Recherche-création

De l’utopie d’une présence brute[Notice]

  • Anne-Marie Ouellet

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  • Anne-Marie Ouellet
    Université d’Ottawa

Sur le site Internet de la Ville de Montréal, la médiation culturelle est définie de cette façon : « Il s’agit d’élargir et d’approfondir l’accès de la population, en particulier des plus démunis, aux moyens de création individuelle et collective, ainsi qu’à l’offre culturelle professionnelle » . On y sous-entend une scission franche entre la population et le milieu culturel. Et la plupart des projets menés dans ce cadre correspondent soit à des projets de vulgarisation – comme des discussions après spectacle et autres leçons d’art contemporain pour novices –, soit à des activités artistiques pour amateurs dont l’expression de soi est l’objectif principal. Dans cette optique, la médiation suppose à la fois une tentative de résolution de conflit et l’implication d’un intermédiaire entre deux partis. Or, est-il possible que l’oeuvre naisse de cette médiation, dans cet espace de rencontre, et ce, sans hiérarchie? Si, au lieu de s’abaisser pour expliquer son art aux mortels, l’artiste cherchait plutôt à tendre l’oreille vers l’autre pour proposer des oeuvres s’ouvrant comme des réseaux sensibles entre des intimités étrangères? Ces questions accompagnent les récents projets que j’ai développés au sein de la compagnie L’eau du bain avec des adolescents et des personnes âgées, avec des non-acteurs. L’envie de travailler avec des non-acteurs provient d’abord d’une exigence esthétique. En tant que metteure en scène (et spectatrice), je m’attendrissais de moins en moins devant la présence d’un acteur en scène, comme si je ne le voyais plus autrement qu’en train de calculer l’effet qu’il me ferait. C’est peut-être une question d’inexpérience. Je manquais peut-être d’outils pour l’amener dans des zones d’abandon. C’est alors que, par un heureux hasard, on m’a invitée à donner des ateliers de théâtre performatif à des groupes d’adolescents. J’ai eu envie de travailler avec eux de la même façon qu’avec les acteurs adultes, en adaptant très légèrement les exercices afin de me rapprocher de leur énergie et de leurs préoccupations. J’ai été subjuguée par ce qu’ils proposaient. Je retrouvais chez eux, par moments, l’état de présence que je recherchais chez les acteurs professionnels : une présence beaucoup plus brute. Je les regardais aller dans les explorations et je me souviens d’avoir pensé : « Ils sont parfaits. Il ne leur manque qu’un micro pour qu’on puisse les entendre de la salle. » C’était en 2011 et ma réflexion a beaucoup cheminé depuis. Ce que je croyais reconnaître de « brut » dans leur présence était probablement dû à une absence de savoir-faire qui rendait impossible le contrôle de la voix, des mouvements, du regard : tout ce que l’acteur apprend à maîtriser afin de masquer ses fragilités et sa vulnérabilité. J’ai alors eu l’idée de rassembler des adolescents et des acteurs professionnels sur un même plateau et de les entraîner dans des explorations communes, autour des rêves qui habitent l’adolescence et des regrets qui teintent l’âge adulte. Je voulais voir comment ils travailleraient ensemble et si l’état de présence des uns et des autres pouvait circuler par contamination. De cette démarche est né le projet Impatience. Je croyais que les ados pourraient en apprendre beaucoup aux acteurs professionnels sur la mise en danger, le dévoilement, l’investissement… Réciproquement, l’expérience (professionnelle comme personnelle) des acteurs pourrait profiter aux plus jeunes. En théorie, l’initiative semble séduisante. Dans la pratique, c’est plus complexe et tant mieux. Parce que si, au départ, l’adolescent n’a pas appris à être acteur, en s’engageant dans un processus de création théâtrale, il aura d’une certaine façon à le devenir. Le spectateur ne le rencontrera pas au premier jour des explorations, alors qu’il confie pour la première fois son histoire, …

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