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L’écriture sans fin pour une création scénique du désir[Notice]

  • Jean-Paul Quéinnec

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  • Jean-Paul Quéinnec
    Université du Québec à Chicoutimi

Dans son édition de 2018, le Festival TransAmériques programme Fluid Grounds de Benoît Lachambre et Sophie Corriveau, avec Nancy Tobin à la conception sonore. Durant huit heures, nous pouvons assister à une performance qui « rend visible les chemins d’une mémoire collective révélée par des courbes, cercles et points de partage ». Sur le plancher en bois de l’Agora de la danse et à l’aide de tonnes de ruban adhésif de différentes couleurs, les artistes font et défont « un paysage où tout devient possible  ». Que ce soit en termes de durée, d’espace, de perception (sonore, visuelle, tactile), de contact direct ou indirect avec les artistes, le spectateur passif ou investi, libre d’aller et de venir, déambule dans un champ où l’action ininterrompue des écritures donne force à la créativité et rend compte, nous semble-t-il, d’une dramaturgie de l’informe. Cette performance, jouant de repères en mutation constante voire chaotiques et moins organisés que ceux qui définissent généralement la chorégraphie – tout en faisant preuve d’une grande ouverture –, assume la question de son accessibilité à tous, en ne prétendant pas être un pont tendu entre tous. À travers sa cartographie imprévisible comme son auralité flottante, cette pièce révèle le potentiel de l’informe dans sa manière même de repenser le désir pour et avec le spectateur. Ici, le désir ne repose pas sur une conception négative, ne se suscite pas sur un besoin que nous n’avons pas, sur une privation, mais bien sur le désir lui-même. Comme le défendent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Capitalisme et schizophrénie : « Ce n’est pas le désir qui s’étaie sur les besoins, c’est le contraire, ce sont les besoins qui dérivent du désir  ». Le dossier dédié à l’informe théâtral exprime de même ce désir de révéler une scène définitivement ouverte aux possibles (artistiques et poétiques, technologiques, culturels, géographiques) et enfin reconnue (les programmations dans les festivals internationaux le confirment), faisant naître un besoin de mieux la comprendre. Ainsi, dans ce désir de révéler ce qu’une démarche informe libère « du potentiel à vivifier les pratiques scéniques contemporaines », Sylvain Lavoie et Anne-Marie Ouellet ont constitué le présent dossier de L’Annuaire théâtral, issu des réflexions menées lors du colloque de la Société québécoise d’études théâtrales en 2016. La diversité des articles indique bien que leur conception de l’informe théâtral, tout en s’inscrivant dans l’histoire du Long XXe siècle, passant de l’informe bataillien à l’excommunication de Galloway, embrasse des problématiques aussi bien liées à la poïétique du pli dans une dansethéâtre, à la dramaturgie sonore, aux défis de l’énonciation du texte pour l’acteur, au devenir de l’activité poétique de l’auteur qu’aux « dés-écritures » de plateau en général. La mise en valeur de cette scène de tous les possibles se prolonge à travers la section « Documents », particulièrement riche et accueillante. Dany Boudreault nous partage une liste, intitulée « La haine des animaux », extraite de son téléphone telle une « matière pour des textes dramatiques ou des poèmes à venir ». S’ensuit un dialogue entre les dessins de Magali Baribeau-Marchand et de courtes phrases d’Anne-Marie Ouellet issu du « Cahier à prolonger » qui accompagnait une installation de la compagnie L’eau du bain, et dont l’inachèvement nous invite « à prolonger les traits et à rêver ce qu’aurait pu être le résultat final ». Enfin, Sarah Berthiaume nous transmet le texte « Nyo-morgue », constitué « des mots [...] autour et en dessous de ceux qui se sont retrouvés dans la pièce Nyotaimori créée en janvier 2018 ». La section « Pratiques et travaux » fait place à deux …

Parties annexes