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Avec l’augmentation de la mobilité dans la composition et la recomposition familiales depuis maintenant plus d’une décennie au Québec, les questions se rapportant à la prise en charge des enfants lors d’une séparation ou d’un divorce prennent dorénavant une importance cruciale. La garde exclusive de la mère avec droit de visite pour le père a longtemps été le modèle dominant en matière de garde d’enfant. Cependant, il se trouve un nombre croissant de parents pour contester ce mode de fonctionnement, alléguant qu’il désavantage à la fois la mère (surcharge de travail et appauvrissement) et le père (faiblesse des contacts avec l’enfant). Ce modèle est également remis en cause par les juristes et les autres spécialistes des questions familiales qui, soutenus par le discours sur l’équité des rôles sociaux de sexe dans la prise en charge des soins de l’enfant, proposent plutôt la garde partagée comme étant l’idéal à atteindre pour tous les parents séparés. Dans son plus récent ouvrage, Denyse Côté se questionne, d’une part, sur les effets des ordonnances juridiques et des avis professionnels en matière de garde légale partagée et, d’autre part, sur l’expérience de la garde physique partagée chez un groupe de parents qui la pratiquent dans le quotidien. Il semble, en effet, y avoir un monde entre les décisions prises par les tribunaux et les pratiques des parents concernant cette forme de garde.

Les tribunaux orchestrent dans plusieurs cas la prise de décision des modalités de garde entre parents. Côté a observé que les autorités juridiques, mues par l’idéal du meilleur intérêt de l’enfant, passent souvent les parents à la moulinette en ne reconnaissant pas pleine-ment l’expertise de ceux-ci lorsque vient le temps de déterminer les arrangements profitables pour leur enfant. En revanche, l’expertise professionnelle prendrait le pas sur cette expertise parentale et l’impartialité des premiers protégerait davantage l’enfant d’éventuels abus. Si du point de vue de ces experts « le couple est la structure idéale de socialisation des enfants » (p. 27), en cas de divorce ou de séparation « le meilleur intérêt de l’enfant tend […] à être associé à la pérennité des rapports avec ses deux parents » (p. 27). La garde légale partagée est également favorisée parce qu’elle symbolise l’équité parentale. L’auteure constate toutefois que si la garde légale partagée est l’entente adoptée dans plusieurs cas, peu de parents l’appliquent de façon stricte en partageant symétriquement les soins, le temps et les coûts liés à l’enfant. Par ailleurs, lorsque la coopération entre les ex-conjoints s’établit difficilement, cette forme de garde irait même jusqu’à créer de nouvelles pressions pour le parent gardien (surveillance accrue de sa compétence et de ses performances) (p. 34).

Côté a constaté un vide dans la littérature scientifique concernant le partage des soins en garde physique partagée. Elle ouvre donc la voie pour ce genre d’étude, bien qu’elle s’aper-çoive que la garde physique partagée soit encore au stade des balbutiements et que peu de parents la pratiquent de façon orthodoxe. L’auteure parvient tout de même à rencontrer douze couples séparés vivant à Montréal. Ces parents se répartissent les soins, le temps, l’espace et les coûts liés à l’enfant en deux unités de garde distinctes et autonomes. L’équité dans la prise en charge de l’enfant et le respect de la nouvelle intimité de l’ex-conjoint semblent être au cœur du bon fonctionnement de la garde physique partagée. Ce mode de partage est apprécié des mères parce qu’il leur permet de combiner la prise en charge de l’enfant avec le développement d’un espace de vie personnel (carrière, loisirs), et les pères le préfèrent parce qu’ils peuvent davantage construire des liens étroits avec l’enfant. Côté observe cependant que lorsque des événements sortant du cadre négocié par les deux parents se présentent (journée pédagogique, planification des vacances estivales, etc.), les mères tendent à prendre en charge plus rapidement que les pères ces situations extraordinaires. Malgré des efforts tangibles accomplis de part et d’autre, il semble que l’on tienne encore pour acquis, en cas de séparation des conjoints, la participation constante de la mère dans la prise en charge de l’enfant, sans toutefois en exiger autant du père.

En proposant une alternative sérieuse à la monoparentalité, la garde partagée s’insère mieux dans les nouvelles pratiques de parentalité, elles-mêmes fortement modelées par le marché de l’emploi. Côté discute donc, avec lucidité, des transformations qu’implique la garde partagée dans les pratiques des acteurs familiaux et plus particulièrement dans les rapports femmes-hommes en regard de la prise en charge d’un enfant.