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Le travail à l’hôpital est par nature un travail d’équipe, un travail d’équipes. Dans un contexte paradoxal de spécialisation très poussée et de glissement hiérarchique des tâches, alors que le flou des niveaux et des domaines de qualification rend malcommode tout déploiement de l’activité, les transmissions se révèlent indispensables entre un personnel de formations et de fonctions très différentes, mais aussi entre les agents de même qualification se succédant auprès des patients. Les auteurs soulignent qu’en une semaine d’hospitalisation, un patient a l’occasion de rencontrer une cinquantaine de personnes de statuts et qualités très différents. Dès lors, la communication apparaît comme un élément primordial de la coordination de ces collectifs très composites, indispensable pour rendre opératoire ce que les auteurs dénomment l’intelligence collective.

Alors que le substrat théorique est largement interactionniste, la méthode utilisée associe l’observation des comportements au recueil des paroles en situation. Par la mise en perspective de monographies, la démarche s’est voulue assurément comparative et c’est sans doute un élément de la fécondité d’une observation qui a eu lieu dans des services aux caractéristiques fort diverses.

D’abord — et il convient de le rappeler tant une activité peut parfois être déployée autour d’une qualification précise — cette étude confirme à quel point ce sont les infirmières qui assurent ici un rôle essentiel, celui d’« interface » entre le malade et l’établissement. L’étude des communications entre les travailleurs hospitaliers de différentes qualifications (médecins, aides-soignants [hommes et femmes], surveillantes, infirmières), mais aussi à des moments distincts de leurs carrières, notamment pendant leur formation, avec les patients et leurs familles également, confirme cette place essentielle. Ensuite, les auteurs insistent sur la dimension collective de ce travail, bien qu’il soit de fait extrêmement parcellisé. D’où la richesse, les indispensables effets des échanges, verbaux particulièrement, mais aussi les imperfections et limites de ces communications, donc leur efficience. À la lecture de cet ouvrage, on ne peut qu’être persuadé de l’importance et de l’efficacité de la négociation en situation de travail. Les spécificités du travail hospitalier ne font que renforcer cette impression.

Les auteurs n’ont pas fait appel aux apports, bien légers en ce domaine il est vrai, des historiens. Or, le personnel hospitalier à la fin du XXe siècle est, de par sa formation, son rapport même à l’expression et à la verbalisation, fort différent de ce qu’il était encore au début des années 1960. Sans doute conviendrait-il de tenter une perspective historique pour cerner en quoi ces éléments se situent en leur époque, en l’hôpital d’aujourd’hui, et sont de ce fait sans doute dissociables d’établissements hospitaliers présentant d’autres caractéristiques, notamment en termes de fonction thérapeutique.

Un chapitre est consacré à la relève, « moment clé du travail », moment primordial lorsque les soignants se transmettent les informations qui concernent les malades. Les observateurs ont pris en compte la plupart des éléments qui permettent précisément d’en comprendre le fonctionnement : les aspects spatiaux, temporels, la nature et les statuts des participants, leurs postures, leur légitimité, les buts et les résultats de l’opération, mais également les normes d’interaction, l’atmosphère : la tension, l’ennui, le calme. L’écrit, imposé par la loi et la réglementation, est insuffisant et doit être développé par des précisions orales lors de ces séances. En cela, les actuelles tentatives de diminution du temps de relève afin de réduire le temps de travail dans les services de soins sans en accroître les effectifs, ne pourront que se révéler une fâcheuse entreprise. Très précieuse, la grille d’observation des relèves est fournie en annexe.

Les travaux menés sur le travail en services de soins, de la sociologue Anne-Marie Arborio, de l’ethnologue Anne Vega ou du psychologue Yves Clot, avaient permis de mettre en évidence la complexité, mais surtout l’importance de l’écrit et de l’oral dans un contexte anxiogène. C’est tout l’intérêt de cette étude que d’avoir examiné les différents processus de communication comme étant au centre de cette activité laborieuse et d’en permettre une analyse dépassant le seul cadre hospitalier. La perception de la structure dynamique du travail, ce que les auteurs appellent « les dimensions prospectives et rétrospectives », le projet et la mémoire, donne la mesure avérée d’une activité dont un découpage en séquence affaiblirait la perception.