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Ce livre réunit des textes originaux (Introduction et chapitres 1, 7 et 8), ainsi que des versions revues de textes publiés entre 1993 et 2004 (chapitres 2 à 6). Malgré les difficultés inhérentes à ce mode d’argumentation superposant des analyses produites à des périodes différentes, Ferguson maintient le cap sur deux orientations centrales de ses réflexions. Il soutient d’abord que le continent « Afrique » est impliqué dans la globalisation du monde, contrairement à la vision habituelle qui l’en écarte. Il enjoint par ailleurs aux anthropologues de sortir du « local » ethnographique et d’inscrire leurs analyses dans les schémas d’interprétation plus généraux auxquels participent leurs collègues des sciences sociales qui se penchent sur les questions africaines.

Le projet de Ferguson dans cet ouvrage consiste donc à réfléchir sur les conditions qui font que l’« Afrique » n’est pas considérée comme un « lieu » dans lequel puisse s’inscrire et se comprendre l’ensemble des liens constitués par la globalisation du monde. Univers construit, « inventé » par l’Occident cherchant frénétiquement à se donner sa propre identité, cette Afrique fantasmée reste encore aujourd’hui une espèce de non-lieu de la globalisation planétaire. Il est donc essentiel que les analyses de la globalisation reconnaissent la place que l’Afrique y occupe en fondant ces discussions sur les notions d’inclusion, de responsabilité et d’inégalité des relations sociales à l’échelle planétaire.

Le premier chapitre réunit d’ailleurs les thèmes principaux de la réflexion de Ferguson dans son ouvrage. Il s’attache ici, entre autres, à montrer que non seulement le continent africain n’est pas un « inconvenient case » de l’intégration économique et politique mondialisée, mais qu’au contraire, les formes d’« intégration » que connaissent certaines régions du continent peuvent être considérées comme des manifestations avancées des mutations de la globalisation. Les « enclaves » de prélèvement de ressources naturelles (divers minéraux, diamants, pétrole, par exemple, un thème repris au chapitre 8) sur le continent africain constituent ici des exemples éloquents de ce qu’est véritablement le monde globalisé : moins fondé sur l’interconnexion et l’élimination des frontières que sur des espaces discontinus et hiérarchiquement constitués. De même, l’idée que l’absence de gestion politique adéquate (déliquescence de l’État, corruption, par exemple), constitue un frein à la globalisation des pays africains est contredite par les réalités politiques de certains d’entre eux (chapitres 2 et 4). Il faut d’ailleurs lier ces questions à celles qui relèvent des politiques économiques mises en place par la Banque Mondiale et le FMI. Ferguson rappelle d’ailleurs (chapitre 3) l’opposition maintenue par ces deux institutions selon laquelle le capitalisme serait doté de règles scientifiques, alors que les populations s’appuieraient sur des valeurs. Pour Ferguson, cette dichotomie masque le fait que le capitalisme est également régi par les valeurs.

Ferguson aborde également toute la question des valeurs, de la quête de l’« authenti- cité » africaine, si chère aux anthropologues et les paradoxes qu’elle recèle (chapitres 5, 6 et 7). Les élites ne font-elles que mimer les pratiques occidentales? Les valeurs fondées sur les traditions empêchent-elles une participation pleine et entière à la globalisation? Des Africains prennent la parole et s’insurgent contre le fait que les pays occidentaux leur proposent le développement d’un côté, mais refusent du même souffle que les conditions de ce progrès leur soient accessibles. Cela amène par ailleurs Ferguson à déplorer que les anthropologues soient enfermés dans le « local » au point de perdre de vue les effets de la mondialisation vécus au quotidien par les populations africaines.

Les analyses que propose Ferguson sont stimulantes, remettent en question des points de vue parfois peu contestés sans nécessairement apporter des réponses définitives sur les questions qu’il soulève. Il est également étonnant de constater que certains textes publiés au début des années 1990 gardent encore toute leur actualité quelque quinze ans plus tard! Il faut s’en féliciter!