulés avec le monde, l’hypothèse de Koustas demeure qu’on comprend mieux l’oeuvre de Lepage en étudiant son rapport avec Toronto. Puisant sporadiquement dans les travaux de Michael Cronin sur la traduction et le voyage ou de Charles Taylor sur le multiculturalisme canadien et la nécessité de la reconnaissance par les autres, Koustas ancre plus fréquemment sa discussion du théâtre de Robert Lepage dans les définitions du théâtre interculturel de Ric Knowles et du théâtre mondial (« global theatre ») de Patrick Lonergan. Souvent accusé d’orientalisme pour ses premiers spectacles (en particulier La trilogie des dragons), Lepage progresse vers le théâtre interculturel et mondial en allant véritablement à la rencontre des traditions étrangères pour jouer avec l’altérité et faire du spectacle un échange culturel. Comme Knowles, Koustas perçoit à Toronto des publics diversifiés prêts à interagir avec les spectacles de Lepage, qui multiplient les langues, les cultures et les traditions théâtrales. Puisqu’ils célèbrent la diversité plutôt que de l’effacer ou d’en faire un objet exotique, ces spectacles seraient plus exigeants envers leurs spectateurs. Se situant dans un long débat sur le rapport trouble que Robert Lepage entretient avec l’identité et l’altérité, Koustas est plus attentive à l’appréciation des spectateurs torontois qu’aux critiques continues d’orientalisme. Après un premier chapitre qui présente l’histoire du théâtre québécois telle que perçue de Toronto, c’est-à-dire de Gratien Gélinas au théâtre de l’image auquel contribue Robert Lepage, Koustas consacre trois …

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