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Voici un ouvrage collectif rédigé uniquement par des femmes anthropologues, sociologues, historiennes, politologues, philosophes, infirmières et militantes du mouvement pour la santé des femmes. C’est donc un livre « engagé ». Il est le produit d’un colloque organisé à Québec les 4 et 5 avril 2002 portant sur les transformations du système de santé et des services sociaux et sur la place « dominée » des femmes. Ce travail interroge le sens de ces transformations dans leur relation avec l’État, le néo-libéralisme, les valeurs d’autonomie et d’individualisme. L’analyse et la réflexion se structurent en trois parties.

Dans la première partie, le texte permet de situer les causes structurelles des inégalités sociales et leurs effets sur le système de santé, les populations et les femmes dans le contexte de mondialisation et de l’économie néo-libérale. Cette partie montre que les transformations en cours affectent particulièrement les populations les plus pauvres et les plus démunies, au Nord comme au Sud, mais aussi les femmes, souvent appelées à intensifier leurs engagements dans la communauté et dans la famille. Des comparaisons entre les situations africaines (le cas du Sénégal) et en Amérique latine, à travers le cas du Brésil, et les réalités vécues au sein des nations autochtones du Canada permettent de décentrer le débat canadien et québécois pour une démarche anthropologique critique.

La seconde partie fait un retour sur la situation canadienne et québécoise, mais aussi française, en analysant les résultats des recherches récentes portant sur les sphères publiques (système public de santé, politiques et initiatives de la société civile) et la sphère privée (grou-pes domestiques et femmes en tant que catégorie sociale – salariées précarisées, travailleuses domestiques dans les soins à domicile – et en tant qu’individus). Ces deux sphères sont exposées dans leur interrelation et leurs mouvances.

On s’intéresse dans la troisième partie aux formes que prennent les résistances à ces transformations des systèmes de santé. Des travaux et analyses sont examinés sous l’angle du rapport complexe, ambigu et paradoxal entre l’État et le mouvement pour la santé des femmes. Cette approche permet de s’interroger spécialement sur la définition des connaissances et de l’expertise. Elle plaide pour d’autres études capables de saisir la complexité de la dichotomie « sciences et pragmatisme » pour analyser le rapport de pouvoir ainsi que l’articulation entre la diversité et l’unité. Ensuite, la question de l’enjeu des savoirs est posée : elle concerne les systèmes publics de santé en transformation, leurs effets sur les femmes comme objets et comme sujets de ces systèmes, les pratiques développées, les milieux communautaires et les contextes de recherches. L’exemple des sages-femmes françaises et québécoises illustre particulièrement le mouvement de va-et-vient entre le savoir critique développé au sein du mouvement et les savoirs institués : il permet de réfléchir aux contradictions des savoirs critiques.

En conclusion, cet ouvrage met réellement en évidence les effets de la mondialisation néo-libérale : détérioration de l’état de santé de la population en général et des femmes en particulier, détérioration des conditions de travail des femmes dans le secteur de la santé et accroissement du travail domestique par des charges physiques et mentales de plus en plus lourdes.

Les auteures rappellent que le mouvement pour la santé des femmes s’est engagé dans la mise en place de ressources alternatives. Il s’agit de développer, en marge du système institutionnel de santé publique, d’autres façons de faire plus interactives et accordant plus d’autonomie et de participation aux « malades ». Malheureusement les moyens mis à la disposition du mouvement pour la santé des femmes sont extrêmement limités : précarité financière, précarité de personnel et incertitude quant à l’admissibilité des subventions publiques.

Les auteures défendent une démarche de pensée citoyenne basée sur un triptyque de valeurs à défendre : 1) revenir à la logique du « droit » pour améliorer la santé publique, les conditions de travail, la qualité des soins et leur accessibilité ; 2) renouer avec la critique de la médecine technicienne ; 3) développer une approche de la solidarité sociale.

Cet ouvrage s’adresse à tous ceux, hommes et femmes, acteurs du secteur sanitaire et social, qui s’inquiètent des restructurations mondiales de notre système de santé et de leurs effets pervers sur les catégories les plus « dominées ». Il apporte un regard éclairé et vigilant au grand débat sur les nouvelles dynamiques mondiales néo-libérales qui se mettent en place pour transformer notre monde.