Corps de l’article

1. Introduction

Plusieurs autorités éducatives canadiennes préconisent l’approche axée sur le jeu dans les programmes d’études d’immersion française (IF) (p. ex. Ontario, Saskatchewan). Nous traiterons du jeu symbolique comme « l’ensemble de pratiques imaginatives par lesquelles les joueurs s'engagent volontairement à suspendre les significations conventionnelles dans le contexte physique environnant et acceptent de les remplacer par des significations fictives à leurs propres fins […] » (notre traduction, Wohlwend, 2018, p. 301). Les programmes d’IF constituent des contextes d’apprentissage particuliers où les enseignements du contenu, de la langue seconde (L2), et de la littératie doivent être intégrés (Cammarata et Haley, 2018).

Les enfants sont enclins à apprendre et sont de nature curieuse si on leur offre les conditions d’apprentissage essentielles (Sarrazin, Pelletier, Deci et Ryan, 2011). Il importe d’examiner la pédagogie immersive pour favoriser la motivation intrinsèque des élèves et stimuler leur désir de poursuivre leur scolarité en français. En IF, le développement des compétences orales est crucial, étant les assises des autres compétences en littératie (Tedick et Wesely, 2015). La motivation intrinsèque incite les élèves à utiliser la langue pour s'engager dans leur environnement social. Elle se compose de l’appartenance, la compétence et l’autonomie (Deci et Ryan, 2000). Étant donné que l’affect positif et la motivation intrinsèque caractérisent le jeu symbolique (Lillard et coll., 2013), nous avons voulu examiner les effets de celui-ci sur la motivation de jeunes élèves débutants en IF.

Nous traiterons de la motivation et du jeu symbolique pour ensuite faire un rapport des études empiriques de la pédagogie du jeu dans le contexte d’une L2. Nous poursuivrons avec la méthodologie et la présentation des résultats pour finir avec les effets du jeu symbolique sur la motivation de jeunes élèves débutants en IF.

1.2 Motivation

Des élèves motivés intrinsèquement sont incités à agir, à penser et à apprendre et l’impulsion pour l’apprentissage provient de l’intérieur des élèves. La source de gratification est l’apprentissage lui-même (Deci et Ryan, 2008). La théorie de l'autodétermination (TDA) offre un cadre pour comprendre la motivation (Legault, 2017) et joue un rôle important dans l'enrichissement des expériences d'apprentissage authentiques des élèves (Yusof, Awang-Hashim, Kaur, Malek, Shanmugams, Manaf, Yee et Zubairis, 2020). Deci et Ryan (2000) identifient trois besoins psychologiques clés : l’appartenance, la compétence, et le soutien à l'autonomie. Ces besoins établissent les conditions nécessaires à l’épanouissement des élèves dans leur environnement social, à leur développement personnel, et à leurs expériences d'apprentissage individuel.

L’appartenance réfère aux sentiments de connexion avec les autres, basé sur des relations de soutien produites dans des contextes organisationnels sociaux (Deci et Ryan, 2000). Dans un contexte scolaire, ce sentiment est essentiel à l'atteinte des résultats d'apprentissage, au développement des compétences sociales, ainsi qu'à l'établissement des émotions positives (Yusof et coll., 2020). En L2, les objectifs d'acquisition de la langue peuvent être atteints plus efficacement lorsqu'il existe une émotion positive envers la langue et le résultat final attendu (MacIntyre et Gregersen, 2007). Fredrickson (2001) fournit des exemples qui plaident en faveur de l'utilisation du jeu symbolique pour promouvoir l'apprentissage d'une L2. Les expériences d'apprentissage authentiques doivent être planifiées et mises en oeuvre pour promouvoir un apprentissage significatif pour les apprenants (Yusof et coll., 2020). La compétence décrit les sentiments d'accomplissement et d'estime de soi dérivant du fait d’être des acteurs compétents qui agissent efficacement dans leur environnement (Deci et Ryan, 2000). En L2, l'objectif ultime est l'acquisition de la langue. Si les élèves peuvent se voir dans leurs objectifs linguistiques, comme parler français pendant leurs vacances, ces objectifs deviennent ce qui encourage l'action intrinsèquement motivée (MacIntyre et Gregersen, 2007). Enfin, le soutien à l'autonomie fait référence à un sentiment de contrôle et de soutien sur les processus de prise de décision qui se reflètent dans les interactions avec les autres et qui offrent un espace pour la voix, le choix et la collaboration (Deci et Ryan, 2000). En L2, proposer des tâches significatives représentant les intérêts et les valeurs des élèves (Yusof et coll., 2020) contribue au sentiment d’autonomie.

1.3 Jeu symbolique et motivation

Le jeu représente une activité importante auprès des enfants, étant leur moyen pour explorer le monde et apprendre (Wasick et Jacobi-Wessels, 2017). Wohlwend (2018) le perçoit comme la littératie naturelle des enfants. Le jeu symbolique est universel et apparaît naturellement chez les enfants (Lillard, 2017). Ce sentiment de compétence, important à la motivation intrinsèque, pourrait soutenir l’emploi de la L2. Par ailleurs, Lillard et ses collaborateurs (2013) décrivent le jeu comme étant caractérisé par la flexibilité, l'affect positif, la non-littéralité, et affirment que le jeu est « le moyen le plus positif connu à ce jour pour favoriser le développement des enfants » (2013, p. 27). Étant flexibles, les jeux permettent aux élèves de structurer leur environnement en fonction de leur niveau de compétence et, ainsi, de créer un espace pour explorer et pousser les limites de celle-ci.

Le jeu symbolique peut contribuer à la motivation en favorisant l'utilisation de la langue pour mettre en place des scènes, des plans et des conséquences (Lillard, 2017). Les tâches langagières sous forme de jeu symbolique sont significatives et authentiques représentant les intérêts et valeurs des apprenants. En plus de contribuer au sentiment d’agir avec compétence dans son environnement, le jeu fournit un sentiment d’autonomie. Les élèves explorent leurs sentiments, leurs valeurs et leurs objectifs en jouant à faire semblant. Le jeu est dirigé par l’enfant et fournit des occasions d’expression personnelle, de créativité et d’automotivation (Wasik et Jacobi Vessels, 2017). L’intérêt porté envers la pédagogie du jeu dans le domaine de la L2 découle du fait que le jeu peut favoriser l’interaction; un élément essentiel de l’apprentissage de la L2 (Lázaro-Ibarrola et Azpilicueta-Martinez, 2019). Par ailleurs, les occasions d’interagir avec leurs pairs permettent le tissage de liens sociaux et contribuent aux habiletés sociales des jeunes élèves (Gibson et coll, 2020). Le jeu remplit le besoin psychologique des élèves de sentir qu’ils appartiennent à la communauté d’apprenants de leur classe.

1.4 Jeu dans des contextes de L2

Les différentes recherches empiriques consacrées à la pédagogie du jeu avec de jeunes élèves scolarisés dans leur L2 rapportent des avantages, y compris des retombées sociales et affectives lorsque les élèves recevaient l’attention et l’approbation de leurs pairs lors du jeu (Cekaite et Aronsson, 2005). Le jeu symbologie permettrait aux jeunes élèves d’assumer de nouveaux rôles, de mettre en pratique la langue et d’augmenter la confiance dans la L2 (DaSilva et McCafferty, 2007). Sur le plan langagier, il favoriserait la manipulation du sens et de la forme, la répétition et l’imitation dans un contexte réel d’emploi de la L2, et des occasions multiples d’interagir menant à un traitement plus profond de la langue (Cekaite et Aronsson, 2005). Cekaite (2017) a observé que les jeunes élèves débutants en L2 interagissaient d’abord en utilisant de façon répétitive des cadres lexicaux étudiés en classe pour ensuite employer une langue plus complexe et diversifiée sémantiquement et formellement. Selon elle, l’acquisition de la L2 par le biais d’interactions entre pairs constitue un processus dépendant « sur le développement de leurs compétences interactionnelles, la maîtrise du discours en classe et le travail identitaire des participants » (p. 59), en plus d’une reconstruction du code linguistique. Pour sa part, Cook (2000) présentait une perspective plus large en considérant jouer dans la langue en plus d’avec la langue. Il reconnaissait les aspects sémantiques, pragmatiques et ludiques du jeu.

1.5 Questions de recherche

En tenant compte de la théorie de l’autodétermination, et des écrits sur le jeu symbolique et sur l’interaction, nous avons voulu explorer comment le jeu symbolique en IF peut remplir les besoins psychologiques fondamentaux, soit la compétence, l’autonomie et l’appartenance, pour favoriser la motivation intrinsèque auprès des jeunes apprenants de langue.

2. Méthodologie

La recherche basée sur la conception, devis adopté dans cette étude, vise à améliorer les pratiques pédagogiques. Elle est conçue pour aider les chercheurs à développer et à tester des hypothèses, des théories et des principes d’enseignement et d’apprentissage (Wang et Hannafin, 2005), notamment en ce qui concerne les environnements d’apprentissage, les interactions en classe et/ou les interventions pédagogiques (Edelson, 2002). Fondée sur la notion que l’objet de l’enquête ne peut être détaché du contexte, la recherche et la théorisation est menée dans l’environnement d’apprentissage lui-même. Ce type de recherche est de nature pragmatique, implique des collaborations entre chercheurs et enseignants et comprend la collecte et l’analyse de diverses sources de données (McKenney et Reeves, 2019).

2.1 Participants, tâches, cueillette de données et analyse

Deux enseignantes de 1ère année et leurs élèves en IF (n = 36) au Nouveau-Brunswick ont participé à cette étude. Elles ont travaillé aux côtés de chercheurs pour mettre en oeuvre une pédagogie du jeu symbolique adaptée aux besoins d’apprenants de L2 et à leur âge (6 ans) ainsi qu’à leurs capacités en matière de langue orale. En petits groupes, les élèves étaient invités à jouer, c’est-à-dire à adopter des rôles et participer à des scénarios de communication tirés de la vie réelle. Par exemple, dans le centre de jeu de la pizzeria, les élèves ont commandé des pizzas tandis que d'autres ont prétendu les préparer. D'autres centres de jeux symboliques similaires comprenaient le signalement d'un animal perdu dans un poste de police, les courses à l'épicerie et l'achat d'animaux dans une animalerie.

Les jeux symboliques proposés aux élèves étaient conçus comme jeux étayés, c’est-à-dire qu’ils étaient guidés par les enseignantes au préalable pour soutenir le développement langagier des élèves. Ces enseignantes suivaient une démarche pédagogique ternaire, soit : (1) Exposition à la langue et étayage linguistique, ou les enseignants utilisaient des supports pédagogiques multimodaux, la modélisation et la pratique guidée pour enseigner les concepts et la langue liés aux scénarios; (2) Expérimentation linguistique, ou les élèves, en petits groupes, jouaient quotidiennement, de façon autonome pendant une période de jeu de 20 à 25 minutes; et (3) Extension et réinvestissement linguistique, où les enseignants invitaient les élèves à faire un retour sur leurs apprentissages.

Cinq observations en classe d’une durée moyenne de 75 minutes chacune ont été effectuées (notes de recherche, photos, travaux d’élèves, plans de leçon). Les périodes de jeux ainsi que des entrevues avec les enseignantes ont été filmées et transcrites. L'analyse thématique a été effectuée (Braun et Clarke, 2013) en divisant les transcriptions en unités de sens. Ces données ont été codées en fonction des thèmes récurrents et communs, puis analysées à l'aide d'un codage final en fonction des thèmes et sous-thèmes.

3. Résultats

En réponse à notre question de recherche, nous présentons nos résultats liés aux possibilités offertes par le jeu symbolique par rapport à la motivation en tenant compte des trois besoins de base essentiels : la compétence, l’autonomie et le sentiment d’appartenance.

3.1 La compétence

Puisque notre étude se déroulait en 1ère année auprès de très jeunes élèves en immersion, ceux-ci devaient développer à la fois des habiletés langagières en L2 et des stratégies liées à l’interaction. Les résultats des analyses des observations de classe démontrent que les élèves interagissaient en français la plupart du temps, et cela de façon autonome, sans la présence des enseignantes, mais que le jeu symbolique a été renforcé lorsque les enseignants ont fourni des attentes linguistiques claires aux élèves, par le biais d'une approche structurée et soutenue. En adoptant la perspective du jeu étayé, les enseignants soutenaient le développement langagier et établissaient des objectifs langagiers avant que les élèves participent dans les jeux symboliques.

Les enseignants modélisaient d’abord des actes de parole, des structures de phrase et du vocabulaire clé et, qu’ensuite, elle intégrait ces éléments langagiers dans sa routine quotidienne. Les élèves s’engageaient ensuite dans une pratique guidée du jeu symbolique en grand groupe avec l’enseignant pendant quelques semaines afin « de les entrainer et les habituer avant que les élèves jouent de façon autonome » (Monique, entrevue). Les enseignantes remplissaient ainsi les besoins de compétence. Les exemples suivants montrent ensuite comment les élèves travaillaient ensemble de façon autonome, au cours d'activités de jeu symbolique, pour atteindre les objectifs suivants : servir poliment une personne en utilisant un vocabulaire clé (Exergue 1) et décrire des objets en utilisant des couleurs (Exergue 2).

L'utilisation d'objectifs linguistiques clairement définis a permis aux élèves de s'approprier davantage leur apprentissage, de travailler de manière plus indépendante avec leurs camarades et de mesurer leurs progrès. Ils développaient des sentiments d'accomplissement vis-à-vis du développement de leurs compétences orales en français. Dans leurs entrevues, les enseignantes ont aussi soulevé que l’aspect motivationnel des périodes de jeu remplissait le besoin de compétence. Caroline a partagé: « Les élèves ont vraiment aimé ça… Puis, ils se parlaient tous en français…Ils étaient vraiment fiers et comme : ‘Je peux le faire!’ Yah. ‘Je suis capable!’ »

Une autre retombée de l’adoption d’une pédagogie du jeu symbolique est la prise de conscience de la part des enseignantes des compétences langagières de leurs élèves. Monique et Caroline ont développé une plus grande appréciation et une plus grande confiance des capacités de leurs élèves débutants. Elles ont découvert que même de jeunes élèves débutant dans la L2 peuvent être autonomes. Caroline, par exemple, a partagé la première expérience de ses élèves avec le jeu symbolique et leur heureuse surprise envers l’autonomie démontrée par les élèves :

Pour sa part, Monique a déclaré : « J’ai apprécié les résultats langagiers de mes élèves après [avoir fourni le jeu symbolique]. Je regrette ne pas avoir fait ça les années précédentes, d’avoir douté la capacité des élèves. Aussi, je regrette de ne pas avoir commencé plus tôt dans l’année. »

3.2 L’autonomie

Les élèves éprouvent des sentiments d’autonomie quand ils décident de participer volontairement à des activités qu’ils considèrent significatives et représentatives de leurs intérêts et valeurs (Ryan et Deci, 2000.) Les élèves de cette étude ont continué à créer et à participer à des jeux symboliques de façon spontanée dans leur L2 pendant la récréation. Les effets des contextes réels d’emploi de la langue pour remplir le besoin d’autonomie ont aussi été soulignés : « Maintenant [avec le jeu symbolique], je ne pense pas que les élèves pensent qu'ils travaillent vraiment […] c'est vraiment comme du ‘Playtime’, alors oui, ils sont vraiment plus heureux et heureuses. » (Caroline, entrevue)

Les enseignantes se sont servies de l’impulsion motivationnelle générée par les espaces de jeu pour créer des conditions propices à l’apprentissage. Caroline a rapporté que les attitudes et les comportements des élèves par rapport à leur apprentissage de la langue ont changé, résultant d’une transition de l’amotivation vers la motivation intrinsèque (Sarrazin et coll., 2011) :

« Ils travaillent plus fort maintenant, parce qu’au début [avant l’intégration de périodes de jeu symbolique], j’avais quelques-uns qui ne faisaient rien. Je disais : ‘Oh! Pourquoi ta page est vide? Qu’est-ce qui s’est passé?’ ‘On n’aime pas ça.’ Alors, avec ceci, c’est beaucoup plus intéressant et ils s’engagent beaucoup plus. »

Selon Monique et Caroline, leur pédagogie a changé en intégrant le jeu symbolique. Étant donné que leurs élèves étaient plus motivés et engagés pendant les périodes de jeu, elles étaient devenues plus motivées et enthousiastes à penser aux différentes possibilités pour continuer à susciter l’intérêt et la motivation à apprendre la L2 (entrevues avec l’enseignante). Les observations de classe ont corroboré ces perceptions. Pendant les périodes de jeu, les élèves s’engageaient totalement en faisait preuve de motivation intrinsèque. Caroline a pu abandonner des stratégies motivationnelles extrinsèques pour favoriser l’usage du français : « J’avais commencé à donner des récompenses quand les élèves parlaient en français […] Mais, avec le jeu symbolique en classe, j’ai trouvé que le français a continué pendant toute la journée. […] C’était vraiment incroyable à voir. »

3.3 Le sentiment d’appartenance

Le sentiment d'appartenance est essentiel à la motivation intrinsèque pour un apprentissage de la L2. Nos résultats ont révélé qu’en adoptant une pédagogie axée sur le jeu symbolique, les enseignants fournissaient aux élèves des occasions de jouer au quotidien avec différents camarades, d’interagir avec leurs pairs et de s’engager dans un processus créatif et de collaboration.

Une des conditions importantes dans l’acquisition de la L2 est de fournir des contextes réels d’emploi de la langue pour rendre l’apprentissage significatif. Selon nos observations, les élèves, après avoir développé les éléments langagiers nécessaires pour s’engager dans le jeu symbolique, habitaient l’espace de jeu et s’engageaient dans des pratiques imaginatives. Par exemple, deux élèves prétendaient être dans une pizzeria. L’un d’eux était le chef et préparait une pizza selon les volontés de l’autre élève, sa cliente. À la demande d’anchois, le chef s’est pincé le nez avec une moue dégoûtée et a secoué la main pour éliminer l’odeur d’anchois. L’élève avait suspendu les significations conventionnelles du contexte physique environnant et les remplaçait par des significations fictives. En se plongeant dans le monde imaginaire ensemble en jouant à faire semblant, les élèves adoptaient différents rôles leur permettant de créer et de maintenir des sentiments d’appartenance. Du point de vue langagier, les observations de classe ont révélé que les élèves s’exprimaient de façon étendue dans leur L2 en interagissant de façon active avec leurs pairs, comme le démontrent les exergues suivants :

Les moments de jeu en classe créaient des microenvironnements sociaux et les élèves n’hésitaient pas à soulever des entorses perçues aux conventions sociales :

L’élève 1 de l’extrait avait déjà joué le rôle de vendeur de pizza et sa camarade de classe désirait maintenant jouer ce rôle. L’élève 1 tentait de garder le rôle en lui proposant un tour subséquent, mais l’élève 2 a affirmé son tour. Les élèves arrivaient à interagir de façon harmonieuse dans la plupart des cas, mais des conflits surgissaient parfois.

Les enseignantes profitaient des périodes de jeu symbolique pour encourager la résolution de problèmes et l’autorégulation. Par exemple, avant la période de jeu, Monique rappelait aux élèves les stratégies enseignées précédemment pour régler des conflits entre eux-mêmes comme le démontre l’artéfact suivant :

Artéfact 1

Tableau d’ancrage « Comment régler nos conflits »

-> Voir la liste des figures

Étant dans un contexte d’IF, les deux enseignantes ne perdaient pas de vue la langue et l’importance des conventions sociales de la L2 des élèves et fournissaient aussi les outils sociolinguistiques nécessaires pour adapter leur façon de s’exprimer selon le rôle social adopté. Pendant les périodes de jeu symbolique, les élèves utilisaient ces outils sociolinguistiques et développaient des habiletés sociales dans leur L2 comme le démontre l’exemple suivant:

De plus, pour soutenir le besoin d’appartenance, Monique et Caroline ont adopté d’autres stratégies motivationnelles pour les périodes de jeux symboliques. Monique a expliqué qu’elle avait commencé à prendre des photos des élèves avec son téléphone cellulaire pendant les périodes de jeux pour ensuite les projeter sur le tableau intelligent. Monique a rapporté que les élèves disaient : « C’est moi! » et qu’ils étaient fiers. Selon elle, projeter les photos au tableau intelligent était une excellente stratégie pour encourager et motiver les élèves. En plus de la validation sociale, cela contribuait aux sentiments de compétence des élèves.

4. Discussion

Notre étude démontre à l’instar de celles présentées dans la recension des écrits que la prise en compte des besoins psychologiques fondamentaux caractérisant la motivation intrinsèque n’est pas négligeable dans l’acquisition de la L2. En exploitant le pouvoir d’un phénomène apparaissant naturellement dans le développement de l’enfant (Lillard, 2017), c’est-à-dire le pouvoir du jeu symbolique, les enseignantes participant à l’étude ont pu bonifier l’expérience d’enseignement et d’apprentissage. Le jeu symbolique émergeant naturellement chez les enfants constitue en lui-même un contexte réel d’emploi de la L2 et les élèves s’engagent volontiers dans le jeu. Selon la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000), l’intérêt, le sens et les valeurs sont des ingrédients nécessaires à la motivation. Le jeu représente la façon dont les enfants appréhendent et agissent sur le monde et il est donc significatif pour eux en reflétant leurs intérêts et leurs valeurs. Les jeunes apprenants de notre étude étaient donc des acteurs dans leurs apprentissage de la L2 et non des apprenants passifs.

Dans un premier temps, les enseignantes ont modélisé la langue requise pour s’engager dans des activités de la vie quotidienne selon leur programme d’études et les intérêts de leurs élèves. Tous les élèves ont participé à des pratiques guidées par les enseignantes et à diverses tâches étayées. Ensuite, les élèves se sont engagés dans des périodes de jeu étayé. Il était important de remplir le besoin de compétence langagière en L2 des élèves avant de les mettre en situation de jeux symboliques en l’absence des enseignantes. Quand les élèves avaient développé les compétences langagières nécessaires pour participer à des jeux de façon autonome, les enseignantes ont créé des espaces de jeux permettant aux élèves de créer des situations fictives avec leurs camarades de classe pour répondre aux besoins d’autonomie et d’appartenance. Afin de permettre à leurs élèves de pouvoir évoluer dans les espaces de jeux aussitôt que possible, les enseignantes cocréaient des supports pédagogiques linguistiques avec leurs élèves.

Nos résultats démontrent la progression des élèves sur le continuum d’autodétermination. Certains apprenants sont passés de l’amotivation, où ils étaient résignés à devoir apprendre la L2, à la motivation extrinsèque où ils participaient pour recevoir une récompense pour s’exprimer en français, à la motivation intrinsèque où ils s’exprimaient en français par intérêt (Deci et Ryan, 2000). Il nous faut souligner l’importance de ce phénomène qui pourrait avoir des retombés positives à long terme. Toujours selon la théorie de l’autodétermination, les apprenants intériorisent des comportements de façon durable et des représentations d’eux-mêmes et du monde qui les entoure selon l’importance accordée à une demande sociale (Sarrazin et coll., 2011). Dans les contextes d’apprentissage de la L2, l’adoption du jeu symbolique pourrait contribuer à l’intériorisation d’une identité bilingue saine et d’une valorisation de l’apprentissage continu du français.

Notre étude illustre qu’il ne s’agit pas d’emprunter des approches où les élèves sont scolarisés dans leur langue maternelle, mais de tenir compte du contexte d’apprentissage particulier de l’IF et des caractéristiques de la petite enfance pour répondre aux besoins psychologiques fondamentaux des élèves. Dans ces conditions, les approches peuvent être adaptées tout en créant des conditions optimales d’apprentissage en L2. La mise en oeuvre de la pédagogie du jeu a été transformatrice à la fois pour les élèves et les enseignantes, créant un environnement d’apprentissage motivant et agréable où les élèves et les enseignantes se sentaient pleinement engagés.

Aux pratiques pédagogiques de la petite enfance, où la prise en compte des besoins psychologiques fondamentaux est au coeur de l’enseignement, s’ajoutent les pratiques de l’IF où les enseignants soutiennent l’acquisition de la L2 des élèves. L’encadrement du jeu symbolique et l’étayage langagier en amont se sont avérés cruciaux (Bourgoin et Le Bouthillier, 2021) pour la mise en oeuvre d’une pédagogie du jeu symbolique. Aussi, pour optimiser l’apprentissage, nos résultats confirment l’importance du développement de conceptions pédagogiques dérivées d’études empiriques dont de jeunes élèves débutants dans leur L2 sont les participants et non des adultes (Hildago, 2019).

Les élèves de notre étude ont eu à se plonger dans un monde imaginaire, à s’organiser, à produire la langue cible et à s’autoréguler pendant leurs interactions sociales. Les périodes de jeu symbolique étaient caractérisées par des jeux de rôles sans la présence des enseignantes. Les capacités d’autonomie et d’autorégulation sont émergentes en 1ère année (Lillard, 2017) et ces capacités sont indispensables pour l’acquisition de la L2 (Oxford, 2011). Jouer à faire semblant contribue à leur développement dès le point d’entrée des élèves dans les programmes d’IF.

La construction et l’interprétation du sens dans des contextes de communication authentique sont au coeur de la littératie. Le jeu symbolique émerge de contextes sociaux et engendre des situations fictives requérant néanmoins de bonnes interprétations des signaux sociaux (Lillard, 2017). Il permet de créer des espaces porteurs de sens dans des contextes scolaires favorisant l’usage de tout le répertoire de compétences langagières des enfants : linguistiques, pragmatiques et sociolinguistiques. Mais, plus encore, le jeu symbolique permet aux élèves d’utiliser leur L2 comme un outil important pour appréhender leur monde et pour faire du sens de leurs interactions avec les autres. L’acquisition de la L2 est devenue une expérience riche et significative pour les élèves, car cette expérimentation de la L2 par le biais du jeu a eu des retombées motivationnelles.

5. Conclusion

Le jeu symbolique offre de multiples possibilités pour favoriser l’apprentissage optimal tant sur le plan de la L2 que sur les plans social, affectif et cognitif. La pédagogie du jeu symbolique gagne à être adoptée dans les programmes d’IF, si elle est déployée en tenant compte du contexte précis d’apprentissage et des caractéristiques des apprenants. Il serait important d’examiner si cette pédagogie pourrait s’étendre au-delà de la maternelle et de la 1ère année pour favoriser l’acquisition de la L2 auprès d’élèves de la moyenne enfance.