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Le présent dossier, coordonné par René Otayek, est une série d’articles — 10 précisément — provenant de chercheurs de disciplines diverses : les sciences politiques pour la majorité d’entre eux, mais aussi la géographie, les sciences économiques, la sociologie et l’anthropologie.

Ces textes s’interrogent ou décrivent la concomitance entre les mobilisations identitaires (ethniques, religieuses) et l’avènement du multipartisme en Afrique ; multipartisme dont la nécessité s’est imposée au tout début des années quatre-vingt-dix et que de nombreux africanistes avaient analysé comme l’effet indirect de la chute du mur de Berlin sur ce continent, tandis que Mamadou Diouf, à travers l’exemple du Sénégal notamment, rappelait son caractère endogène.

Dans le texte introductif (Otayek), sont discutées les théories relatives à l’ethnicité, à la lumière des réalités africaines en particulier, par exemple les thèses primordialistes qui posent l’ethnie comme un donné per se irréductible et immuable, qui définit des traits invariants tels que la culture et le sang. À l’opposé de celles-ci, apparaissent les thèses interactionnistes — dont Barth et Leach constituent sans doute les figures tutélaires — suivant lesquelles l’ethnicité n’est nullement une résultante de la culture, mais plutôt son déterminant.

En outre, à partir d’une perspective théorique comparative où il confronte les manifestations identitaires en France et dans d’autres pays du monde à la résurgence du phénomène ethnique en Afrique, ce politologue affirme qu’il n’existe finalement pas de particularisme africain. Dans le continent noir, comme dans bien d’autres parties du globe, l’ethnicité n’est qu’un mode de mobilisation politique parallèle à tant d’autres ; la participation politique sur la base de l’ethnie constitue une simple option dont les fins restent plus ou moins perceptibles.

En se concentrant sur le cas de l’Afrique, Otayek tente d’identifier les facteurs explicatifs de l’exacerbation des revendications identitaires au cours de la démocratisation engagée sur ce continent. Selon lui, l’une des raisons majeures en est l’instrumentalisation du sentiment ethnique par les hommes politiques africains dans le but de conserver le pouvoir ou d’établir leur légitimité politique. Or, cette démarche est à contre-courant des discours des mêmes politiques. Compte tenu de leur option pour une unité nationale, bon nombre d’entre eux nient parfois même jusqu’à l’opérationnalité du sentiment ethnique dans leur pays.

Cette idée est confirmée et illustrée par l’article de Comi Toulabor, dans le même dossier : ce politologue décrit avec force détails la démarche forcenée du président togolais pour faire de l’armée togolaise une entité monoethnique, encadrée par des ressortissants de sa propre ethnie, sans rien laisser paraître de ses intentions dans ses discours politiques.

La discussion théorique sur l’ethnicité introduite par Otayek est complétée par une réflexion sur la notion de société civile ; l’articulation se justifie sans doute par la fonction de celle-ci dans l’établissement et le maintien d’une démocratie. Le politologue se demande si l’utilisation du concept est pertinente lorsqu’il s’agit de l’Afrique. Il examine, à ce propos, quelques thèses dont celles de Badié et de Bayart. Pour le premier, l’existence d’une société civile suppose quelques conditions dont la séparation des espaces sociaux privés de l’espace politique n’est pas la moindre. Or, selon lui, cette séparation n’existe pas en Afrique sub-saharienne où la société et l’État s’interpénètrent. S’appuyant sur la thèse de Bayart, Otayek récuse cette idée en affirmant que l’État africain contemporain n’a jamais pu contrôler entièrement la société.

L’introduction générale de Otayek est suivie d’articles qui restituent les résultats d’études menées dans différents pays tels que le Togo, la Côte d’Ivoire, Madagascar et le Nigéria.