Corps de l’article

Ce livre est le troisième du genre, préparé à l’occasion d’un anniversaire de fondation de paroisse, dans lequel Renaud Santerre est engagé en tant que coresponsable et coauteur. Cette fois-ci, il n’a pas travaillé avec une équipe élargie mais avec un seul collaborateur, un agronome à la retraite passionné par la généalogie des familles souche et par l’évolution du territoire agricole de sa municipalité d’origine. Leur ouvrage ne reproduit toutefois pas le même modèle que les précédents sur Squatec et Pintendre (Santerre 1994, 2000). Selon ses auteurs (p. 15), il ne s’agit effectivement pas d’une monographie classique de village présentant un portrait d’ensemble sous différentes thématiques comme l’économie, la politique locale et ses maires, la paroisse et ses curés, les écoles et ses enseignants, etc.

Dans les quatre parties principales, les auteurs ont plutôt voulu concentrer leur attention sur l’histoire agricole, la démographie et les généalogies des familles souches de cette municipalité de la Rive-Sud de Québec en pleine expansion démographique depuis quelques décennies. Six annexes, occupant à peu près autant d’espace au total, comprennent des recensements (ceux de 1831, 1842 et 1901) transcrits intégralement, le rôle d’évaluation municipale pour 1950-1952, mais surtout un très intéressant texte sur une des familles souches, celle des Cantin. La sixième annexe est une jolie trouvaille : elle fournit un portrait des 11 familles de cette ancienne paroisse qui ont bénéficié du programme spécial du gouvernement du Québec en faveur des familles ayant 12 enfants vivants et plus.

La paroisse de Saint-Jean-Chrysostome (SJC par la suite), dont le territoire faisait partie de l’ancienne seigneurie de Lauzon, a été fondée en 1828 en se séparant de la paroisse-mère de Saint-Joseph-de-la-Pointe-Lévy. Elle comprenait alors 1 700 habitants. Elle est devenue une municipalité de paroisse en 1855 et une ville en 1965. Entre temps, trois autres paroisses devenues municipalités à leur tour ont été créées par scissions successives de son territoire : Saint-Romuald en 1854, Charny en 1903 et Saint-Hélène-de-Breakeyville en 1909. De vocation agricole avant même sa fondation, mais aussi industrielle en raison des scieries établies sur son territoire, SJC est devenue exclusivement agricole vers la fin du XIXe siècle lorsque la production laitière est devenue la principale activité commerciale. À l’instar de ses voisines, elle est demeurée pendant longtemps une paroisse rurale relativement prospère en raison de la qualité de ses terres. Toutefois, des changements majeurs dans la composition de sa population sont survenus à partir des années 1970, après la construction du pont Pierre Laporte, qui amena une forte migration de familles urbaines dans les petites municipalités de la Rive-Sud. Elle fut la municipalité la plus fortement affectée avec le décuplement de ses résidents en une trentaine d’années, soit de 1 905 personnes en 1971 à 17 089 en 2001 (p. 69). Toutefois, selon les auteurs, Saint-Jean-Chrysostome a conservé son caractère rural jusqu’à ce jour, du fait que « les trois-quarts du territoire de la municipalité reste rural et voué à l’agriculture que pratique à peine 2 % de la population active » (p. 63).

Il ne s’agit donc pas vraiment d’une autre ville-dortoir de la grande région de Québec-Rive-Sud, puisque la population de travailleurs qui migrent quotidiennement vers la Rive-Nord s’est concentrée en quartiers dans la partie résidentielle de la municipalité, alors que la majorité du territoire demeure occupée par des fermes encore très actives. Par contre, ce sont ces migrants récents hautement scolarisés et occupant des emplois bien rémunérés qui font de Saint-Jean-Chrysostome une des villes avec le meilleur revenu au Canada, bien que la formulation des auteurs à ce sujet soit ambiguë : « Le revenu familial moyen (56 104 $ en 1996) est plus élevé à Saint-Jean-Chrysostome que partout ailleurs au Canada (54 583 $) » (p. 80). Comme il serait surprenant que le revenu familial moyen de SJC – où ne résident pas de gens très fortunés à ma connaissance – dépasse celui de banlieues cossues de Montréal, Toronto ou Vancouver, les auteurs ont probablement voulu signifier que le revenu familial moyen de SJC est supérieur au revenu familial moyen au Canada. Cette invasion d’une paroisse agricole à la population stable et vieillissante par de jeunes familles avec des enfants en bas âge est illustrée de façon spectaculaire par d’étonnantes pyramides d’âge très élargies à la base et au milieu, mais rétrécies dans les tranches d’âge intermédiaires de 15 à 39 ans (p. 74-75).

Cet ouvrage constitue le résultat d’un immense travail de recherche auquel les auteurs ont certainement consacré beaucoup de temps et aussi de passion. Il contient énormément de données non seulement historiques, mais aussi économiques, démographiques et généalogiques. Il est abondamment illustré de cartes, de tableaux, de copies de documents originaux et de photos. Ces dernières sont toutefois d’une qualité d’impression plutôt médiocre. Pour un anthropologue, le fait que les auteurs prennent la peine de définir le concepts de base en démographie et en parenté peut apparaître un peu agaçant, mais ceux-ci ont probablement pensé le faire au bénéfice des non-initiés, dont les résidents de SJC, les principaux lecteurs potentiellement intéressés par cet ouvrage. Par contre, même les anthropologues peuvent trouver intérêt dans le passage établissant les distinctions entre héritage, testament et donation de ferme (p. 179-180), de même que par l’ensemble de l’ouvrage au même titre que les sociologues, historiens et généalogistes.