DossierPrésentation

Dans le corps du texte, au coeur des territoires du féminin, le théâtre de Brigitte Haentjens[Notice]

  • Catherine Cyr

Figure majeure du théâtre contemporain, la metteure en scène Brigitte Haentjens poursuit, depuis plus de trente ans, une trajectoire marquée d’audace et de rigueur, où le discours scénique n’a de cesse de se réinventer. Directrice générale et artistique de la compagnie Sibyllines, qu’elle fonde en 1997, elle y approfondit une démarche reposant sur le croisement et la mise en résonance de « trois grands axes » ou « pôles d’attraction », soit l’identité, la sexualité et le pouvoir (Lépine, 2008 : 9). D’une production à l’autre, ces perspectives tracent un paysage théâtral singulier où se recoupent des thématiques, des enjeux ou des dispositifs qui font saillie. Comme l’exprime la créatrice, Au fil de l’élaboration de ce territoire théâtral tissé de rhizomes discursifs et habité de récurrences formelles – profération du texte, verticalité des corps, épure scénographique – qui n’ont de cesse de ricocher d’une pièce à l’autre s’est développé un langage scénique s’affinant ou se précisant chaque fois davantage sans, toutefois, se cristalliser en une « signature » par trop figée. Interpellé par cette esthétique radicale mais inassignable, de même que par l’acuité du regard que pose Haentjens sur les divers désordres du monde, un public toujours grandissant s’attache à suivre le travail de la metteure en scène. De même, la critique accorde une place de plus en plus importante à Sibyllines, chacune des productions de la compagnie faisant l’objet de comptes rendus critiques dans divers quotidiens ou entre les pages de différentes revues culturelles telles que Spirale ou Jeu. Deux ouvrages autoréflexifs abordent aussi la pratique de Haentjens et le trajet de la compagnie. Le premier, Sibyllines :un parcours pluriel (2008), est dirigé par Stéphane Lépine, qui a longtemps agi comme conseiller dramaturgique auprès de la metteure en scène, et s’attache à retracer les dix premières années de Sibyllines à travers un florilège de témoignages émanant d’artistes et de proches collaborateurs de Haentjens; le second, Un regard qui te fracasse : propos sur le théâtre et la mise en scène (2014), est signé par la créatrice et déplie une réflexion sensible sur son parcours et sur sa pratique artistique saisie et pensée au présent. Or, qu’en est-il du discours savant développé sur Haentjens? Étonnamment, celui-ci se révèle bien mince. Dans les dernières années, deux remarquables mémoires de maîtrise, élaborés par Emilie Jobin (2011) et Gabrielle Lalonde (2012), lui ont été consacrés. Ces recherches, s’appuyant sur des perspectives théoriques distinctes, abordent chacune la question du féminin, récurrente, voire lancinante, chez Haentjens, à travers le prisme de l’identité et du rapport au corps. Pour ma part, dans un chapitre de l’ouvrage collectif Loin des yeux, près du corps : entre théorie et création, dirigé par Thérèse St-Gelais, je me penche aussi sur des constructions du féminin, instables et ambivalentes, que le dispositif choral privilégié pour la pièce Tout comme elle met au jour (voir Cyr, 2011). Quelques articles, parmi lesquels une lumineuse réflexion d’Hervé Guay (2011) sur les rapports entre l’écriture, la folie et les verrous moraux et sociaux emprisonnant les écrivaines dans les spectacles Malina, La cloche de verre et Vivre, complètent ce modeste tableau. Saisie par le décalage entre la place centrale occupée par Haentjens dans le paysage théâtral québécois et la ténuité du champ réflexif portant sur son travail, j’ai souhaité élaborer un dossier qui contribue au développement de cette pensée en marche sur le discours et la pratique de la metteure en scène. Deux aspects, récurrents et structurants, ont été retenus pour former le noyau organisateur de ce dossier : d’une part, le travail que déploie la créatrice autour du texte et …

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