Corps de l’article

Groupes de parents est le compte-rendu d’un congrès de l’Association des enseignants chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE) tenu à Lille en septembre 2001. Son objectif est de questionner le foisonnement de définitions et d’approches rangées sous le terme « parentalité » dans le travail social auprès de parents en difficulté. Les auteurs interrogent les finalités, le mode de fonctionnement et les retombées de ces groupes centrés sur la parole et le partage d’expériences. Ils proposent des réflexions sur le rôle des travailleurs sociaux et autres intervenants professionnels dans le cadre de ces groupes.

Bernadette Tillard propose une comparaison entre les concepts de parenté et de parentalité tels qu’ils sont respectivement employés en anthropologie et dans le sens commun d’une part, et en éducation familiale et en travail social d’autre part.

Jean-Marie Miron présente une typologie des logiques d’intervention auprès des groupes de parents. Ces modes d’interventions correspondent à autant de relations entre le monde de la recherche universitaire et les milieux « de la pratique ». Miron illustre son approche privilégiée, dite de recherche narrative centrée sur le récit de soi et « la construction du sens », à l’aide de l’exemple d’un groupe de parents québécois (le seul exemple québécois de l’ouvrage) : « Parents responsables ».

Le chapitre rédigé par Catherine Sellenet consiste en une réflexion sur la finalité des groupes de parents et de paroles par l’intermédiaire d’une approche comparative (entre la perspective des travailleurs sociaux et celle des clientèles participantes). Elle retrace une transition historique (depuis les années 1960) dans le rôle des intervenants experts, partant d’une position de normalisation-dévoilement asymétrique vers une pratique sociale caractérisée par la valorisation de l’usage collectif de la parole et par la confrontation d’idées.

Marie-Pierre Mackiewicz analyse la mise sur pied et le fonctionnement d’un atelier destiné aux pères placés en situation de « disqualification sociale » après une rupture conjugale ou familiale. Mackiewicz se concentre principalement sur les éléments clefs des interventions pratiquées dans cet atelier afin de proposer une définition de la requalification qui y visée. Elle montre que ces interventions ont pour caractéristique principale la priorité de la recherche d’innovation et de la prise en considération de la spécificité de chaque situation sur l’imposition de programmes et de marches à suivre.

Carole Asdih et Dorinne Gez-M’Bembo présentent leur étude d’un des ateliers pères. À la différence de Mackiewicz, ces auteures ont effectué des observations directes des activités et elles ont conduit des entrevues avec des participants. Elles retracent le processus de requalification vécu et décrit par les principaux intéressés en insistant sur le rôle de la valorisation de l’innovation, de la créativité et de la représentation de soi par l’intermédiaire de la photographie notamment.

Arnaud Chatenoud entend contribuer à doter le travail social de meilleurs outils pour assurer sa « réflexivité » (l’auto-observation et l’auto-description des pratiques rangées sous cette enseigne). Son texte est le résumé d’une thèse de doctorat. Le principal objet empirique du travail social envisagé et problématisé dans ce cadre sont les attentes de familles logées dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale.

Anne Cadoret expose des réflexions sur son expérience personnelle d’ethnologue engagée auprès de groupes de parents homosexuels. Elle caractérise, par cet intermédiaire, la transition des « terrains classiques » aux « terrains complexes ». Elle met en lumière les difficultés et les sophistications qu’apporte à la délimitation de ce groupe ciblé et à l’approche de sa cohérence présumée, le fait de sa localisation floue et variable dans des espaces tant géographiques que mentaux.

Bruno Décoret et Joëlle Garbarini présentent des extraits d’entrevues réalisées auprès de deux groupes d’hommes et de femmes ayant eu un ou plusieurs enfants adoptifs (dans la majorité des cas, par recours à l’adoption internationale). Les extraits retracent en particulier l’expérience des procédures d’adoption, les angoisses de l’attente, les commentaires du milieu (sur le prix de l’enfant, sur sa « race ») et le rapport que les parents et les enfants ont décidé d’établir avec les origines (biologique et nationale) de ces derniers.

Le chapitre signé par Chantal Bruno et Philippe Miet porte sur la Commission Nationale des Parents. Il s’agit d’une association de parents d’enfants handicapés qui possède à la fois la valeur d’un espace de partage, de socialité et de loisir, et de véhicule de revendications (ou de lobbying). Les auteurs s’intéressent au mode de fonctionnement de cette association, aux intérêts fédérateurs de ses membres, et aux rapports avec les intervenants professionnels qui s’y négocient.

Cet ouvrage offre l’intérêt de présenter les éléments d’une transition dans la philosophie et dans la pratique de l’intervention sociale, et dans le discours responsabilisé des acteurs « ordinaires » sur leur rôle de parent. L’intervention sociale apparaît notamment sous l’angle de son oscillation entre l’adoption d’une posture à visée normalisatrice (correction des écarts par rapport à un modèle abstrait) et l’adoption d’une posture d’accompagnement non contraignante et centrée sur l’écoute. Ce dilemme se pose dans un contexte où les membres des groupes de parents tendent déjà à disposer d’une compréhension théorique d’eux-mêmes, et où leur motivation réside à la fois dans le désir de confirmer cette compréhension et dans celui d’être reconnu comme personne à l’intérieur, mais aussi au-delà, de la fonction de parent.