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INTRODUCTION

L’exploitation des archives à des fins de création est un phénomène en émergence qu’il est intéressant, voire important, d’observer d’un point de vue archivistique. Dès le début du XXe siècle, des artistes tels Marcel Duchamp et Kurt Schwitters se révèlent en tant que précurseurs quant à l’utilisation des archives et des documents en arts visuels. Ce sont toutefois les stratégies d’appropriation développées par certains artistes américains marquants des années 1960, tels que Jasper Johns, Robert Rauschenberg, James Rosenquist et Andy Warhol, qui ont pavé la voie aux pratiques contemporaines d’exploitation des archives qui se déploient et évoluent depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990. L’avènement des technologies numériques a amplifié l’étendue de ces pratiques qui se sont répandues dans plusieurs sphères du domaine artistique, notamment les arts visuels, la littérature, le cinéma, la danse ou la musique (Lacombe, 2013, 2014). Alors que les historiens et les théoriciens de l’art étudient ce courant artistique depuis un certain temps déjà, ce n’est que récemment que des recherches ont été menées sous l’angle de l’archivistique. En portant une attention particulière aux artistes et à l’usage qu’ils font des archives, le phénomène de l’exploitation des archives à des fins de création remet en question certains fondements de l’archivistique et fait poindre de nouvelles perspectives en suscitant une réflexion sur la définition de l’archive elle-même, sur le rôle de l’archiviste et, par extension, sur la mission des centres d’archives. Une réflexion sur l’évolution du domaine s’impose pour développer une approche et adapter les pratiques archivistiques à cette nouvelle réalité. Il apparaît plus que jamais nécessaire d’élargir le cadre de référence habituel en considérant la dimension émotive des archives et en reconnaissant qu’elles servent aussi bien à des fins de création qu’aux fins traditionnelles de gestion et de recherche. Le développement de moyens appropriés afin de soutenir et d’encourager l’utilisation des archives à des fins de création s’avère imminent et les centres et les services d’archives se doivent d’adopter une attitude d’ouverture envers ces nouveaux types d’utilisation axés sur la création (Bertrand, 2014 ; Lemay et Klein, 2011-2012, 2014).

D’ailleurs, au Québec, au cours des dernières années, des artistes-archivistes (Côté-Lapointe, 2016 ; Scarpulla, 2016 ; Bednarz et Widmer, 2015 ; Lemay et Klein, 2011-2012) provenant de domaines variés ont réalisé des projets artistiques par lesquels ils amorcent une réflexion sur différents aspects de la gestion des archives et démontrent la pertinence d’y considérer l’exploitation des archives à des fins de création.

Ainsi, ces artistes-archivistes soulèvent des réflexions et des problématiques qui s’avèrent pertinentes pour le domaine archivistique, à savoir l’accès aux archives, la collaboration entre archiviste et créateur, l’innovation et la mise en valeur dans le cadre de la diffusion d’oeuvres créées à partir d’archives, la réinterprétation des archives, la sensibilisation de la clientèle et l’atteinte de nouveaux publics. Ces perspectives représentent des pistes de réflexions sur la question de savoir comment les centres et les services d’archives pourraient encourager et soutenir l’exploitation de leurs archives par des artistes contemporains et en tirer profit pour le domaine archivistique.

Or, en observant la façon dont les artistes ont exploité les archives jusqu’à présent, on se rend compte que les utilisations ont principalement eu lieu hors des services d’archives. Les artistes qui ont recours aux archivistes ou qui travaillent en collaboration avec eux sont plutôt rares : « Les pratiques les plus courantes étant l’accumulation de documents épars ou l’utilisation d’archives personnelles et familiales » (Klein, 2014, p. 255). Certains artistes ont toutefois recours aux archives institutionnelles et les archivistes ont tout intérêt à encourager cette forme d’exploitation, non seulement pour les artistes eux-mêmes, mais également pour connaître et comprendre ces nouveaux utilisateurs-usagers, ainsi que pour présenter les archives autrement et pour impliquer d’autres clientèles. Bien que cette pratique soit peu courante, on retrouve plusieurs exemples de projets émanant de centres d’archives de diverses institutions ou organismes pour la mise en valeur de leurs archives.

Dans le cadre de cet article, nous présentons les résultats d’une évaluation de la situation en matière de projets en arts visuels et médiatiques issus de l’exploitation des archives qui se sont déroulés dans des centres et des services d’archives. Nous présentons également les sources de financement qui seraient envisageables pour la réalisation de ce type de projets au Québec. Ces résultats sont tirés d’un mémoire de maîtrise qui explore le potentiel d’intégration de projets impliquant des artistes qui exploitent les archives à des fins de création dans la gestion des activités de diffusion des centres et des services d’archives québécois, et au rôle de l’archiviste dans ce nouveau contexte. Cette analyse a été effectuée à partir d’une sélection de projets tels que des évènements et des expositions ayant eu lieu dans des centres d’archives, des bibliothèques, des galeries d’art et des musées réalisés depuis une vingtaine d’années au Canada, mais aussi aux États-Unis et en Europe afin d’élargir le cadre d’analyse qui est restreint du fait que ces activités sont encore peu répandues, ainsi qu’à partir de l’identification des programmes de subventions et autres sources de financement disponibles au Québec.

L’évaluation de la situation a permis de relever les caractéristiques, les tendances et les pratiques qui s’avèrent pertinentes et enrichissantes pour le domaine archivistique et qui suggèrent des actions qu’un archiviste pourrait poser tout au long de la réalisation d’un projet, notamment en matière de financement. Nous souhaitons démontrer que certains types de projet découlant de l’exploitation artistique des archives sont compatibles non seulement avec la mission et la gestion des centres et services d’archives, mais sont aussi profitables par l’augmentation de l’utilisation des archives, une plus grande visibilité et l’atteinte d’une clientèle plus vaste et variée.

1. ÉVALUATION DE LA SITUATION : GRILLE D’ANALYSE

Pour mener cette analyse, nous avons identifié cinq types de projets impliquant l’exploitation des archives par des artistes, à savoir les résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique, les projets d’exposition avec des artistes invités, les projets initiés par un artiste, les expositions réalisées par des artistes-commissaires et les commandes d’art public[1].

Pour chacune de ces catégories, nous avons dégagé les caractéristiques et les meilleures pratiques qui seraient pertinentes au domaine archivistique québécois, et nous avons fait l’exercice de définir le rôle de l’archiviste et d’établir les tâches qu’il pourrait accomplir dès le processus d’élaboration et tout au long de la réalisation d’un projet. Par la suite, nous avons associé les sources de financement appropriées à chaque type de projet[2].

Cette démarche s’est accomplie selon une grille d’analyse élaborée à partir des questions suivantes :

  • Quel est l’élément déclencheur ou la motivation pour instaurer le projet ?

  • Quel est le type de clientèle visé ?

  • Comment l’activité a-t-elle été initiée ? Par un artiste, par un musée, par un centre d’artistes, par différentes institutions en collaboration ou autres ? A-t-elle un thème imposé ou libre ?

  • Quelle est l’approche pour solliciter les artistes ? (Appel de candidatures ou sélection directe) ;

  • Quelle(s) forme(s) d’art est (sont) utilisée(s) ? De quelle manière l’artiste accède-t-il aux archives ? Quel type d’archives est utilisé ? Les archives sont-elles utilisées telles quelles, modifiées ou transformées ? Quelles sont les conséquences de la modification ou de la transformation des archives ?

  • De quelles façons les archivistes ont-ils été ou pourraient-ils être impliqués dans le processus ? Conception du projet, aide à la recherche des documents d’archives, mise en valeur, etc. ?

  • Dans quel type d’environnement l’activité a-t-elle eu lieu ? Quel est le type d’espace et d’aménagement requis ?

  • Selon les sources de financement identifiées, lesquelles pourraient s’appliquer à chacune des catégories de projets ?

Les sections suivantes présentent les résultats pour chacune des cinq catégories.

2. RÉSIDENCES D’ARTISTES EN MILIEU DOCUMENTAIRE OU ARTISTIQUE

L’évaluation de la situation pour ce qui est des résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique est basée sur des projets qui se sont déroulés notamment au Musée McCord et au Centre des arts actuels Skol à Montréal, au Portland Archives & Records Center (PARC) à Portland, à la Gay Lesbian Bisexual Transgender (GLBT) Historical Society à San Francisco, à l’American Jewish Joint Distribution Committee (JDC) à New-York, ainsi qu’à la division des archives de la London School of Economics et à la British Library au Royaume-Uni. Le Tableau 1 en présente les faits saillants.

L’analyse de ces projets a révélé que la mise en valeur est la motivation sous-jacente commune à l’ensemble des institutions pour mettre en oeuvre un projet d’exploitation artistique des archives en offrant des résidences d’artistes.

Nous avons repéré deux tendances en la matière, soit la mise en valeur des documents d’archives d’un fonds ou d’une collection, et la mise en valeur du processus archivistique.

Pour ce qui est de la mise en valeur des documents d’archives d’un fonds ou d’une collection, les résidences d’artistes permettent à des organisations dotées de centres d’archives de mettre en valeur la richesse et la diversité de leurs collections, ainsi que d’offrir de nouvelles interprétations de celles-ci. Par exemple, en 2012, le Musée McCord à Montréal a mis sur pied un programme d’artistes en résidence dans le but d’inviter des artistes contemporains à découvrir et à interagir avec les collections du Musée pour créer une oeuvre qui ferait l’objet d’une exposition temporaire et individuelle. Le Musée souhaitait ainsi présenter ses collections sous un nouveau jour en faisant le lien entre l’histoire et les beaux-arts et entre le passé et le présent, comme en témoigne l’exposition Decolonial Gestures or Doing it Wrong? Refaire le chemin de l’artiste Nadia Myre dont les oeuvres, réalisées à partir d’instructions pour la fabrication d’objets d’inspiration autochtone tirées de publications et des périodiques féminins de l’époque victorienne, furent présentées aux côtés d’objets puisés parmi la collection ethnologique du Musée (Musée McCord, 2016). La division des archives de la London School of Economics (Royaume-Uni) a également offert des résidences d’artistes dont l’un des objectifs était de « représenter le contenu des archives pour stimuler la discussion et inciter un nouveau public » (Boucher, 2009, p. 28), notamment le projet ReCollect par Heather Barnett. L’artiste recréa des archives photographiques en reproduisant chaque boîte, ainsi que les dossiers originaux. Les archives recréées étaient exposées dans les bureaux des services aux étudiants, invitant ceux-ci à les découvrir et à les parcourir (Boucher, 2009). Pour sa part, l’artiste E. G. Crichton, première artiste en résidence à la GLBT Historical Society, avait pour but d’activer l’archive oubliée par un processus de mise en correspondance d’artistes divers avec des archives spécifiques de fonds de personnes décédées qu’elle avait sélectionnées, en demandant à chacun d’interagir avec cette archive (Crichton, 2009 ; Queer Cultural Center, 2009-2010). L’exposition To the Rescue : Eight Artists in an Archive, quant à elle, présentait des oeuvres où huit artistes devaient rendre explicite le référencement et la mise en rapport aux documents d’archives photographiques du JDC qu’ils exploitaient, exploraient et questionnaient (Contemporary Jewish Museum, 2016). Nous constatons que ce qui est mis en valeur est la qualité du document lui-même avec ses caractéristiques historiques, émotives ou esthétiques.

Pour ce qui est de la mise en valeur du processus archivistique, malgré le désir sous-jacent de mettre en valeur les collections d’archives, certaines résidences d’artistes ont des objectifs qui relèvent plutôt du processus archivistique. Ainsi, deux autres objectifs des résidences offertes à la London School of Economics étaient d’explorer le rôle et l’usage des archives dans la société, ainsi que d’établir une relation entre le personnel du centre d’archives et les artistes en vue de collaborations futures (Donnelly, 2008). Par ailleurs, les résidences de la British Library visaient plutôt à encourager les usagers-artistes à effectuer des recherches dans leurs collections à des fins de création. Pour sa part, le programme du PARC, lancé en 2013, désirait explorer de nouvelles méthodes de travail et développer des expériences d’art socialement engageantes avec les archives. Le premier projet, The Watcher Files, fut réalisé à partir d’une collection de fichiers de surveillance policière de militants et de groupes civiques des années 1960 aux années 1980, en collaboration avec des activistes ayant fait l’objet de surveillance policière, avec d’autres artistes hors résidence et un archiviste (Carbone, 2017). Quant à la résidence d’artiste La salle de traitement des archives, elle visait à sensibiliser les artistes et le public au processus archivistique et à l’importance de la préservation de la mémoire par une performance de l’artiste-archiviste Denis Lessard qui a procédé au traitement des archives historiques devant public (Lessard, Klein et Lemay, 2013 ; Centre des arts actuels Skol, 2011a).

Nous avons observé que les résidences d’artistes identifiées au Québec sont généralement offertes pour être réalisées en solo, alors que celles offertes aux États-Unis font appel à plusieurs artistes (cette situation pourrait être attribuable à la disponibilité des ressources financières). Dans plusieurs cas, les artistes furent recrutés sur invitation. Le recrutement par appel de candidatures serait une option à considérer dans l’élaboration de stratégies pour encourager l’exploitation artistique des archives.

Dans la plupart des projets, les artistes invités ont eu la possibilité de travailler à partir de l’ensemble de la collection mise à leur disposition et ont bénéficié de latitude dans le choix du thème qu’ils désiraient exploiter. Cependant, dans To the Rescue qui se déroulait au JDC, les commissaires d’exposition avaient fait une présélection d’archives qui, selon leurs critères, présentait un intérêt, tandis que dans Lineage : Matchmaking in the Archive, l’artiste en résidence à la GLBT Historical Society sélectionnait des archives pour les associer, une à une, à différents artistes.

Les résidences d’artistes et les expositions qui en résultent ciblent différents publics. Les projets du Musée McCord s’adressaient au grand public, alors que les projets réalisés à la London School of Economics, de par leur lieu d’exposition, s’adressaient plutôt à un public du milieu scolaire. Le projet La salle de traitement des archives présenté au Centre des arts actuels Skol était accessible au grand public, mais visait particulièrement les artistes et les acteurs du domaine culturel dans le but de créer de nouveaux contacts et d’explorer les possibilités futures de projets concernant les archives de la galerie. Les projets de la British Library visaient les artistes en tant qu’usagers, en les encourageant à faire de la recherche, puis à communiquer leur démarche par des ateliers donnés à d’autres artistes.

Les formes d’art utilisées sont principalement des installations et des performances. Les moyens utilisés dans la réalisation des installations sont la vidéo, la photographie, la combinaison de médias mixtes et/ou l’assemblage d’archives et, plus rarement, la peinture sur toile, des techniques d’artisanat, ou encore l’ébénisterie. Parmi les types d’archives utilisés, nous retrouvons surtout des archives iconographiques, mais aussi des archives textuelles et sonores.

Dans la réalisation de leurs oeuvres, les artistes s’approprient les archives de différentes manières. Ils usent de stratégies relevant de deux types d’utilisation pour exploiter les archives. Certains recourent à l’archive indirectement, c’est-à-dire comme source d’inspiration pour alimenter leur processus créatif. D’autres artistes utilisent l’archive directement, ils prennent pour matériaux des éléments documentaires, les classent, les trient et les assemblent afin de produire des récits, ou encore les modifient et les juxtaposent. Enfin, certains artistes utilisent les archives telles quelles[3], comme dans La salle de traitement des archives où l’artiste-archiviste procède au traitement des archives historiques directement devant le spectateur, ou à la London School of Economics, dans le cadre de ReCollect, où le spectateur est invité à la découverte en interagissant avec les archives qui sont reproduites.

Il est intéressant de constater que lors de l’exposition de plusieurs projets de résidences d’artistes, des archives originales étaient présentées en parallèle des oeuvres réalisées par les artistes. Ces archives pouvaient être sélectionnées par l’artiste et intégrées à son installation ; ou être les originaux ayant servi à la création de l’oeuvre, permettant ainsi de suivre une trame narrative ; ou encore être les archives originales ayant inspiré l’artiste dans la création de son oeuvre. Cette mise en valeur de l’archive originale est avantageuse pour le domaine archivistique autant que pour l’artiste. En plus de permettre une meilleure compréhension de la démarche de l’artiste, elle fait également découvrir au spectateur la richesse des fonds et des collections du centre ou du service d’archives.

Les techniques de reproduction et la numérisation élargissent de manière spectaculaire les possibilités d’exploitation artistique des archives. Grâce à celles-ci, l’artiste peut modifier, transformer et intégrer les reproductions d’archives à ses créations, ainsi que produire des oeuvres permettant une interaction avec le public, sans risques d’altération ou de détérioration de l’archive originale.

Les créations issues des résidences d’artistes requièrent des espaces pour être diffusées et atteindre le public. Les projets que nous avons analysés se sont déroulés dans des centres et des services d’archives de musées, de galeries d’art et de bibliothèques. La plupart de ces institutions ont des salles aménagées à cette fin. D’autres ont usé d’imagination, comme la London School of Economics qui, n’ayant pas reçu les fonds nécessaires pour la mise en exposition et ne possédant pas de locaux dédiés aux expositions, a utilisé l’entrée et le lobby de la bibliothèque ainsi que le bureau des services aux étudiants de la bibliothèque et la promenade sur le campus. D’autres créations issues des résidences à la GLBT Historical Society, ainsi qu’au JDC, ont été exposées dans d’autres galeries d’art ou musées.

Nous avons peu d’information concernant l’implication des archivistes. Il est cependant intéressant de mentionner qu’au Musée McCord, les artistes ont pu formuler leur réflexion grâce à une riche collaboration avec les conservateurs du Musée ou ont réalisé leurs recherches avec des mots-clés dans les bases de données du Musée. Dans La salle de traitement des archives, l’artiste-archiviste a effectué le traitement des archives historiques devant public. Nous notons que les résidences de la London Shcool of Economics et du PARC ont favorisé la collaboration entre le personnel et les artistes, ceci dans le but de faciliter et d’encourager l’usage du matériel d’archives. Notons également la présélection des archives effectuée par les commissaires pour orienter le travail des artistes, ainsi que la collaboration entre le centre d’archives et des galeries ou des musées pour la diffusion des oeuvres réalisées dans le cadre des résidences du JDC et du PARC. Mentionnons également le lancement du programme d’artistes en résidence par l’archiviste du PARC (Carbone, 2017).

En résumé, parmi les tâches que l’archiviste ou le personnel d’un centre ou d’un service d’archives peut accomplir tout au long du processus de réalisation d’un projet de résidence d’artiste, nous identifions les points suivants :

  • proposer, concevoir et lancer un projet de résidence d’artistes (ceci relève du responsable du centre ou du service d’archives) ;

  • concevoir le projet comprenant : la définition du thème s’il y a lieu, la sélection (en collaboration ou non avec les artistes) d’un fonds, d’une collection ou d’archives spécifiques ;

  • lancer des invitations ou des appels de candidatures à des artistes ;

  • collaborer avec les artistes ou les assister dans leurs recherches ;

  • relever et évaluer les besoins des artistes tout au long du processus pour éventuellement élaborer des instruments de recherche adaptés ;

  • effectuer le traitement des archives historiques dans le cas d’un artiste-archiviste ;

  • collaborer avec des musées et des galeries pour la diffusion ;

  • dans les plus grandes institutions, collaborer avec les membres du personnel spécialisé dans l’organisation des expositions.

Une autre façon d’encourager l’exploitation artistique des archives est l’acquisition d’oeuvres réalisées dans le cadre d’une résidence, soulignons l’acquisition de l’oeuvre Bienvenue à l’atelier de Kent Monkman par le Musée McCord (Musée McCord, 2014).

Parmi les programmes de financement dont peuvent bénéficier des artistes et/ou des organismes au Québec, mentionnons la composante Recherche et création du programme Explorer et créer du Conseil des arts du Canada (CAC) qui finance les artistes, les groupes et les organismes artistiques canadiens (CAC, s. d.) ; et les programmes Recherche et création et Commandes d’oeuvre du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) qui s’adressent aux artistes professionnels (CALQ, 2018a, 2018c). Mentionnons également le programme Soutien au traitement des archives offert par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) pour le traitement de fonds et de collections ou pour la réalisation d’études et de recherches en archivistique. Ce programme s’adresse aux organismes sans but lucratif et aux organismes publics qui souhaitent contribuer à faire connaître les archives québécoises de nature privée (BAnQ, s. d.).

Soulignons les initiatives du Musée McCord soutenues par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) et le Conseil des arts de Montréal (CAM), ainsi que la résidence d’artiste Empreinte du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) en collaboration avec le CAM (MBAM, 2016), dont pourraient s’inspirer d’autres centres et services d’archives. Des programmes tels que Soutien au projet (CAM, 2017) ou des projets en collaboration avec le CAM dans le cadre de la diversité culturelle pourraient s’avérer être aussi des sources de financement pertinentes.

Dans l’ensemble des avantages dont peuvent bénéficier les artistes en résidence, mentionnons la mise à leur disposition d’un matériau brut porteur d’histoire, d’émotion et d’esthétisme, ainsi que l’exploration de nouvelles avenues d’expression artistique ; l’accès à un lieu de diffusion permettant de se faire connaître et d’accéder à de nouveaux publics ; et la possibilité de bénéficier d’un soutien financier.

Parmi les avantages dont peut bénéficier le domaine archivistique, mentionnons ceux de faire découvrir les archives et de réactiver l’archive oubliée ; de développer de nouveaux modes de présentation des archives ; d’atteindre de nouvelles clientèles ; de cibler les artistes en tant qu’utilisateurs et usagers des archives ; d’encourager les collaborations entre archivistes et artistes, ceci permettant de mieux comprendre les besoins des artistes et de développer de nouvelles compétences pour y répondre.

Tableau 1

Résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique : faits saillants

Résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique : faits saillants

Tableau 1 (suite)

Résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique : faits saillants

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3. PROJETS D’EXPOSITION AVEC DES ARTISTES INVITÉS

L’évaluation de la situation pour ce qui est des projets d’exposition avec des artistes invités est basée sur des projets qui ont eu lieu notamment au Centre des arts actuels Skol, à la Galerie SBC, au Musée McCord et à la Galerie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à Montréal, au Musée huron-wendat à Wendake, ainsi qu’au Ryerson Image Center (RIC) et à la Gendai Gallery à Toronto, au Hampton Normal and Agricultural Institute (aujourd’hui l’Université Hampton) à Hampton aux États-Unis, à l’Akademie der Künste de Berlin et à la Kunsthalle Bern en Suisse.

Comme l’indique le Tableau 2, l’analyse de ces projets a révélé que la mise en valeur demeure une motivation importante de l’ensemble des institutions et des galeries d’art pour initier un projet d’exploitation artistique des archives. L’objectif de certains projets est cependant davantage orienté vers la mise en valeur d’aspects historiques ou identitaires. D’autres projets peuvent allier l’un et l’autre de ces objectifs.

Comme pour les projets de résidences d’artistes, la mise en valeur d’un fonds ou d’une collection d’archives est à la source de certains projets. Le point de départ de l’interprétation artistique dans l’exposition Mémoire et anti-mémoire présentée à la galerie de l’UQAM était un fonds d’archives constitué par les milliers de photographies, de films et d’artefacts des anthropologues Margaret Mead et Gregory Bateson (Boucher, 2009). L’exposition Archival Dialogue, présentée au RIC, avait pour objectif de créer une vitrine à la collection Black Star, celle-ci constituant le don patrimonial le plus important fait à une université canadienne. Ainsi, huit artistes furent invités à réaliser une oeuvre en « dialogue » avec une ou plusieurs épreuves photo-journalistiques du XXe siècle de l’agence Black Star. Les oeuvres remettaient en contexte les documents historiques à travers un large éventail de points de vue pertinents et actuels (Gale et Popescu, 2012). Pour sa part, l’exposition Sortons les archives évoquait les potentiels infinis qu’offre, tant pour les artistes que pour les chercheurs, le fonds d’archives du Centre d’art Skol. Les artistes présentèrent, à travers leurs créations, les résultats de leurs fouilles individuelles dans les archives récemment traitées par l’artiste-archiviste Denis Lessard lors de sa performance La salle de traitement des archives. Et l’exposition Artist.Archive invitait les artistes à porter un nouveau regard sur les fonds d’archives de l’Akademie der Künste de Berlin (Boucher, 2009).

Parmi les projets qui cherchaient également à souligner des aspects historiques, mentionnons l’exposition Sortons les archives, dont les créations artistiques mettaient en perspective les 27 ans d’histoire de Skol (Centre des arts actuels Skol, 2011b), et le Hampton Project qui visait initialement à retracer l’histoire et l’héritage de la Hampton Normal and Agricultural Institute. Dans la réalisation de ce dernier projet, l’artiste avait finalement recontextualisé les photographies historiques pour en faire une exposition portant sur l’identité afro-américaine (Boucher, 2009).

L’expression identitaire était à la source de l’exposition La Loi sur les Indiens revisitée. Huit artistes amérindiens y ont exploré les impacts de cette loi sur leur vie et celle de leur peuple dans leurs oeuvres (Musée McCord, 2011b). La composante identitaire était aussi à la source de l’exposition Recollection Project à la Gendai Gallery qui fut fondée pour promouvoir l’art contemporain d’artistes ayant des racines japonaises et, éventuellement, d’artistes d’origine est-asiatique. Les artistes de ce projet s’étaient interrogés sur ce qui témoigne d’une culture et sur les moyens de survie culturelle (Gendai Gallery, 2009) à partir d’archives de la Japanese Canadian Cultural Centre.

L’inauguration de nouveaux locaux offre également des occasions d’instituer des projets d’exploitation artistique des archives pour mettre en valeur ou mettre en perspective une collection, comme ce fut le cas pour l’exposition Archival Dialogue ou l’exposition Recollection Project.

Le but de l’exposition Cartographie d’une pratique à la Galerie SBC était de recréer le parcours artistique de Vera Frenkel pour décrire et faire connaître le processus créatif de l’artiste (Galerie SBC, 2010). Les archives ont constitué un élément clé de la création de ce parcours, elles ont largement dépassé leur rôle simplement documentaire.

Le projet Information Room, qui s’est déroulé à la Kunsthalle de Berne, avait pour objectif d’introduire les archives à un plus large public, par une mise en scène invitant le spectateur à la découverte en interagissant directement avec les documents. Tous les documents conservés dans les archives et la bibliothèque du musée furent déplacés vers une salle d’exposition ouverte au public (Boucher, 2009).

Plusieurs motivations amènent donc les institutions à organiser ces expositions. Les tendances qui se dégagent sont les mises en perspective historiques et identitaires, ainsi que la mise en valeur ou la mise en perspective de fonds et de collections d’archives spécifiques. L’intervention des artistes permet de faire revivre et de combler, du moins en partie, le caractère lacunaire des archives.

Nous remarquons que la plupart des expositions de cette catégorie furent conçues pour recevoir des groupes d’artistes et que ceux-ci furent tous recrutés sur invitation ; notons que les artistes invités par la Gendai Gallery furent sélectionnés sur la base de leur origine asiatique.

Dans la plupart de ces projets, les artistes travaillèrent à partir d’une collection particulière mise à leur disposition. Malgré une large marge de manoeuvre, les artistes étaient invités à oeuvrer à l’intérieur d’un thème plus restrictif que pour les résidences d’artistes. Notons les thèmes tels que la mise en perspective de l’histoire d’un centre d’artistes, la réaction à la Loi sur les Indiens, le parcours d’un artiste, la création d’oeuvres à partir d’un fonds, d’une collection ou en fonction de considérations identitaires.

Ce type de projet est propice à des expositions de grande envergure, notamment Archival Dialogue et Artist.Archive qui ont présenté des artistes renommés, ou The Hampton Project et La Loi sur les Indiens revisitée qui ont été présentés dans plusieurs galeries et musées pendant une période s’échelonnant sur quelques années.

Il est intéressant de constater que certaines expositions ont été le résultat d’une collaboration entre une galerie et un centre d’archives, comme la Gendai Gallery qui a collaboré avec le Japanese Canadian Cultural Centre, ou la Galerie SBC qui a collaboré avec l’archiviste de l’Université Queen’s. Ces collaborations ouvrent la porte à de plus grandes possibilités de diffusion des créations issues de l’exploitation artistique des archives.

Ces expositions s’adressaient au grand public. D’un point de vue archivistique, à l’intérieur des centres et des services d’archives, il serait pertinent d’amorcer une réflexion sur les thèmes à explorer à partir des collections en considérant des segments de clientèle plus spécifiques ou de réfléchir à des thèmes populaires auprès du grand public.

Les formes d’art, les types d’archives, les moyens et les stratégies utilisés par les artistes sont similaires à ceux de la catégorie des résidences d’artistes en milieu documentaire ou artistique décrite précédemment. Les formes d’art utilisées sont principalement des installations, et dans une moindre mesure, les performances. Parmi les types d’archives utilisés, nous retrouvons principalement des archives iconographiques, mais aussi des archives textuelles, des films, des artefacts, de même que des sites Internet. Les moyens utilisés dans la réalisation des installations sont la vidéo, la photographie, diverses techniques multimédias, l’écriture et l’assemblage d’archives ou de médias mixtes pour créer des mises en scène.

Certains artistes usent de stratégies relevant de l’utilisation indirecte des archives. Celles-ci sont des sources d’inspiration pour la création de leurs oeuvres. D’autres artistes s’approprient les archives en les utilisant directement. Ils les sélectionnent et les utilisent comme des matériaux bruts sur lesquels ils interviennent en les modifiant, en les transformant ou encore en les reconfigurant. Certains artistes sélectionnent et présentent les archives telles quelles à l’intérieur d’une mise en scène.

Comme dans plusieurs projets de résidences d’artistes, des archives originales qui ont inspiré ou ont été intégrées aux oeuvres ont été présentées en parallèle des oeuvres réalisées par les artistes.

Les techniques de reproduction des documents et la numérisation permettent d’intervenir sur les archives sans conséquence physique sur l’archive originale.

En ce qui concerne le lieu d’exposition, le cas du Hampton Project démontre l’importance de favoriser les collaborations avec des galeries et des musées pour assurer la diffusion des oeuvres. Les projets que nous avons analysés ont tous été exposés dans des salles aménagées à cette fin à l’intérieur d’organismes ayant le mandat d’organiser des expositions, comme les galeries d’art et les musées.

Parmi les projets analysés, le rôle de l’archiviste est particulièrement intéressant dans l’exposition Sortons les archives, présentée au Centre des arts actuels Skol. Cette exposition était le résultat des fouilles individuelles des archives historiques récemment traitées par Denis Lessard dans La salle de traitement des archives. Ce traitement avait pour objectif qu’un corpus d’archives soit accessible aux artistes et aux chercheurs. Dans le cadre du projet Artist.Archive, le personnel du musée avait constitué un dossier d’aide à la recherche destiné aux artistes.

L’analyse du cas de La Loi sur les Indiens revisitée nous amène à réfléchir sur la diversité des sujets à portée sociale provenant d’archives. L’archiviste peut jouer un rôle de soutien et d’aide à la recherche auprès d’artistes désirant accéder à de telles archives, les orienter vers des archives accessibles, non confidentielles ou libres de droits d’auteur, ainsi que faire un suivi pour s’assurer du respect de ces restrictions. Notons que dans l’exposition Information Room, certains fonds d’archives apparemment confidentiels furent mis à la disposition du public. Mentionnons également l’étroite collaboration de l’archiviste de l’Université Queen’s dans l’exposition Cartographie d’une pratique.

Parmi les programmes dont peuvent bénéficier des organismes au Québec, mentionnons la composante Recherche et création du programme Explorer et créer du CAC qui s’adresse entre autres aux organismes artistiques du Canada (CAC, s. d.) ; le volet Accueil du programme Aide aux projets du MCC qui s’adresse aux personnes morales sans but lucratif qui s’inscrivent dans l’un des secteurs d’intervention du ministère, comme les arts visuels et le patrimoine et qui souhaitent contribuer au développement de la culture (MCC, 2017a) ; le programme de subventions Diffusion d’oeuvres au Québec du CALQ qui s’adresse aux organismes professionnels pour des projets d’exposition ou toute autre activité comportant la présentation d’oeuvres et des déplacements sur le territoire québécois (CALQ, 2018b).

À Montréal, il existe différents programmes du CAM : le Programme général de subventions/Soutien au projet (CAM, 2017) ; le Programme de soutien à la diffusion du patrimoine montréalais en collaboration avec le MCC pour soutenir les activités de diffusion pour les corporations à but non lucratif exerçant une activité patrimoniale (CAM, s. d.a) ; et le Programme montréalais d’action culturelle en collaboration avec le MCC pour soutenir des activités facilitant l’appropriation de la culture auprès de publics qu’ils auront ciblés pour les corporations à but non lucratif exerçant une activité culturelle professionnelle régulière (CAM, s. d.b). À Québec, mentionnons le programme Soutien aux projets des organismes culturels professionnels de la Ville de Québec en collaboration avec le MCC pour les organismes artistiques et culturels professionnels dont les initiatives correspondent aux objectifs de la politique culturelle (Ville de Québec, s. d.). Notons également l’appui de fondations aux expositions Cartographie d’une pratique à Montréal, et Archival Dialogues : Reading the Black Star Collection à Toronto.

Les avantages dont peuvent bénéficier les artistes, tout comme le domaine archivistique, sont les mêmes que ceux des projets de résidences d’artistes. Toutefois, cette catégorie se distingue par un plus grand potentiel à concevoir des expositions itinérantes et/ou d’envergure.

Tableau 2

Projets d’exposition avec des artistes invités : faits saillants

Projets d’exposition avec des artistes invités : faits saillants

Tableau 2 (suite)

Projets d’exposition avec des artistes invités : faits saillants

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4. PROJETS INITIÉS PAR UN ARTISTE

L’évaluation de la situation pour ce qui est des projets initiés par un artiste (Tableau 3) est basée sur deux projets qui ont été présentés au Musée McCord.

Le Musée McCord intègre dans sa programmation générale des expositions d’oeuvres d’artistes qui exploitent les archives de ses collections, saisissant ainsi l’occasion de mettre en valeur ces dernières tout en assurant à l’artiste une visibilité intéressante. Cette situation nous amène à amorcer une réflexion sur la façon dont un centre ou un service d’archives pourrait s’ouvrir à de telles expositions.

En suivant notre grille d’analyse, nous avons observé que le projet artistique n’était pas commandé par l’institution, contrairement aux catégories précédentes. L’institution avait sélectionné ou accepté un projet fini, prêt à être diffusé, plutôt qu’un artiste en vue de la réalisation subséquente d’un projet. De par la nature de l’institution, ce type d’expositions s’adressait plutôt au grand public. Les formes d’art, les types d’archives, les moyens et les stratégies utilisés par les artistes étaient similaires à ceux employés pour les catégories précédentes. La forme d’art utilisée dans les deux projets analysés était l’installation photographique. Les artistes avaient exploité des archives iconographiques et s’étaient approprié celles-ci soit directement dans L’oeil, la brèche, l’image de l’artiste Luis Jacob par de fins découpages et des juxtapositions d’images trouvées ou des mises en scène d’archives de la collection du Musée (Musée McCord, 2011a) ; soit indirectement, comme source d’inspiration, dans Panorama Montréal du photographe André Cornelier, une oeuvre composée de plus de 1 300 photographies de la ville de Montréal, exposée aux côtés de Murale Montréal du Studio Notman, l’oeuvre qui l’a inspirée. Ce fut « une occasion unique de comparer ces deux points de vue semblables réalisés dans un intervalle de 100 ans » (Musée McCord, 2011c).

Cette catégorie apparaît particulièrement intéressante, car elle offre une autre façon de promouvoir l’exploitation des archives par des artistes contemporains. Nous entrevoyons le rôle de l’archiviste en deux temps. Dans un premier temps, de manière informelle, les archivistes doivent prendre conscience de l’émergence des nouveaux utilisateurs/usagers des archives que sont les artistes et développer de nouvelles compétences pour répondre à leurs besoins, en facilitant leur accès aux archives et en les soutenant dans leurs recherches, ceci afin d’encourager l’utilisation des archives. Dans un deuxième temps, de manière plus concrète, les centres d’archives peuvent intégrer dans leur programmation ce type d’exposition et développer des moyens pour attirer et repérer des candidats potentiels. Parmi ceux-ci, mentionnons le fait de porter une attention aux artistes et de lancer des appels de dossiers afin d’identifier ceux ayant le potentiel de participer à d’éventuelles expositions. Offrir la possibilité aux artistes de proposer leurs projets et leur fournir un espace d’exposition constituent des incitatifs à l’exploitation des archives à des fins de création.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons identifié les sources de financement attribuables à des projets. Cette catégorie relèverait plutôt de programmes de financement d’aide au fonctionnement de l’organisme. Par ailleurs, l’artiste aura la possibilité de faire ses propres demandes auprès du CAC ou du CALQ ; notons que le fait d’avoir des expositions prévues est souvent un critère favorisant l’obtention de bourses.

Là encore, les avantages pour les artistes et le domaine archivistique sont similaires à ceux mentionnés dans les catégories précédentes.

Tableau 3

Projets initiés par un artiste : faits saillants

Projets initiés par un artiste : faits saillants

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5. EXPOSITIONS RÉALISÉES PAR DES ARTISTES-COMMISSAIRES

L’évaluation de la situation pour ce qui est des expositions réalisées par des artistes-commissaires est basée sur des projets qui se sont déroulés au Musée canadien des civilisations (renommé Musée canadien de l’histoire) à Gatineau, à l’agence photographique Magnum à Londres en Angleterre et à l’Iwalewahaus à Bayreuth en Allemagne.

Notre analyse (Tableau 4) révèle encore une fois que la mise en valeur des archives demeure une motivation sous-jacente de l’ensemble des institutions pour initier un projet d’exploitation artistique des archives. Par exemple, l’exposition One Archive, Three Views fut l’occasion de rendre accessible aux chercheurs, ainsi que de présenter au public, pour la première fois, la « resin print archive » de la division de Magnum à Londres (Brighton Photo Biennial, s. d.). Une anthropologue, une artiste et une photographe furent invitées pour agir en tant que commissaires dans la sélection et la mise en valeur de photographies de la collection d’archives. Cette exposition se voulait une réinterprétation, selon la perspective propre à chacune, des influences sociales, culturelles et politiques qui ont façonné le contenu de l’archive (Gosling, 2014). Le projet Mashup the Archive, pour sa part, était destiné à rendre visibles et à activer les archives d’art africain de l’Iwalewahaus. L’artiste-commissaire Sam Hopkins invita des artistes africains à explorer des archives d’art africain qu’elle avait sélectionnées dans la collection, et à développer de nouvelles oeuvres à partir de cette production culturelle (Hopkins, s. d.).

Nous avons également constaté que les artistes-commissaires, dans leur approche, aspirent à combler le caractère lacunaire des archives et à remettre celles-ci en contexte à travers une mise en scène. Jeffrey Thomas, dans Jaillir de l’ombre au Musée canadien de l’histoire, souhaitait refléter la réalité autochtone d’aujourd’hui, en juxtaposant des photographies documentaires de quatre anthropologues qui ont étudié les Premiers Peuples au début du vingtième siècle à des oeuvres inspirées de ces images anciennes et réalisées par des artistes autochtones contemporains (Boucher, 2009). Ces deux perspectives sur les Premiers Peuples ont permis d’explorer les thèmes de la collectivité et de la continuité, de même que l’influence que le passé exerce sur le présent, tant du point de vue culturel qu’artistique (Musée canadien de l’histoire, 1999-2002). Les commissaires de One Archive, Three Views avaient, pour leur part, examiné attentivement, individuellement et collectivement, la « resin print archive » afin d’y déceler les récits lacunaires et les histoires manquantes, en investiguant au-delà des mythes de Magnum (Brighton Photo Biennial, s. d.). Enfin, un des objectifs de Mashup the Archive était l’exploration d’oeuvres et de documents archivés par des artistes africains pour les faire apparaître à travers des perspectives et des contextes nouveaux ; ceci fut réalisé en partant du fait que ces objets archivés étaient considérés comme compromis par un système biaisé, c’est-à-dire, entre autres, qui ne tient pas compte des réalités africaines (Iwalewahaus, 2018).

Ces projets avaient été instaurés par les institutions elles-mêmes et les artistes-commissaires furent recrutés sur invitation (Jaillir de l’ombre et One Archive, Three Views). Notons que les artistes-commissaires Thomas et Hopkins bénéficièrent d’une grande latitude pour réaliser leur projet. Nous avons constaté que ces projets avaient été conçus pour présenter les oeuvres de groupes d’artistes, sinon les mises en scène d’un groupe d’artistes-commissaires. Mentionnons également la collaboration entre les institutions Photoworks, Magnum Photos et De La Warr Pavilion pour la réalisation et la présentation de l’exposition Magnum Photos : One Archive, Three Views dans le cadre de la Brighton Photo Biennial en Angleterre et la participation à des mini-festivals de certains volets du projet Mashup the Archive. La collaboration entre institutions et la participation à des festivals multiplient les possibilités de diffusion.

Ces expositions s’adressaient au grand public. Elles avaient été mises sur pied pour élargir et développer de nouvelles clientèles. Les projets One Archive,Three Views et Mashup avaient également été conçus pour encourager l’accès aux archives à des fins de recherches académiques et artistiques, ciblant ainsi les artistes et les chercheurs en tant qu’usagers des archives.

Les formes d’art, les moyens et les stratégies utilisés par les artistes invités à participer aux expositions organisées par des artistes-commissaires sont similaires aux catégories analysées précédemment. Nous avons donc focalisé notre analyse sur les interventions artistiques des artistes-commissaires dans la conception de l’exposition pour laquelle ils ont été mandatés. L’artiste-commissaire aborde les archives dans une perspective souvent empreinte d’émotion et ses critères de sélection diffèrent de l’historien ou de l’archiviste. La mise en scène qu’il conçoit est porteuse d’une vision amenant à faire ressortir ce qui est caché. Ce qui distingue cette catégorie des précédentes est une plus grande emphase mise sur la sélection et la mise en scène d’archives telles quelles. Certains artistes-commissaires, après avoir sélectionné des archives, ont également invité des artistes à réaliser des oeuvres inspirées de celles-ci, et ce, sous leur direction.

Les caractéristiques à relever dans le processus de sélection des archives des artistes-commissaires sont l’approche émotive et le désir de susciter la réflexion. Le commissaire peut révéler le sens caché d’une archive ou l’essence d’une collection. Il est en mesure d’établir une signification invisible à l’observateur moyen et de transformer les archives qu’il présente en une nouvelle réalité. Il met au point un mode opératoire qui a un effet sur le visiteur (Francone, 2016).

Ces projets ont requis des espaces professionnels dédiés à la présentation d’expositions. Les artistes-commissaires ont effectué leurs recherches dans des centres d’archives aux collections impressionnantes et les expositions qu’ils ont conçues ont été présentées dans des musées et un centre d’artistes, ou dans le cadre de mini-festivals.

À propos du rôle de l’archiviste, il est digne d’intérêt de constater que l’agence photographique Magnum, qui est « a living archive updated regularly with new work from across the globe » (Magnum Photos, 2017), a mis sur pied un projet en collaboration avec d’autres organismes. Notons aussi que l’exposition Jaillir de l’ombre au Musée canadien de l’histoire est un bel exemple d’occasion saisie par l’attention manifestée par un artiste. En effet, il est intéressant de constater que ce projet fut instauré à la suite de l’intérêt qu’avait porté l’artiste Jeffrey Thomas aux photographies de quatre anthropologues. Celles-ci furent le point de départ de cette exposition. Dans Magnum Photo, à l’agence photographique Magnum, un archiviste a accompagné et guidé les trois artistes-commissaires dans leur démarche de sélection et de recontextualisation des archives pour concevoir une exposition qui reflète leur propre domaine d’intérêt.

Selon notre analyse, les archivistes peuvent s’impliquer dans la conception d’un projet, lancer les invitations à des artistes-commissaires, collaborer avec d’autres organisations, ainsi que fournir une aide à la recherche.

Parmi les programmes dont peuvent bénéficier des artistes-commissaires au Québec, mentionnons la composante Recherche et création du programme Explorer et créer du CAC (CAC, s. d.), et le programme de Diffusion d’oeuvres au Québec du CALQ (CALQ, 2018b). À Montréal, des organismes pourraient également bénéficier de programmes du CAM en collaboration avec le MCC, comme le Programme montréalais d’action culturelle (CAM, s. d.b) ou le Programme de soutien à la diffusion du patrimoine montréalais (CAM, s. d.a).

Encore une fois, les avantages, tant pour les artistes que pour le domaine archivistique, sont les mêmes. Il est toutefois intéressant de souligner le grand potentiel que l’on retrouve dans cette catégorie à mettre en scène des archives telles quelles.

Tableau 4

Expositions réalisées par des artistes-commissaires : faits saillants

Expositions réalisées par des artistes-commissaires : faits saillants

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6. COMMANDES D’ART PUBLIC

L’évaluation de la situation pour ce qui est des commandes d’art public (Tableau 5) est basée sur des projets commandés ou organisés pour les Jardins de Métis à Grand-Métis, le Wolfond Centre for Jewish Campus Life de l’Université de Toronto, le Markham Museum près de Toronto et à la bibliothèque Elmer L. Anderson de l’Université du Minnesota.

Des organisations, soutenues par des programmes de financement, mandatent des artistes pour la conception d’oeuvres d’art public où les archives historiques constituent le point de départ de leurs créations, dans le but de rendre hommage à des personnes ou de commémorer des événements. C’est ce que révèle des projets, tels que Hommage à Elsie aux Jardins de Métis (Boucher, 2009), en hommage à la fondatrice de ces jardins, une oeuvre « composée de sept installations qui rappellent les anciennes lunettes d’approche » (Boucher, 2009, p. 62) ; les lentilles ont été remplacées par des photomontages sur verre combinant des photographies sélectionnées à même les archives des Jardins de Métis et, de cette façon, les archives ont contribué à réanimer la présence de la fondatrice. Le projet Archiving Memory, de l’artiste Nancy Ann Coyne, fait acte de commémoration en incorporant douze portraits de survivants de l’Holocauste aux fenêtres de la bibliothèque Elmer L. Anderson ; des extraits d’entrevues accompagnaient chaque image, rappelant ainsi l’histoire des individus (Archiving Memory, s. d.). Et le projet d’intégration de l’art à l’architecture du Wolfond Centre for Jewish Campus Life réalisé par l’artiste Barbara Astman, qui évoque l’histoire et la mémoire des juifs (Boucher, 2009). Le projet Land/Slide : Possible Futures, pour sa part, avait pour objectif d’amorcer une réflexion à partir du passé pour se projeter dans l’avenir, en exploitant le caractère lacunaire de sites historiques, d’artefacts et d’archives. Les participants étaient invités à proposer de nouvelles interprétations du passé et de nouvelles avenues relativement à l’usage du territoire dans un contexte de changements climatiques et d’un monde en évolution (Marchessault, 2013). Notons que dans ce projet de grande envergure issu de collaborations provenant de domaines diversifiés, contrairement aux autres projets, le document d’archives ne constituait qu’une fraction du vaste matériel exploité par les artistes à partir duquel les oeuvres étaient réalisées. Des projets d’art public analysés, nous dégageons ainsi deux tendances, la plus répandue étant de rendre hommage et de commémorer, et l’autre étant d’amorcer des réflexions sur des problématiques de société.

Les initiateurs des projets analysés proviennent principalement des institutions où ils ont été présentés ou qui sont étroitement liés à celles-ci. Notons que les artistes furent surtout recrutés par sélection directe.

Dans la plupart des projets, les artistes furent invités à travailler à partir des collections de l’institution initiatrice selon un thème précis. Notons cependant que l’artiste Barbara Astman avait sélectionné des archives de l’Ontario Jewish Archives pour réaliser son projet au Wolfond Centre. Nous remarquons que les commandes d’art public sont généralement réalisées par un seul artiste, souvent en collaboration avec des architectes. Certains projets peuvent toutefois être réalisés par un groupe d’artistes en collaboration avec des acteurs d’autres domaines, tels que Land/Slide qui fut le fruit d’une collaboration entre des artistes, des urbanistes, des écologistes, des éducateurs et des dirigeants civiques (York University, 2013).

En termes de clientèle, l’art public vise le passant ou le visiteur d’un lieu :

Les oeuvres d’art publiques le sont parce qu’elles se trouvent sur la voie publique ou dans le domaine public, là où tous sont susceptibles de les voir, de les heurter ou d’être heurtés par elles. L’art public suppose dès lors un public plus large que celui normalement exposé aux productions artistiques, l’un des objectifs de ses initiateurs étant souvent d’ailleurs de rendre l’art contemporain plus accessible.

Paquet, 2009

Les formes d’art utilisées sont surtout l’intégration à l’architecture et l’installation. Quelques performances furent aussi exécutées lors de l’exposition Land/Slide, dont certaines comportaient des éléments d’interactivité avec le public. Les oeuvres peuvent être permanentes ou temporaires, intérieures ou extérieures.

Parmi les différents moyens utilisés dans la réalisation d’oeuvres intégrées à l’architecture, mentionnons la gravure au jet de sable sur verre pour le projet du Wolfond Centre, et le transfert d’images sur verre pour Archiving Memory. Dans le cadre de ces projets, les archives iconographiques furent reproduites sur des supports de verre et leur format agrandi. Tel que mentionné ci-dessus, une caractéristique distinctive de cette catégorie est la collaboration avec des architectes. En effet, l’architecture impose des restrictions à l’artiste quant à la réalisation des oeuvres. Cette forme d’art nécessite parfois des méthodes différentes pour s’adapter à ces contraintes.

Parmi les moyens utilisés pour réaliser les installations, nous retrouvons, selon le cas, la projection vidéo ou cinématographique, les techniques multimédias et interactives, la photographie en 2D et en 3D, la sculpture, la peinture, l’illustration, le dessin, l’assemblage d’objets, des applications iPad, des techniques artisanales de fabrication du papier, des programmes d’intelligence artificielle interactifs, des archives accessibles via la réalité augmentée (RA), et une vidéo interactive avec téléphones intelligents.

Les archives utilisées sont principalement des archives iconographiques, mais également des cartes géographiques et des plans, ainsi que des artéfacts, voire des maisons historiques pour le projet Land/Slide.

Dans le projet Elsie, l’artiste avait utilisé les archives telles quelles. Seuls les formats et le support furent modifiés. La forme d’art réside dans la façon par laquelle le spectateur accède aux archives et celle-ci doit tenir compte des contraintes liées à une installation à l’extérieur.

Dans le projet Land/Slide, plusieurs artistes eurent recours aux archives indirectement, comme source d’inspiration. Des archives furent également intégrées telles quelles via une application RA, donc accessibles aux visiteurs à l’aide de téléphones intelligents.

Nous remarquons que, comme dans la catégorie des projets réalisés par des artistes-commissaires, l’utilisation et la présentation d’archives telles quelles sont plus marquées que les autres catégories.

Les techniques de reproduction des documents et la numérisation permettent d’intervenir sur les archives ou de les présenter dans leur intégralité dans des oeuvres extérieures ou intégrées à l’architecture sans conséquence physique sur l’archive originale.

Les oeuvres d’art public sont les composantes, les jalons, ou la condition même de parcours, de déambulations dans la ville, dans un parc, un jardin ou un bâtiment (Paquet, 2009). Pour être diffusé, l’art public requiert donc des espaces où le passant sera au rendez-vous. Ceux-ci sont, dans les projets que nous avons analysés, des jardins, des parcs, des bâtiments, mais ces espaces pourraient tout aussi bien être des places publiques ou toute aire piétonnière.

En ce qui concerne le rôle des archivistes, mentionnons le nouveau rôle de valorisation de l’accès aux archives, et non plus seulement de leur conservation, évoqué par Marchessault (2013), d’où l’importance de rendre visible et de faire connaître le contenu des centres et des services d’archives. Ceci peut se manifester, entre autres, en ouvrant la porte à des collaborations. Le centre ou le service d’archives n’est pas nécessairement l’initiateur du projet, mais collabore en fournissant l’accès à ses archives, ainsi qu’une aide à la recherche aux intervenants qui les exploitent. La capacité d’adaptation aux nouvelles technologies est également à souligner, comme dans Land/Slide, pour soutenir la présentation des oeuvres d’art médiatiques ou pour simplement présenter les archives à l’aide de nouvelles technologies comme la réalité augmentée (RA).

Parmi les programmes dont peuvent bénéficier des artistes et/ou des organismes au Québec, mentionnons le programme de bourses Commandes d’oeuvres du CALQ qui s’adresse aux artistes professionnels (CALQ, 2018a), et la possibilité de bénéficier de la Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics (MCC, 2017b). Mentionnons également l’aide financière accordée par une fondation à l’exposition d’art public Land/Slide : Possible futures (Land/Slide : Possible futures, 2013).

Si les avantages pour les artistes sont les mêmes que pour les autres catégories, ils sont plus limités pour le domaine archivistique soit, d’une part, faire découvrir les archives et réactiver l’archive oubliée, soit, d’autre part, encourager ou soutenir les collaborations entre institutions et/ou acteurs provenant d’autres disciplines.

Tableau 5

Commandes d’art public : faits saillants

Commandes d’art public : faits saillants

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CONCLUSION

L’évaluation de la situation a révélé que les projets issus de l’exploitation artistique d’archives conservées dans des centres et services d’archives ont, du point de vue de l’organisme initiateur du projet, le dessein de valoriser les fonds et les collections. Parmi les motivations qui sous-tendent la réalisation de ces projets par des artistes, nous retrouvons la quête identitaire, l’hommage et la commémoration, ainsi que la remise en perspective d’évènements historiques ou la réflexion sur des problématiques de la société. Il est à noter que les résidences d’artistes se prêtent particulièrement bien à la mise en valeur du processus archivistique selon deux avenues, d’une part pour sensibiliser les artistes ou le grand public et, d’autre part, pour explorer et connaître les besoins des artistes, les résidences offrant une excellente occasion d’obtenir une rétroaction de leur part.

D’une façon générale, les projets émanent de thématiques inspirées d’archives ou de fonds sélectionnés par les archivistes en collaboration ou non avec les artistes. Ces projets se réalisent à travers les oeuvres ou les mises en scène d’artistes en solo ou de groupes d’artistes, généralement recrutés sur invitation, parfois par appel de candidatures. Nous remarquons que les expositions de groupe avec des artistes invités offrent un milieu favorable à l’exploration de thèmes spécifiques pouvant susciter l’intérêt de certains segments de la population, et que les expositions réalisées par des artistes-commissaires se distinguent des autres catégories par une plus grande emphase sur la mise en scène d’archives telles quelles. Dans l’ensemble des projets, les artistes bénéficient de latitude dans la réalisation d’installations ou de performances selon une grande diversité de moyens ; l’art public impose toutefois des contraintes architecturales ou environnementales. L’utilisation d’archives iconographiques prédomine dans la réalisation des oeuvres. L’exploitation d’autres types d’archives, textuelles, sonores, films ou autres s’effectue dans une moindre mesure ; ces archives mériteraient cependant d’être davantage exploitées, les artistes s’avérant parmi les plus aptes à mettre ces dernières en valeur par leurs interventions artistiques.

L’archiviste peut participer à la réalisation d’un projet dès sa conception et ce, jusqu’à sa diffusion, en passant par une collaboration avec les artistes pour les assister et les guider dans leurs recherches et, par la même occasion, pour relever et évaluer leurs besoins. Le centre d’archives peut également collaborer avec des galeries d’art, des bibliothèques et des musées pour la diffusion des expositions.

À propos des sources de financement envisageables au Québec pour soutenir ces types de projets, il est à considérer que l’aide financière provenant des gouvernements fédéral et provincial est attribuée soit pour la création artistique professionnelle, c’est-à-dire pour les acteurs oeuvrant professionnellement dans des domaines artistiques pour le développement de l’artiste ou du domaine des arts, soit pour la mise en valeur du patrimoine qui n’inclut pas la création artistique. La rencontre entre art et archives se révèle donc difficile en matière de financement, ces deux domaines étant généralement traités de manière distincte pour l’octroi de subventions. Notons également que pour bénéficier de certains programmes, les objectifs d’un projet doivent correspondre aux priorités de ces mêmes programmes et être associés à des tendances culturelles, par exemple la diversité culturelle au CAM ou au MCC. Nous retrouvons sensiblement la même situation pour l’obtention d’une aide financière provenant des fondations.

Tous ces projets issus de l’exploitation des archives à des fins de création démontrent à quel point l’imagination, la créativité et la capacité des artistes à remettre les choses en perspective permettent de présenter les archives de manière originale et d’atteindre les publics autrement. Le domaine archivistique peut tirer grand avantage à réaliser et à promouvoir ce type de projets, car ils mènent à la valorisation des archives, au développement de nouvelles clientèles, à une connaissance plus approfondie des besoins des artistes et à l’intégration de nouvelles approches dans le processus de gestion des archives en considérant l’artiste non seulement comme un utilisateur, mais également comme un collaborateur qui enrichit les modes de présentation et de transmission des archives.

Cette analyse de la situation en matière de projets en arts visuels et médiatiques issus de l’exploitation d’archives conservées dans des centres et des services d’archives fut une étape essentielle à l’élaboration de recommandations en tant que stratégies qui feront l’objet d’une prochaine publication. Ces stratégies seront conçues pour soutenir et encourager l’exploitation des archives à des fins de création au Québec, par l’entremise de projets de résidences d’artistes, d’expositions d’oeuvres ou de mises en scène, ainsi que de commandes d’art public.

Nous pensons que l’utilisation artistique des archives se doit d’être considérée au même titre que les autres types d’usage à des fins administratives, scientifiques ou patrimoniales. Les archivistes ont grandement intérêt à considérer les travaux des artistes contemporains et à poursuivre leurs efforts de collaboration par l’entremise de programmes adaptés. Nous visons à mieux faire connaître ce type de manifestation artistique, à montrer comment il serait possible d’en favoriser le développement et, par conséquent, d’en augmenter les retombées pour le domaine des archives.