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Les représentations sociales et culturelles de l’enfant et de la famille ont beaucoup évolué depuis une cinquantaine d’années (Léridon 1995 ; Lemieux 2008), notamment en lien avec la sécularisation des valeurs, la progression des droits individuels et de l’autonomie des personnes, et l’emprise accrue de l’État sur la sphère familiale. Avoir des enfants n’est plus considéré comme un devoir moral des époux et une conséquence naturelle du mariage, ni comme l’affaire de l’ensemble de leurs parentés réunies. Les processus de mise en couple sont d’ailleurs souvent amorcés en dehors du mariage et, depuis l’avènement d’une contraception efficace, sont au départ souvent détachés de tout projet de procréation. L’enfant est voulu et planifié pour son rôle affectif (Dandurand et al. 1994 ; De Singly 1996 ; Charton 2009). Il appartient de plus en plus exclusivement à ses parents, sur les épaules desquels l’État concentre les responsabilités à son égard. Le projet parental doit donc s’élaborer en réponse au désir d’enfant de chaque individu au sein du couple et faire appel à la conciliation des deux histoires personnelles et familiales. Cela contribue à ce que l’enfant conçu comme un être à aimer et à protéger soit davantage reconnu dans son unicité et sa singularité, en même temps qu’il fait l’objet d’une aspiration quasi généralisée à la parentalité (Segalen 2010). Dans un univers qui impose aux individus d’opérer constamment des choix stratégiques, les projets de procréation entrent en compétition avec d’autres projets personnels et conjugaux.

À l’image du sens de l’enfant, les modèles de nomination ont varié au fil du temps. Répondant anciennement à des modèles façonnés par la tradition (Burghière 1980 ; Garneau 1985 ; Lemieux 2005 ; Finch 2008), dont les normes s’estompent en premier lieu au sujet des prénoms, le nom de famille est entré à son tour dans l’univers du choix vers la fin du XXe siècle (Zonabend 1977). Auparavant, le père de l’enfant légitime lui transmettait son nom. L’enfant naturel reconnu seulement par sa mère portait le nom de celle-ci comme un stigmate. Aujourd’hui, à l’intérieur de cadres juridiques redéfinis à l’aune de l’égalité des droits individuels, les parents mariés ou en union libre doivent choisir, outre les prénoms de leur enfant, s’il portera le nom de famille de son père, de sa mère ou des deux. Ce choix se fait en fonction de règles qui varient entre les pays[1].

Le présent article[2] explore le lien étroit[3] entre désir d’enfant, filiation et nomination, en cherchant à préciser comment l’histoire d’un couple et de son désir d’un premier enfant peut éclairer le sens qu’il donne à la venue de celui-ci et la manière avec laquelle il a choisi ses nom et prénom(s). À travers l’analyse d’entrevues auprès de parents québécois sur cette phase cruciale de l’accueil de leur premier enfant, nous développons une hypothèse, qui se dégage de nos travaux récents, selon laquelle leurs choix de nom et de prénom(s) et leurs combinaisons sont liés aux particularités de leurs histoires personnelles et de couple, ainsi qu’à leurs conceptions de l’enfant et de la place qui doit lui être donnée. Après avoir présenté le terrain de notre recherche, nous explorons à travers une typologie inductive trois différents contextes d’entrée en parentalité, en tenant compte de la façon pour le couple de se former, des indices donnés d’un désir d’enfant précoce ou tardif chez l’un ou l’autre des partenaires, ainsi que du moment d’apparition d’un projet parental commun. Nous soulignons leurs liens à des modèles culturels ou à des styles de vie relativement contrastés, qui renvoient à des conceptions différentes de l’enfant et de sa nomination.

Avoir un enfant au Québec : conditions, moments et motivations

La réforme du droit de la famille entrée en vigueur en 1982 a introduit au Code civil du Québec de nouvelles dispositions garantissant l’égalité de tous les enfants, peu importe les circonstances de leur naissance, faisant disparaître les notions de légitimité et d’illégitimité. Elle a permis d’attribuer à un enfant soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms, dans l’ordre choisi par eux (art. 51), sans faire obstacle à ce que des noms différents soient attribués aux enfants d’une même fratrie. Elle a aussi interdit aux femmes mariées de porter le nom de leur époux dans l’exercice de leurs droits civils, supprimant l’usage d’un nom commun pour tous les membres de la famille. Le parent qui a reçu un nom double peut le transmettre intégralement à son enfant, mais peut aussi n’en transmettre qu’une partie, combinée ou non avec le nom simple ou une partie du nom double de l’autre parent. Pour l’enfant dont les deux parents portent un nom double, il existe ainsi seize possibilités différentes de nomination.

Afin de mieux comprendre comment les individus d’aujourd’hui se situent par rapport à ces règles lorsqu’ils ont à négocier leur passage au statut de parents, nous avons analysé l’évolution de l’attribution du nom au Québec à partir des données provenant des bulletins des naissances de 2010 collectés par l’Institut de la statistique du Québec ainsi que d’un corpus d’entretiens recueillis en 2013.

Des entretiens semi-dirigés, d’une durée d’une heure environ[4], ont été réalisés avec 25 parents d’au moins un enfant de moins de 5 ans : 15 mères et 10 pères de couples différents. Ces parents ont été invités à faire le récit de leur histoire de couple et de parents en s’attardant sur le choix des noms de leurs enfants. Ils ont été recrutés par voie d’annonces affichées dans des établissements de santé et de services sociaux, des organismes communautaires et des groupes de parents sur Facebook, et par la méthode boule-de-neige. Ils avaient entre 26 et 39 ans. La majorité (17) résidait à Montréal et les autres (8) à la périphérie de Québec et dans les régions de la Beauce et de Chaudière-Appalaches. Ces parents appartiennent à des catégories socioéconomiques diverses (selon le niveau d’études, le type d’activités professionnelles, le lieu de résidence et le revenu du ménage). À la date de l’enquête, huit répondants sont mariés ou planifient de se marier prochainement. Les dix-sept autres sont en union de fait avec l’autre parent ou, dans trois cas, sont maintenant séparés. Les deux conjoints de ces couples sont tous nés au Québec, à l’exception de trois hommes originaires d’Amérique centrale, d’Asie du sud et d’Afrique de l’ouest.

À la naissance de leur enfant, quinze parents sont dans un couple dont les deux conjoints portent le nom de leur père, neuf parents dans un couple où l’un des conjoints porte un nom composé et l’autre le nom de son père, et une mère porte un patronyme et son conjoint un matronyme. Les parents porteurs de noms doubles sont ainsi légèrement surreprésentés dans notre corpus.

Les noms donnés par ces parents à leurs enfants, bien que variés, reflètent la persistance d’un mode de nomination patronymique. Ils ont décidé de transmettre uniquement le nom du père dans dix-sept cas (17/25) ; dans cinq cas (5/25), un nom composé (père-mère ou mère-père) ; et dans trois cas (3/25), un nom différent de celui qui sera éventuellement transmis aux autres enfants de la future fratrie (par exemple nom de la mère au premier enfant et du père au deuxième). Sans contenir toutes les formes de nomination possibles (un nom double porté par l’un des parents, par exemple), le profil de notre corpus reste cependant assez proche de la répartition des noms transmis par les Québécois à leurs enfants en 2010 (Charton et al. 2015). La plupart des parents rencontrés ont en commun une ritualisation de recherche du « beau » prénom pour leur enfant. Souvent, ils consultent des banques de noms sur Internet ou des livres spécialisés, font appel à leur imagination et à leurs souvenirs personnels, et confectionnent des listes pour négocier et accorder leur choix.

À travers les récits recueillis, nous avons relevé trois manières d’accéder à la parentalité qui s’accompagnent de processus spécifiques de nomination de l’enfant. Nous avons identifié un premier groupe de parents ayant formé un couple dans l’intention de fonder une famille et dont l’enfant a été nommé en référence à son appartenance familiale (10/25). Un deuxième groupe est composé de parents qui ont vécu en couple avant que leur projet d’enfant ne s’élabore, ne se négocie, voire ne s’impose au fil des années, et dont l’enfant semble avoir été nommé du fait du rôle affectif ou symbolique qu’il joue pour le couple (11/25). Enfin, nous avons réuni, dans un autre groupe, des parents dont le projet d’enfant a été à l’origine de leur union ou, à l’inverse, n’a pris forme qu’assez tardivement, mais qui ont décidé du nom de leur enfant en cherchant à se distancier de toute référence obligée à la lignée patronymique, au couple ou à la famille (4/25). Tous les noms et prénoms cités dans cet article sont des pseudonymes.

L’enfant issu d’un projet familial commun

Les dix parents (6 femmes et 4 hommes) qui appartiennent à notre premier groupe s’inscrivent dans une variante contemporaine du modèle traditionnel où l’enfant constitue une partie intégrante de l’identité de la famille et du groupe (Charton 2009). La plupart ont eu leur premier enfant dans la vingtaine et, au départ de leur vie de couple, ils désiraient généralement en avoir plusieurs. Pour eux, la construction d’une famille se fait le plus souvent par étapes : formation du couple, travail stable, achat d’une maison, naissance d’un enfant et, parfois, mariage (six couples sur dix). Dans ce modèle de continuité des générations, c’est la naissance du premier enfant qui crée la famille, et le mariage, s’il est célébré, vise à faire reconnaître l’unité familiale et plutôt que le couple seulement : il officialise des liens déjà forts.

Le récit de Lucie Desmarais (28 ans, mariée, 2 enfants) reflète cette construction séquentielle de la famille et le rôle du mariage dans ce modèle. Elle et son conjoint, Marc Rondeau (29 ans), se sont rencontrés au travail neuf ans plus tôt. Rapidement, ils cohabitent et forment le projet d’avoir une famille de 3 ou 4 enfants, à l’image de celle de son enfance : « Pour moi, pour être un vrai couple, une vraie famille, ça prend des parents mariés […]. C’était un mariage vraiment familial ». Toutefois, des contraintes financières et d’autres priorités les ont amenés à remettre à plus tard ce projet de mariage : « On avait moins d’argent… et le fait de s’acheter une maison, c’était plus important. Puis de faire des enfants aussi ».

Victoria Falardeau (25 ans, 1 enfant) et Johanne Turmel (28 ans, 1 enfant) vivent en union de fait. Elles ont attendu d’avoir terminé leurs études, obtenu un emploi et acheté une maison avant d’amorcer leur descendance. La première explique s’être ajustée au point de vue de son conjoint, Jacques Valin (26 ans), pour qui le passage du couple à la famille devait se faire graduellement. Elle raconte :

Moi, je voulais rapidement un enfant. Mais lui il n’était pas prêt, donc on a été en appartement ensemble. Il disait : on va construire notre maison et on verra après. Et ça a été un an après la construction de notre maison que là il nous a donné, il m’a donné, le O.K. pour qu’on puisse faire un enfant.

Victoria souhaiterait maintenant se marier, mais son conjoint considère le mariage comme une formalité et une dépense inutiles.

Le mariage religieux a été pour Alberto Mario Gonzales Mora (38 ans, marié, 2 enfants), immigrant nicaraguayen, une façon d’affirmer son appartenance culturelle et familiale. Si son mariage civil avec sa conjointe québécoise, déjà mère de deux enfants d’une première union, lui a facilité l’obtention de ses papiers de résident canadien, il insiste pour dire que leur mariage religieux a par la suite été célébré par choix : « Le mariage catholique, vraiment, c’est pas pour immigrer. C’est juste la fête et juste la tradition ». De même, Nathalie Bélanger (32 ans, mariée, 1 enfant, Montréal) explique avoir épousé civilement son conjoint rencontré lors d’un séjour en Inde pour lui faciliter l’immigration au Canada, et religieusement ensuite, au temple, pour respecter la tradition culturelle et familiale. Bien qu’elle affirme avoir voulu des enfants dès la vingtaine, leurs conditions de vie matérielles et sociales ne le lui ont pas permis. Elle raconte :

On en a toujours parlé. Mais, notre situation financière était vraiment pas évidente quand il est arrivé. Moi je commençais ma carrière professionnelle, j’étais à temps partiel ; lui, il ne travaillait pas, parce que je voulais vraiment qu’il prenne le temps d’apprendre le français. Donc, c’était pas vraiment le temps d’avoir un bébé. Ça fait que j’avais accepté d’attendre jusqu’à 30 ans ; mais 30 ans, c’était ma limite, là.

Pour les parents de ce groupe, l`âge constitue un repère social important des trajectoires de vie personnelle, qui leur permet aussi de se situer dans la chaîne des générations.

Donner le nom du père : une norme qui s’impose

Donner le nom du père n’est pas tant perçu dans ce modèle, proche de la tradition, comme une obligation que comme un choix normal, le seul qui s’impose aux parents. L’enjeu de ce choix dans leurs récits est la reconnaissance d’un rôle spécifique pour le père à l’égard de ses enfants. Dans ce modèle de famille, le père et la mère ne sont pas interchangeables ; ils ont des rôles distincts et la transmission du nom et de la continuité du patronyme est l’occasion de le signifier.

Le nom de l’enfant n’a ainsi pas été longuement discuté par ceux qui donnent le nom du père à l’enfant. Cela « allait de soi », comme le dit Lisa Boucher-Rioux, malgré son propre nom double reçu de ses père et mère sur fond de brouille familiale.

Pour Johanne Turmel, transmettre le nom de père en fils est « naturel » : « mon frère va peut-être avoir des garçons un jour, ça va pouvoir continuer la lignée ». Elle suppose que les noms des deux parents sont donnés lorsqu’un « bébé-accident » survient dans un couple qui n’est pas solide ou envisage de se séparer.

Élisa Robichaud (35 ans, 2 enfants) a pour sa part préféré donner le nom de son conjoint de fait à leur enfant, à la fois parce que c’est la tradition et parce que les enfants doivent recevoir un message clair sur leur identité familiale :

Je pense qu’on en a parlé une fois que j’étais enceinte, puis moi j’ai dit : c’est ton nom, c’est le nom du père ; pour moi ça marche comme ça. Tu sais, je ne veux pas en mettre deux, puis je ne tenais pas à : un enfant à ton nom, l’autre à mon nom, puis là qu’ils ne comprennent plus pourquoi ils n’ont pas le même nom. Déjà, ils sont mêlés. Ils s’appellent tous Bouchard, mais moi je m’appelle Robichaud.

Victoria Falardeau, pour sa part, tout en minimisant l’importance du nom de famille, affirme dans le même temps l’importance d’une transmission patronymique :

C’est juste un nom de famille. Je pense que ça a toujours été convenu que ça serait son nom de famille à lui, que le père donnait son nom de famille à l’enfant.

David Blais (26 ans, 1 enfant) affirme également qu’il n’y a pas eu de grande discussion avec sa conjointe de fait, Marie-Lyne Sinclair-Lavoie, qui porte pourtant un double nom :

Moi je voulais donner le nom à mon gars, puis ma blonde voulait donner mon nom de famille à mon gars. Tu sais, c’était pour suivre la tradition. Normalement l’enfant a plus le nom du père que de la mère.

Il remarque par ailleurs, comme d’autres parents de ce modèle, que tous les gens qu’ils connaissent ont donné le nom du père à leur enfant.

Ces parents n’évoquent pas toujours la tradition comme telle pour justifier la transmission du nom du père à leur enfant, mais ils se réfèrent toujours aux normes de leur milieu familial, culturel et social. Pour eux, le nom double est au contraire une affirmation de singularité et de distinction sociale qu’ils rejettent.

Un accent mis sur le prénom

Le choix du prénom est plus longuement discuté entre les partenaires, le plus souvent dès l’annonce de la grossesse (Charton et Lemieux 2015). Les prénoms usuels retenus sont valorisés pour leur évocation de la nature, leur sonorité, leur ancienneté, leur noblesse. Les prénoms secondaires, inscrits sur les actes de naissance mais rarement utilisés, sont souvent ceux des grands-parents ou ceux des parrains-marraines, comme c’était la tradition lors du baptême jusque dans les années 1960 au Québec (Collard 1999). Plutôt que de souscrire à une tradition chrétienne, ce choix des prénoms secondaires sert désormais à renforcer l’appartenance à la parenté du fait qu’il va y chercher un ou deux prénoms signifiants.

Dès l’adolescence, Johanne Turmel, par exemple, choisissait des prénoms pour ses futurs enfants. Elle raconte que son conjoint et elle ont amorcé une discussion à ce sujet dès l’instant où ils ont su qu’elle était enceinte. Ils ne se sont toutefois décidés qu’à l’hôpital, une fois qu’ils ont vu l’enfant. Si des discussions similaires sont rapportées par la plupart des parents rencontrés, quelques-uns soulignent aussi des préférences spécifiques, comme Lucie Desmarais pour qui la quête du beau prénom s’accompagne dès le début de ses recherches d’un certain romantisme : les noms de princesses, pour elle, recèlent la part de rêve et de distinction recherchée.

À l’exception d’un père né au Sénégal qui explique que dans sa culture, les pères choisissent pour leurs deux premiers enfants le prénom d’un proche qu’ils souhaitent honorer, tous les parents ont relevé l’importance d’une décision conjointe, même si elle ne naît qu’après un certain compromis.

L’enfant d’un projet parental négocié

Une autre manière d’accéder à la parentalité s’observe chez des couples qui se sont formés sans avoir fait le projet d’avoir des enfants. Ce projet s’élabore, se négocie, voire s’impose au fil des années, bien qu’il entre en concurrence avec d’autres projets personnels et de couple. Des facteurs socioéconomiques d’entrée tardive dans la parentalité s’avèrent ainsi davantage présents dans ce groupe où les répondants sont majoritairement installés dans une grande ville (8/11), sont plutôt très scolarisés, et ont presque tous eu leur premier enfant après 30 ans. En outre, les modèles familiaux rencontrés pendant l’enfance influencent le désir d’enfant et les projets individuels de procréation, qui se transforment au sein de la dynamique conjugale.

Onze personnes rencontrées (6 hommes et 5 femmes) se retrouvent dans ce modèle qui se caractérise par une dissociation de la mise en couple et du projet d’enfant, dont parfois un seul conjoint est porteur au départ. À part deux couples pour lesquels la grossesse a été une surprise, la durée de la vie à deux sans enfant se prolonge plusieurs années, le temps d’éprouver la durabilité du couple, de terminer des études, de voyager, de s’installer matériellement ou d’avoir le désir commun d’un enfant.

Alors que les répondants du premier groupe considèrent « naturel » d’avoir des enfants pour fonder une famille, les répondants de ce groupe disent plutôt qu’il leur est apparu naturel d’avoir des enfants à partir d’un certain âge. La plupart ont commencé à y penser vers trente ans, comme l’exprime Aurélie Thériault-Lizée (33 ans, 1 enfant) : « Je pense que c’est venu naturellement, là, on a l’âge, on a la situation pour, on a le goût ». Bien qu’ils étaient ensemble depuis l’âge de 15 ans, Gaétane Colignon (31 ans, 1 enfant) et Gilbert Mony en formulent pour leur part le projet seulement à la fin de la vingtaine.

Dans plusieurs cas, leurs récits font état d’une différence entre les conjoints quant à la précocité, à l’intensité ou même à l’existence du désir d’avoir un enfant. Rémi Brodeur (26 ans, 1 enfant) dit s’être rallié au projet fortement ressenti de sa conjointe de fait, de huit ans son aînée, dont il est séparé depuis. Pour sa part très désireux d’avoir un enfant, Pierre-Jean Cauchon (38 ans, 1 enfant) dit avoir attendu sa conjointe de fait, de cinq ans plus jeune. Quand à Émilie Doré Montain (39 ans, 1 enfant), enfant unique élevée par sa mère, c’est son conjoint, chez lequel elle découvre une famille plus unie et chaleureuse, qui lui communique l’envie d’avoir un enfant.

Si la plupart attendent le conjoint ou la conjointe indécis(e), d’autres vont faire de l’enfant une condition de la survie du couple. Ayant connu la pauvreté après la mort de son père, André Dusseault (36 ans, 1 enfant) rejetait pendant sa jeunesse l’idée de faire un enfant qu’il considérerait comme un poids économique et démographique. Il dit avoir répondu au désir d’enfant de sa conjointe après trois ans, pour la survie de leur couple :

C’est plus elle qui sentait, j’appelle ça l’horloge féminine, donc c’est elle qui a commencé à parler, qu’elle, elle y tenait. […] Elle voulait connaître ça, puis si moi ça faisait pas mon affaire, bien, qu’il faudrait se quitter. Donc elle, elle priorisait le fait d’avoir un enfant, que de faire durer le couple. Donc c’était non négociable, elle voulait avoir un enfant un jour. […], ça fait que je lui ai dit, « regarde, on va faire un ou deux bons voyages, puis après ça je vais me sentir prêt à avoir un enfant ».

Ne se considérant pas assez responsable pour être père, Marc Tessier-Morton (34 ans, 1 enfant) explique de son côté qu’il tenait peu à avoir des enfants. Après six mois de vie commune, sa conjointe en fait cependant une condition de survie du couple ; il accepte, mais demande également un sursis pour voyager. C’est aussi pour faire durer leur union que Jeanne Langevin (29 ans, 1 enfant) dit avoir rallié le projet parental de son conjoint (38 ans). Quant à Joël Fortin (34 ans, 4 enfants), une grossesse surprise et l’amour de sa conjointe vont renverser son rejet initial de la paternité et l’image négative de la famille qu’il avait gardée d’une enfance d’abandon et de pauvreté.

Les couples réunis dans cette catégorie disent avoir formulé un projet d’enfant plus tardivement que les précédents ou l’avoir reporté. Et ce projet est davantage conçu comme un projet du couple que comme un projet de reproduction familiale. Ces naissances survenues plus tardivement et parfois objets de négociations paraissent s’accompagner d’une démarche réflexive sur la parentalité, sur la transmission et la reconnaissance de la filiation des deux parents ; des idées qui teintent les choix de noms et prénoms d’une assez grande diversité.

Un patronyme et des prénoms qui évoquent chacun des ascendances

Le nom transmis cherche à faire reconnaître la place de chacun des parents : soit par la transmission du nom d’un seul, principalement le père (8/11), et l’attribution d’un prénom associé à l’autre ou à sa lignée ; soit par le choix plus exceptionnel d’un nom de famille composé (3/11). Contrairement aux répondants du premier modèle qui se concentrent essentiellement sur le prénom, le choix du nom donne plus souvent lieu ici à des discussions dans le couple et ceux qui s’arrêtent au seul nom du père invoquent plus rarement la tradition. S’ils le font, ils prennent un peu distance par rapport à celle-ci.

La recherche d’équilibre entre les lignées rejoint un principe d’égalité homme/femme associé à l’idée que la filiation est le résultat d’une reconnaissance. Cependant, ce principe entre en tension avec le fait qu’identifier l’enfant n’est pas uniquement marquer son lien avec un ou deux individus, mais signifie aussi l’attacher à sa parenté.

Pierre-Jean Cauchon se définit par exemple comme peu traditionnaliste, mais proche de sa famille. Malgré son patronyme attirant les quolibets, sa conjointe et lui n’ont pas songé longtemps à la possibilité que ce soit elle qui transmette son nom de famille, sous prétexte que son père à lui en aurait été peiné. Pierre-Jean multiplie les évocations de noms doubles ridicules ou de frère et soeur aux noms différents qu’on ne peut identifier comme étant de la même fratrie. Il relate aussi le cas d’un ami dont la paternité est méconnue parce que son enfant porte le nom de sa conjointe. S’attardant plutôt au choix du prénom, en croisant leurs listes, Pierre-Jean et sa conjointe s’arrêtent à Léon, qualifié pourtant de vieux prénom. C’est à la fois le second prénom du père de sa conjointe et celui d’un grand père qu’il a peu connu. Le deuxième prénom donné à leur enfant est par ailleurs celui de son parrain, mais aussi celui du second grand-père de Pierre-Jean.

Son discours s’apparente à celui de Félix Lacroix, adepte de la généalogie, qui, avec sa conjointe, choisit de transmettre uniquement son propre patronyme parce que tous deux rejettent l’attribution d’un double nom. Félix Lacroix porte pourtant dans sa vie professionnelle le nom anglophone de sa mère. Il dit avoir trouvé le prénom de sa fille dans une chanson de son adolescence, mais aussi par la suite dans sa généalogie maternelle. Le couple ajoute à ce prénom le second prénom de la grand-mère maternelle. Félix Lacroix précise qu’il ne s’agit pas d’un prénom composé, mais de deux prénoms que lui et sa conjointe adressent à l’enfant tour à tour en se disant qu’elle choisira plus tard.

Peu attaché au nom de la famille adoptive de son père, Régis Brodeur a offert à sa conjointe de transmettre son nom. Celle-ci refuse, étant plutôt en faveur de la transmission d’un patronyme. Comme la grossesse survient peu de mois après la mort de son père à lui, les explications sur le nom transmis en tant que marqueur de la paternité et du lien intergénérationnel prennent une tournure émouvante dans son récit. Pour Gaétane Colignon et son conjoint Gilbert Mony, Français d’origine, c’est en invoquant l’usage de leur pays de naissance de transmettre le nom du père qu’ils ont nommé leur fils. Peu attachée à son propre père et n’aimant pas son nom, elle n’aurait pas voulu le transmettre. Elle trouve l’idée du nom double intéressante pour l’égalité des hommes et des femmes, mais difficile à appliquer. Quant à Jeanne Langevin, elle aurait aimé rompre avec la tradition bien ancrée du patronyme et transmettre son identité maternelle. Son conjoint qui, en l’absence d’un père, a porté le nom de sa mère, s’y oppose cependant, ce qu’elle comprend. La discussion tourne rapidement autour du prénom : ils choisissent peu avant la naissance un prénom double, facile à prononcer en anglais et en français afin de refléter leurs deux appartenances linguistiques.

Pour sa part, Aurélie Thériault-Lizée dit avoir vécu le choix du nom de leur enfant comme un véritable casse-tête. Porteuse des noms de ses deux parents et désireuse de les transmettre, mais devant choisir uniquement l’un d’entre eux, puisque son conjoint tient aussi à transmettre son nom, elle décide de donner à sa fille le patronyme de son conjoint pour ne pas avoir l’impression de choisir entre sa mère et son père. Pour indiquer tout de même son lien d’ascendance, elle a opté pour un prénom répété dans sa lignée maternelle : « Avec Anne, le prénom secondaire de ma mère, qui est celui de sa marraine, qui est mon deuxième prénom, c’est comme si j’allais de ce côté-là chercher un côté de ma famille ».

Pour Geneviève Gagnon-Larouche (33 ans, 1 enfant) dont la grossesse s’est annoncée inopinément trois semaines après sa mise en couple, son nom composé est associé à un conflit. Ses parents se sont séparés 3 mois après sa naissance et chaque lignée l’a alors nommée d’un nom différent. Elle ne veut pas relancer ce tiraillement entre deux lignées en transmettant une partie de son nom double, et décide sans hésiter que son fils héritera du nom de son père. Quand ce dernier émet par ailleurs le souhait de lui transmettre également le prénom du grand-père paternel pour honorer une tradition familiale, Geneviève refuse fermement. Elle choisit donc le nom d’un musicien apprécié à l’adolescence, Liam, et un second prénom dans sa lignée maternelle : « C’est pour ça que j’ai mis Michel […]. C’est mon arrière-grand-père Larouche. Ça fait que d’une certaine façon je leur fais honneur ». Pour les autres enfants qu’elle aura, elle souhaite réitérer ce type de choix.

Un nom double pour reconnaître les filiations paternelle et maternelle

Le choix du nom de famille s’effectue pour Marc Tessier-Morton et sa conjointe en vertu d’un principe d’équité qu’il dit « omniprésent dans leur relation ». Devant sélectionner l’une des parties de son nom double, il explique que le choix ne s’est pas fait en fonction d’une norme culturelle ou de sentiments envers ses parents, mais en fonction de la sonorité et aussi d’un soupçon de nationalisme francophone, car son père francophone lui a transmis un nom anglais (Morton). Il choisit donc, lui, de transmettre le nom de sa mère. Si Marc Tessier-Morton a songé à procéder autrement au prochain enfant à cause du regret exprimé par son père, sa conjointe s’y est opposée catégoriquement, défendant le principe qu’une fratrie doit porter le même nom. Quant à la recherche du prénom, elle a été menée comme une tâche ludique réservée au couple, qui a produit quatre listes, accompagnées de règles de décision et de droits de veto. Vers la fin de la grossesse, ils ont mis à l’essai les prénoms sélectionnés en parlant au foetus. Ils optent finalement pour un prénom court, qui sonne bien et s’harmonise avec le nom de famille.

Émilie Doré-Mountain, parce qu’elle n’a pas connu son père, n’utilise pas le nom de celui-ci, se présentant toujours comme Émilie Doré. D’après elle, le nom trace l’histoire des parents et leur lien avec l’enfant. Elle dit :

Dans mon cas, mon nom de famille est très porteur de ce que je suis, d’où je viens, de mon héritage, puis de ce que je n’ai pas aussi. Mon nom représente bien ce qu’il y a pas chez moi, c’est-à-dire un père ; aussi, je porte pas le nom de mon père.

Émilie veut ainsi que sa fille hérite de ses deux histoires parentales, qu’elle n’ait pas trace d’une absence. Ce choix du nom est un choix du couple pour qui les deux filiations et les deux lignées sont reconnues. Elle insiste sur l’importance du trait d’union dans le nom de son enfant, qui symbolise à ses yeux leur union. Le prénom choisi marque par ailleurs plus explicitement l’appartenance généalogique, car il s’agit du prénom féminisé du grand-père paternel. C’est la figure de l’enfant, plutôt qu’une norme culturelle, qui les a fait décider entre les prénoms de ses deux grands-pères.

Le nom du père pour faire reconnaître la filiation paternelle

Dans deux entretiens (Joël Fortin et André Dusseault), le père a refusé dans un premier temps de transmettre son patronyme, car il est associé à un passé familial douloureux et à un père absent. Tout en reflétant l’autonomie de chacun par rapport à la lignée qui l’identifie, ces témoignages soulignent aussi que l’individu ne peut rejeter cette identification et conserver son pouvoir d’identifier l’autre à soi. Pour ces deux pères, ce sont leurs conjointes qui ont insisté pour qu’ils changent d’avis et transmettent leur nom. L’une a invoqué le droit du père de nommer son enfant, proposant toutefois de le mettre en deuxième position dans le nom composé. L’autre a insisté sur l’importance de marquer le lien du père à l’enfant qui va naître et sur son propre souhait que leur enfant ne porte que le nom de celui-ci. Joël Fortin raconte :

Ma conjointe trouvait ça important de mettre nos deux noms de famille, puis moi je voulais pas que le mien apparaisse, parce que mon nom de famille, je l’aime pas. C’est pas que j’aime pas mon nom de famille, mais j’aime pas ce qui s’y rattache : la famille proche. Je voulais pas le mettre dedans, puis ma conjointe trouvait ça important que mes enfants aient une partie de moi dans leur nom […] on a fini par s’entendre et dire, on va le mettre pareil mais… en deuxième.

Évoquant le fait que ses enfants pourront en réalité laisser tomber le deuxième nom dans la vie courante, Joël Fortin réitère son faible désir de transmettre son nom, contrairement à sa conjointe, qui est enfant unique.

Par-delà la diversité des pratiques de nomination, on voit dans ce modèle de famille, fondé sur le couple plutôt que sur l’enfant, que les deux parents et leurs noms ont de l’importance dans ce qui fait l’identité sociale de leur enfant. Il reçoit soit un nom simple de l’un de ses parents, associé à un prénom lié à la généalogie de l’autre, soit un nom composé. C’est ainsi qu’un équilibre est recherché entre l’apport des père et mère dans la transmission par une certaine reconnaissance des deux lignées.

Un enfant nommé dans une vision individualiste de la famille

Une troisième manière d’accéder à la parentalité concerne des couples dont l’enfant est attendu et nommé en dehors d’une référence au couple ou à la famille. Quatre femmes rencontrées se retrouvent dans ce modèle élaboré dans une vision « individualiste » de la famille. Les événements familiaux sont présentés comme des actes choisis. L’enfant, considéré dans sa singularité, semble être désiré pour ce qu’il représente et symbolise pour le parent.

Les quatre femmes de ce modèle mettent en avant leur désir personnel d’avoir un enfant. Trois d’entre elles se revendiquent féministes (Liliane Caron-Jolin, Catherine de la Chenelière-Flynn ; Marie-Lyne Dominique), et une, anticonformiste (Julie Paquette), rejetant notamment les stéréotypes de genre. Elles expliquent ainsi avoir choisi en début de grossesse de transmettre un nom différent à chacun de leurs enfants, « pour ne pas prendre pour acquis cette tradition-là », comme le résume Liliane Caron-Jolin (31 ans, 1 enfant), de transmettre le nom du père, mais aussi par rejet du nom composé, considéré comme compliqué pour l’enfant. L’une d’entre elles, Catherine de la Chenelière-Flynn (32 ans, 1 enfant), optera finalement en cours de grossesse pour un nom double.

Parmi les couples qui ont choisi de donner un nom différent à chacun de leurs enfants, on observe deux cas de figure. Tout d’abord, celui où la transmission du nom se fait en fonction du sexe de l’enfant : le garçon reçoit le nom de son père et la fille reçoit le nom de sa mère, ce qui permet la reconnaissance des lignées à la fois patronymique et matronymique. C’est selon ce modèle que le fils de Liliane Caron-Jolin a reçu le nom de son père. Le couple n’a pas eu d’autres enfants, car Liliane et son conjoint se sont séparés peu de temps après la naissance de leur fils, mais s’ils avaient eu une fille, il était prévu que Liliane lui transmette seulement le segment de son propre nom composé qui lui vient de sa mère : Caron. De cette façon, dit-elle, elle aurait créé « une lignée de filles », et aurait ainsi pu laisser tomber le nom de son père, qui a été fort peu présent dans sa vie. Elle dit par ailleurs avoir « fabriqué » le prénom de son fils en prenant la première syllabe (Sim) d’un prénom qu’elle trouvait joli mais trop répandu (Simon), et tire une certaine fierté du fait que, d’après le registre des naissances québécois, d’autres enfants portent depuis ce prénom. Catherine de la Chenelière-Flynn souhaitait aussi au début de sa grossesse transmettre le nom de la mère à une fille et le nom du père à un garçon. Mais quand elle apprend qu’elle attend un garçon, elle négocie avec son conjoint pour qu’il accepte de changer de modèle, car elle veut s’assurer de transmettre De la Chenelière, nom rare, dans un nom composé. Ce projet de transmission d’un nom composé est poursuivi avec ténacité, au nom de l’unicité et de la distinction : « Adrien de la Chenelière-Descôteaux, c’est sûr qu’il y en a pas deux nulle part ».

Le second cas de figure du modèle d’alternance des noms est celui où père et mère nomment à tour de rôle un enfant, en commençant soit par le parent de même sexe que l’aîné, soit par tirage au sort.

Par exemple, Marie-Lyne Dominique (35 ans, 1 enfant et enceinte) et son conjoint, Daniel Bordeleau (39 ans), ont choisi de donner à leur premier enfant le nom du parent de même sexe. Leur premier enfant étant un garçon, il reçoit le nom de son père. Sa mère lui donne le prénom d’un chanteur qu’elle aime et son propre nom de famille comme second prénom pour, dit-elle, « mettre vraiment une partie de moi, un petit peu, dans son identité ». Leur second enfant (elle est enceinte au moment de l’enquête) portera le nom de sa mère. Pour qu’il y ait aussi « quelque chose de la famille de son conjoint », l’enfant aura comme premier prénom (car il s’agit d’une fille) celui d’une tante maternelle de son père et comme second prénom celui de sa grand-mère maternelle. Même si, en l’absence d’un nom de famille commun, chaque enfant du couple est singularisé au sein de sa fratrie, on observe une symétrie des références paternelles et maternelles dans le choix des noms et prénoms respectifs.

Julie Paquette (32 ans, 2 enfants) et son époux, McLeod Julien (32 ans), ont pour leur part, suivant la demande de Julie, tiré au sort pour décider lequel d’entre eux transmettrait le premier son nom. C’est elle qui a gagné. Ils ont eu d’abord une fille nommée Paquette, puis un garçon nommé Julien. Elle ne s’attend pas du tout à ce que sa fille retransmette son nom un jour : « Ça ne nous appartient plus après ». Elle insiste aussi pour dire que la stratégie de nomination choisie ne se fonde pas sur une association stéréotypée mère-fille, père-fils. Au contraire, le troisième enfant du couple s’appellera Paquette, même si c’est un garçon. Le couple pense par ailleurs que c’est l’enfant qui choisit son prénom. Ainsi, à la naissance de leur fille, c’est son visage qui leur suggère un prénom, tandis que pour le deuxième ils ont hésité jusqu’à ce que le père lise un prénom qui a fait tressaillir le nouveau-né.

Dans ce modèle où l’enfant est attendu en regard de projets personnels et de valeurs égalitaires, les parents mettent l’accent, à travers la transmission par alternance du nom de l’un et de l’autre ou par leur jumelage, sur la singularité de son identité nominale. Son appartenance sociale et familiale apparaît cependant dans l’agencement de leurs différents noms et prénoms, quand on les considère dans leur ensemble.

Conclusion

Si l’enfant tient une place importante dans les parcours des conjoints contemporains, son désir, sa venue et la manière dont les parents vont le nommer remplissent des fonctions différentes selon les individus et les situations de vie. Un même choix de nomination peut résulter par ailleurs de contextes variés et de conceptions familiales différentes.

L’enfant peut être désiré dès l’origine du couple et se présenter comme garant de l’existence de la nouvelle famille et de la continuité de la lignée. Il peut aussi être désiré en regard de l’histoire affective des membres du couple. Enfin, sa venue peut s’inscrire dans des positions plus individuelles où l’enfant est accueilli dans sa singularité et pour ce qu’il apporte à chaque parent.

Une majorité des parents interrogés transmet un patronyme en invoquant la tradition ou la norme de leur milieu. Sans déroger à cette tradition, une partie d’entre eux recourt aux prénoms secondaires pour marquer néanmoins la bilatéralité des filiations et le lien à la troisième génération. D’autres, tout en choisissant de transmettre un nom simple ou double, revendiquent une égalité père/mère dans la filiation signifiée aussi à travers les liens familiaux dans les prénoms. D’autres enfin, en attribuant un nom en dehors des conventions et des usages, transmettent un nom double ou par alternance à leurs enfants. Au-delà de l’égalité entre les parents et les lignées, ces parents introduisent la question du genre, en choisissant de créer « des lignées de filles » ou en refusant de prendre en compte le sexe de l’enfant pour choisir son nom.

Ainsi, quelles que soient les attentes et les représentations à l’égard de l’enfant, les noms et prénoms qui sont transmis et donnés sont étroitement liés et doivent être analysés comme un tout. Au-delà de leurs fonctions distinctes et des motivations différentes qui guident leur combinaison, les noms et les prénoms transmis apparaissent toujours au centre d’enjeux de filiation, d’identité individuelle et d’appartenance intergénérationnelle et sociale.