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C’est des rapports entre l’histoire en pleine mutation et la sociologie naissante en tant que science académiquement reconnue, dans la France des décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale, que traite cet ouvrage lorsque, comme l’écrit Laurent Mucchielli, les sciences humaines opéraient leur « découverte du social ». En cadrant son analyse sur les méthodes des historiens et des sociologues, sur leurs approches théoriques, l’auteur démontre à quel point les uns et les autres ont, au-delà des controverses et des querelles scientifiques, su délimiter leurs terrains, préciser leurs procédés, affiner leurs démarches. Et c’est en s’inspirant de la phrase de Fernand Dumont à propos de la sociologie que Robert Leroux explique que, « dans un même mouvement, […] l’histoire-science s’est elle aussi développée sur le terrain des sciences humaines, particulièrement de la sociologie ».

La première partie de l’ouvrage est consacrée au « projet d’une histoire scientifique », lentement mûri depuis Auguste Comte jusqu’à Charles-Victor Langlois et, bien sûr, Charles Seignobos, déjà revisité par Antoine Prost (dont on s’étonne de ne pas trouver les Douze leçons sur l’histoire dans la bibliographie) dans un article de 1994. Pour ces auteurs et chacun de ceux qu’il situe dans cette entreprise (Ernest Renan, Hippolyte Taine, Numa Denis Fustel de Coulanges, Louis Bourdeau et Paul Lacombes), Robert Leroux présente l’œuvre, ce qui lui permet d’en dégager les deux fins divergentes, celle d’une réduction au récit et à l’événement, mais aussi celle qui présente comme logique l’assertion déterministe.

La deuxième partie, plus courte, présente et analyse l’œuvre du philosophe et historien Henri Berr, dont la « synthèse historique » nécessitait une démarche pluridisciplinaire où la sociologie avait la part belle. La troisième partie permet de percevoir la place de l’histoire, par ses apports positivistes comme par certaines de ses méthodes, dans les travaux d’Émile Durkheim, de Célestin Bouglé et de Maurice Halbwachs. Un long et très riche chapitre est consacré au « problème de l’histoire chez François Simiand » et, déjà, l’on sent poindre les problématiques labroussiennes chez cet économiste atypique remarqué en leur temps par Bloch et Febvre. L’auteur insiste sur ce que Simiand a emprunté à Durkheim, mais aussi sur les atouts qu’il a su fournir aux historiens qu’il estime « soucieux de restaurer leur disci-pline ».

Il serait possible de regretter la part trop restreinte accordée à d’autres sciences so-ciales, particulièrement la géographie sans référence à laquelle il est difficile de véritablement percevoir en quoi la richesse des Annales s’explique aussi par des échanges et des emprunts à l’ensemble des champs disciplinaires, mais il s’agirait alors d’une méprise sur le dessein de cet ouvrage. Malgré sa richesse, il ne prétend pas écrire une préhistoire de la révolution historiographique que fut l’entreprise de Marc Bloch et Lucien Febvre, mais va bien au-delà et entend préciser quels furent les apports et enrichissements réciproques que s’offrirent l’histoire et la sociologie en ce long tournant de siècle, qui construisirent par là même le statut épistémologique qui fut le leur tout au long du vingtième qui s’esquissait.